A l’instar du regretté Frank Zappa (NDR : en compagnie duquel il fera un bon bout de chemin), Don Van Vliet (NDR alias Captain Beefheart) était avant tout un créateur. Il était parti du blues pour aboutir à un rock expérimental. Au cours des sixties, il était même devenu un personnage incontournable au sein de l’univers musical contemporain. Le bon vieux Captain est toujours en vie. Il est âgé aujourd’hui de 64 ans. Bien que s’intéressant encore à la musique, il est plutôt déconnecté. Il a d’autres centres d’intérêts ; et en particulier dans le domaine artistique : poésie, peinture, etc.
Quarante ans plus tôt, le Captain avait imaginé un véhicule pour son aventure sonore : le Magic Band. Un concept qui allait lui permettre de concocter toute une série d’albums particulièrement excitants, dont les légendaires "Safe as milk", "Strictly personal", "Trout mask replica" et "Mirror man". Parmi les différentes formules qu’il a pu constituer, on retiendra surtout la présence de Jeff Cotton, Zoot Horn Rollo, Rockette Morton, John French et Jerry Handley. Après vingt ans de silence, le Magic Band vient de refaire surface. Le bassiste Rockette Morton et l’ex batteur John French sont de la partie. Le line up est complété par Gary Lucas et Denny Walley aux guitares, Michael Traylor et Robert Arthur Williams (déjà présent à la fin des 70s) aux drums. John French est devenu le leader. Et surtout le préposé aux lead vocals. Et sa voix d'outre-tombe rappelle tout naturellement celle du Captain. En outre il assure la production de cet opus, enregistré en public lors de diverses prestations accordées aux States et en Angleterre. La formation avait commis "Back to the front" l’an dernier, un elpee dont elle reprend une dizaine de titres en version ‘live’. Les compositions sont signées Don Van Vliet, le Captain extraordinaire.
Le Magic Band ouvre les hostilités par "Moonlight in Vermont" (issu de "Trout mask replica"). L’ambiance est bien magique. Les percussions sont imprimées à l'avant-plan. Les guitares s’expriment en toute liberté des deux côtés du décor ; et puis, il y a cette voix terrifiante. Non, ce n'est pas celle de Beefheart, même si elle est aussi fantomatique et étrangement proche de celle du maître, mais bien de Drumbo French. "Flooty boot stomp" ressemble à un blues décousu, découpé en lanières puis reconstitué au sein d’un monde terrifiant qui n’appartient qu’au Magic Band. Omniprésentes, les guitares tissent des phrases hallucinées. Quoique puissant, l'organe vocal de French évolue dans un registre mineur. Tout au long de "Smithsonian institute blues" (NDR : issu de l'album "Lick my decals off, baby", paru en 70), il rappelle le mythique bluesman Howlin' Wolf. A première écoute, cette plage laisse transparaître certaines affinités avec le blues de Wolf ; mais pas les guitares : elles appartiennent bien à une autre planète. Drumbo siège derrière les drums pour un exercice en solitaire ; un exercice qui s’achève par "Abba zaba", une symphonie pour deux guitares solo et une basse. Autre blues trafiqué, "Circumstances" fait à nouveau des ravages. A cause du climat lugubre entretenu par la voix de French ; mais également les vocifération de son harmonica. Surpuissantes, les guitares s’intègrent au rythme. Au cours de ce concert surréaliste, d'étranges plages instrumentales font leur apparition. Et je pense tout particulièrement au "On tomorrow" qui figurait sur l’elpee "Strictly personal". Le Magic Band interprète encore quatre plages issues de "Trout mask replica" : "Steal softly thru snow", "My human gets me blues", "Hair pie" et "Veterans day poppy". "Alice in Blunderland" s’ébroue au sein d’un climat mélodique presque normal, avant que les guitares n’entrent en scène. Dès cet instant, la trame musicale se complexifie, Gary Lucas exécutant un travail extraordinaire sur les cordes. Mais comment font-ils pour présenter un tel répertoire ? L'harmonica percutant de Drumbo introduit "Grow fins" (NDR : immortalisé sur "Spotlight kid"). Ce blues exerce des effets hypnotiques. Plus familiers, les vocaux s’apparentent de nouveau à ceux de Howlin' Wolf. Tout au long de la longue version de "Mirror man", les guitares se déchaînent en permanence. Un boogie déjanté, décapant et surtout sidérant. La musique du Magic Band est complexe, souvent difficile à assimiler, mais jamais sans intérêt. En fin de concert le combo interprète un "When it blows it's stacks" tout à fait hypnotique. Van Vliet a composé "Electricity. En 1967. La nouvelle version de ce boogie blues démoniaque vous prend à la gorge, avant de se métamorphoser en "Big eyed beans from Venus". Et ne desserre l’étreinte que lorsque vous êtes à genoux, quelques huit minutes plus tard. Ce « 21st Century Mirror man » est enrichi d’un DVD. Enregistré live à Camber Sounds, le 6 avril 2003, il recèle sept plages qui mettent en exergue le talent de ces vétérans de la scène rock ; et notamment du guitariste Gary Lucas. Pas de trace du vocaliste John French, cependant. Et c’est bien le seul bémol !