Alors que la plupart des festivals ne laissent plus beaucoup de place au rock, les Lokerse feesten continuent de régaler les amateurs du genre. Ce dimanche, l’affiche se focalisait essentiellement sur la période 1977-1987. Et, par conséquent des styles musicaux qui ont marqué cette époque : punk, post-punk, ska ou encore new-wave et EBM. La journée est chargée (pas moins de 10 groupes à l’affiche, contre 7 le lendemain). Mais comptez sur nous pour (presque) tout vous raconter…
On écoute de loin d’Arbeid Adelt ! Programmé assez tôt dans l’après-midi, son temps de passage est limité à 35 minutes. Il parviendra à y caler 8 titres dont une reprise de P.I.L.
Il faut remonter au début des 80’s pour retrouver les prémisses de sa discographie. En 1983, il sortait son premier elpee, « Jonge helden », dont le titre maître avait été produit par Jean-Marie Aerts. Et qui s’articule autour du BV (NDR : Bekende Vlaming) Marcel Vanthilt, personnage populaire dans le Nord de la Belgique, pour son implication au sein de médias comme MTV, VTM et Stubru. Notamment. On remarque rapidement ses limites au chant, et tout particulièrement sur le hit le plus notoire du band, « Ik sta scherp ». Une forme de punk/new-wave aux vocaux rappés ; un phrasé délirant mais guère envoûtant. Et le résultat est identique sur la reprise de « Death disco », insérée à mi-parcours. En espérant que Jah Wobble (qui joue en soirée) n’a pas entendu le massacre d’un titre phare de sa discographie, depuis les coulisses. Néanmoins, le set demeure divertissant et heureusement, les musiciens sauvent les meubles. Les membres originaux dont feu Willy Willy (parti alors rejoindre The Scabs) et Dani Klein (qui avait fondé Vaya Con Dios), ont été depuis remplacés par un guitariste, un batteur et un saxophoniste qui tiennent la baraque. Sans oublier une jeune claviériste, dont les backing vocaux sont tout à fait rafraîchissants. En tout cas, le public flandrien semble conquis. Il faut aussi signaler que la formation remonte régulièrement sur les planches. Elle s’était d’ailleurs produite, un an plus tôt, dans le cadre des Fonnefeesten (NDR : un festival parallèle qui se déroule à la même période, et à quelques centaines de mètres du Grote Kaai de Lokeren) …
Un autre combo flandrien embraie : Vive la Fête. Mais dont ls compos sont interprétées en français. Et votre serviteur doit avouer que la présence de ce band n‘est pas pour lui déplaire. Vive la Fête avait déjà enflammé le club des Lokerse feesten, devant un auditoire archicomble, en 2023. Sa recette est identique, mais fonctionne invariablement à merveille. Toujours aussi sexy, Els Pynoo débarque en tenue de danseuse du Moulin Rouge. Elle a même oublié son soutif. Autour d’elle, on retrouve son compagnon Danny Mommens (NDR : un ex-dEUS, faut-il le rappeler) à la sixcordes, un bassiste (NDR : probablement celui qui gigote le plus au monde, sur les planches), un claviériste et un batteur. Et ces deux derniers sont de nouveau maquillés comme des Zorros.
Les tubes défilent : « Nuit blanche » en ouverture, « Schwarzkopf », « Jaloux », « Maquillage » ... Ou encore, en final, « Noir désir » dans sa version longue et « 2005 » au titre trompeur, car il colle vraiment aux 80’s. Le set véhicule d’ailleurs de nombreux accents empruntés à cette décennie. C’est ce que leur reproche les détracteurs. A cause du tempo répétitif des claviers et de cette ligne de basse typiquement new-wave. Mais qu’importe puisque Vive la Fête possède un don pour faire danser et mettre un peu de gaieté ; des ressources idéales en cette après-midi ensoleillée.
Dans un tout autre style, The Selecter s’empare ensuite de la main stage. A l’instar de The Specials et de Madness, il est considéré comme un des fers de lance du mouvement ‘2 tone’, qui a favorisé, fin des 70’s, la renaissance du ska combiné alors au punk-rock. On remarque d’ailleurs, au sein des premiers rangs, autant de punks à crête colorée, que de rudeboys coiffés de chapeaux ou/et affublés de fringues à damiers noir et blanc. Car The Selecter existe depuis… 45 ans maintenant. Après un break intervenu entre 1981 et 1991, il se reconstitue et grave cinq nouveaux albums. C’est sur un arrangement du générique de ‘Chapeau melon et bottes de cuir’ (ce qui resitue aussi la période) que le show débute. Du haut de ses 70 balais, Pauline Black reste toujours élégante dans son costume, et sous son chapeau ‘pork pie’. Elle mène la danse dès « Three minute hero », s’autorisant des commentaires engagés entre les compos. Ainsi elle condamne le Brexit ou accentue la phrase ‘Is good for absolutely nothing’ lors de la reprise de « War » (chanson pacifiste d’Edwin Starr). Elle présente aussi son batteur, Charley 'Aitch' Bembridge, membre originel du groupe, au look de vétéran jamaïcain. Ce sont les seuls rescapés du line-up originel qui a bien changé au fil des décennies. Pauline déclare : ‘We are the Selecter and if you don’t know us, you will know this song’ (Trad : ‘Nous sommes The Selecter et si vous ne nous connaissez pas, vous connaîtrez cette chanson’), avant d’attaquer le tube « On my radio », puis de clôturer le set par le tout aussi classique « Too much pressure ».
Et de changement de line-up il en est aussi question chez La Muerte. Un autre groupe culte belge des 80’s qui, après une longue interruption (NDR : de 1994 à 2014), s’est reformé, mais en apportant du sang neuf. Sous la forme du bassiste de Channel Zero et du guitariste de Deviate (NDR : outre son job de disquaire dans le quartier de la Bourse de Bruxelles, il milite encore au sein d’autres formations). Pas étonnant que le club soit plein à craquer. Le nom du band bruxellois est affiché en lettres rouges incandescentes et évocatrices ; de quoi mettre le feu aux planches en déversant son metal inclassable, teinté de psyché ou de stone-rock. Au chant, Marc du Marais est à nouveau masqué (NDR : on a chaud pour lui !) comme s’il venait d’être kidnappé. Son timbre vocal oscille du mélodieux à la vocifération, alors que fiévreux, les riffs se répandent dans toute la salle. De nombreux headbangers se défoulent au sein des premiers rangs. L’atmosphère est de plus en plus moite et devient irrespirable. Votre serviteur décide alors de s’éclipser en se rappelant qu’à la fin des 90’s, lors d’une édition du Dour festival, une célèbre marque de déodorant aspergeait les spectateurs qui le souhaitaient, à la sortie d’un chapiteau. Cette démarche aurait été judicieuse pour la circonstance.
On reprend donc un peu d’air frais (?!?!?) en mettant le cap sur la grande scène extérieure. The Damned y est programmé. Né en pleine explosion punk, en 1976, il a rapidement basculé vers la new-wave (NDR : il figure d’ailleurs sur de nombreuses compilations qui lui est consacrée). Il ouvre le bal par le single « New rose ». Au chant, Dave Vanian a toujours son look de vampire. Et celui du bassiste, Ray Burns (alias Captain Sensible), est devenu légendaire : son béret rouge, ses lunettes de soleil, ses cheveux blonds (qui tirent de plus en plus vers le blanc) et son pull marin à lignes horizontales. Toujours aussi agréables à écouter, les titres s’enchaînent ; mais sans jamais provoquer la moindre étincelle, faute, sans doute, d’une absence de cure de jouvence…
Paradoxalement la foule n’est plus au rendez-vous dans le club. Elle préfère déjà se positionner idéalement pour les deux têtes d’affiche. Conclusion : de nombreux spectateurs sont agglutinés aux premiers rangs. Pourtant, la journée n’a pas été décrétée sold out ; mais caser un millier de personnes supplémentaires sur le siterelève de la mission impossible (NDLR : après ‘Chapeau melon et bottes de cuir’ !). Approcher du podium à moins de 30 mètres exige d’être sur place, bien à l’avance.
Mais revenons au club Studio Brussel, car c’est là que va se dérouler le meilleur concert de la soirée. Fréquemment salué par la critique, The KVB va encore mettre tout le monde d’accord (NDR : enfin les quelques centaines de spectateurs qui ont fait le bon choix). L’expression sonore oscille quelque part entre celles de Protomartyr, Chelsea Wolf, Soviet Soviet, The Kills et The XX, pour le duo vocal. Et pour cause, la voix nasillarde, et parfois émouvante de Nicholas, se conjugue parfaitement à celle de Kat, plus allègre et douce (NDR : au moment d’écrire ces lignes, les harmonies d’« Afterglow » trottent encore dans la tête de votre serviteur).
KVB compte les musicos les plus jeunes de cette journée. Il a été formé en 2010, alors que les autres combos accusent, en moyenne, 40 années d’existence. Preuve de l’engouement qu’il suscite, en 2024, sa tournée rernseigne de nombreuses dates en Angleterre, mais s’exporte également dans les pays de l’Est (dont le Kazakhstan) et même en Chine ! ‘And last but not least’, son visuel qui tapisse le fond de scène est manifestement le plus impressionnant.
Et on ne peut pas en dire autant de Sisters of Mercy. A l’instar de sa prestation au Suikerrock, en 2022 (compte-rendu à lire ou à relire ici)
les écrans vidéo placés de chaque côté du podium, ne diffusent pas les images du concert, mais des séries B de science-fiction ou des mangas des années 80-90. C’est d’autant plus gênant que le light show ne permet pas de voir grand-chose en ‘live’, surtout pour les spectateurs qui ne sont pas postés aux premiers rangs. Quant à l’attitude et la voix du leader, Andrew Eldritch, tout a déjà été écrit à ce sujet. Il doit constamment s’appuyer sur son guitariste Ben Christo, qui assure les backing vocaux. Parfois, il doit même crier pour émettre des sons ou des onomatopées, car elle ne suit plus. Heureusement, le nouveau venu au sein du line up, le transgenre Kai (NDR : ce Japonais est également actif au sein d’un projet solo sous le patronyme Esprit d’Air) apporte une bonne dose de fraîcheur, que ce soit à la guitare acoustique ou électrique. Malgré cette contribution bénéfique, ce concert constitue la grosse déception du festival. En outre, il n’est pas allé au-delà de l’heure et des morceaux culte, comme « Marian », ont souffert d’un tempo accéléré par Docteur Avalanche…
Les musiciens de Front 242 l’avaient annoncé en février dernier, ils mettent un terme définitif à l’aventure. Mais avant de tirer sa révérence, il s’est lancé dans une ultime tournée baptisée ‘Black out’. Suite, notamment, aux problèmes de santé rencontrés par Jean-Luc De Meyer, mais également à une certaine lassitude éprouvée par les membres de la formation. Et tout comme Sisters of Mercy, le porte-drapeau (belge) de l’EBM n’a plus sorti d’albums depuis des décennies. Cependant, le band peut compter sur sa fan base pour remplir régulièrement les salles (comme à l’AB, où il se produira plusieurs soirées de suite, en janvier 2025) ou attirer un public nombreux, lors des festivals. Richard 23 annonce en cours de set qu’il s’agit de leur dernier festival, en Belgique. A l’issue du show, au moment de prendre congé de la foule, l’émotion sera même palpable chez les membres du band
Front 242 va accorder un set en forme de best-of. De quoi ravir l’auditoire, et tout particulièrement les aficionados plantés près de l’estrade, qui en profitent pour lancer les premiers pogos de la journée. Les beats incitent à danser (NDR : c’est la définition de l’Electronic Body Music’). Les hits défilent tels des uppercuts décochés aux festivaliers : « W.Y.H.I.W.Y.G. », « Body To Body » et « Moldavia » pour débuter. « U-men » puis « Tragedy for you ». Mais encore « Welcome paradise », avant le rappel. De quoi tenir en haleine la foule, malgré l’heure tardive. Lors du final, « Happiness », « No Shuffle » et l’inévitable hymne (national ?) « Headhunter » au refrain contagieux, clôturent un concert remarquable. Une certitude : les concerts d’adieu programmés en salle vaudront le détour. Et pour apporter une touche noir-jaune-rouge au show, « La danse des canards » sert d’outro…
Cette longue journée des Lokerse Feesten s’est quand même révélée particulièrement hétéroclite.
ARBEID ADELT !, VIVE LA FËTE, THE SELECTER, LA MUERTE, THE DAMNED, THE KVB, SISTERS OF MERCY, FRONT 242
(Organisation : Lokerse Feesten)
Photos Wim Herbaut ici