Lors du dernier festival de Dour, Wilco a accordé un set en tous points remarquables, une prestation dont l’apothéose électrique valait à elle seule le déplacement. Mais aussi un concert contrastant d’une manière étonnante avec leur sixième album, ‘Sky blue sky’, un disque de très bonne facture, mais dont le climat particulièrement cool, nous replonge curieusement dans l’univers des seventies. Pas trop étonnant, lorsqu’on sait que le line up implique aujourd’hui des musiciens huppés ; et notamment le guitariste Nels Cline. Agé de 52 balais, ce véritable virtuose de la guitare est considéré depuis février de cette année, par le magazine Rolling Stones, comme un des meilleurs gratteurs sur la scène pop/rock. Faut dire que le personnage joue de la six cordes depuis l’âge de 12 ans, compte une discographie impressionnante (plus de 100 albums !) et on ne dénombre plus le nombre de collaborations au sein desquelles il a été et est toujours est impliqué. C’est lui qui s’est prêté à l’exercice des interviews. Il n’a éludé aucune question même les plus embarrassantes. Un type d’une extrême gentillesse en compagnie duquel on a même fini par trinquer.
Mais en récoltant ce fameux prix, les autres membres du groupe ne l’ont-ils pas trop charrié ? Nels avoue : « Ouais, effectivement. En fait, cette distinction est à la fois très flatteuse et en même temps stupide. Inévitablement, certains n’ont pas raté l’occasion de se payer ma fiole. Par contre, j’en ai causé à ma mère. Et elle était fière de moi… » Une chose est sûre, au cours de sa carrière, il a côtoyé une multitude d’artistes, aussi bien issus de l’univers de la pop, du rock, du jazz que de la musique expérimentale. Parmi les plus notoires, on retiendra Mike Watt (Minutemen), Thurston Moore (Sonic Youth), et Carla Bozulich (Geraldine Fibbers). Justement, a-t-il encore des contacts avec ces musiciens ? « Oui, oui, régulièrement. Carla a ouvert quelques uns des concerts de Wilco lors de notre dernière tournée européenne. Pour la circonstance, je l’ai rejointe sur les planches pour interpréter l’un ou l’autre morceau. J’ai participé au nouveau projet solo de Thurston Moore. J’y joue de la guitare. Mike Watt et moi militons au sein d’un autre projet : The Crew of The Flying Saucer. Stephen Perkins (le drummer de Jane’s Addiction), Willie Nelson et quelques autres y participent. Enfin, il y a The Black Gang. Un trio. Ce sont mes musiciens préférés… » Ce qui veut dire que Nels n’a pas abandonné ses desseins personnels. « Non, non, je bosse maintenant full time pour Wilco ; mais quand il y a des périodes de pause, je recommence à jouer ma propre musique ou alors j’organise des rencontres destinées à l’improvisation. Un peu partout dans le monde. A New Yok, Chicago, San Francisco… »
Pour enregistrer ‘Sky blue sky’, les musiciens de Wilco se sont davantage impliqués dans la composition. Bien plus que dans le passé. Mais qui a pris la part la plus large des arrangements ? La patte de Nels serait-elle responsable des sonorités davantage seventies ? « Ce n’est pas moi ! La plupart des idées musicales ont été apportées par Jeff. La structure, aussi. Sans la moindre exclusive, tout le monde a participé aux arrangements. A parts égales. Finalement nous avons tous apporté nos idées et la plupart ont été utilisées. Pat a apporté de nombreuses idées. Mais automatiquement, on a été entraîné à en parler, puis à répéter. Cependant, les premières idées n’aboutissent pas nécessairement. Et la mouture finale est parfois bien différente de la première. Certaines compos aboutissent très rapidement et d’autres nécessitent un processus d’élaboration assez long. En ce qui concerne ma propre contribution, je ne pense pas être le responsable des sonorités seventies. Si on les ressent, c’est qu’elles existaient déjà avant. Je ne pense pas qu’il était dans notre intention d’épouser un tel profil sonore, mais simplement c’est la façon dont nous ressentions les événements. Donc on n’a pas eu recours à des artifices pour obtenir un tel résultat. Tu entends probablement des distorsions et des effets spéciaux, mais ce n’est pas ce qui nous préoccupait le plus. Ce qui nous intéressait, c’était le feeling. Tous les membres du groupe ont des sensibilités différentes ; ce qui nous permet de multiplier les possibilités et d’accentuer le processus créatif. Mais en fin de compte, on est capable de chercher et de prendre des décisions sans tergiverser continuellement… » On ne va pas en faire une fixation, mais une plage comme ‘Impossible Germany’ est basée sur une dualité de guitares me rappelant Delaney & Bonnie. Qu’en pense notre interlocuteur ? « On nous a même déjà dit qu’on avait été inspiré par Television et Blue Oyster Cult. En fait, j’avais écrit les lignes de guitare pour cette compo, et Jeff m’avait répondu qu’on n’avait pas besoin de cet instrument pour cette chanson-là. Avec lui, tu ne sais jamais quel instrument on va utiliser pour un morceau. Et Pat ne le sait pas davantage. Jeff et Pat ont commencé à créer les harmonies. Et Jeff avait dans la tête qu’on n’utiliserait pas la guitare. Bref, on allait interpréter une chanson que j’avais composée à la guitare, sans guitare. Et qu’est ce qu’on fait maintenant ? Finalement Pat s’est assis derrière les claviers, Jeff a empoigné la guitare et on a fait une jam. Et à la fin, Jeff a dit : ‘Elle est prête maintenant la chanson’. Donc on n’avait jamais pensé à qui que ce soit en l’interprétant. Même pas aux Allman Blues Brothers… » Enfin, dans le même ordre d’idées ‘Please be patient with me’ et ‘Hate in her’ trahissent des affinités avec les Beatles. Pour la première elles sont puisées dans le ‘double blanc’. Pour la seconde, les claviers rognés sont utilisés comme Billy Preston sur ‘Abbey road’. La réponse fuse : « Je suis obligé de réfuter cette réflexion, car si je la partage, je dois la prendre pour un compliment ; mais en même temps je suis nul à chier. Maintenant, il y a tellement de diversité dans le double album blanc… un peu comme pour ‘Blue Sky blue’… » Certaines des compos de ce nouvel opus étaient d’anciennes chansons. Ont-elles été retravaillées en profondeur ? Nels s’explique : « Oui. Mais j’ignorais, au départ, que certaines d’entre-elles avaient été écrites il y a longtemps. Seuls Glenn et Mike étaient au courant. Ce n’était pas plus mal. Ainsi, il n’était pas possible d’anticiper. Et le processus est devenu plus clair, plus ouvert. Et plusieurs d’entre elles ont été largement améliorées à cause des nouveaux arrangements. Finalement on a davantage discuté de la musique et des notes et pas nécessairement du climat au sein duquel ces morceaux avaient été écrits… » Un climat qui semble d’ailleurs bien plus optimiste, tout au long de ‘Sky blue sky’. Ce qui doit certainement procéder d’un meilleur état de santé de Jeff Tweedy. Elle serait même devenue aujourd’hui excellente. Nels nuance : « Certainement. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité. En fait, Jeff a vécu un rafraîchissement dans ses sentiments, dans sa vie ; et il avait déclaré qu’il allait enregistrer un disque plus enjoué. Néanmoins, il n’est pas nécessairement plus allègre, mais te donne cet espoir. Il y a toujours un sentiment de doute, d’ambiguïté, pour jouer sur les contrastes. Je pense que si on veut rendre l’angoisse et la souffrance romantique, il faut le traduire d’une manière rayonnante, enlevée, optimiste. Si tu peins des climats et des humeurs uniquement en noir, il n’y a pas de contrastes. S’il n’y a pas de contrastes, il n’y a pas de tension et de relâchement. Et donc on ne se sent pas dans l’obligation de continuer à écouter. Comparé aux autres albums de Wilco, il est moins angoissant. Ce qui n’empêche pas d’y explorer des aspects plus ténébreux. C’est cela aussi notre musique… » Mais qu’est-ce qui plaît dans les lyrics de Tweedy ? « Je ne suis pas toujours sûr de bien comprendre ce dont parle Jeff, dans ses textes. En fait, ses chansons sont ouvertes. Il pose des questions ouvertes. Certains textes sont frivoles, d’autres plus personnels, plus intimistes. On n’y trouve pas de plaintes, de récriminations ou de protestations. Mais plutôt une analyse du cheminement individuel des êtres humains. A la recherche de la vérité, ils privilégient la sincérité et l’authenticité… » (NDR : en d’autre termes : ils sont autobiographiques…)
Mouais ! Alors comment comprendre que certaines chansons issues de ‘Sky blue sky’ aient été retenues pour servir de bande sonore à de la pub ? A la TV. Lors de la dernière campagne promotionnelle pour Volswagen. Plusieurs. Et une pour la promotion d’un mobile téléphonique. En Espagne. Difficile de ne pas perdre son intégrité lorsqu’on accepte un tel contrat. Nels semble embarrassé (NDR : finalement, on se demande si Jeff n’a pas décidé de refuser d’accorder des interviews pour ne pas devoir répondre à des questions semblables. Et il envoie ses ouailles au casse-pipes…) « Tu m’apprends ça ! C’est un non-problème. Aux States, du moins. Car il est impossible d’être diffusé sur les ondes des radios commerciales. Et la programmation d’une radio commerciale ressemble très fort à une succession de spots publicitaires. Et donc toutes les minutes sont vendues. On fait de la promo que vous haïssez peut-être et finalement, même si vous êtes payés, ce sera Volswagen ou quelqu’un d’autre qui percevra les dividendes. On ne passe pas sur les radios publicitaires. Dès lors, comment faire pour permettre au public qui nous apprécie d’écouter notre musique ? J’admets que c’est toujours scabreux de mélanger la musique et le business. Les Flaming Lips ont leur méthode : ils ont acheté des spots publicitaires pour diffuser leur musique à la radio… Le public a enfin pu se rendre compte de l’existence de Nick Drake, parce qu’une de ses chansons était associée à un spot publicitaire. Evidemment tout se décide également en fonction de la famille que tu dois nourrir. Personnellement, je n’ai pas d’enfant. Les autres bien. Et ton choix est parfois dicté par des contraintes financières. Maintenant, j’aurais certainement été plus mal à l’aise si on avait vendu notre musique à Mc Donald ou à une banque. M’enfin, quand on y réfléchit, ce système est vraiment du capitalisme. Et tout compte fait, Volswagen, ce n’est pas si mal que ça. En plus, cela ne me dérangerait pas si l’entreprise m’en offrait une (rires)… non, je n’ai jamais roulé en Volswagen, mais en Volvo… »
Merci à Vincent Devos