Difficile de comprendre pourquoi un artiste aussi talentueux qu’Ed Kuepper soit confiné depuis si longtemps dans la zone crépusculaire de l’underground. Sa discographie ne se contente pas d’être impressionnante, mais recèle plusieurs albums remarquables. Ses prestations scéniques le sont tout autant. Et les articles que lui consacrent les journalistes spécialisés ne tarissent pas d’éloges ce ténébreux Australien. Le mystère reste donc entier.
Son dernier opus studio, « Smile, Pacific » remontait quand même à 2001, et franchement on se demandait ce qu’il attendait pour revenir dans le parcours. En fait, après avoir lu une biographie sur Jean Lee, la dernière condamnée à mort, exécutée par pendaison en Australie, il a projeté d’écrire un opéra. Il a donc refilé le bouquin à sa partenaire Judi Dransfield-Kuepper (photographe, écrivain et poète reconnue aux Antipodes) en lui demandant si elle était intéressée par ce projet. Mais celui-ci a pris davantage de temps que prévu, et Ed, impressionné par ce qu’elle avait déjà écrit, a décidé de bosser sur une partie du thème développé et de s’en servir pour son nouvel opus ; repoussant ainsi ultérieurement les desseins opératiques. C’est ainsi qu’est né « Jean Lee and The Yellow Dog », un disque pour lequel, Kuepper a notamment reçu la collaboration de Warren Ellis (Dirty Three), de la claviériste/violoncelliste Jan Elliot, d’une section de trois cuivres et puis de Chris Bailey. Pour une des meilleures compos de l’elpee : « That depends pt 3 ». Une plage complexe, noisy/jazz/world élaborée dans l’esprit des Laughing Clowns, c'est-à-dire très cuivrée mais en même temps mélodique. Une sensibilité très développée mais en même temps très personnelle chez le natif de Perth. Dans le même registre, « Skinny Jean » se révèle plus laidback, mais en même temps énigmatique et parfois presque funèbre (ces cuivres !) Et la ballade mélancolique « Demolition » semble hantée par le spectre de Morphine.
Donc les deux ex-Saints ont à nouveau coopéré. Une situation qui avait été débloquée en juillet, à l’initiative du festival Queensland Music, au cours duquel les Saints s’étaient donc produits en ‘live’ et sous un line up originel. Pas comme chez nous l’an dernier. L’opus recèle une cover des Go-Betweens : « Finding you ». Un hommage à feu Grant McLennan qui aurait dû, au départ, figurer sur un album ‘tribute’. Balayée par les accords du violoncelle, cette version minimaliste est vraiment bouleversante. Mais venons-en plus en détail sur cet album.
Découpé en douze fragments, dont un interlude d’une cinquantaine de secondes en final (« Ambient piece »), il s’ouvre par un rock bien carré, « Hang Jean Lee ». Il recèle surtout quelques plages assez curieuses. Tout d’abord « Yellow dog ». Ce boogie jazz écume le célèbre « The beat goes on » de Sonny & Cher. Deux titres sont proposés sous des versions différentes : « Read to me ». La première version est acoustique. Une jolie mélodie tramée par un banjo et un dobro, tapissée d’arrangements de cordes. Légèrement countryfiante, elle s’inscrit dans l’esprit des Triffids circa « In the pines ». Et immortalisée live, la seconde libère une intensité blanche digne de Neil Young. Une intensité qui contamine le tribal « Daddy’s girl ». La plaque recèle bien évidemment quelques compos typiquement ‘edkuepperesques’. Et en particulier « Miracles ». Une chanson empreinte d’une grande mélancolie, caractérisée par ces accords plaqués, légèrement reverb, et bercée par les accès de violon ondoyants concédés par Warren Ellis. « Shame », ensuite. Un morceau découpé dans les cordes élégantes, discordantes, hypnotiques, au cours duquel, il partage un duo avec Su Crowley.
Fatalement ce disque figurera parmi mes albums de l’année. Et si vous continuez à snober cet artiste hors pair, c’est que vous n’avez toujours rien compris…