Grand Island est l’histoire d’une boîte de Pandore qui explose à la figure de Candide. Des banjos contorsionnés font l’école buissonnière, et l’émotion folk se métamorphose sans complexes en indomptable punk-rock. D’emblée, les racines norvégiennes tombent en poussière devant ce rythme hybride à l’allure plus américaine que scandinave. Dans un tour de main surprenant, les frères Gustavsen et Brodersen vont et viennent entre un héritage folk appalachien et des emprunts aussi lunatiques qu’excentriques.
Sur « Love is a dog from hell » planent les sonorités 70’s, tirées par des orgues hammond surexcités et la voix d’un Tom Waits pressé; « Fountain » surprend par son rock garage 90’s acheminé par des cuivres à la solennité guerrière. « Set your house on fire » substitue aussi naturellement de tremblantes vocalises rappelant le Devendra Banhart de « Oh me o my » en roulements de batterie aux influences métal. « Good enough » continue de puiser dans l’incongru en explosant dans un punk effréné après avoir aligné coup sur coup les banjos bien country, les chœurs gospel, et l’émo-rock écorché de Dinosaur Jr. Zéro complexe, comme sur le dernier morceau où une voix tremblante à la Eels est instantanément transfigurée par des guitares zélées, sur lesquelles flottent les backing-vocals d’une invraisemblable Enya sous exta. Chaque morceau semble ainsi parcourir l’encyclopédie de la musique, juxtaposant sans transition évidente des intermèdes issus des répertoires les plus inattendus. En ressortent 11 titres de girouette à la fois fiévreuse et nonchalante; et c’est précisément dans cette urgence bordélique façon Go team que les Norvégiens se rendent les plus sympathiques. « Say no to sin » est sans conteste un album curieux et imprévisible. Il reste que ces changements d’humeur peuvent faire surgir l’impression d’une succession d’interludes qui n’en finit pas d’être transitoire. On sera capable d’en perdre la tête, s’y abandonnant volontiers pour ces morceaux festifs où l’autodérision déclenche un franc sourire, moins volontiers lorsqu’ils tombent dans un cliché power pop -comme c’est le cas du single « Us annexed »-, acheminant un riff captivant et prometteur en refrain-tube déjà (trop) familier. Mais au-delà du pointilleux, Grand Island séduit par son énergie délicieusement addictive, irrésistible pour qui apprécie l’improbable folk endiablé.