Trois ans après l'ampoulé « Vertigone », les Bruxellois de Venus ont rendossé leurs beaux costumes de scène, cette fois en rouge et noir. Deux couleurs qui leur vont à merveille, puisqu'elles soulignent avec force ces treize nouveaux titres aux ambiances souffreteuses. Le sang, la colère, la passion : si l'atmosphère de « The Red Room » risque bien de plomber vos dimanches, elle vaut bien n'importe quel bovarysme? Et de fesser vigoureusement la chair, et d'y voir palpiter nos désirs les plus fous, pour qu'enfin 'décadence' rime avec 'élégance', et que Venus se détache pour de bon de l'emphase à la « Beautiful Day » ! Welcome in the red room, et n'oubliez pas d'enlever vos chaussures? La visite peut commencer !
Depuis « Vertigone » et votre tournée, il s'est passé plus de deux ans. Qu'est-ce que vous avez fait durant tout ce temps ?
Pierre Jacqmin (basse, contrebasse) : De janvier à août 2004 on a pris des vacances, on a travaillé chacun sur d'autres projets, et puis on a commencé à bosser régulièrement sur cet album... On n'a donc pas chômé, même s'il est vrai qu'on ne donnait plus trop de nouvelles de nous !
Christian Schreurs (violon, guitare) : On a commencé, en fait, à enregistrer en septembre 2005, après un an d'écriture.
Il est exact que la dernière fois qu'on vous avait vus sur scène, c'était à l'Octopus, fin juillet 2005 ?
C. S. : C'était un concert test, puisqu'on avait quasiment fini l'album, et il nous a permis de voir ce qui fonctionnait ou pas. Il faut admettre qu'il était risqué de ne jouer pratiquement que des nouveaux morceaux, surtout lors d'un festival d'été?
P. J. : ?D'autant plus qu'on ne les maîtrisait pas encore bien. On les interprétait pour la première fois en concert !
C. S. : Mais tout y était ! Il ne nous restait plus qu'à entrer en studio avec Head, qui est un excellent ingénieur du son, pour peaufiner le tout de manière optimale. C'était un boulot considérable.
Et au final le résultat sonne plus rock qu'auparavant. Il est plus âpre, plus sombre aussi.
C. S. : Oui, absolument, c'est un peu un tournant. Mais c'était déjà le cas pour « Vertigone », qui ne sonne pas de la même manière que « Welcome to the Modern Dance Hall »? On aime bien essayer des choses différentes, selon nos envies. Après la tournée « Vertigone » on s'est tous mis d'accord sur le fait qu'on avait envie de travailler le son, d'aller plus loin dans ce sens. Sur « Vertigone » on avait déjà tenté de se départir un peu de l'acoustique, mais ici on a mis les bouchées doubles.
« Vertigone » est très pop, tandis que celui-ci est plus incantatoire, plus brut de décoffrage.
C. S. : Il est clair qu'on a moins insisté cette fois sur les arrangements : on n'a pas eu peur d'élaguer?
P. J. : On a voulu garder que l'essentiel. Et puis on s'est rendu compte qu'on avait du mal à jouer les morceaux de « Vertigone » à quatre. Parce qu'il y avait tellement d'arrangements qu'il devenait impossible de les reproduire tels quels en live. Pour « The Red Room » on a essayé de ne pas refaire les mêmes erreurs, et la solution était de tout simplifier au lieu d'en rajouter.
Pourquoi avez-vous fait appel à Head pour produire « The Red Room » ?
P. J. : Parce que ce n'est pas un producteur, mais un ingénieur du son ! En fait au départ on avait pensé travailler sous la houlette de John Parish, mais il n'était pas disponible. C'est lui qui nous a conseillé Head. Il aimait bien ce qu'on faisait, donc ça tombait bien ! Et puis faut dire que c'est pas la 'dernière des caisses' (NDR : expression brusseleer ?) : il suffit d'écouter le boulot qu'il a accompli pour PJ Harvey et Marianne Faithfull !
Il est vrai qu'à l'écoute de « The Red Room » on sent la patte du producteur de PJ Harvey !
C. S. : Ce type aime les sons secs et rugueux. Il préfère travailler sur la matière du son plutôt que de l'embellir?
Il n'est pas le seul responsable de ce son sec et tortueux, je suppose ? Vous avez connu des coups de blues ?
C. S. : On a toujours privilégié les atmosphères sombres à celles plus 'poppy'? « She's So Disco » par exemple est juste une 'private joke', et on ne le renie pas ! Mais c'est à mille lieues de ce qu'on fait aujourd'hui? Faut bien se laisser aller de temps en temps, non ?
Comment travaillez-vous à l'écriture ?
P. J. : Marc (NDR : A. Huyghens - voix, guitare) vient avec la plupart des idées. Il nous apporte des ébauches de chansons, guitare-voix, et on retravaille tout ensemble. La structure, l'harmonie, les arrangements,? Mais sur cet album-ci en l'occurrence, il y a deux morceaux qui viennent de Christian?
Lesquels ?
C. S. : « Underwater » et « Unknown »
« Underwater » est sans doute le titre le plus léger du disque, tiens?
C. S. : Effectivement. Et c'est marrant, car le résultat est totalement différent de la matière que j'avais apportée au départ? Mais rien n'a été calculé : on l'a juste senti comme ça ! Et c'est d'ailleurs aussi valable pour le reste de l'album : rien n'était prémédité, tout est venu assez naturellement. En fait ce n'est pas compliqué : je ne me suis jamais senti aussi bien dans le groupe depuis nos débuts !
On le ressent sur le disque !
P. J. : Oui, tout s'est très bien passé, c'était très confortable. Et même si on a ramé sur certains titres, on a toujours eu l'impression d'être dans le bon, que ça sonnait juste. Cela n'a jamais été aussi évident et naturel, même en retravaillant les vieux morceaux !
Parlons-en justement? Vous allez les électrifier, si je puis dire ?
P. J. : Pas forcément? Il est vrai qu'au début on avait ce concept du tout acoustique, mais il ne doit pas nous freiner dans nos envies ! Pourquoi ne pourrait-on pas utiliser une guitare ou une basse électrique si on en éprouve le désir ?
Et ce titre, « The Red Room », il renvoie à quoi ?
P. J. : C'est la chambre de Marc, qui est peinte en rouge.
Ca me fait penser aux parois utérines du ventre maternel, bref à nos origines.
P. J. : Tiens oui ! C'est bien la preuve que chacun définit comme il l'entend sa propre pièce rouge, en fait?
(NDR : à cet instant Marc A. Huyghens déboule d'une autre interview, la mine fatiguée par ce petit jeu de chaises promotionnelles) M. A. H. : C'est juste un lieu confiné, d'introspection, mais qui pourrait très bien être aussi un bordel ou un dancing?
P. J. : (NDR : lui parlant) Sa propre interprétation serait un retour à l'état f?tal !
M. A. H. : Pourquoi pas, oui?
Ok? Vous pouvez me parler de votre grand retour chez Bang! ? Ca s'est mal passé avec Virgin ?
C. S. : On a été virés après la sortie de « Vertigone » parce qu'on n'en avait pas vendus assez à leur goût? Quand tu n'atteins pas un certain chiffre de vente, t'es tout simplement rayé de leur carte?
M. A. H. : Ce processus faisait partie des grosses restructurations chez EMI : il n'y avait même pas moyen de discuter, c'était purement économique.
P. J. : Ce ne sont pas les gens avec lesquels on travaillait directement qui sont responsables de cette décision, mais les financiers d'EMI, à la maison mère. Ils avaient une liste avec du rouge et du vert, et si t'étais dans le rouge tu te faisais virer? Ils n'ont même jamais écouté ce qu'on faisait, c'était pas leur problème ! »
Aaaah, les majors? Et que pensez-vous justement de cette guéguerre entre Bang ! et Gang (www.wearegang.be), des « Sacrés Belges » et de tout le bazar ? Vous êtes un peu les parrains de la scène rock bruxelloise et wallonne?
M. A. H. : Il y a toujours des gens qui pensent 'noir', d'autres 'blanc', pouvoir/contre-pouvoir,? Si c'est par opposition à Bang ! c'est rigolo et il y a sans doute un fond de vérité. Mais il ne faut pas renier le travail accompli par les types de Bang ! depuis des années, comme défenseurs du rock bruxellois, wallon. Et ça on ne peut pas le leur retirer ! C'est quand même eux qui ont signé dEUS en premier, même si l'exemple est gros comme un camion? Après, c'est vrai qu'il doit y avoir de la place pour tout le monde ! Il faut persévérer.
Ce sera le mot de la fin !