En cette soirée pluvieuse de novembre, il y a deux spectacles auxquels je veux absolument assister à Bruxelles : Lescop au Botanique et Animal Bodies + Bestial Mouths au Café Central. On peut dire que, dans mon agenda, les deux affiches se té-Lescop-ent... Hum... Mais comme je suis incapable de choisir, je décide de combiner les deux. Les vertus de l'ubiquité sans être... cuité. Un choix opportun puisqu’il va me permettre de rencontrer Lescop après son concert et de tailler une bavette en sa compagnie (voir plus loin)...
Lescop, de son vrai nom Matthieu Peudupin, est l'ex-chanteur du groupe Asyl (de La Rochelle) et semble incarner aujourd'hui la nouvelle sensation ‘made in’ France. Il pratique une ‘pop wave’ minimale qu’il chante dans la langue de Molière et teinte d'éléments 'dark'. Une ‘pop noire’ si on se réfère au nom du label qu'il vient de créer. Le hit lumineux "La Forêt" et le tout récent album éponyme ont révélé au grand public un artiste talentueux et discret, qui évolue dans un style sis quelque part entre Daho, Taxi Girl et Indochine, mais dont les arrangements dépouillés lorgnent vers Joy Division.
Lescop s’était produit en première partie de Daniel Darc, au Botanique, en mai dernier. Il est en tête d'affiche pour ce concert intimiste prévu dans une Rotonde achi-sold out. Une sirène retentit, puis l'hypnotique "Paris s'endort" ouvre efficacement le concert. Lescop investit les lieux avec classe et discrétion. Pendant "Ljubljana", une capitale où, dit-il, ‘on trouve de très belles filles’, nous prenons le temps de l'observer. Il porte un simple polo Fred Perry fermé jusqu'au dernier bouton, un jean et des Converse. Derrière son pied de micro, concentré et les yeux fermés, il ressemble à Ian Curtis. Mais quand il danse, ce ne sont pas des mouvements frénétiques qui l'animent mais bien d'élégants déhanchements, légèrement androgynes.
Tant qu'on est dans les noms de villes, Lescop enchaîne par "Los Angeles", lieu où ‘des choses importantes se sont passées pour nous’. Sur scène, il est flanqué de Cédric Leroux (ex-Phoebe Killdeer) à la guitare, un croisement improbable entre Prince, Fred Chichin et Phil Lynott (une tête de Lynott?). Il joue de sa Fender Jazzmaster en exécutant des mouvements saccadés et épileptiques. A droite, on retrouve Antoine de Saint-Antoine, l'acolyte des débuts chez Asyl. Il est préposé à la basse, aux chœurs et au PC. Il n'y a pas de batteur, mais les morceaux ont nettement plus de pêche que sur disque. En outre, le son est, dans l'ensemble, excellent.
Dans "La Nuit Américaine", Lescop démontre que ‘live’, il a nettement gagné en aisance, par rapport au concert de mai. Il convainc aisément le public à taper dans les mains et enchaîne les morceaux en les agrémentant d’une présentation humoristique. Il remarque la disposition en amphithéâtre de la salle, qui lui rappelle ses cours à la fac. Quand il demande si quelqu'un a déjà pratiqué l'hypnose, votre serviteur –adepte de l'hypnose ericksonnienne– ne peut s'empêcher de lever la main. Lescop me fait un signe et la formation nous balance "Hypnose". Plus tard dans la soirée, Lescop me confiera qu'il utilise cette technique pour gérer son trac. Ce qui peut paraître étonnant pour un artiste qui se produit en public, au sein d’un groupe depuis 1995 ; mais la situation est évidemment différente quand on doit défendre un projet solo.
Revenons au concert, car le combo attaque son hit "La Forêt". Le public acclame chaleureusement les premières notes de basse, rejointes par le rythme minimal de batterie. Lescop campe sur le devant de la scène. Son interprétation est impeccable. Nous dansons en remuant la tête, comme ensorcelés par cette mélodie envoûtante. Après des applaudissements nourris, le set se termine par le puissant "Un Rêve" et le fascinant "Le Vent", une chanson sur ‘les souvenirs brûlants’.
Une courte pause et Lescop revient sur le podium, pour aborder le très paisible "Tu m'écrivais souvent", un inédit (voir la vidéo ici ). On attend impatiemment la sortie de l’Ep, sur lequel devraient figurer des inédits et remixes. Ensuite, place à "Slow Disco", une chanson proche de "La Forêt", mais plus indolente. Enfin, l'excellent "Tokyo, La Nuit", le deuxième hit du combo, n’a pas été oublié…
Lors du second rappel, au moment de choisir la toute dernière chanson, Lescop suggère d’adopter une formule instituée au cours des 60’s, en reprenant le hit à la fin du concert. Et on est reparti pour "La Forêt" (voir la vidéo ici ), mais cette fois, surprise, Lescop descend dans le public et demande aux spectateurs de s'asseoir. Il chante ainsi les premiers couplets de la chanson au milieu de ses fans. Au moment où le rythme redémarre, il saute en l'air et tout le monde l'imite. De retour sur l’estrade, il se déchaîne. Il communique son enthousiasme aux autres musicos. Tel un lion rugissant, il se dresse au bord du podium en tendant le micro vers le public, qui lui répond par un vacarme assourdissant. Un grand final pour un concert un peu court, certes, mais en tous points convaincant! Lescop promet de revenir pour un show plus long et dans une salle plus grande... Le rendez-vous est pris!
Je me dirige ensuite sans attendre vers le Café Central pour assister aux concerts de deux groupes issus de la très vivante scène 'witch-wave' américaine: Animal Bodies et Bestial Mouths. Issu de Vancouver, Animal Bodies réunit Natasha (voix et guitares) et Sam (claviers, programmations). Ils sont influencés par les musique 'dark' (EBM, new-wave, punk...) mais leur approche, très ‘Lynchéenne’, est résolument novatrice et s'inscrit dans un mouvement où l'on rencontre aussi Zola Jesus, Chelsea Wolfe, The Soft Moon ou encore In Death It Ends... Bref, on baigne encore dans l'ambiance d’Halloween! Devant une cinquantaine de fans et de curieux, le groupe a interprété une majorité de morceaux figurant sur leur excellent Ep "The Kiss of The Fang" (Sweating Tapes). On attribuera quand même une mention particulière à l’hallucinant "Venus Transit" (voir la vidéo ici ). Les rythmes sont saccadés et obsessionnels. Joués en ‘live’ par Sam, les synthés reposent sur des basses EBM aux accents 'drone'. Quant aux vocaux de Natasha, ils sont saturés, stridents et torturés. Un set court mais puissant!
Bestial Mouths émargeait au rayon ‘découvertes’. Mais je dois avouer avoir été impressionné par leur synth-punk expérimental, caractérisé par une rythmique tribale, saccadée, des synthés déjantés et la voix incantatoire, très ‘Siouxsienne’, de Lynette Cerezo. Affichant un look de PJ Harvey gothique illuminée, Cerezo ne chante pas, elle éructe. Le concert ressemble à un rituel illuminé et infernal. En fin de parcours, le groupe attaque une reprise du "Never Alive" de Snowy Red. Une belle manière de remercier Michael Thiel, le fils de Snowy Red, présent au premier rang, et dont la collaboration à l’organisation de ce concert a sans doute été plus que précieuse.
http://youtu.be/w-FylKnc56k
Mais la soirée était loin d'être finie car c'est à ce moment que Vincent, sa compagne Valéria, accompagnés de... Lescop et de son band, ont débarqué. Une très chouette surprise, qui nous a permis de mieux connaître ces artistes en sirotant quelques bonnes bières belges.
Lescop nous a ainsi confié en 'off' que le buzz créé par les médias à son sujet l’avait mis très mal à l’aise. La couverture des Inrocks (‘Lescop ressuscite la cold wave’) apparaît à cet égard déplacée vu que l'intéressé ne semble nullement motivé par la nostalgie et estime jouer une musique moderne, bien d'aujourd'hui.
En dépit de cette situation, il estime indispensable de rencontrer les médias populaires, avouant même n’exclure ni la Star Ac' ou The Voice. Pour lui, l'important est en effet de toucher un maximum de monde, notamment les kids. Après tout, il avoue avoir lui même découvert Blur et le grunge grâce à des programmes TV populaires.
Je n'ai pas pu m'empêcher de lui poser la question concernant la ressemblance entre "La Forêt" et la chanson "Cran d'Arrêt", de Dernière Volonté, une analogie que Geoffroy, le chanteur de DV, avait épinglée lui-même lors de son interview (voir ici ). La réponse à cette question est claire: Lescop ne connaît pas DV et ne peut donc pas s'en être inspiré. Nous mettrons dès lors ces corrélations sur le compte de l'inconscient collectif... et de la référence commune à The Cure, bien sûr.
Enfin, Lescop nous a confié qu'il allait à nouveau collaborer avec Indochine pour leur prochain album, aux côtés de Air. Rappelons qu'il avait déjà cosigné "Les Portes du Soir" sur "Alice et June".
‘Allons danser!’, lance soudain Lescop, et nous nous retrouvons aussitôt sur le ‘dancefloor’ du Café Central sur la musique de notre copine DJ Nancy Bruxelles. Je lui suggère de glisser dans sa programmation, "Tokyo, La Nuit" ; et pendant que nous nous déhanchons sur ce sublime morceau, je me dis que c'est quand même beau, Bruxelles, la nuit...
Merci à Lescop, Cédric, Antoine, Vincent, Valeria, Nancy et Mat.
(Organisation : Botanique pour Lescop et Cheap Satanism Records pour Animal Bodies/Bestial Mouths)