Hubert-Félix Thiéfaine s’est surtout fait connaître auprès du grand public grâce à des titres phares tels que « La fille du coupeur de joints », une ode à l'amour et la consommation de cannabis célébrée à une époque où le politiquement incorrect était encore admis, « Alligators 427 », chanson ironique inspirée par la peur du nucléaire et ses conséquences sur la santé humaine ou encore « Les Dingues & les paumés », abordant les thème de la folie et l’addiction à la drogue. Et enfin le succès radiophonique intemporel « Lorelei sebasto cha ».
Il appartient à de cette poignée d’artistes oubliés des médias ; sa plume peu conventionnelle et son lyrisme particulier le rendent difficile d’accès à l’écoute. Paradoxalement, il connaît un succès relativement important sur la durée grâce à la fidélité et l'attachement de son public
Sa « Stratégie de l’inespoir », coréalisé avec son second fils Lucas, constitue le dix-septième opus de sa carrière.
Vu le titre, on peut s’interroger sur la frilosité et sa conception du mot ‘bonheur’. Et en corollaire, le regard critique qu’il porte sur sa vie. Comme il se plaît à le rappeler tout au long de ses interviews, ‘l'inespoir n'est pas le désespoir’. Selon ses dires, ‘c'est un no man's land des sentiments, un espace de lucidité où, sous couvert d'une déclaration amoureuse, le morceau maître s'embrase pour le tenir à l'écart’. On est rassuré !
L’écoute ne laisse aucun doute ! Le chanteur/poète écorché vif et talentueux de la chanson française ‘intellectualise’ toujours autant ses textes. Sa marque de fabrique n’a donc pas changé d’un iota !
Reconnu par ses pairs grâce à son précédent disque, « Suppléments de mensonge » (dont le titre le plus connu est « La ruelle des morts »), il a été primé aux Victoires de la Musique. Une victoire artistique certes. Mais avant tout humaine ! Une revanche sur son passé de dépendant aux ‘substances’ qui l’ont mené, à une époque pas si lointaine d’ailleurs, aux tréfonds de l’existence.
Thiéfaine se dévoile encore ici un peu plus et cultive toujours autant ce verbe très littéraire, référence à la poésie. Il avoue pour sources d’inspiration Rimbaud, Baudelaire et Lautréamont. Il bouscule à nouveau les stéréotypes singuliers de l’industrie du disque. Ses écrits obéissent à un système d'énonciation comparable ou traitent de thèmes convergents, puissants et incisifs.
Le propre de l'écrivain n’est-il pas de faire voler en éclats les prétendues barrières entre les genres ?
Ce nouvel album de treize titres est en quelque sorte un ‘patchwork’ relativement noir et mélancolique.
Une pure merveille !
Le manque d’humanité des réseaux sociaux et les dérives de la société contemporaine y sont dépeints (« Médiocratie »). Effarant de vérité !
Son « Angelus » hypnotise ! Thiéfaine y traite, à demi-mot, de sa rencontre furtive avec un Dieu dont il semble avoir irrévocablement tiré un trait. Triste ironie du sort lorsque l’on connaît son désir de devenir prêtre dans sa prime enfance !
Résolument plus ‘léger’ et plus pop dans sa musicalité, « Toboggan » est l’une de mes compositions préférées. Je l’écoute en boucle. Elle aborde pudiquement l’histoire d’un homme qui porte un regard complexé sur son passé. Poignant de sincérité !
Sa « Résilience zéro » m’a beaucoup émue également. Cette chanson ramène aux souvenirs douloureux d'élève martyrisé.
L’amour est également dépeint tout au long de l’intimiste et érotique (quasi malsain même) « Mytilène Island » et le tristement « Amour désaffecté ». Est-ce là le résultat de ses « Lubies sentimentales » ? Lui seul le sait !
Bref, sans être inégal, ce long format reste fidèle à la carrière d’Hubert Félix Théfaine. Stupéfiant, subjuguant et enivrant. Assez hermétique tout de même ! Les mots se fondent parfaitement aux mélodies et ont cette particularité de faire vivre véritablement les textes. La voix touchante et pénétrante renforce l’émotion que procure l’écoute de ses chansons.
J’ai l’impression qu’aujourd’hui, le Sieur Théfaine est toujours habité par la même difficulté de vivre, mais sans doute de manière plus distancée, lucide, calme et tranquille.
A consommer sans modération !