Goudi et Lubna Azabal dansent le tango de l’ennui…

Lubna Azabal est une actrice belge née à Bruxelles d'un père originaire du Maroc et d'une mère espagnole. Après avoir été dirigée par les grands noms du cinéma international, elle a remporté ‘Le Golden Globe’ pour le film ‘Paradise Now’. Lubna adore les…

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Grégory Escouflaire

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vendredi, 28 juin 2002 03:00

Rock Werchter 2002 : vendredi 28 juin

Trois jours, plus de 50 groupes, 200.000 spectateurs : Werchter 2002 a tenu toutes ses promesses de plus grand festival rock de notre plat pays. La surenchère constante de ces dernières années étant devenue chose commune, c'est donc avec enthousiasme et détermination que le fan de musique planta sa tente igloo en pleine campagne de Brabant flamand, n'oubliant pas d'acheter des boules quiès et de remplir son frigo box avant le début de la grand messe. C'est qu'à 90 euros le combi-ticket, autant prendre ses dispositions : le "W" de TW ne veut pas dire Woodstock ; "It's not a free concert", malgré la bière gratuite pour 20 gobelets vides ramassés.

.calibre, justement, milite pour un monde plus juste, où tous les laissés-pour-compte auraient leur place (bref à moindre prix), où le métal noir jaune rouge aurait droit à davantage de reconnaissance. C'est que depuis Channel Zero, notre pays n'a plus vibré aux sons des guitares rêches… Heureusement, voilà .calibre et son nu-métal propre sur lui mais jamais ridicule. Avec leurs invectives bien corsées entre Limp Bizkit et Rage Against The Machine, les 4 métalleux auront ainsi séduit le public, certes encore épars et distrait à cette heure, mais lui rappelant cette époque où Franky D.S.V.D. et ses sbires faisaient office de réveil matin pour tous les festivaliers.

Au même moment sous la pyramide, The Notwist enfilait ses perles electro-rock sur notre corde sensible. Dommage que le son, très approximatif, gâcha notre fête : la voix de Markus Acher étouffée, la ligne de basse grésillante et le laptop en berne sur "Pick Up The Phone", le concert vira presque au mauvais rêve, tout juste sauvé par un "Pilot" magnifique en final. N'empêche, ce n'est pas terrible pour une première qualification des Allemands en finale de notre plus vieux festival… Mais la partie ne fait que commencer : avec Rammstein en renfort le lendemain, la balle est au centre.

Mais elle est vite en touche avec les Dropkick Murphys, auxquels l'ambiance graveleuse des matchs de fin de matinée (World Cup oblige) va comme un gant de keeper. Supporters d'un punk-rock sentant la Guinness, ces lads fans des Sex Pistols et de Ian Dury mélangent leurs riffs à la cornemuse, transformant les airs traditionnels d'Angleterre en hymnes de stades pour hooligans au cerveau ramolli.

Mieux vaut se vautrer dans le rock psyché des Black Rebel Motorcycle Club, trio costaud de garage baggy à la croisée du MC5 et des Stone Roses. "Whatever Happened to My Rock'n'roll ?" braillent-ils toutes guitares dehors, comme en réaction à ces rockers en kilt qui continuent leurs pitreries sur la main stage. Avec "Love Burns" et "Red Eyes And Tears", la réponse semble en tout cas évidente : il n'est pas mort étouffé sous des hectolitres de pinte, bien au contraire… Il suffit de rester sous cette tente en ce vendredi nuageux, pour s'en rendre compte. Car après les BRMC, il y a les White Stripes et Sonic Youth : autant les premiers séduisent par leur simplicité binaire à toute épreuve (une guitare-une batterie), autant les seconds font (toujours) preuve de maestria bruitiste. Le contraste est frappant mais prouve bien que le rock  est encore là, du plus simpliste au plus alambiqué, et que Werchter s'en est toujours fait l'étendard du plus tapageur.

Les White Stripes étaient sans doute le groupe le plus attendu du festival. Erigés hype de l'année 2001 avec les Strokes, les deux White eurent donc fort à faire pour préserver leur aura de groupe (déjà) culte auprès des festivaliers friands de crowdsurfing et de beats soutenus. Pari gagné, puisque leurs comptines blues enfiévrées se parent sur scène de la plus belle des couleurs – le rouge, symbole de fougue et d'énergie, que les deux ex-mari et femme (une rumeur) ont à revendre. Certes parfois lassant (on a vite compris leur recette miracle), le rock des White Stripes impressionne par son immédiateté et sa fraîcheur.

Moins directs mais tout aussi fougueux, les Sonic Youth étaient eux aussi attendus au tournant : il y  avait en effet belle lurette que ces as du manche trafiqué ne nous avaient plus impressionnés, coincés entre leurs derniers albums expérimentaux (un riff = une heure) et ceux "officiels", de moins en moins convaincants. En débutant leur concert par "Bull In The Heather", le ton est donné : retour aux sources soniques du songwriting, aux couplets-refrains pleins de tensions et de décharges électriques. Sans doute que l'arrivée de Jim O'Rourke au sein du groupe a permis aux New-Yorkais de redescendre sur terre et de nous livrer ce tout nouveau "Murray Street", un album mélodieux (voire classique), pour beaucoup le meilleur depuis "Experimental Jet Set, Trash And No Star". Le concert sera d'ailleurs surtout centré sur cet album, du single "The Empty Page" à ce "Rain On Tin" plutôt pop dédié à John Entwistle, bassiste des Who tout juste décédé. Ajoutez à cela des classiques comme "Drunken Butterfly" ou "Kool Thing", et vous aurez compris que Sonic Youth n'a décidément rien perdu de sa jeunesse.

Ah ! Les jeunes ! Venus par milliers pour bien pogoter, ils n'en oublient pas pour autant leurs classiques. En réservant un triomphe à ce vieux coquin d'Arno, le public se montra "magnifique" (en français dans le texte), comme notre Ostendais préféré, en pleine forme en ce début de soirée. Cela faisait presque 20 ans qu'Arno n'avait plus foulé les planches de TW – à l'époque avec TC Matic. Un tel come-back se devait donc d'être à la hauteur, et il le fût : en alternant nouvelles compos ("Je veux nager"), vieux tubes ("Putain Putain", "Olalala",…) et reprises imparables ("Les filles du bord de mer"), Arno mit le feu. "Merci Godverdomme", dira-t-il à la fin de cette heure intense, ému par l'accueil du public. Mais c'est qu'il le vaut bien, notre rocker national !

Le rock belge a encore d'autres idoles : dEUS. Depuis deux ans sans nouvelles, le public était impatient de revoir le groupe de Tom Barman sur scène, là où il a toujours été le meilleur. Le chanteur trop occupé à préparer son premier film et les autres partagés entre leurs projets respectifs (Vive La Fête, Millionaire,…), ce n'est pourtant pas pour demain que dEus donnera une suite au sublime "The Ideal Crash"… Mais peu importe, puisque l'essentiel pour l'instant se trouvait ici, à Werchter, sur la main stage. Dès les premières ondulations de "Via", la plaine s'enflamme, mais le son, trop brouillon, en refroidira rapidement plus d'un. La première partie du concert oscillera ainsi entre le tiède ("Roses") et le passablement raté ("Little Arithmetics"), mais un "Suds and Soda" ravageur remettra les pendules à l'heure. S'ensuit une heure d'un concert pro et au son bien meilleur, avec un Tom Barman bien remonté, qui avoue avec ironie "en avoir marre des ballades ». Un nouveau morceau, sombre et rock (cette ligne de basse !) viendra d'ailleurs confirmer ses dires, même si on sait que Tom est un grand romantique… « No more loud music », donc…

Et les bpm çà compte ? Parce que Luke Slater en a plein sa besace, bien que son dernier album, « Alright On Top », sonne très electro eighties. Avec le chanteur de The Aloof en guest et un son plus léché, fini les étiquettes techno trop réductrices : Luke peut se vanter d'avoir désormais plusieurs cordes à son arc. Putassier le Slater ? Que nenni : son electro comme sa techno feraient danser les plus récalcitrants, et tant pis si c'est à la mode,

Question fashion, Praga Khan assure : pourtant sa techno de kermesse est aussi fine et digeste qu'un cornet de croustillons. Big in Japan avec ses Lords of Acid et ses poupées gonflables, Maurice Van Engelen a pourtant du mouron à se faire : dans le monde de la mode le vent tourne vite, comme la chenille de la Foire du Midi.

Il est déjà minuit et les Chemical Brothers livrent un bon mix de leurs trois derniers albums, en tout cas bien meilleur qu'il y a deux ans. Du bestial « It Began in Africa » au fabuleux « Private Psychedelic Reel » (leur final habituel), Tom Rowlands et Ed Simons restent les maîtres d'une techno tourbillonnante, plus proche dans son esprit de l'acide rock des années 70, que des beats pompiers de Praga Khan. En prêchant le mélange des genres, les frères chimiques sont le meilleur antidote aux muscles ankylosés et aux mâchoires crispées.

« All is in the mix », insisteraient même les Dewaele de Soulwax – encore des frères -, devenus les rois de l'éclectisme sous le pseudo de Too Many Dj's. Leur marque de fabrique : entrelacer deux hits aux antipodes pour en faire une seule bombe de dance-floor,  sorte d'hybride inclassable réconciliant tous les gen(re)s, du rocker au techno-freak. Un exemple ? « No Fun » des Stooges avec « Push It » des TLC ou « Smell Like Teen Spirit » de Nirvana avec « Bootylicious » de Destiny's Child. Sacrement jouissifs, ces « bootleg » ou « bastard pop » ont le grand mérite de mettre tout le monde d'accord, faisant ainsi de ces « Fucking Dewaele » les dignes successeurs des inventeurs de la house et du disco … et surtout, des preuves vivantes que les a priori et les étiquettes sont réservés aux imbéciles – tous les autres se défoulant sur la piste extérieure de la pyramide.

 

samedi, 20 avril 2002 05:00

Festival Domino : 10-20 avril 2002

En ce début de mois d'avril, l'AB pouvait se targuer d'être la plaque tournante du rock le plus inventif, de l'electro la plus avant-gardiste et du hip hop le plus défricheur. En une trentaine de concerts, de labelshowcases (Constellation, City Slang, Chicks On Speed,…) et de performances à deux platines (The Wire, Herbert, Elf Cut,…), tout le gratin lo-fi du petit monde de la musique s'était donné rendez-vous à Bruxelles, suscitant l'échange d'idées, de disques et d'amitié. Bien qu'il fût impossible de tout voir, voici quelques moments passés à l'AB, entre claques magiques (Lambchop, GYBE !) et légères déceptions (Programme) :

Lambchop + Saint Thomas (dimanche 14 avril)

Pour la venue de Kurt Wagner et de ses potes de Nasville, la grande salle de l'AB avait été reconvertie en " Palais des beaux Arts " bis, les plâtres en moins. Pas que la musique de Lambchop soit propice aux grandes pompes et à la flemme, mais parce que son écoute mérite tous les honneurs et l'attention. Ce qui justifiait les places assises. En première partie, une découverte : Saint-Thomas. Un jeune Norvégien profitant de la popularité de ses amis Sondre Lerche et Kings Of Convenience pour venir nous dorloter de ses chansons à la douceur contagieuse. Pas triste pour un sou, heureusement, le Thomas en question ponctuera ses comptines acoustiques de commentaires potaches sur le public italien (aphone), la bière belge (ses taux d'alcool sans limites) et Jon Spencer Blues Explosion (sa bête noire). Le public, ravi, lui réservera une sortie digne d'une tête d'affiche, ses mélodies continuant à trotter dans la tête bien après leurs dernières notes.

Mais le clou de la soirée, le groupe attendu fébrilement par une AB bondée, celui qui sans doute a sorti, déjà, l'un des plus beaux albums de l'année, c'est évidemment Lambchop. Flanqué de 7 ou 8 musiciens, Kurt Wagner, la casquette vissée sur la tête, entame le concert dans un silence quasi religieux. Quelques cordes légèrement pincées, des notes de piano enchantées, et surtout, surtout, une voix feutrée s'insinuant dans nos veines, provoquant la chair de poule : la musique de Lambchop est magnifique. Le dernier album, " Is a woman ", sera largement passé en revue, devant un public séduit d'avance et attentif. L'émotion, palpable, se fera ressentir pendant tout le concert, à l'instar d'autres morceaux comme ce " You Masculine You " de l'album " Nixon ", intense et sacrement sexy, et une reprise des Sisters of Mercy en rappel (" This Corrosion "), du feu de dieu. A l'écoute de tant de splendeurs, on ne pouvait que sortir de là tout émoustillé, surtout qu'au stand près du bar, une charmante demoiselle vendait un bootleg limité à 1000 exemplaires d'un concert enregistré aux USA en l'an 2000… Mais leur meilleur concert ne venait-il pas de se produire ici, il y a quelques minutes ? Lambchop : groupe, album et concert de l'année.

Godspeed You Black Emperor ! + Do Make Say Think (mercredi 17 avril)

Le label canadien Constellation fait la part belle aux groupuscules post (ou avant)-rock, aux entités musicales hybrides, entre jazz dégénérescent et rock apocalyptique. Ses fers de lance s'appellent Godspeed You Black Emperor !, Fly Pan Am et Do Make Say Think. Leurs points communs : être copains comme cochons et manifester une furieuse envie d'en découdre avec les clichés du rock. En concassant les rythmes de la techno et les accords du rock le plus binaire, en broyant sous un déluge de larsens les bonnes manières de la pop music et les vieilles habitudes du free, ces groupes à géométrie variable proposent une musique en-dehors des modes, qui se nourrit des tendances pour mieux les malmener.

Do Make Say Think venait nous présenter son nouvel album, " & Yet & Yet " : avec plusieurs guitares et deux batteries, ce groupe de jeunes intravertis n'y va pas par quatre chemins, comme certains pourraient s'y attendre. Leurs morceaux, ni trop longs ni trop courts, se démêlent scientifiquement, laissant parfois la place à l'improvisation, voire à quelques poussées d'adrénaline qui relancent la machine. D'un déluge savamment étudié aux moments d'accalmie nécessaires pour reprendre ses esprits, le combo canadien inaugure gentiment la soirée, préparant le terrain aux fabuleux GYBE !, si rares en nos terres et par conséquent si précieux.

La musique des GYBE ! est difficile à décrire, tant elle appelle aux sens : cataclysme synesthésique de notes, de couleurs et de douleurs, elle prend à la gorge, paralyse nos instincts. Pas question ici de venir en touriste : la musique de GYBE ! demande une adhésion et une attention sans failles, un combat de tous les instants. Car emporté dans ce déluge dantesque de guitares caracolantes et de violons frénétiques, l'auditeur ne peut que constater les dégâts : c'est l'extase ou la fuite, la claque ou le méchant maux de tête. De ce chaos, on sort de toute façon KO, mais la plupart du temps heureux. Heureux d'avoir participé à une expérience musicale inoubliable, bien loin des rockeurs en pilotage automatique et des DJ's statiques, cachés derrière leur platines. Voir un concert de GYBE !, c'est donc assister médusé à une incroyable entreprise de redéfinition du rock et de tout ce qui va avec : fini les couplets/refrains (on parle plutôt ici de tensions/relâches), le cirque médiatique (qui sait à quoi ces Canadiens ressemblent ?), les rappels de 5 minutes (forcément : leurs morceaux durent tous au moins un quart d'heure…). Avec GYBE !, on s'en prend plein les yeux et les oreilles, c'est la fessée permanente. Pas prêts de recommencer ça (2h30 de concert), certaines personnes présentes partiront avant la fin… C'est mal connaître ce genre de musique, davantage " œuvre ouverte " que produit fini, rendant cocu tous les styles en n'en choisissant aucun. Ceux qui seront restés vaille que vaille pourront s'en vanter : GYBE !, c'est définitivement pas pour les poseurs.

Programme + Monguito (jeudi 18 avril)

D'accord, la soirée avait bien commencé : Stuart Braithwaite, le gnome de Mogwai, avait fait le déplacement d'Ecosse pour venir présenter son label Rock Action. Au programme, une séance de Djing surexcitée, durant laquelle le petit guitariste enchaînait de sacrés bons disques avec une dextérité confondante (Squarepusher, Stooges, Depeche Mode,…). Mais ensuite vint le documentaire " Take Me Somewhere ", sur la dernière tournée des hérauts du rock paroxystique : pas grand chose à se mettre sous la dent, si ce n'est que le petit est pétomane, son ami le flûtiste porte toujours le même T-shirt à la gloire des Super Furry Animals et le grand castard chauve aime bien Mayhem et les Misfits. Mouais… Léger, le clip… Et ce n'est pas Monguito, nouveau combo de Mauro, qui nous fera oublier les blagues potaches des Mogwai dans leur bus pourri (et puis de toute façon on n'y comprend rien, à leur accent) : Monguito, ça fait penser au nom d'un cocktail, ou d'une danse brésilienne. Pas de bol, on dirait plutôt du krautrock teuton qui aurait pété un plomb, ou du John Zorn se prenant pour Lou Reed période " Metal Machine Music ". Bref, ça casse la tête après trois minutes. Heureusement il y a Programme. Du moins c'est ce qu'on se dit en attendant le groupe débouler sur scène. Mais c'est mal connaître les deux zouaves qui, bien loin de nous faire oublier les facéties pathétiques de Mauro et les pets de Mogwai, vont nous asséner un sacré coup de poing dans les oreilles. En déversant leur haine du bourgeois acculé à vivre sa vie petitement, les deux bonhommes de Programme nous jettent nos défauts à la gueule, nous piègent dans nos propres illusions. Emporté par une rythmique glaciale (électro ou guitare), le chanteur déverse lentement ses crasses dans nos tympans, nous obligeant à écouter, à réagir, pointés du doigt comme des rats en quoi la société nous transforme. Ce concert, c'est donc " L'enfer tiède ", titre de leur deuxième album, car le public, coincé entre l'acquiescement (les applaudissements ne sont pas unanimes) et la culpabilité (être ou ne pas être le sujet de ces textes), ne sait sur quel pied danser. C'est peut-être ça, la force de Programme, en tout cas c'est implacable.

Le Tigre + Kevin Blechdom + Dat Politics + Peaches (samedi 20 avril)

Après Programme, un peu de finesse dans ce monde de brutes, avec la soirée Chicks On Speed, le label des trois délurées du même nom. A l'affiche ce soir-là, des filles, (surtout), du sexe (aussi), de l'electro punk bien barré (dans tous les cas). D'abord Kevin Blechdom, du duo Blectum From Blechdom, une fille, comme son prénom ne l'indique pas, qui sait parler aux machines. Son electro nature et sans complexe couplée à du spoken word nasillard (un peu comme Programme, mais sans l'accent toulousain) n'est pas sans charme, surtout quand la Kevin se prend pour Madonna, gigotant du popotin sur un beat soutenu, sorte de Liza Minelli branchée techno. Les Dat Politics, eux, viennent du Nord de la France. Pourtant, contrairement à leurs origines, leur nom pas drôle et leurs albums de bleeps durs à cuire, ces chirurgiens de l'electro se la jouent plutôt gaillards sur scène : gros son, beats un peu beaufs côtoyant sonorités d'avant-garde, duo avec Kevin, leur politique est de plaire, et c'est tant mieux. Sur leur dernier album, ils sont entourés de Kid 606 et des Matmos. En gros, le gratin de l'electronica la plus pointue, mais ouvert au format chanson. Certes, on est toujours très loin de Garou, mais quand même : ça fait plaisir de voir toutes ces bécanes et ses programmes (toujours eux…) s'emballer au contact de voix humaines. L'humain justement, Peaches elle connaît : courte vêtue et rasée de près, la Canadienne aime les hommes, voire aussi les femmes. Ses chansons, pleines de boum-boum et de gros riffs sexy, donnent la trique, flanquent des chaleurs. Hybride très hot de Kate Bush (pour la coiffure eighties), de Courtney Love (pour le côté " sale ") et de Debbie Harry (pour le côté disco-punk qui transpire), Peaches a de l'énergie à revendre, et de l'amour à partager. Accompagnée seulement de son Roland 505, elle chante avec du cœur (et du corps) à l'ouvrage, réveillant l'animal qui est en nous. Sacrée bitch, cette Peaches.

Place ensuite aux féministes du Tigre, dont l'une, si l'on en juge par ses rouflaquettes, est peut-être autre chose qu'une fille (mais quoi ?). Vous l'aurez compris : Le Tigre, c'est queer, et bas les pattes aux machos qui seraient venus pour se rincer l'œil. Un concert des Tigre, c'est donc la guérilla version électro-trash des chiennes de garde, une sorte de rassemblement de fans de punk version Suicide, mais avec un Alan Vega qui aurait changé de sexe. Tout cela aurait pu sentir le coup fourré (sans jeu de mot) si seulement la musique n'était pas furieusement excitante : des titres comme " LT Tour Theme " ou " F.Y.R. " mettent le feu au cul, entre l'électro-pop racée des productions International DeeJay Gigolos et le punk bâtard des Damned. " Please report to the front desk. Let's name this phenomenon. It's too dumb to bring us down ", chantent les trois énervées du Tigre, toutes griffes dehors, en parlant de leur cause féministe. Battons-nous bec et ongles pour ériger la musique du Tigre en slogan à entonner pour l'année 2002, car, oui, c'est un sacré phénomène.

 

2002 aura été l'année de tous les dangers : d'abord, la Nouvelle Vague Rock'n'roll, qui nous aura réconcilié avec les grosses guitares, la règle des trois accords et les poses juvéniles ; Ensuite, et surtout, l'avant hop, entendez ce hip hop d'avant-garde, entre électronique savante et flow mitraillé, samples inventifs et attitude underground. Aux avant-postes de cette mini-révolution dans le paysage du rap à MTV, le label West Coast Anticon ; ou plutôt un collectif de joyeux touche-à-tout, pour qui le rap est plus proche de Boards of Canada, Can et Dr. Octagon que de Puff Daddy, Usher et Sisqo. Difficile d'énumérer tous les membres du collectif, d'autant plus qu'ils refusent toute étiquette réductrice, tout enfermement dans un carcan précis. Davantage une communauté d'idées qu'un posse de fiers-à-bras bouffeurs de minettes, les rappeurs d'Anticon ont pour ambition de changer un peu la donne, de faire un hip-hop en-dehors des sentiers battus. Pas étonnant qu'ils s'attirent les foudres des ambassadeurs du rap mainstream, qui voient en eux des petits nerds blancs (bec) trop bizarres pour être honnêtes. C'est pourtant dans leur musique brute et neuve que l'on peut envisager le futur du hip hop. Des noms ? Dose One, Boom Bip, Sole, Jel, Why ?, Odd Nosdam, Passage, The Pedestrian, Alias, Sage Francis, Moodswing 9,… Tous reliés les uns aux autres par un projet, un groupe, une entité (Dose One sévit chez Themselves, cLOUDDEAD, Deep Puddle Dynamics, Greenthink,… difficile même de s'y retrouver !), avec toujours le même mot de passe : foutre un bon coup de pied au c… des préjugés en matière de rap, faire avancer le schmilblick et entrevoir l'avenir sous un nouveau jour, plus électronique, moins gangsta. Entre autres.

Cocorico : Caveman Speak, le groupe qui ouvrait les festivités, vient du Limbourg, même si leur parfait accent anglais pouvait laisser penser qu'il s'agissait de nouvelles recrues du label de la Bay Area. Le premier groupe d'avant-hop belge ! Une fête, d'autant plus que leurs morceaux n'avaient rien à envier à leurs aînés d'Amérique. A suivre de près.

Avec ses airs de bûcheron mal embouché, Sage Francis aurait pu semer le doute. Il n'en fût rien, tant son flow déchaîné, son humour ravageur et ses gesticulations de forcené mirent tout le monde d'accord. Son « Personal Journals » s'écoute d'ailleurs avec l'émotion du type qui n'a jamais entendu de rap et qui se demande d'où de telles pépites peuvent bien surgir. De la tête de ce barbu, en forme olympique, et qui n'arrêtera pas de raconter, entre chaque morceau, ses mésaventures à l'aéroport : « My name is Sage Francis. I was Picked at the airport by a guy named Francis Lesage. That's weird ! ». Pas autant que sa musique, entre hip hop lo-fi, élucubrations à la Lewis Caroll et électro laptop à méninges.

Alias, lui, fait dans le « goth hop » : c'est comme ça qu'il aime appeler sa musique, un mélange de hip hop dantesque à plein volume, de flow ininterrompu et de samples… well, gothique. Ecouter son « The Other Side Of The Looking Glass » dans le noir peut en effet provoquer de sueurs froides : à déconseiller aux oreilles sensibles et peureuses.

La cerise sur le gâteau ? Themselves, alias Dose One et Jel, deux des membres les plus actifs d'Anticon (on les retrouve sur quasi tous les albums du collectif). Leur nouvel album s'appelle « The No Music », et c'est vrai qu'il s'agit d'un OMNI (objet musical non identifié) dans la monde aseptisé du rap, entre l'électronica warpienne et le hip hop le plus décomplexé, en tout cas loin, très loin, des canons en vigueur sur NRJ et MTV. Un seul morceau, « Good People Check », vaut déjà l'achat de leur album, d'une beauté à couper le souffle. Quant au flow nasillard de Dose One, il est reconnaissable entre mille, et devient, à l'heure actuelle, synonyme de bon goût chez tous les branchés de la terre (trop cool)… Une soirée qui valait en tout cas son pesant d'or, ne serait-ce que pour nous avoir permis d'entrevoir le futur du hip hop. Pas moins.

 

dimanche, 07 juillet 2002 03:00

Seat Beach Rock 2002

C'est la première fois que le Beach Rock s'installait à l'hippodrome d'Ostende, là où d'habitude on parie sur des canassons en espérant décrocher le pactole. Conséquence de ce déménagement, les odeurs de crin et de purin ont remplacé celles, moins agressives pour nos narines, du ressac et des coquillages… Rebaptisé « Farm Rock » par de nombreux festivaliers dégoûtés par toute cette paille boueuse collant à leurs baskets, le Beach Rock n'avait donc plus rien d'un rendez-vous côtier pour touristes en manque de soleil (mais moins de décibels). En un sens, c'est mieux, car pour une fois les visiteurs semblaient vraiment s'être déplacés pour la musique, et non plus pour se rôtir à l'abri du vent, avec parfois l'envie de quand même se lever pour écouter le truc qui passe sur la scène, là-bas, au loin… D'autant que le soleil a fait la grève jusqu'en milieu d'après-midi, de quoi refroidir une fois pour toutes les abonnés aux essuies de bain, ceux qui faisaient du Beach Rock de Zeebrugge (et auparavant de La Panne) une escale sympathique entre les canaux de Bruges et le mini-golf de Coxyde.

Comme d'habitude, c'est le « Belgian People's Choice » qui eut l'honneur de débuter les festivités, en l'occurrence Lunascape, un groupe flamand pop-rock sans grande originalité mais à la chanteuse de charme (à noter quand même cette reprise de Sinead O'Connor, « Tears From The Moon »).

Juste après, le rock bâtard des Américains de Sheila Divine n'intéressera pas davantage un public encore très parsemé, malgré leurs quelques hits bien connus des radios flamandes, comme ce « I'm A Criminal » au refrain évident mais semble-t-il pas encore assez fédérateur. Contents de voir quand même une dizaine de mains se lever pour applaudir (ils n'en ont jamais vu autant de toute leur vie), ces rockeurs peu inspirés remercieront même les Belges pour leur accueil phénoménal… Mais de quoi parlent-ils ?

Liquido aura prouvé une fois encore qu'il ne faut pas avoir fait du solfège pour caracoler aux sommets des hit-parades : deux notes de synthé et un riff de guitare bien accrocheurs suffisent à faire sonner le tiroir-caisse (rappelez-vous leur tube « Narcotic »). Dignes successeurs de Chumbawumba au rayon des hymnes débilitants parfaits pour jumper les bras en l'air, Liquido aura rempli sa mission sur l'échelle de Richter : on a bien ri, on a sauté tous en chœur, bref on s'est bien amusé… Mais pour la musique faudra repasser.

Heureusement qu'il y avait les Anglais baggy de Lo-Fidelity All Stars pour remonter le niveau : leur electro psyché entre Stone Roses et Happy Mondays aura donné pas mal de sueurs froides et de coups de soleil dans la tête. Il y a quatre ans, leur album « How To Operate With A Blown Mind » avait déjà soufflé un vent frais sur nos oreilles blasées par le big beat alors à la mode. Mais quelques mois plus tard, leur chanteur charismatique (The Wrekked Train) se faisait la malle, dégoûté par le music-business ou trop défoncé à l'XTC pour continuer l'aventure (peut-être les deux, en fait)… Réapparus en début de cette année avec un « Don't Be Afraid Of Love » plus posé, les enfants terribles de Bez et de Ian Brown prouvèrent qu'ils n'étaient pas morts, dieu leur en garde. Le Beach festival a toujours été l'endroit rêvé pour voir des groupes jamais vus ailleurs ou pommés sur la carte de la pop, de la techno et du rock… Sans doute que l'air de la mer y est pour beaucoup, en tout cas une chose est sûre : le concert de Lo-Fidelity All Stars fût le détonateur de cette journée grisâtre, et ce malgré le volume sonore, à vriller les tympans.

Gomez est tout aussi rare en festival : il fallait donc en profiter. Leur mix de blues-rock jeunet, d'électro discrète et de pop tom waitsienne se prête pourtant bien aux rassemblements festifs – la preuve c'est qu'ils ont réussi à décongeler la foule, toujours longue à la détente lorsqu'il s'agit de se déhancher à trois heures de l'après-midi.

Le tapis ainsi déroulé à Flip Kowlier, celui-ci n'avait plus grand chose à faire pour cueillir le public dans sa main - du moins le public néerlandophone, puisque le chanteur vient du Nord, et chante dans la langue de Guido Gezelle. Rappeur à ses heures au sein du collectif 't Hof Van Commerce, Kowlier fredonne des airs traditionnels à la flamande mais délayés dans une sauce plus « djeune ». Roots en tof !

Le cas Primal Scream est lui plus délicat : on sait la réputation des Anglais sur scène – soit Bobbie Gillepsie est en forme et c'est OK, soit il est stone et c'est KO. Aujourd'hui donc, chômage technique : Bobbie chante comme s'il allait pointer, sans parler de ses copains, aussi souriants qu'à un enterrement. Les guitares en berne et le micro dodo, Primal Scream sonnait donc comme un vieux groupe de punk sur le retour. Et la révolution, dans tout ça ? C'est pas comme ça qu'on part à l'attaque, mes gaillards ! Patraque, le rock de ces Britons a baissé la garde : après la déglingue de Prodigy et d'Oasis, que reste-t-il encore des petites teignes qui faisaient les beaux jours de nos crises de puberté ? De la pose. Pauvre de nous !

Et No Doubt alors ? Aurait-on oublié leur ska-punk de fillettes ? Bien sûr que non : Gwen Stefani peuple toujours nos rêves les plus moites, bien que sa musique n'a rien de très excitant… Quoique : depuis leur séjour en Jamaïque pour la production de leur dernier bébé, « Rock Steady », les Américains sont remontés dans notre estime. En mâtinant leur rock sautillant de boucles dub et de refrains rasta, No Doubt est devenu plus fréquentable, même si leurs fans crient à la trahison. Ils étaient en tout cas nombreux à se presser devant la main stage, émus d'enfin voir Gwen de près, et plus seulement en fantasmes. Ah ! Quelle fille charmante ! Elle aura vite fait de mettre le feu, gigotant tel une championne de boxe thaï et grimpant sur les échafaudages pour mieux voir la mer… « Don't Speak », « I'm Just a Girl », « Hey Baby », « Hella Good » : que des hits pour un public ravi. Pas de doute, Gwen Stefani sait y faire. Gavin Rossdale (Bush) a bien de la chance.

Moins de chance pour Jamiroquai, dont le concert en roue libre aura certes été généreux en tubes, mais pas en ambiance : c'est que le fan d'Elvis Pompilio n'est pas très causant, préférant laisser ses (bons) musiciens improviser entre chaque morceau que de parler au public. Best of pour les fans venus en nombre, sa prestation ne restera pas dans les annales. En 2002, l'odyssée funk de J-Kay piquerait-elle du nez ? Jamiroquai ne semble plus impressionner personne, à part son chapeau, comme dirait Janin et Liberski.

La surprise vint plutôt de Cornershop. Comme leur dernier album s'appelle « Handcream for A Generation », leur passer la pommade ne paraîtra pas déplacé : au début timides et endormis, les Anglais auront vite fait d'embrayer à la vitesse supérieure, enchaînant tubes sur tubes, dont un « Brimfull Of Asha » toujours aussi festif. Leur mix de pop, de cithares pakis et de rock psyché n'a rien d'une soupe aux nouilles… Au contraire, c'est l'antidote aux pires déceptions : J-Kay devrait s'en avaler une pleine louche.

Et tant qu'à faire, se resservir aussi au rayon electro-pop de nos compatriotes Vive La Fête, le groupe le plus hype du moment. C'est que le bassiste de dEus Danny Mommens et sa compagne sculpturale Els Pynoo sont la nouvelle coqueluche de Karl Lagerfeld. En accompagnant « live » sur le catwalk les top-models de chez Chanel, Vive La Fête est plus connu dans le milieu de la mode que dans celui, certes un peu moins glamour, du rock. Pourtant, les voir sur une vraie scène aura fait valser tous nos préjugés : Vive La Fête n'est pas un produit copyrighté par Lagerfeld, mais un vrai groupe, bien meilleur qu'avant, d'ailleurs. Car ce n'était pas la première fois que le groupe jouait au Beach Rock… Evidemment, sans la pub Chanel, Vive La Fête n'intéressait alors personne, bien que leur novo disco synth-core était déjà furieusement dansant et jouissif. « Je ne veux pas », « Tokyo », « Maquillage » (un nouveau morceau au succès direct), « Je t'aime moi non plus »,… Autant de tubes d'une fraîcheur sans pareil qui imposent Vive La Fête comme le groupe le plus sexy de l'été. Parce qu'ils le valent bien !

Tandis que s'achevait le concert enfiévré des Anversois avec une reprise déjantée du classique « Pop Corn », David Bowie apparaissait sur la main stage, vêtu élégamment d'un costume noir et d'une chemise blanche. En débutant par « Life On Mars » (de l'album séminal « Hunky Dory »), le Thin White Duke ouvrit tout de go les vannes spatio-temporelles de sa discographie protéiforme : son concert sera celui des grandes retrouvailles après plus de cinq ans d'absence sur nos terres, un concert revisitant toute sa carrière, des années glam (« Starman ») aux virages ambient (« Heroes »), des méga-tubes FM (« Let's Dance », « China Girl ») aux perles pop-folk de son dernier album, « Heathen ». Entouré par un groupe solide et soudé, Bowie ne laissa donc rien au hasard, et d'une humeur joviale et apaisée, rappellera aux 50.000 spectateurs venus l'applaudir qu'il est bien l'un des artistes rock les plus influents de toute l'histoire de la musique populaire. En clôturant le festival par un « Ziggy Stardust » survolté et qui n'a pris une ride en trente ans de rodage scénique (une édition luxueuse de l'album du même nom vient de sortir), Bowie revêtit un instant le costume de cet homme « who fell from earth » - un homme qui a changé la face de la pop, et qui restera, à coup sûr, le plus grand.

 

samedi, 24 août 2002 05:00

Pukkelpop 2002 : samedi 24 août

La pluie… Vers 5h00 du matin, elle se mit à tomber de manière drue, puis avec davantage de violence : très vite, le site prit l'eau, et les campings avec. Résultat : certains se réveillèrent quelques heures plus tard les pieds mouillés et la tente transformée en bouée de sauvetage. Pas gai quand il reste une journée à passer au festival, surtout quand vos vêtements ont pris l'allure ingrate de torchons pleins de boue… La boue ! Le site transformé en bourbier gigantesque, c'est la croix et la bannière pour faire deux pas sans retrouver ses chaussures englouties par un amas de glaise humide et collante. Certains trouvent ça drôle, d'autres préfèrent plier carrément bagage : les organisateurs iront d'ailleurs jusqu'à inciter les campeurs du site B (complètement sous eau) à repartir chez eux, le plan catastrophe (pompes à eau, paille sur les sentiers) ayant été déployé pour éviter tout accident.

Qu'à cela ne tienne, il reste les plus endurcis, des sacs plastique aux pieds et une bonne dose de détermination en poche, venus quand même en masse (le samedi est complet) pour applaudir les Guns et… t'Hof Van Commerce. Pratiquement inconnus de notre côté de la frontière linguistique, ces rappeurs à l'accent régional font un tabac chez nos amis flamands, notamment avec leur dernier single, « Kom Maar Ip », du hip hop rigolo pour fans des Beastie Boys. Avec Flip Kowlier en leur sein (qui, en solo, joue au ménestrel des polders, alors plus proche de Raymond Van Het Groenewoud que de Osdorp Posse), ce coin du commerce n'a rien d'un groupe de Prisunic : leurs samples arrachent et ils savent mettre l'ambiance, bien qu'on n'y comprenne rien (mais même certains Flamands n'y pigent que dalle, dialecte oblige…). Big up à 't Hof donc, qui, comme son nom l'indique, fait de la « chouette » musique.

Mais la révélation de ce festival, c'est Interpol, un groupe de New-yorkais au look new wave (costume-cravate) et à la musique tout aussi obscure et crépusculaire que leurs idoles (Joy Division, Television, The Smiths, voire The Cure). Le chanteur, au timbre assez proche de  celui de Ian Curtis, fait pourtant un peu tache au milieu de ses camarades : on le dirait sorti d'un collège suisse, avec ses cheveux blonds bien coiffés et sa mine de premier de classe. Il ne faut pourtant pas se fier aux apparences, tant sa voix rappelle les grandes heures de la cold wave et de la fin du punk. Le premier album du groupe (« Turn On The Bright Lights ») vient d'ailleurs de sortir, et c'est un grand disque… bien qu'il n'invente rien. On devrait certainement en reparler dans les mois à venir, en tout cas il est fort à parier qu'Interpol devienne énorme (toutes proportions gardées) et que leur disque se retrouve dans les classements de fin d'année.

Tout le contraire de Filter, ce groupe metal-indus qui avait pourtant décroché la timbale en 95 avec « Hey Man, Nice Shot » (et pas Short) mais qui n'a jamais su se faire aimer du public européen. Richard Patrick, chanteur et leader du groupe, ne s'en est d'ailleurs toujours pas remis : « Comment peut-on avoir tant de succès aux States et pas du tout en Europe ? », se dit-il tous les soirs avant d'aller dormir. La réponse est pourtant simple, mon vieux : les Européens ont plus de goût, c'est tout… Allez, c'est pas grave : va rejoindre Kid Rock et Dave Matthews Band et formez tous ensemble un club des « pseudo-musiciens amerloques conspués par le reste du monde » : peut-être qu'avec un peu de chance, vous pourrez aller jouer à la Maison Blanche.

Maximilian Hecker, lui, n'a pas la grosse tête : normal, il a commencé sa carrière en faisant la manche dans les rues allemandes et en reprenant à la guitare des chansons… d'Oasis. Mal parti donc, il s'est pourtant bien rattrapé : signé chez le label électro Kitty-Yo, il a sorti il y a quelques mois un premier album, « Infinite Love Songs », au charme acoustique toujours pas dissipé. Venu seul avec sa guitare et son clavier, il enchaînera ainsi les perles de son répertoire, d'un air timide et - parfois - renfrogné. Il est certain qu'un batteur aurait été le bienvenu pour donner plus de vie et d'envergure à ses ballades majestueuses… Dommage, surtout quand, dans un excès de maniérisme, il rate son morceau de sortie, « Cold Wind Blowing », et s'en va tout penaud. Comme dit le fameux dicton, « A trop avoir chanté du Oasis, on finit par ressembler aux frères Gallagher ». Et ce n'est pas un compliment.

Les plus malins de la journée sont certainement les pensionnaires de la Boiler Room : les pieds et la tête au sec, ils peuvent en effet danser sans craindre la pluie, et ce sans interruption, puisque les DJ's s'enchaînent mais ne se ressemblent pas. Au programme notamment : Simian, dont on ne connaissait pas les talents de DJ's. Assez proches des 2 Many DJ's (présents le jeudi, mais à l'origine d'un set pompier assez peu « bootleg », pourtant leur marque de fabrique), ils auront bien déchaîné la foule, comme quoi le recyclage est toujours une bonne affaire.

Un peu plus tard dans la journée, c'est Tom Barman que l'on retrouvera derrière les platines (pour un set électro éclectique), sans oublier Darren Emerson, ex-Underworld et dieu du pitch.

Pour en revenir au rock, sachez qu'Enon, composé notamment d'un Brainiac au chant (John Schmersal) et d'une ex-Blonde Redhaed à la basse (Toko Yasuda), n'aura pas rempli son contrat à la lettre : on pensait assister à un concert déjanté, « entre Beck, Eels et Nirvana » (dixit le « Humo ABC »), c'était aller un peu vite en besogne. Plus proche de Pavement et, justement, de Blonde Redhead, Enon office dans la cour des groupes lo-fi qui érigent le bordel et l'approximation en credo musical… Le résultat n'étant malheureusement pas toujours à la hauteur de nos espérances, nous resterons dubitatifs et leur laissons une seconde chance. Autrement dit, ce n'est que partie remise.

Plus costauds et moins décevants, les Texans de Sparta, dont nous avons déjà dit beaucoup de bien lors de leur passage au Club de l'AB. Emmené par Jim Ward et d'autres ex-At The Drive-In, ce combo qui allie rage cyclothymique, passages à tabac des mélodies et superbes accalmies n'aura pas déçu : il y a donc une vie après At-The Drive-In. Fan transi de Mike Watt, on reverra Jim dans la soirée lors du « Tribute to The Stooges », chantant « No Fun » avec joie et enthousiasme, sous l'œil paternel de sa vieille idole punk des Minutemen… La descendance est en tout cas assurée.

Après une telle claque, les 16 Horsepower ne pouvaient qu'apparaître un peu falots, d'autant plus que leur rock country et ses ambiances intimistes se savourent difficilement dans un si grand festival… David Eugene Edwards est en tout cas toujours aussi habité, peut-être trop : les contacts avec le public sont rares, et les blancs entre les morceaux trop longs. On pourra mieux juger de leur prestation lors de leur passage au Cirque Royal, dans le cadre des Nuits Botanique.

Pour oublier ce concert un peu morne, rien de tel qu'une bonne cure de Royksopp : leur électro maligne et champêtre aura mis le feu au Dance Hall, surtout qu'après des mois de tournée, le duo norvégien manie les beats et les instruments comme personne. Le public ne s'y trompera d'ailleurs pas, leur réservant un triomphe pour « Remind Me » et « Eple ». Dire qu'il y a un an, peu de festivaliers s'étaient déplacés pour venir les applaudir (il faut dire un peu tôt dans la journée)… Royksopp tient donc ici sa revanche. Après l'Europe, le monde ?

Le monde, Stereo Mc's l'a eu entre ses mains il y a presque 10 ans avec son méga-tube planétaire, « Connected », un morceau qui, à l'entendre encore une fois, n'a décidément pas vieilli (c'est ça, un tube). Et le reste n'est pas mal non plus, comme ce « Deep Down and Dirty » du dernier album, et bien d'autres morceaux, qui, en plus de donner des fourmis dans les jambes, ont apporté le soleil sur Kiewit. On a même vu des fans des Guns remuer de la tête : un exploit quand on sait l'étroitesse d'esprit de ce genre de fanatiques, et de hard rock en plus.

Heureusement, ils n'auront pas trop gâché la fête, sauf lors du concert de Suede, un peu chahuté. Dommage, car Brett Anderson aura fait de son mieux pour rallier la foule à sa pop maniérée et délicate, jouant la carte du best of plutôt que celle de la présentation live de son nouvel album (on notera que l'ego d'Anderson se porte bien, merci pour lui). De « Electricity » à « Animal Nitrate », « Trash » et « Beautiful Ones », tout le répertoire de son groupe sera revisité, pour la plus grande joie des fans (pas ceux arborant un T-shirt d'Axl Rose qui tiraient la langue au premier rang, mais les autres). Quand même : pour se faire une meilleure idée du Suede nouvelle cuvée, mieux vaudra revenir les voir à l'AB en octobre : là, c'est sûr, les fans d'Axl seront loin, très loin…

Après la star en déclin (mais pas son ego), le retour des morts-vivants : Ron et Scott Asheton, respectivement guitariste et batteur des Stooges, accompagné de Mike Watt (Minutement, fIREHOSE) au chant et à la basse et de Jay Mascis (Dinosaur Jr) à la seconde guitare, pour un « Tribute » à leur groupe (mais sans Iggy). A part Scott qui a du mal à voir le bout de ses baguettes, Ron est toujours aussi balaise. Quant à Mike Watt, s'il n'a jamais été un grand chanteur, il aura fait son boulot comme toujours : avec hargne et possession. Jay Mascis, lui, aurait pu jouer moins fort : ces riffs bruyants auront parfois noyé le reste… Mais bon, vous vouliez du rock'n'roll, du vrai, vous en aurez eu pour vos frais : à écouter et voir ces papys reprendre « No Fun » et « I Wanna Be Your Dog » avec une joie non feinte, on se dit en tout cas que tous les autres groupes de rock ici présents pouvaient retourner dans leurs loges tête basse. Oubliez le reste, les amis : c'est ici qu'était le rock, point barre.

Eh oui, Axl, tu as beau avoir donné un tout bon concert, enchaînant classique sur classique (tout « Appetite For Destruction, le meilleur album des Guns n'Roses), tu n'en restes pas moins une star bornée et pas très respectueuse envers tes fans (et les autres). Une heure et sept minutes de retard : beaucoup seraient partis si tu n'avais pas disparu publiquement depuis dix ans, de manière à entretenir ton mythe de légende vivante du rock, antipathique, capricieuse et, certes,  géniale. Car tout le monde voulait te revoir sur scène, l'arpentant en courant de droite à gauche, crier comme un chat enragé, enfourcher ton piano pour nous jouer « November Rain ». Sans Slash ni les autres, tout le monde avait pourtant les chocottes : est-ce tu étais encore à la hauteur, et quels étaient les musiciens qui pourraient les remplacer (s'il en existe) ? Quelle aubaine : tu n'as pas vieilli, tes nouveaux musiciens (dont le fameux Buckethead, de Primus) sont à la hauteur, tes rengaines hardeuses restent de grandes rengaines hardeuses. Mais quand même : qu'apportes-tu encore au monde du rock ? Tes nouveaux morceaux ne sont pas terribles, avoue-le, et puis on l'attend toujours, ce « Chinese Democracy »… Enfin, on ne l’attend plus vraiment : on n'a d'autres chats à fouetter, si tu veux tout savoir. OK, c'était dément, on en a eu pour notre argent, mais tout ceci n'est-il pas un peu décadent ? Et dire que Radiohead (rumeur) était prêt à jouer si tu annulais… (Soupir). « Paradise City » en apothéose de ton fabuleux concert de retrouvailles, on se félicite d'avoir quand même patienté pendant une heure (et sept minutes) : ça en valait la peine. Il paraît qu'à Leeds, ils ont eu  moins de chance : tu n'as joué que trois-quarts d'heure. On peut dire qu'on l'a échappé belle.

 

vendredi, 23 août 2002 05:00

Pukkelpop 2002 : vendredi 23 août

Après une bonne nuit sans pluie, entamer la journée avec D4 valait bien sa part de caféine : sec et bien tassé, leur punk-rock valait le détour.

Même chose pour Vandal X, duo limbourgeois (une guitare, une batterie) qui n'a pas besoin de davantage pour incendier une Main Stage. Leur album s'appelle « 13 Basic Hate Tracks » : un sacré titre pour une sacrée claque, surtout à cette heure (13h00)… Le chiffre 13 semble donc leur porter bonheur : on espère que leur rock coriace ne sera pas tombé dans l'oreille d'un sourd, contrairement à celui de Trust Company (poussif) et de Cooper Temple Clause, sorte d'Oasis boosté aux champis mais qui aurait tout vomi dans les cuvettes.

Duane Lavold de Custom, du haut de ses deux mètre dix, aime aussi le rock, mais n'hésite pas, lui, à le travestir de sympathique manière, le minant de l'intérieur par l'ajout d'influences pop, folk, voire électro. On pense parfois à Eels et à Beck, pour cette manière de se jouer de tous les clichés et d'en faire un pot-pourri funky et sautillant, à l'image de ce « Hey Mister », single dévastateur rappelant à bien des égards le « Distance » de Cake.

Autre bonne surprise, autre géant (au figuré cette fois) : Gonzales et son électro-cabaret assez décadente (le mot-clé du festival). Son dernier album, « Presidential Suite », est excellent. Ses prestation live le sont encore davantage : cette fois affublé d'un costume rose, le Canadien émigré à Berlin aura mis le feu (toujours au sens figuré), et cela rien qu'avec un piano, un mélodica et une bonne dose de dérision. En débutant son concert par une ballade rétro au clavier puis en enchaînant avec un rap décalé, ce Kurt Weill des années électroniques aura prouvé son éclectisme et son bon goût – l'apanage des plus grands. Ne dira-t-il pas à un moment, avec ironie mais sans vraiment mentir, que sa musique est celle du futur ? A tout bien y réfléchir, on se dit que ce gars, sous ses airs de rigolo en complet flamand rose, a peut-être raison, surtout après qu'on ait vu Nickelback ou Cooper Temple Clause. Et lorsqu'il nous refait son drôle de hit « Take Me To Broadway » après trois-quarts d'heure de déjante jouissive (avec même une reprise de Guesch Patti), on se surprend à en redemander… 2000 € : c'est le montant qu'il recevra sur son compte pour ce concert (il nous l'a dit). Quand on sait que Nickelback a du recevoir au moins le quintuple pour leur live d'artificiers, on se dit qu'il n'y a pas de justice. Gonzales for president !

Au Ministère de l'Emploi, on verrait alors bien Miss Kittin & The Hacker, tant leur électro-pop (ou electroklash) a fait des émules ces derniers mois : combien d'artistes se sont en effet jetés corps et âmes dans le revival eighties après avoir entendu « Frank Sinatra » à la radio ? Un paquet. Evidemment, beaucoup d'entre eux continuent à pointer au chômage, leurs beats discoïdes ressemblant comme deux gouttes d'eau à ceux de Kittin… Sans parler de ces chanteuses au look humide, avec l'accent français à l'identique et ce même débit à la Anne Clark… Pour l'heure, Miss Kittin est la reine de l'électro, une Donna Summer du troisième millénaire. Sauf que ses cheveux sont teints en noir et qu'elle porte des pompes militaires : autrement dit, le look est plus « free partie » que « studio 54 »… Tout le contraire des spectateurs, glamour et tendance, qui répondent au moindre appel de la (re)belle par des cris reconnaissants et des déhanchements suggestifs. On se croirait presque en club, tant l'ambiance est surchauffée. Mais tout cela nous fait oublier une question essentielle en ces années de « revival » toujours plus insistants : quel est le pire, a) Cultiver sa différence en puisant son originalité dans les années quatre-vingts (difficile mais possible, comme ici) ou b) revenir tout droit de cette décennie laide et cliché pour réinvestir le devant de la scène (les Guns) ? A vous de juger, en tout cas, rien n'interdit de danser sur Miss Kittin avec un bandana rouge sur la tête et un T-shirt Guns de la tournée 87 (la grande époque) sur le dos.

Après tant d'interrogations existentielles, un petit Junkie XL aurait bien fait l'affaire : pas de chance, puisque Junkie XL n'est plus - seul reste le DJ (rebaptisé « JXL ») et ses disques, dont celui qu'il a fait avec la voix d'outre-tombe d'Elvis (« A Little Less Conversation »). Un hit d'ailleurs, qu'il balance dès le début de son set : autant dire que le reste n'avait dès lors plus grand intérêt. Quelle décadence, quand même !

Et voilà qu'en plus, on nous refourgue Within Temptation et son gothique de femmelettes ! D'accord, la belle Sharon avait mis l'ambiance à Werchter (« De sensatie van Werchter 2002 », pour reprendre les mots du Humo Pukkelpop ABC), alors pourquoi se plaindre ? Tout simplement parce que leur succès (un disque d'or chez nous, qu'ils recevront sur scène) est le signe d'une DECADENCE profonde de notre société, occupée à dérouler le tapis rouge pour des gens qui vouent un culte à SATAN et ne vont donc pas à l'église… Tout cela présage d'un retour plus que certain à une sorte de barbarie moyenâgeuse, où l'on verrait d'honnêtes jeunes gens se déguiser en bagnards affublés de costumes à code barre, et tout cela pour ressembler à leurs idoles. Sommes-nous tous devenus fous ? Du metal gothique ? A quand le revival Poison et Motley Crüe, tant qu'on y est, avec ses shorts cyclistes, ses permanentes roses et ses singlets cloutés ?

Prong, au moins, c'est du métal sans fard, qui n'a pas besoin de tralala pour emporter notre adhésion, même s'il est vrai qu'ils ne sont plus tout jeunes non plus…

Aaargh, ce festival sent la mort, voilà tout ! Le retour de Mr. C de The Shamen : encore un fantôme qui sort de sa tombe, alors que tant de jeunes talents aimeraient eux aussi monter sur le devant de la scène ! Sus aux vieilles stars sur le retour, même à Elvis! Tout cela sonne peut-être très réac, mais la terre tourne et la musique évolue : déjà que le surplace est agaçant, alors la régression !

Korn, justement, joue à merveille sur nos régressions et nos pensées les plus obscures : dommage que la voix de Jonathan Davis ait été noyée pendant tout le concert dans un déluge d'infra-basses particulièrement pénibles. Véritable best of pour les fans venus en nombre, Korn ne jouera que deux morceaux de son petit dernier, « Untouchables » (les deux singles en fait). En tout cas, à l'écoute des « Blind », « Freak On A Leach », « Falling Away From Me », « A.D.I.D.A.S. », etc., on se dit que le groupe a déjà pas mal de classiques à son actif, et cela après seulement six années d'existence (du moins depuis la sortie de leur premier album en 1994). Dommage que ces chansons aient été le déclencheur de toute cette vague de nu-métal pour midinettes, qui ne vaut, pour l'essentiel, pas tripette…

L'antidote à ces boys bands qui se veulent méchants mais font aussi peur qu'une meute de yorkshires ? Le hard rock poilu d'Andrew WK, certes un peu beauf et sentant la bière, la sueur (« I Get Wet ») et le vomi (« Party Till I Puke », d'une poésie évidente), mais au moins, ici, on ne se prend pas au sérieux. Andrew accompagné d'un groupe de chevelus à la hauteur de ses hymnes festifs (« Party Hard », déjà un classique), c'est comme si l'on regardait un match de foot entre copains, assis sur un bac de pintes et gueulant des grossièretés à l'arbitre. Au concours des ambiances les plus éthyliques de ce festival, sûr qu'Andrew remporterait la médaille d'or.

Autre champion, mais cette fois-ci toutes catégories : DJ Shadow et son hip hop instrumental de luxe. Seul aux commandes de quatre platines, l'Américain livrera un set magnifique, entremêlant avec doigté les compositions de ses deux excellents albums (le séminal « Endtroducing » et son petit dernier, « The Private Press »). Pas avare en commentaires (pour une fois qu'un DJ sort de son mutisme), Josh Davis (c'est son nom) n'oubliera pas de remercier le public, sans lequel il avouera n'être rien (« J'ai la chance de faire ce que j'aime, et toute la journée je n'attends que le moment du concert […] La musique est toute ma vie », etc.). Set grandiose, projections démentes, musique intemporelle : DJ Shadow est décidément l'un des artistes les plus importants de ces dernières années. Après un mix ultime de « You Can't Go Home Again », « Midnight In A Perfect World » et « High Noon », le jeune homme s'en ira sous des tonnerres d'applaudissements, satisfait et souriant. Le paradis existe, nous l'avons côtoyé.

Mais il faut bien redescendre sur terre, d'autant que nous attendent, sur la Main Stage, les deux Anglais d'Underworld – on sait leurs concerts de véritables marathons hyperkinétiques, à ne surtout pas rater. Rappelez-vous il y a deux ans : le Dance Hall (et son extérieur) transformé en immense club sous les coups de boutoir de leur techno quatre étoiles, le duo avait été (encore une fois) à l'origine d'un des grands moments du festival. 2002, rebelote : malgré un début en douceur (des nouveaux morceaux assez « downtempo », préfigurant un  « Hundred Days Off », leur album à sortir ce mois-ci, plutôt détendu), Smith accélérera rapidement la cadence, et Karl Hyde de gesticuler comme un épileptique en récitant ses litanies sur un débit de chaman. Décidément, Underworld reste cette furieuse machine à danser, et ce malgré le départ de Darren Emerson. Le clou du concert : la dernière demi-heure, toute en montée orgasmique, de ce « Born Slippy » toujours aussi fédérateur à ce « Moaner » en clôture, véritable climax de beats déchaînés, à rendre dingues les plus coincés des guiboles. Au tapis, à genoux, c'est le sourire béat aux lèvres et la tête dans les étoiles que l'on quitte le site, en espérant qu'il ne pleuve pas pendant la nuit…

 

dimanche, 11 novembre 2018 17:04

Go with the flow

Cette claque mortelle d'indus hip hop qu'on avait chopée net, il y a de ça belle lurette, à Dour. A l'époque Still faisait encore partie de la bande, griffant ses vinyles d'une main tendancieuse, l'afro balayant l'air empli de limailles de fer. Après un hiatus de deux ans, Dälek est de retour avec le fumasse « Abandoned Language », plus carré, moins bruitiste, mais pas encore 'old school'.

A la place du DJ, MC Dälek et Oktopus ont réquisitionné un authentique guitariste : un type au look métallique, qui pendant toute l'heure du concert triturera son engin comme s'il était en feu. A fond dans les reverbs, il n'en décollera pas. Et puisque nous ne sommes ni des vendeurs d'amplis, ni des journalistes pour 'Riff Magazine', la démarche sonique de ce chevelu shoegazer aura fini par totalement nous échapper. De quel bois se chauffe-t-il ? Est-il à l'origine de ces nappes électriques qui noircissent l'atmosphère ? Peu importe, notre attention se porte derrière le laptop, sur le faciès d'Oktopus : élastique, grotesque, il épouse les basses en faisant de grandes embardées, de la bouche aux sourcils. On se rappelait pourtant de lui dans des circonstances différentes, le cou sur lequel il repose à l'époque bien plus tendu, bovin, explosé aux hormones. Une bedaine un peu flasque, des yeux qui roulent et qui fixent, au loin, l'horizon de cette salle qu'on croirait consacrée au badminton. Entre les deux, Dälek, lui aussi dans son trip ' je rappe sur du bruit, donc je fronce la tête comme du papier mâché'. Il balance ses rimes sur du Jay Dee (« Paragraphs Relentless », « Starved For The Truth »), pointe le sol de sa casquette avant de jeter un regard vers le haut. Et ainsi de suite. Au fil des nouveaux titres, les mélopées indus entament petit à petit leur travail de sape : « Bricks Crumble » séduit quelques personnes, qui hoquètent et frétillent du tibia. Il faut pourtant attendre le revanchard « Corrupt (Knucke Up) » et son refrain scabreux à la Mobb Deep pour se sentir à l'aise, oser le pas de deux, applaudir sans réserve. « (Subversive Script) », « Culture For Dollars » et le classique « Spiritual Healing », accordé en rappel, clôturent en beauté ce concert du dimanche, un poil trop prévisible. C'est qu'il s'agit d'un 'rap' d'introvertis, à consommer au mieux la nuit et seul. Pourvu qu'à Dour ils jouent quand tout le monde dort… Tu parles d'un mirage !

Organisation VK

dimanche, 11 novembre 2018 16:43

Toujours du bon côté

Si chaque semaine l'Angleterre décharge sur nos côtes des ferrys entiers de jeunes groupes pop-rock à la gouaille frondeuse, peu nombreux sont ceux qui arrivent à la bonne destination ; bref jusqu'à nos oreilles. Car il faut bien l'écrire : pour vraiment apprécier le brit rock mieux vaut être né de l'autre côté de la Manche, surtout quand on ne comprend que pouic à l'accent d'un Mike Skinner ou d'un Singe de l'Arctique. Et les Bromheads Jacket, comme tout bon groupe rock de Sheffield, chante ses comptines prolétaires avec l'intonation qu'il faut – celle de la rue, des petites galères et de la frime post-pubère. Pas étonnant qu'au premier rang l'on retrouve ce soir des couples de 'teenies' surexcitées, qui reprennent en chœur les paroles en sautillant sur place. Des Anglaises, forcément, total look de lectrices NME, Converse en lambeaux et T-shirt plein de lignes.

En une grosse demi-heure les trois lascars balanceront vite fait bien fait leurs chansons cascadeuses, en conjuguant l'humour accablant d'Art Brut à l'affolement d'Eighties Matchbox B-Line Disaster. A part ça l'on ne sait pas grand-chose sur Tim (chant, guitare), Jono (basse) et Dan (batterie), si ce n'est que Tim ne ressemble pas trop au mec à lunettes qu'on a pu voir dans les magazines. Mais pourquoi donc ces jeunes filles se déchaînent comme si la gym n'était plus au programme de nos écoles secondaires ? Aurait-on raté un quelconque épisode du dernier Plan Langue de la radio publique ? A la fin, Tim posera son micro au milieu de la foule (80 personnes, en gros), le temps d'un titre dont on a bien du mal à se souvenir. C'est du pop-rock qui donne envie de réécouter nos disques de Supergrass, plein de bons petits riffs et de textes tout simples. Ca parle d'Angleterre, de la déconvenue d'être un ado de la 'génération perdue', de croire encore qu'un riff peut mouiller la culotte. Le mieux serait sans doute de prendre le Thalys pour vraiment comprendre ce qui se trame dans la tête de ces types. 'Les Bromheads Jacket ? C'est le groupe de Laurent Broomhead ?!?', me demanda l'autre jour un ami néophyte. 'Désolé mais moi je préfère Nagui, lui au moins il aime la musique'. Qui prendra la place des Bromheads Jackets la semaine prochaine ? La réponse après une page de pub.

vendredi, 09 novembre 2018 17:27

Minitel rosse

Booty, crunk, acid house et Daft Punk… Jean Nippon, disciple chtimi des rappeurs parigos, se la joue DJ de kermesse : il exhorte les djeunes b-boys à faire 'plus de bruiiiit', ça nous rappelle de vieilles 'fancy-fair' hennuyères, le cervelas fluorescent, les dessous de bras qui sentent le céleri et « This is the sound of C ». « C'est le retour de la new beat, tu savais pas ? ». Mais si couzin, et d'ailleurs « Fanfares » de Vitalic c'est presque aussi bien que le Carnaval de Binche. Et un concert de TTC ? 'C'était mieux avant', houspilleront les fans hardcore – et sans doute qu'ils n'ont pas vraiment tort. Finis les délires vocaux et l'instru jazz-lo fi à la Big Dada, place à l'italo disco, la pop Haribo et les jeux de gros mots. « Ceci n'est pas un disque de TTC » ? Depuis la deuxième moitié de leur tournée précédente (qui date seulement d'hier), Cuizinier, Teki Latex et Tido Berman n'interprètent plus de titres de leur premier album. Erick Morillo a remplacé Dose One, et « Bouge ton cul » « De Pauvres Riches » : TTC aujourd'hui veut se faire de la thune, passer à la radio et se faire passer pour un trio de macs. On n'y croit pas trop mais peu importe : le show continue, et tant mieux puisqu'on est en janvier, période plutôt morose.

« Ambition » en ouverture donne d'ailleurs le ton : embué, rampant, mélancolique – comme du Giorgio Moroder sous codéine. 'On n'est pas encore habitué au laptop, mais voilà c'est nouveau', se sent obligé de nous confier Teki Latex… Et de fait, cette nouvelle manière d'appréhender le live semble indiquer chez TTC une volonté de moins se fatiguer sur scène : 'la rançon du succès', diront les plus cyniques… Qui d'ailleurs sont absents : à la place des jeunes filles qui n'attendent que « Girlfriend » pour monter sur la scène, et deux ou trois 'vieux' fans de hip hop, pour la plupart de bonne famille. « Le chant des hommes », « J'ai pas sommeil » et « Catalogue » réchauffent un peu l'ambiance : ça gueule aux premiers rangs, malgré l'état comateux d'un Cuizi Cuiz 'larveux'. Il rouvrira les yeux quelques minutes plus tard, au moment d'entamer pour de vrai la promo de leur dernière galette. « Quand je claque des doigts », « Travailler », « Paris Paris » (ou, selon le lieu du concert : « Bruxelles Bruxelles », « Liège Liège », « Erps Kwerps Erps Kwerps », etc.) : du TTC qui a choisi de miser tous ses jetons sur l'efficacité FM, avec le risque de se faire battre en finale par Patrick Bruel (le con). David Toop parlerait de 'nostalgie pour le futur' (ce son) et Patriiiick de 'souvenirs devant' : en voilà donc une drôle de coïncidence, eh merde alors ! Il n'empêche que « Téléphone » et « Frotte ton cul par terre » sonnent comme de vrais tubes radiophoniques : même Michael Youn en a vomi sa putain de cagoule ! Ok, TTC n'est plus du tout une histoire de petits snobs qui se la pètent 'avant hop' (avant kwé ?), et on ne va pas vraiment s'en plaindre. Pensez Récré A2, mangez des pommes et rejetez donc une oreille à Milli Vanilli : ça n'a pas pris une ride ! « Dans le club » et « Girlfriend » clôturent le set avant le rappel de rigueur, un « Turbo » trance qui ressemble à de plates excuses ('Désolé les gars, mais on aime vraiment la pop FM eighties et les cols en fourrure !'). Sont-ils toujours les 'plus forts, un peu comme Musclor' ? Demandez donc à Bioman !

C'est dimanche, lendemain de la veille, le genre de soirée qu'on préférerait passer chez soi…  A moins qu'une belle affiche de concerts ne nous en dissuade. Ca tombe bien : l'Argentine Juana Molina et l'Italo-anglais Piers Faccini se partagent, en cette fin de semaine pluvieuse, la petite scène de la rotonde. C'est Nicolas Sirkis qui nous accueille dans la salle, en hennissant tel un cerbère Pure FM. Il est là, en direct des enceintes, et son laïus post-ado nous tanne les oreilles. Pire : le cd est griffé, et on résiste vaillamment à la chute de tension en écoutant ces trente secondes en boucle d'Indochine, comme si c'était une mauvaise blague ou une visite médicale. Peut-être était-ce aussi une (basse) manœuvre du francophile Faccini (il habite l'Hexagone) pour nous donner vraiment envie de le voir arriver, et fissa.

Quand il déboule c'est donc le soulagement, d'autant que le beau brun débute son concert par une cover a capella du grandiose « Grinnin' In Your Face » de Son House, le 'bluesman préféré de Jack White'. Classe. Frissons. Piers Faccini est pote avec Ben Harper (sur album et en tournée), mais heureusement il ne nous affecte pas d'agaçantes bondieuseries. Rejoint ensuite par un batteur et une contrebassiste réservés, Faccini se balade de minuit (« Midnight Rolling ») à midi (« Come My Demons ») sur le cadran du blues, et tout ça en un peu plus d'une heure. Folk, tarentelle, country, rock : le chanteur jongle avec les styles, en plein bayou sonore qui nous rappelle Wenders. Assis sur les gradins et dans la fosse, le public fait preuve d'une attention dévote : un concert de musique qu'on écoute vraiment, ce n'est pas tous les soirs. Il faut dire que Piers Faccini chante de très belles chansons, dont les racines se trouvent en plein Mississippi, voire en Afrique. Et il les chante d'une voix profonde et sensuelle ; une voix qui hérisse le poil mais dans le bon sens du terme. On pense aux fantômes des Buckley (Jeff et Tim) et de Spain, au gospel qu'on aimerait entendre dans nos rêves (« Each Wave That Breaks », « Talk To Her »). C'est distingué en plus d'être abordable, sans pour autant verser dans le consensuel : il n'en fallait pas plus pour terminer le week-end en beauté. 

Et ce n'est pas fini ! Deux artistes tête d'affiche, ça veut dire deux fois plus de plaisir. Si l'on cherche toujours dans les bacs des disquaires le dernier album de Juana Molina (« Son ») sorti il y a six mois, on ne pouvait décemment pas rater sa venue en concert. Un look de Sorcière Bien-aimée, une gouaille typiquement latino, et des chansons en espagnol qui rappellent à la fois Barbara Morgenstern et Astrud Gilberto : Juana Molina pourrait être notre mère, et pourtant elle manie mieux les loops et l'auto-sampling que Lionel Solveigh. De « Segundo » et « Tres Cosas » la chanteuse n'interprétera que quelques titres, dont « No Es Tan Cierto » et « Insensible », son seul morceau dans la langue de Molière. 'Parfois le français sonne trop français', avouera-t-elle d'ailleurs avant de se jeter à l'eau. Le public est conquis, même si la salle s'est vidée de moitié après le concert de Piers Faccini… Au menu donc, surtout des titres de « Son », qui frappent par leur envergure : les couches de guitare et de synthés se superposent jusqu'à former de jolies mélopées au parfum psyché-folk, sur lesquelles Molina pose sa voix si tendre. On reste bouche bée, et l'oreille tendue : si la maternité semble cette fois l'avoir inspirée, on lui souhaite encore beaucoup de gosses. Ca nous fera d'autres excellentes chansons, et des concerts d'une belle intimité… A quand un album de berceuses pour fans d'ambient folk et de tropicalisme ?

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