Le ‘Night Tripper’ participe depuis très longtemps à la vie musicale de la Nouvelle Orléans, une cité qui a pourtant cruellement souffert des ravages de l'ouragan Katrina, et dont une bonne partie de sa population a été forcée de vider les lieux. Ce qui n’a pas empêché notre bon docteur de délivrer inlassablement ses prescriptions sonores. De son véritable nom Malcolm Rebennack, Dr John est aujourd’hui âgé de 67 ans. Il squatte les scènes musicales depuis les fifties. Il a composé et joué de la guitare pour des célébrités locales comme Professor Longhair et Art Neville. Il a entamé sa carrière personnelle au cœur des sixties. A l’époque, il dispensait un curieux cocktail de funk, de R&B, d'exotisme et de psychédélisme, hanté par une sorte de culture vaudou. Victime d’une manipulation maladroite d’arme à feu, il était entre-temps passé de la guitare aux claviers, au piano et à l’orgue. Il devient alors responsable d’elpees qui vont maquer son époque comme "Gris gris" en 1968, "Sun, moon and herbs" en 71 ou encore "In the right place" en 73. Pour enregistrer « City that care forgot », John est épaulé par sa formation : le Lower 911. C’est-à-dire le guitariste John Fohl, le drummer/percussionniste Herman Ernest III et le bassiste David Barard.
Dès les premières mesures de "Keep on doin'", la musique baigne au sein d’un climat funky. Et la présence d’une section de cuivres n’y est pas étrangère. La voix de fausset du docteur est caractérisée par sa nonchalance habituelle. Tous les musiciens collaborent aux chœurs. "Time for a change" trempe dans une même solution sonore. Eric Clapton apporte son concours à la guitare. Son toucher aux six cordes est immédiatement saisissable. Willie Nelson participe à "Promises, promises". Le chant semble joyeux. Mais c’est loin d’être le cas. La réalité est toute autre. L’heure est grave. Souligné par un chant gospel participatif, le piano alerte de John anime les débats. ‘Le chemin pour la Maison Blanche est pavé de mensonges. Les enfants ont faim. Ils souffrent. Ils pleurent et meurent dans les rues’. Notre terre n'est décidément pas faite pour tout le monde! Les Créodelphic Strings colorent de leurs violons la ballade lente "You might be surprised". Le funk hypnotique refait surface sur "Dream warrior". John est passé à l'orgue. Il a revêtu le kimono du samouraï. Ce combattant du rêve brandit son glaive pour protéger les rivières et bayous louisianais. Le mysticisme vaudou plane. Le climat passe au jazz New Orleans sur "Black gold". Il évoque le rôle de cet or noir, si prisé par les financiers. La trompette et les saxophones marquent le rythme! L'amertume de l'artiste s'accentue davantage sur "We gettin' there", une compo au cours de laquelle on relève la présence de Terence Blanchard, l’ex trompettiste des Jazz Messengers. Les cordes de Clapton enrichissent deux autres plages. Tout d’abord "Stripped away". Ses partenaires en profitent pour libérer une dose maximum de groove. Et puis le titre maître. Une ballade majestueuse mais tellement critique sur le sort de la cité ravagée. Son sentiment douleur ne faiblit pas sur le titre suivant. Le docteur s’interroge même sur l’implacable "Say whut?". Ballade paresseuse "My people need a second line" se mue en dixieland dévastateur, lors de l’intervention de Troy ‘Trombone’ Shorty Andrews (ce jeune prodige tromboniste n’a que 22 ans !), rejoint par son frère aîné James, à la trompette (c’est aussi le leader du New Birth Brass Band). Cet album d’excellente facture s’achève par "Save our wetlands", une prière dont les accents plaisants sont dispensés sur un mode zydeco. En outre Terence Simien, un des meilleurs artistes de ce style, y partage les vocaux.