Thomas Ruf a concocté une collection très intéressante consacrée aux femmes impliquées dans le blues féminin ; et plus particulièrement aux chanteuses et guitaristes. Faut dire que dans son esprit, il a toujours le souvenir impérissable de Memphis Minnie, un véritable mythe qui a composé, chanté, joué et enregistré le blues pendant plus de 40 ans. Ce double CD est partagé entre deux styles de blues. Le premier disque s’intéresse au blues contemporain (NDR : le plus souvent électrique) et le second au blues traditionnel.
L’œuvre s’ouvre par une adaptation du "Can't quit the blues" de Buddy Guy opérée par le Lara Price Band. Une plage très électrique introduite par plus de deux minutes de guitare vagabonde avant que le chant de Miss Price n’entre en scène et puis s'impose. Mais on en retiendra surtout la dégaine versatile d’une certaine Laura Chavez, une fille de 22 ans préposée pour la circonstance au manche (NDLR : ça rime presque !). Dès les premiers accords de "Takin' it all to Vegas", on reconnaît sans peine la présence d’une autre Californienne : Debbie Davies. Après avoir fréquenté l'école d'Albert Collins, cette chanteuse/guitariste a acquis une expérience certaine et drive même ses propres troupes depuis un bon bout de temps. Une chose est sûre, son intervention est sans faille. Alice Stuart fait déjà figure de vétéran. Faut dire qu’il y a quarante ans, elle pratiquait déjà du folk blues ; et puis elle a milité chez les Mothers of Invention de Frank Zappa. Elle possède une bonne voix y et met toute sa conviction pour interpréter "The man's so good". En outre la formation affiche une excellente cohésion et ne s’égare pas dans les fioritures instrumentales. Sue Foley (NDR : cette Canadienne qui a forgé sa notoriété à Austin, au Texas, écrit actuellement un livre consacré aux ‘femmes guitaristes’) laisse échapper des grappes de notes hispaniques de ses cordes acoustiques, tout au long de l’instrumental "Mediterranean breakfast". Une compo chargée d’émotion et empreinte de charme, caractérisée par des percussions efficaces et un orgue discret. Cependant, lorsque Miss Foley décide de brancher l’amplification, nous pénétrons dans un univers sonore redoutable, proche du grand Peter Green. Un moment privilégié qui illumine cette collection! Deborah Coleman a commis quelques albums d’excellente facture, au cours de la dernière décennie. A un tel point que la fréquence de ses sorties nous est devenue familière. La féline se réserve ici un instrumental climatique : "The river wild". Joanna Connor amorce un "Livin' on the road" en douceur, avant d’y communiquer une étincelle électrique, virant alors vers un hard rockin' blues, expression sonore tonifiée par le vocal plutôt agressif et une slide opiniâtre. De nationalité serbe, Ana Popovic concède un autre instrumental : "Navajo moon", une plage cool, jazzyfiante, inspirée par Ronnie Earl et Stevie Ray Vaughan. Carolyn Wonderland n'est pas très connue. Elle compte pourtant quelques elpees à son actif. Elle chante, joue de la guitare, mais aussi de la trompette, de l'accordéon, de la mandoline et des claviers. Pour attaquer "Judgement day blues", elle a reçu la collaboration de Guy Forsyth à l'harmonica. Le tempo est bien enlevé tout au long de ce titre puissant et immédiat. En se dirigeant vers la Louisiane de Baton Rouge, le climat devient plus intimiste. Soutenue par ses Exiles, l’excellente Miss Eve Monsees (NDR : une inconnue également établie à Austin, au Texas) irradie le célèbre "Lonely lonely nights". Sa voix est un peu frêle mais la guitare manifeste une grande efficacité. Maria Muldaur et Bonnie Raitt se sont réunies pour interpréter "It's a blessing". Un moment de grande intensité alimenté par les deux voix très pures de ces artistes notoires. Elles chantent avec beaucoup de bonheur ce succulent fragment de country blues acoustique. Et le recours au bottleneck accentue cette sensation de fraîcheur. "Dreamland" durcit le ton. L'attaque est brute, primaire. La slide libère un son totalement pourri. La responsable ? Une Finlandaise ! Un bout de femme plutôt frêle qui répond au nom d’Erja Lyytinen. Elle devrait bientôt sortir un album chez Ruf. Une œuvre à laquelle il faudra se montrer attentif. Barbara Lynn épingle un autre instrumental : "Lynn's blues". Un morceau bien ficelé dynamisé par une section rythmique qui ne manque pas de groove. Nonobstant leur fragilité, les cordes atteignent facilement leur cible. A premier abord peu farouche, Tracy Conover affiche une fameuse santé. Jolie, blonde, cette Texane exécute le célèbre "Goin' down", jadis immortalisé par Freddie King, d’une manière très convaincante. Elle a déjà du métier et semble apprécier le jeu de Jimi Hendrix! La première plaque s’achève par Beverly "Guitar" Watkins et le gospel de Ruthie Foster.
Consacré à un blues plus traditionnel, le second morceau de plastique implique quelques artistes confirmés. Solide sexagénaire issue de la Georgie, Precious Bryant amorce ce disque par son "Fool me good". Elle milite au sein d’une organisation remarquable qui répond au patronyme de "Musicmaker Relief Fund". A l’instar de trois autres membres ici présentes : Algia Mae Hinton, Etta Baker et Rory Block. Agée de 76 ans, Algia Mae Hinton manifeste une grande habileté à la guitare sèche. En outre, elle possède une voix poignante, qui a du vécu… Issue de la Caroline du Nord, Etta Baker aura bientôt 93 balais. Tout au long de "One dime blues", elle fait preuve d’une grande clarté dans son jeu. Rory Block impressionne lors d’un enregistrement immortalisé en public : le "Fixin' to die" de Bukka White. Le premier elpee de Ellen McIlwaine (« Fear Itself ») remonte à 1969. Depuis, elle en a édité une flopée. Originaire de Nashville, elle affiche une grande habileté sur le manche sur "Dead end street". Les sonorités de sa six cordes résonnent comme celles d’un sitar ! Deux artistes impliqués sur le CD contemporain se produisent ici sous une forme ‘unplugged’ et y démontrent tout leur talent. Tout d’abord Sue Foley, dont la voix de fausset charme "Doggie treats" et puis Alice Stuart lors d’un "Rather be the devil" particulièrement réussi. Mais un des sommets de ce volume est atteint par Jessie Mae Hemphill, une artiste issue du Mississippi. Sont style très original est imprimé sur le rythme du chemin de fer. Gaye Adegbalola est (très) blonde, mais noire de peau. C’est également la guitariste de Saffire. Son timbre vocal est âpre. Rory Block l’accompagne tout au long de son "Nothing's changed". La fin de l’opus est hantée par quelques fantômes. De grandes voix du blues aujourd'hui disparues qui nous font encore vibrer. Tout d’abord la Britannique Jo Ann Kelly dont le timbre sublime et beau à pleurer magnifie "Ain't nothing in ramblin". Mattie Delaney, Elvie Thomas et Geeshie Wiley étaient issues du Mississippi. Elles ne sont guère connues. Et pour cause, leurs enregistrements remontent à 1930. Pourtant, leurs interprétations ne maquent pas de sensibilité. Pour clore cette œuvre, il était impossible de passer sous silence l'inspiratrice de cette collection : l'inoubliable Memphis Minnie, décédée en 1973, à l'âge de 76 ans. Thomas Ruf a choisi "In my girlish days". Une bien belle collection passée en compagnie de ces dames du blues…