Nous sommes en 2006. En rangeant son grenier, Cypress Grove découvre des cassettes. Sur l’une d’entre elles est mentionné ‘JLP songs’. Cypress est un ancien guitariste de Jeffrey Lee Pierce. Et il se rend compte que cette bande réunit des démos, jamais gravées sur support ; des morceaux ébauchés, à-moitié développés, puis abandonnés à l’issue de sessions réalisées lors de l’enregistrement de l’elpee « Ramblin’ Jeffrey and Cypress Grove with Willie », un disque paru en 1992. Il lance un appel aux musiciens et aux chanteurs qui vouent toujours un profond respect à l’ex-Gun Club. Notamment via MySpace. Et le résultat va au-delà de ses espérances, puisque les réponses affluent rapidement…
Mais que contient cette cassette ? Des inédits. Et ce sont ces inédits qui ont été retravaillés par ces interprètes. Parfois sous différentes versions. Certaines parties de guitare, immortalisées par Pierce, ont été récupérées, sur certains morceaux. Une seule reprise d’une chanson déjà sortie : « Lucky Jim ». Un hymne élégiaque adapté par Debbie Harry. Les 15 autres compos sont manifestement hantées par le spectre de Jeffrey. Faut dire que les interprètes entretiennent constamment un climat ténébreux, étrange, parfois même presque satanique.
« Ramblin’ mind » fait l’objet de trois versions. Celle de Nick Cave qui ouvre l’elpee est remarquable, et aurait pu figurer dans son répertoire. Tout comme celle flamboyante et hypnotique de David Eugene Edwards. Davantage incantatoire, celle de Cypress Grove est aussi minimaliste.
« Constant waiting » a également droit à trois variantes. La voix diabolique de Mark Lanegan contamine cette compo trempée dans l’americana (NDR : avec banjo, mandoline, lap steel percus, etc.) Celle des Sadies baigne dans le surf, alors qu’imprimée sur un tempo enlevé, celle de Johnny Dowd est éclaboussée de claviers eighties et secouée d’accords de gratte spasmodiques.
Et encore trois pour « Free To walk ». The Raveonettes nous en proposent une, sculptée dans la noisy crépusculaire. Lanegan et Isobel Campbell, une différente, plus sensuelle, calquée sur une valse mid tempo. Autre duo, celui partagé entre Cave et Debbie Harry qui nous la balance sous la forme d’une ballade romantique.
Lydia Lunch est également de la partie. Sa voix éraillée, écorchée, épanche tout son désespoir tout au long de « When I get my Cadillac ». Sa douleur, sur l’intimiste « St. Mark Place ». Et soutenue par Dave Alvin, Kid Congo Powers et quelques autres, elle semble chercher à réincarner le Don Van Vliet de Captain Beefheart, lors du morceau final, « Walkin’ down the street (Doin’ my thing) ».
Mick Harvey nous réserve un « The snow country » complexe et mélodique à la fois. Reste Crippled Black Phoenix. Un combo responsable d’un des meilleurs morceaux de l’elpee : « Bell on the river ». Huit minutes de psyché/punk/blues tortueux, majestueux, dignes de la plus belle époque du Paisley Underground (NDR : pensez à Green On Red). Cette formation est rejointe par David Eugene Edwards pour une autre plage aussi impressionnante et surtout bouleversante : « Just like a Mexican Lover ». Cripple Black Phoenix, un nom à retenir, c’est une certitude !
Bref, « We are only Riders – The Jeffrey Lee Pierce Sessions Project » n’est pas une compile comme les autres. Ce serait plutôt un ‘Tribute’, mais consacré à des titres jamais enregistrés, et pour lesquels, la plupart de participants ont vraiment inoculé toute leur passion et toute leur âme. Vivement conseillé !