Depuis 15 ans, Jens Massel ne cesse de développer un monde très personnel. Après des débuts sur Karaoke Kalk, il n'est donc pas étonnant qu'il ait rapidement trouvé une famille d'accueil chez Raster-Noton où s'épanouissent d'autres petits génies de l'électronique aventureuse. En effet, si les univers de Frank Bretschneider, Byetone ou Kangding Ray vous sont familiers, j'imagine qu'ils côtoient les travaux de Senking sur votre étagère. Je n'ai donc pas à vous convaincre que "Capsize Recovery" est un grand album, aussi indispensable que les sept précédents. Pour ceux qui n'ont jamais appréhendé les atmosphères cérébrales du Colonais, il est encore temps de se plonger dans cette oeuvre cohérente et dense.
L'électronica dub hypnotique des débuts a insensiblement évolué vers un monde plus menaçant, laissant à présent peu de place à la rêverie. C'est un jeu d'ombres et de lumières auquel on assiste. Des sonorités post-dubstep granuleuses, sombres et tourmentées sont heureusement traversées par des notes spatiales nous empêchant de sombrer dans la claustrophobie. Musique de sci-fi, aux relents de Blade-Runner, "Capsize Recovery" porte décidément bien son nom. Ces états post-traumatiques, lorsque nous tentons de redresser le bateau après avoir chaviré. Cette alternance de pesanteur et de moments où la légèreté refait surface.
L'envoûtement est progressif. On s'enfonce petit à petit dans ce magma industriel, mesmérisé par ces rythmiques spectrales, ces ambiances inquiétantes et ces lignes mélodiques éthérées. Parfois, des pulsations émergent des couches sonores et confèrent une certaine tribalité à cet univers de robot ("Capsize Recovery", "Tiefenstop"). On est aspiré dans un dub futuriste sépulcral ("Nightbeach", "Cornered") avant d'être entraîné dans des contrées technoïdes peuplées de Replicants ("Enduro Bones").
Jens Massel n'a jamais caché que Blade Runner avait influencé sa musique. Sans pour autant s'éloigner radicalement des climats de ses autres opus, il nous offre ici une remarquable BO de science-fiction. Captivante et singulière. Vivement la prochaine séance.