La soirée commence mal. Englué dans les bouchons pendant presque deux heures, je débarque au Botanique vers 21h00. De quoi entretenir la mauvaise humeur. Je fonce vers la Rotonde pour assister à ce qui devait rester de la prestation de Karkwa. Malheureusement leur show est déjà terminé. La découverte de ce groupe, pourtant acclamé par la critique, est donc postposée. Dehors, le temps est maussade et le crachin n’incite pas à mettre le nez dehors ; afin de prendre une consommation dans le parc, par exemple, comme le veut la tradition des Nuits…
Heureusement, la suite de la programmation est alléchante. Ce qui me rend quelque peu le moral. Tombé sous le charme de leur album « Trompe l’œil », un opus sculpté dans une pop originale, ce concert de Malajube devait donc sauver ma soirée. Le quatuor monte sur les planches en toute discrétion. Le set s’ouvre par quelques chansons extraites de leur dernier opus « Labyrinthes », paru il y a quelques semaines. Le son est puissant et se révèle de bonne qualité. Mais les balances sont mal réglées. Difficile de saisir les paroles de Julien Mineau. Et on n’entend pratiquement pas les interventions aux claviers de Thomas Augustin. Sous cette forme, les morceaux ne parviennent pas à fédérer. Et c’est une petite déception. Caractérisé par son crescendo irrésistible, « Etienne d’Août » reprend du poil de la bête ; mais décidemment, la guitare et la batterie jouent tellement fort, qu’ils étouffent l’aspect pop et frais de leur musique. Or, ce sont ces singularités qui font le charme de leur solution sonore. Et le show va souffrir de ce déséquilibre tout au long de la soirée, malgré les plus réussis « La Monogamie », le single imparable « Montréal -40° » ou encore un morceau plus récent comme « Porté disparu ». Ce qui devrait m’inciter à écouter leur nouvel opus d’une manière plus approfondie. En privilégiant la puissance, Malajube devient un groupe de rock comme il en existe des milliers d’autres. Heureusement, sur disque, le combo est toujours capable de montrer un tout autre visage. Bien plus savoureux. C’est suffisamment rare pour ne pas le souligner. D’ailleurs on ne peut pas dire que leur présence scénique soit enthousiasmante. Bref, j’avais peut-être placé trop d’espoir dans ce concert, finalement assez anecdotique. Une grosse déception pour ce que je considère pourtant comme une des révélations discographiques de 2007.
Duchess Says est un combo relativement inconnu en Europe. Il lui incombait de clôturer la soirée. Fondé à Montréal, en 2003, il a sorti son premier album, « Anthologie des 3 perchoirs », l’année dernière. Bienvenue donc dans leur univers déjanté. La présence scénique d’Annie-Claude Deschênes y est quand même pour quelque chose. Ses performances vocales sont plutôt limitées, mais ses pas de danse sont uniques en leur genre. L’énergie est omniprésente. La folie communicative. Malheureusement, l’assistance est clairsemée. Motif : les fans de Malajube et Karkwa ont déjà déserté les lieux. Le début de leur set est tout à fait convaincant, la formation profitant au maximum du confort sonore de la Rotonde. Malheureusement, sur la longueur, il devient irritant. A cause des cris d’Annie-Claude. Noyé sous ses vociférations, il devient de plus en plus difficile de distinguer les morceaux. D’autant plus que la méconnaissance de leur répertoire ne facilite pas la tâche. Les fans d’électro punk semblent quand même avoir pris leur pied et s’être même amusés. Faut dire que le groupe communique et ne se prend pas trop au sérieux.
Des Nuits québécoises un peu décevantes, donc. Tout d’abord, parce que j’ai raté la prestation de Karkwa, assisté à un show brouillon de Malajube et n’ai dû me contenter que d’un set qui a surtout valu pour son originalité, en fin de soirée. C’est déjà ça !
Taï
Nuit Québec : Malajube + Karkwa + Dutchess Says
Soirée placée sous le signe de l’electro-pop ce mardi 12 mai aux Nuits Botanique. Le chapiteau accueillait une valeur sûre du genre, Metronomy, ainsi que deux nouveaux espoirs : les Français de Naïve New Beaters et les Canadiens de We Are Wolves (NDR : cette review ne concerne que sur ces deux derniers).
Aussi bien habillés et coiffés que des stars du hard rock circa années ’80, les Français de Naïve New Beaters sont apparus sur la blogosphère il y a près d’un an en commettant leur tube « Bang Bang ». Depuis, ils errent sur les scènes d’Europe en quête d’attention. Ils sont, en tout cas, parvenus à conquérir celle des Belges, grâce à leur mélange de nu-rave, de pop électronique syncopée, d’un peu de rap et d’humour implacable. D’ailleurs, pour amuser la galerie, David Boring, l’interprète de la bande, effectue quelques pas de danse qui ne sont pas sans rappeler ceux de Lovefoxxx (CSS). Le dénommé EuroBelix, chargé de la table de mixage, délaisse très vite son ‘instrument’ pour aller rejoindre à son camarade. Le public ne le verra toucher à sa console qu’une toute petite vingtaine de fois, pour des réglages très mineurs. Pratique, la bande son ! Apparemment conquis, l’assistance réclame un rappel, obtenu au bout de quelques secondes. Le temps d’un dernier morceau extrait de leur premier opus, « Wallace », le trio s’emballe en se lance dans une nouvelle chorégraphie ridicule mais hilarante.
C’est ensuite au tour des Canadiens de We Are Wolves de monter sur scène. Le trio porte une sorte de panneau étrange au-dessus de la tête. Imaginez une tête de mort de couleur noire décorée de petits triangles (NDR : jaunes !) Un visuel intriguant. Et leur musique l’est tout autant. We Are Wolves pratique un post-punk aux accents electro, survolé d’un rien de noise. Que l’on y adhère ou pas, le moins que l’on puisse dire est que le combo ne manque pas d’énergie et de puissance. La même que l’on retrouve sur leurs elpees « Non-Stop Je Te Plie En Deux » et « Total Magique ». Le set, agrémenté d’un petit cours d’expressions québécoises, s’achève d’ailleurs sur leur single en français dans le texte, « Magique ». Sympa, sans plus.
Redouane Sbaï
We Are Wolves + Naïve New Beaters
Organisation : Botanique.
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Originellement programmé ce mardi 12 mai à la Rotonde, le phénomène francophone du moment, Cœur de Pirate, pousse les portes de l’Orangerie dans une salle comble et surchauffée.
Fille de la cyber-génération, Béatrice Martin fait partie de ces artistes qui ont bénéficié de l’explosion de la bulle internet. Les pionniers du genre étaient Arcade Fire et Clap Your Hands Say Yeah, faut-il vous le rappeler.
Phénomène hype/internet ou véritable artiste ? Il reste au « Jack Sparrow » du Saint-Laurent à démontrer son savoir-faire sur les planches. Qu’elle nous convie enfin à l’oubli salutaire de ce clonage inévitable de chanteuses québécoises gueulardes (Dion, Boulay, Lemay…) qui envahissent nos ondes et notre espace cathodique depuis trop longtemps.
A priori, le produit marketing tient la route. Un nom de scène ingénu, des textes (faussement) naïfs, une voix d’enfant, un visage d’ange. Des airs guillerets, libres et légers. Bienvenue dans le monde de Casimir !!! Cœur de Pirate véhicule désormais une image.
Etrangement, ce concept ingénieusement fleur-bleue fonctionne et touche le cœur des hommes et des femmes de 8 à 88 ans. Un vrai carton dès son arrivé dans l’Hexagone !!! Après un énorme buzz sur MySpace et une première partie de Benjamin Biolay aux Francofolies de Montréal, la jeune Canadienne de 19 ans signe sur le label indépendant québécois Grosse Boîte. Ensuite, très rapidement, chez Barclay/Universal Music France.
Internet propulse souvent trop rapidement les jeunes artistes sur le devant de la scène. L’expérience se révèle parfois douloureuse. Rappelons-nous les New-yorkais de Clap Your Hands Say Yeah qui, après avoir sorti une galette de qualité, nous livraient des prestations scéniques vides d’expérience et assez médiocres. Cœur de Pirate passe l’épreuve avec brio.
21h00 pétantes, le cœur de Béatrice Martin s’ouvre sur le long du large dans une Orangerie pleine à craquer. Accompagnée du guitariste/violoniste Manu Ethier, elle nous offre 13 fleurs sonores dont deux nouvelles compos (« Place de la République » et « Loin d’ici »). Une heure de concert pour exposer son talent d’auteur-compositeur et de pianiste.
Grâce à ses chansons à fleur de peau qui pleurent en émotions et à un sentimentalisme habilement simpliste, Béatrice Martin parvient à transmettre à la perfection ce spleen doux-amer de l’adolescence qui habite chacun de nous. Une ivresse contagieuse de folie et de légèreté qui nous parle au corps. L’espace d’un instant, elle entrouvre à nouveau l’âge ambigu de l’entre-deux où s’entremêlent et se succèdent, parfois sans transition, des abîmes d’angoisse et cette peur de soi, des autres et du vide si caractéristique. Puis cette insoutenable légèreté de l’être, cette spontanéité irrésistible de l’enfance. Et ça fait mouche ! Redoutable profondeur de la frivolité !
Le concert est parsemé de longs intermèdes musicaux au cours de laquelle elle s’amuse à dialoguer avec le public. Sereine, elle se livre à un show interactif qui déride rapidement l’audience bruxelloise. Béatrice s’amuse sur un ton folâtre et espiègle à raconter le fil de sa vie sentimentale d’adolescente. Croquignolet mais, somme toute, fort peu passionnant. Elle donne davantage l’impression de meubler pour faire oublier son pauvre répertoire. Elle avouera d’ailleurs lors des rappels, avec beaucoup d’autodérision, qu’elle se trouve à court de morceaux. Le public surchauffé de l’Orangerie pressera le valeureux petit pirate qui avait prévu un seul rappel à braver la foule. Elle poussera maladroitement la chansonnette pour 3 reprises (« Umbrella » de Rihanna, « Les bords de mer » de Julien Doré et « I kissed the girl » de Katty Perry).
Après un gros buzz MySpace et un passage sur l’émission de Frédéric Taddeï (‘Ce soir ou jamais’ sur France 3), Loane se fait connaître du grand public et rentre très rapidement dans la grande famille des nouvelles chanteuses françaises (Pauline Croze, Ariane Moffatt, Camille, Karen Ann…) La jeune Parisienne sera ensuite signée sur EMI France.
La première partie s’ouvre sur un décor sobre au fond de scène drapé d’un tissu rouge face à une Orangerie bien garnie et réceptive. Loane, accompagnée du guitariste Philippe Bégin, nous livre une poésie touchante. Textes glamour et sulfureux. Néanmoins, une certaine redondance rend l’ensemble langoureusement ennuyeux. Il y manquait un petit supplément d’âme.
Eric Ferrante
Cœur de Pirate + Loane
Franchement, à 20h20, je me demandais si je n’allais pas rebrousser chemin. A l’instar de Taï, votre serviteur était donc également englué dans ces fameux embouteillages. En fait, il s’agit surtout d’un manque de jugeote des responsables de l’infrastructure autoroutière flandrienne, puisque l’autoroute A8, dans le sens Tournai-Bruxelles, avait été purement et simplement fermée juste avant Bierghes ; et les véhicules étaient invités à prendre la sortie pour emprunter la nationale avant de remonter sur la voie rapide à hauteur de Halle (NDR : un bon conseil, si vous devez emprunter cet itinéraire, renseignez-vous !) Jusque là pas de quoi polémiquer. Par contre, il n’y avait pas le moindre panneau de signalisation pour prévenir cette situation. Pourquoi ne pas avoir pensé à les inviter, par exemple, à sortir plus tôt de cette autoroute. Sabotage ? Résultat des milliers de voitures et de camions se sont retrouvés agglutinés dans des kilomètres de bouchon (NDR : vitesse calculée 3km/heure). On se serait cru à hauteur de Vienne ou d’Orange en pleine période estivale, sur l’autoroute du Soleil, en France…
Finalement, la raison l’a emporté. La qualité et l’originalité du spectacle ont également poussé notre obstination ; et malgré le retard enregistré, nous ne l’avons pas regretté. Arrivée donc au Cirque Royal vers 20h55, pour assister à la seconde édition du ‘Babel Live : Music Unlimited’, un projet musical dépassant les catégories et mettant en musique tous espaces géographiques et toutes périodes confondues en une perspective originale et séduisante (NDR : c’est dans la bio !)
On débarque donc alors que les dix-neuf chanteurs du groupe vocal montois Les Rolandins interprètent une œuvre de Roland Lassus. On retient son souffle face à ces polyphonies, même la quarantaine de musiciens issus de territoires musicaux aux antipodes les uns des autres. Veence Hanao vient alors déclamer son slam intimiste, mais aussi réaliste que douloureux, sur le Quintette à deux violoncelles de Franz Schubert. Place ensuite au tango argentin d'Astor Piazzolla, voyage musical sensuel et chorégraphique opéré dans l'Argentine des années vingt, interprété par Delphine Gardin, la vocaliste de Moonson. C’est alors que va se produire un des moments les plus forts de la soirée. Le groupe britannique Tindersticks investit les lieux. Et la rencontre entre le baryton profond de Stuart Staples et l’orchestre symphonique, enrichi pour la circonstance d’un trompettiste qui se mue ensuite en saxophoniste, fait absolument merveille. Gustavo Beytelmann improvise au piano et soutient de nombreux artistes dont la chanteuse d'origine berbère et touareg Hindi Zahra. Sa voix chaude et orientale, métissée de jazz et de folk est soutenue par les accords en picking de son guitariste. Pour lier la sauce, le compositeur et interprète mexicain de musique électronique Murcof balance ses intermèdes atmosphériques. Et puis entre les deux plateaux, quatre musiciens –un guitariste, un accordéoniste et surtout deux percussionnistes, dont un xylophoniste– participent, suivant l’orientation de l’expression sonore, à la fête. Ce sont d’ailleurs ces deux derniers qui vont déclencher l’hilarité de la salle en nous accordant un combat de percus particulièrement original et explosif. Juste avant que l’on entre dans la phase la plus classique du concert. Sous la houlette de Jean-Paul Dessy, l’orchestre va se lancer dans une interprétation du Concerto Brandebourgeois n°5, Premier mouvement de Jean-Sébastien Bach, absolument vertigineuse. Au beau milieu, la claveciniste japonaise Momoyo Kokubu, va nous donner un aperçu de son talent, avant de rejoindre l’Ensemble Musiques Nouvelles pour participer à ce final grandiose, en y apportant son concours sur un clavier aux sonorités insolites. Standing ovation ! Et franchement, c’est amplement mérité.
Un regret, n’avoir pu assister à l’ensemble de ce concert. La prochaine fois, on prendra le train. Si la SNCB n’est pas en grève…
Flashback : en 1998, Daniel Schell avait déjà mis sur pied un spectacle destiné à supprimer les barrières entre les différents styles musicaux : le ‘Clic music festival’. Sous une forme plus minimaliste, c’est vrai ; plus proche de la musique de chambre, de la world et du jazz, il faut le reconnaitre. D’accord, à cette époque, il y avait plus de monde sur les planches que dans la salle ; mais l’expérience tentée méritait d’être rappelée. Et quelque part ce ‘Babel Live : Music Unlimited’ en est un prolongement idéologique. Seule différence, mais elle est de taille, la formule fonctionne. A cet égard, on ne peut que féliciter tous les acteurs de ce projet qui a dû exiger un travail colossal pour aboutir à un tel résultat. Proficiat !
Babel Live : Music Unlimited
Bernard Dagnies
Org : une coproduction de l'Ensemble Musiques Nouvelles, de Musiq'3 et du Botanique.
(Voir également notre section photos)