Le nouvel album d’Arcade Fire est enfin paru. Et il est très bon, excellent même. Mais pas toujours accessible. Six à sept écoutes ont d’ailleurs été nécessaires pour pouvoir enfin m’en imprégner. Première constatation, si « Funeral » traduisait une douleur toute personnelle (le décès de proches), « Neon bible » aborde des thèmes beaucoup plus universels. Quoique engagés. Et sur un ton empreint de colère, d’amertume ou d’emphase. Prenant pour cible le gouvernement, les religions, le pouvoir militaire et même l’industrie du divertissement. Vous me direz, ce n’est pas neuf. Mais c’est quand même mieux de se pencher sur la situation de notre monde que de faire l’apologie du banditisme ou d’écrire des textes qui n’ont ni queue ni tête.
Une partie des sessions d’enregistrement se sont déroulées dans leur pays natal. A l’église St Jean-Baptiste de Montreal, très exactement. Ce qui leur a permis d’utiliser les grandes orgues. Tout d’abord sur « Intervention ». Enrichi de backing vocaux spectraux, cette plage me fait penser à des Go-Betweens qui auraient bénéficié d’arrangements ‘philspectoresques’. Exécutés par Owen Pallett (également impliqué dans le projet Final Fantasy) et Régine Chassagne, ces arrangements (principalement de cordes) sont, vous vous en doutez, somptueux. Ou solennels, selon. Le morceau final, ensuite, « My body is a cage ». Plus biblique, presque gothique, il est imprimé sur un tempo martial. La plupart des titres de cet opus baignent d’ailleurs, en permanence, au sein d’un climat mystique (construits en crescendo aussi). Littéralement balayée par des vocaux incantatoires, « Black mirror » en est probablement la plus belle illustration. Des vocaux toujours partagés entre le timbre gémissant, intense de Win Butler et le soprano de Régine. Pas la peine de vous faire un dessin. Personnellement, « (Antichrist television blues) » me semble le morceau le moins en phase avec cette œuvre. Trop inspiré de Bruce Springsteen, à mon goût. Par contre, la nouvelle version de « No cars go » (elle figurait sur le premier Ep éponyme) est une véritable perle. Contagieuse, hymnique, un peu plus uptempo, elle se conjugue dans un tourbillon majestueux de chœurs, de cordes et de cuivres. Des cuivres qu’on retrouve sur « Ocean of noise ». Guitare surf et ligne de basse empruntée à la samba s’ébranlent à la manière du ‘petit train rébus’ (signé Clyde Otiset/Brook Benton et interprété par Marc Taynor et son orchestre, ce thème musical assez léger servira d’Interlude à la RTB, à partir de 1963), avant que le climat ne vire au mariachi, en fin de parcours. Et pour cause, les trompettistes de Calexico, Martin Wenk et Jacob Valenzuela sont de la partie. Puisqu’on en est au stade des invités, signalons encore la collaboration de Hadjii Bakara (Wolf Parade). Si le titre maître se révèle la chanson la plus confidentielle de la plaque (la subtilité de ces arrangements de cordes est un véritable régal !), deux fragments lorgnent manifestement vers la new (cold) wave. Tout d’abord l’hypnotique « Keep the car running ». Win y va tellement d’inflexions à la Ian Mc Culloch, qu’on se croirait revenu à l’époque de « Rescue » d’Echo & the Bunnymen. Et puis le curieux « The well and the lighthouse ». Paradoxalement allègre, il trahit de fortes réminiscences empruntées à Joy Division. Et dans le registre de mauvaise augure, l’envoûtant « Black wave » (une réflexion sur le Tsunami asiatique) implique une rythmique électro. Instrumentalement, Arcade Fire a mis le paquet : orgue d’église et de barbarie, cuivres et cordes (on en a parlé), accordéon, harpe, chœurs militaires, sans oublier la participation d’un orchestre issu d’Europe de l’Est, outre la panoplie à laquelle a recours habituellement le collectif. Pas la peine d’en rajouter une couche, vous savez ce qu’il vous reste à faire.