‘P*tain ça envoie grave’, m'a dit un copain croisé par hasard à la sortie du concert qu'ont donné Zazie et son groupe mercredi soir, au Nikaïa, à Nice. Puis il est reparti vers son studio d'enregistrement, où il travaille à la production du prochain album d'un groupe de hard rock local. Si je cite cette anecdote personnelle, c'est pour tordre le cou à l'image variété-proprette qui colle à Zazie depuis ses débuts, époque où elle gambadait dans un champ en fredonnant "Soyons zen". Après 15 ans de carrière, la musicienne a depuis longtemps débordé du cadre marketing dans lequel on a tendance à la placer. Et surtout, en rencontrant Jean-Pierre Pilot (claviers) et Philippe Paradis (guitare), avec qui elle a composé ses deux derniers albums, elle a participé à la formation d'un groupe. Ce qui passe sur scène depuis lors (impliquant Nicolas Fiszman à la basse, Matthieu Rabaté à la batterie, et Cédric Bevilacqua à la guitare) n'est donc pas une jolie chanteuse encadrée de requins de studio recrutés pour assurer le minimum syndical, mais un groupe pop/rock qui prend son pied à jouer ensemble, et surtout ne pose aucune barrière de style.
Mais avant d'entamer le plat de résistance, il serait dommage d'oublier la première partie, Vincent Baguian. L’ami et le complice de Zazie. Ils ont bossé ensemble (le très ironique "Je ne t'aime pas", entre autres). En outre, Baguian partage avec elle l'amour des textes travaillés, qui pourrait tenir même sans musique. S’il n'est clairement pas un ‘chanteur à voix’, il n'en est pas moins capable de faire surgir l'émotion entre l'humour et les considérations existentielles. Ses quelques chansons, tirées de son dernier album "Ce soir c'est moi qui fait la fille" (dont la chanson éponyme) remportent incontestablement l'adhésion du public.
Baguian parti, le concert commence donc par les premières mesures de "Tous des anges", en version nettement plus énergique, annonciatrice de la suite. Un immense rideau noir cache la scène, les lumières ne permettant de distinguer que la silhouette des musiciens. Curieusement ce soir, un énorme courant d'air en direction du public gonfle le rideau, tel une grande voile, et quelques membres de la sécurité sont obligé de le maintenir… Ce rideau tombe au 2eme couplet et les guitares se mettent à grogner, dont celle de Zazie (en open tuning). L'ambiance est tout de suite posée : loin de l'electro du Rodéo Tour, ça sera bien du rock.
"Fou de toi", pour achever de lancer la machine, puis "Des rails", premier single du dernier album, parce que même si le groupe n'aime rien tant que revisiter son répertoire de manière surprenante, il s'agit tout de même du ‘Totem Tour’.
Sur "On éteint", chanson à l'intensité pesante, les lumières d'Andy Watson (Radiohead, Oasis) font merveille. N'importe où ailleurs, une énorme boule disco posée sur la scène serait d'un kitsch achevé, ici elle souligne parfaitement l'ambiance du morceau.
Après "Oui", jolie ballade mélancolique, suivent "Je suis un homme", single cartonnant actuellement en radio, et "Jet Lag", deux rythmiques ‘au pilon’, précises et efficaces, qu'il aurait sans doute mieux valu continuer encore un peu sur cette lancée plutôt que de revenir à un mode plus calme lors de "L'ange blessé", un peu mièvre, "Larsen" et "Flower Power", joyeux délire néo-baba-cool, et "J'envoie Valser", ballade jouée à 4 mains sur le rhodes avec Nicolas Fiszman.
Deux ‘inédits’ ensuite, "Jacques a dit", originellement composé pour Christophe Willem (et mieux chantée que par lui, diront certains), et "Haut les mains". On repart enfin vers des contrées plus électrifiées tout au long de "Toc toc toc", un des morceaux phare de la tournée précédente, puis "Totem", dans la continuation de la thématique charnelle du précédent. La maîtrise de son timbre, passant du suave au rauque, la sexualité des morceaux ("Totem" surtout) assumée sans vulgarité aucune, le superbe travail des lumières, font de ces chansons de beaux moments de rock pur et dur. Là encore, on voudrait que ce climat perdure ; mais à nouveau le calme revient lors de l’interprétation de "Si j'étais moi", chanson introspective et pourtant pudique, mais dont le final en vocalises mélangées à la guitare de Philippe Paradis flanque des frissons. Autres points forts, "J'étais là", un texte lucide et violent, ainsi que "Rodéo", forcément attendu, qui malheureusement semble emporter la fosse seulement vers la fin. Rebaisse de régime sur "Au diable nos adieux", et remontée encore pour "Na", qui oscille en permanence entre la blague potache et le cri de désespoir.
Après une brève sortie de scène, les rappels commencent sur un medley electro de trois anciens tubes ("Un point c'est toi", "Adam et Yves" et "Tout le monde") qui laisse un peu perplexe : pourquoi les jouer de cette façon intimiste, Pilot, Paradis et elle agglutinés derrière les claviers du premier ? Le style ne s'y prête pas vraiment, mais le tout reste sympathique. Une curiosité ensuite, "Frère jacques", espèce de berceuse épileptique et déjantée, et enchaînement direct sur "Rue de la Paix", qui met enfin tout le public debout. Sans doute le Sud n'est-il effectivement pas le public le plus chaud ou du moins le plus expressif, mais après le final tendrement mélancolique de "Ça", tout le monde repart le sourire aux lèvres. Un bon concert d'un grand groupe.