C’est grâce à de grands rôles au cinéma que l’image de Thomas Alan Waits s’est inscrite à l’encre indélébile dans la mémoire collective. Une forte personnalité qui sera magistralement exploitée par Jim Jarmusch dans les cultissimes « Down by law » et « Coffe & Cigarettes ». Une filmographie exceptionnelle où le musicien américain côtoie les grands noms du cinéma : Francis Ford Coppola, Terry Gilliam, Wim Wenders, Robert Altman… Excusez du peu !
Du coup, on en oublierait presque que ce pionnier du rock alternatif est avant tout un auteur-compositeur, un musicien et un chanteur de talent. Un artiste qui traverse le temps avec un je ne sais quoi d’indéfinissable mais néanmoins fatal, définitif, inexorable. Songez donc : plus de 38 ans de carrière et 17 albums studio.
Sept ans après avoir publié son dernier opus (« Real Gone » sorti en 2004), Tom Waits reprend les chemins du studio pour nous régaler d’un dix-septième essai. Un treize titres voluptueux qui ne ménage pas les sens et les enlise, les vautre dans les bas-fonds crasseux des grandes villes américaines. Ainsi, « Bad As Me » tisse une atmosphère inouïe, de celles qui vous suffoquent, vous prennent à la gorge et vous étouffent l’âme. Dès la première piste, Waits balance un ‘Chicago’ blues-rock à la voix rocailleuse et enragée. Quelques crachats, quelques vomissures plus tard, et c’est votre corps tout entier qui erre dans les ruelles glauques du Old Chicago. Un album intense porté par une voix unique qui aurait été trempée dans un fût de bourbon, séchée et fumée pendant quelques mois, puis sortie et renversée par une voiture. Et magnifiquement sublimé par les coups de griffes de Marc Ribot à la guitare.
Une première partie principalement baignée dans un rock-blues dense qui se métamorphose, qui changera progressivement de ton pour chavirer dans les univers contrastés du jazz et du blues (« Talking At The Same Time » et « Kiss Me »), se cloîtrer dans un spoken word au romantisme déglingué (« Back In The Crowd » et « Last Leaf ») ou se teinter d’une voix de crooner corrodée (« Kiss Me »). Ne craignez rien, le tempo n’émousse nullement la plume cynique du portraitiste du bizarre. Elle continue de peindre, de sa pointe aiguisée et trempée dans l’acide, les traits de personnages et de lieux miteux. Paradoxalement, le ton, s’il est mordant, n’en demeure pas moins chaleureux et triste.
Soulignons tout particulièrement le magnifique « Bad As Me ». Un morceau au bord de la crise d’épilepsie où le chant est enragé et les orchestrations chaotiques. Soit 3’10’’ de pure folie contagieuse. Délicieusement insane !
Bref, ce dernier album se présente globalement comme une œuvre charnière dans la carrière de Tom Waits. Une musique qui indique une direction nouvelle sans jamais oublier de regarder en arrière. Une plaquette dont l’artiste soigne davantage les orchestrations et dans laquelle il offre incontestablement la plus belle voix de sa carrière.
S’achevant par « New Year’s Eve », « Bad As Me » s’affiche indéniablement comme une idée précieuse de cadeau de fin d’année. N’hésitez pas, c’est un excellent cru Waits !