« Hadestown » écrit en alphabet Western susciterait presque un disque country, et son sous-titre explicatif, « A Folk Opera », pourrait, vu toutes ces connotations, en faire rebuter certains ; mais détrompez-vous : Anaïs Mitchell respire le fleuron du folk et la quintessence de l’opéra.
Au niveau théâtral, il ne s’agit ni d’un remake à la Jesus Christ Superstar, ni d’une production Broadway, et encore moins d’une énième comédie musicale à l’eau de rose, mais bien d’une actualisation ultra réussie du mythe d’Orphée et de tous ses compagnons de jeux et de leurres (dans la ‘ville d’Hadès’, donc !) Dans la lignée traditionnelle des grandes réexploitations contemporaines de la mythologie, l’action se déroule au cœur d’un paysage de dépression américaine, où les matériaux actuels et symboliques dont la compositrice fait usage sont, entre autres, la famine, le changement climatique et l’ambiance post-apocalyptique du 11 septembre 2001, pour extrapoler que ‘la morale cesse d’exister dans des conditions désespérées’. L’auteur relève également, avec brio, le défi de conduire le récit par des paroles implicites presque intemporelles et aucunement fleur bleue.
Sur le plan musical, les folk-sceptiques se surprendront à apprécier le genre ! L’efficacité des musiciens à fournir une palette de ‘variantes dans l’acoustique’ est surprenante. Il faut dire que lorsqu’on lit l’aventure de la création de l’œuvre (www.anaismitchell.com), c’est tout un univers peuplé d’artistes ambulants et marginaux que l’on découvre, qu’Anaïs Mitchell a croisés sur son chemin créatif pour les rassembler autour d’une idée scénique qui a marché (la première de l’opéra), si bien qu’une nouvelle tournée vermontoise et bostonienne ainsi qu’un un album ont suivi. C’est lors de la réécriture en vue de cette seconde édition de l’œuvre que le choix des acteurs-chanteurs a dû être opéré. Pour soutenir la production, des grands noms tout de même : Ani DiFranco en Perséphone, Justin Vernon (Bon Iver) qui incarne Orphée et Greg Brown en caverneux Hadès aux Enfers. La monotonie n’est pas au rendez-vous dans cet album unique en son genre, et vu l’ampleur du projet mesurée à la modestie des moyens, l’on a envie de s’exclamer comme Perséphone : ‘I raise my cup to [them] !’