Mardi 16 novembre 2011. Un brouillard à couper au couteau baigne l’ensemble du Hainaut Occidental. Pourtant, j’ai vraiment envie d’assister au show que les Residents accorderont ce soir, à Courtrai. Par prudence, je décide donc de recourir aux transports en commun. En l’occurrence, le chemin de fer. Sur le site de l’organisateur, le début du spectacle est prévu pour 20h00. En démarrant à 18h40, j’y serai en temps et en heure. Je débarque donc à la gare de la Cité des Eperons d’or vers 19h20. La salle est située à 3 minutes de la station. Mais bon, pour le retour, il faudra reprendre le train de 22h25. De Kreun dispose depuis deux bonnes années d’une toute nouvelle salle. Pas encore mis les pieds depuis. Autrefois, le club était établi dans la banlieue ; à Bissegem, très exactement. Où votre serviteur a pu assister à quelques concerts mémorables, dont ceux de Kevin Ayers, Kevin Coyne, les Godfathers, Ed Kuepper, Green On Red et la liste est loin d’être exhaustive. En arrivant sur place, un écriteau collé sur la porte nous précise que les lieux ne seront accessibles qu’à partir de 20h00 et que le concert débutera à 20h30. Ne reste plus qu’à prendre un verre au bar, à côté. En se doutant bien devoir manquer la fin du spectacle.
Venons-en un peu à nos Residents. Une formation avant-gardiste, expérimentale, thématique, unique en son genre, ouverte à toutes les formes d’art, mais aussi à la technologie moderne, qui s’est établie en Californie au cours de la seconde moitié des sixties. Peu de monde connaît leurs visages. Ni leur véritable identité, d’ailleurs. Depuis le début des eighties, ils se produisent sur scène, en smokings, haut-de-forme et masques représentant des globes oculaires. Mais d’après les derniers échos glanés sur Internet, leur nouveau spectacle serait totalement différent. A l’instar de Tuxedomoon, Chrome et MX-80 Sound, les Residents ont relevé d’une même scène, sur la côte Est des Etats-Unis, qui a été qualifiée de radicale. Intellectuelle surtout. Mais surtout très intéressante et particulièrement influente. Ce mouvement avait d’ailleurs fait l’objet d’une compile, à cette époque, intitulée « Subteranean modern ». Un recueil paru chez Ralph Records, le label fondé par les Residents. Ben tiens ! Leur line a très longtemps fonctionné sous la forme d’un quartet. Il est aujourd’hui réduit à un trio, Carlos ayant décidé de quitter le navire pour aller soigner sa maman, malade, à Mexico.
Finalement, le concert ne débute que vers 20h45. Trois quarts d’heure au cours desquels, on devra patienter à l’écoute de musique semi ambient/semi industrielle. Quarante-cinq minutes, c’est long ; même si on en profite pour jeter un œil sur la structure particulièrement contemporaine et bien équipée de la salle. Un seul bémol : les WC. Il n’est indiqué nulle part s’ils sont réservés au sexe masculin ou féminin. Dans ces conditions, vous vous doutez bien que plus d’un spectateur ou d’une spectatrice se trompe d’accès. Et ben oui, c’était pas la bonne porte…
Sur l’estrade, on remarque la présence d’un sofa, d’un faux poêle au gaz (NDR : reproduisant même les flammes du foyer), sur lequel est posé une petite TV, un lampadaire et une radio des années cinquante. Une petite table sur laquelle sont posés un petit clavier, un pupitre et un ordinateur-portable a été plantée à gauche de l’estrade. On dénombre deux chaises en bois. L’une réservée à Chuck et l’autre à Bob, respectivement claviériste et l’autre au gratteur. Ce second siège est placé à droite du podium. Enfin, trois écrans circulaires ont été installés méthodiquement, légèrement en retrait. Les musiciens montent sur les planches. Hormis la redingote rouge, les deux instrumentistes sont vêtus de noir : costume, bas recouvrant la tête et fausse perruque ‘rasta’. Ils arborent de drôles de lunettes. Futuristes. Un peu comme s’ils sortaient d’un tournage de ‘La guerre des étoiles’. Randy, le vocaliste, a le visage dissimulé sous un masque de vieillard. Il a revêtu un peignoir, qu’il laisse ouvert pour laisser apparaître une cravate rouge à pois blancs d’au moins un mètre de longueur ; et puis un caleçon américain, qu’il a enfilé sur des bas collants. Il est chaussé de godasses de clown. Et me fait penser au Dr Emmett Brown dans la série ‘Retour vers le futur’. Il commence à se lancer dans un monologue, au cours duquel il nous explique le concept de son nouveau show : « The talking light ». Et tout d’abord cette histoire d’un vieil homme un peu dérangé de l’esprit, qui se pose des tas de questions existentielles. Tiens, une situation qui me fait penser à la mère de Carlos… Puis, il s’assied. Avant de revenir vers le micro. Il se demande si ce qu’il a vécu au cours de son adolescence était bien réel. Entre récits, incantations, lamentations et cris de détresse effroyables, il se met parfois à balancer les bras de gauche à droite, en dansant ; mais à sa manière. Surtout lorsque la musique se fait plus funkysante. Il nous communique ce sentiment de solitude et de désespoir lié au processus de la vieillesse. Parfois, il sort un harmonica pour y souffler dedans, mais en diffusant des sonorités particulièrement spectrales. A vous flanquer des frissons partout. Il s’éclaire aussi circonstanciellement le visage, pour accentuer l’aspect effrayant de son masque. Les deux acolytes triturent des sonorités atmosphériques, mais parfaitement adéquates au spectacle. On a aussi droit à quelques chœurs angéliques, lors d’un morceau caractérisé par un solo dégoulinant de six cordes. Ce sera d’ailleurs le seul. Randy utilise régulièrement un projecteur portable pour le fixer successivement sur les trois écrans. Un bonhomme Michelin amaigri nous parle. Comme s’il nous causait de l’au-delà. Il cède, un peu plus tard, sa place à une femme aux yeux énormes, dont la bouche devient démesurée au fil de ses interventions. En fait, on est dans le second sujet. Le miroir. Qui reflète sa propre image. C’est-à-dire celle qui vit dans l’autre monde. Après la mort ? Ce sont en tout cas des sentiments soulevés ici ; et qui peuvent susciter la peur. Pas pour les Residents, pourtant. Qui cherchent simplement à chercher le chemin qui mène du réalisme et surréalisme. Peut-être une référence à Cocteau… Randy nous parle bien sûr des rêves, pastichant même le célèbre « All I want to do is dream », popularisé par les Everly Brothers. Et du rêve au cauchemar, il n’y a qu’un pas que les Residents n’hésitent pas à franchir…
Il est 22h15, il est temps de quitter les lieux. Mais ce soir, je suis un peu interloqué. Faudra une bonne nuit pour remettre ses idées en place. Heureusement, dehors, le brouillard s’est levé.
(Organisation De Kreun)