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CocoRosie

Dans le cercle des fées

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C’est marrant. Je ne devais pas être là…

Il doit être plus ou moins 22h00, et le set des sœurs Casady est déjà bien entamé. Or, depuis près d’une heure, je passe un excellent moment, en leur compagnie. Les yeux rivés sur la scène en contrebas. Une demoiselle en tutu accomplit une chorégraphie un rien saccadée. Une voix de soprano bat des ailes sous la coupole de ce cirque. Quelques envolées d’arpèges pleuvent en cascade d’une harpe aux pouvoirs féeriques. J’avoue n’avoir jamais prêté qu’une attention distraite au parcours de ce groupe articulé autour de la personnalité de ces deux demoiselles dont j’ignore toujours si elles sont jumelles, oui ou non (NDR : en vérité, il semble que non). Récemment désigné pour suppléer un imminent collègue appelé au chevet d’un festival ensoleillé, je me suis donc penché sur la discographie de CocoRosie.

Tantôt intrigué, tantôt irrité, souvent distrait, je ne me suis que trop mal préparé à ce qui se déroule maintenant. Ou bien est-ce justement l’effet de surprise qui joue ce rôle prédominant dans le plaisir enfantin que me procure le concert de ce soir ? Quoi qu’il en soit, le spectacle est captivant et prouve que j’ai été bien inspiré de prendre la relève. Merci Eric !

La sonnette retentit et annonce le début du spectacle.

Trop tard pour chercher sa place dans les strapontins, j’imite les retardataires et m’installe discrètement en haut d’une volée de marches, alors que le trio Scarlett O’Hanna distille timidement les premières notes servant d’introduction à cette soirée.

Si je suis quelque peu sceptique d’entrée de jeu, c’est que cette musique très intimiste peine à trouver ses marques dans l’ampleur de cet environnement Royal.

Néanmoins, au fil des minutes, les compositions semblent prendre corps, et la voix de la jeune Bruxelloise d’adoption parvient à conquérir l’espace, ainsi qu’un public des plus attentifs.

Une très belle voix, au demeurant, même si pas franchement originale (je ne peux m’empêcher de penser à Chan Marshall) mais qui possède assez d’arguments pour accrocher.

Fort logiquement fière du succès rencontré, elle peut donc quitter l’estrade sous les applaudissements nourris de paires de mains bientôt jointes dans une communion solennelle…

Dans l’intervalle, parmi le brouhaha d’une assistance qui gonfle à mesure que les minutes s’égrènent, trois notes répétées en boucle installent un climat hypnotique. Elles préparent la célébration d’une messe…

Puis les lumières s’effacent et tandis que les cris d’engouement se détachent des gorges serrées ou extasiées, les six membres du collectif prennent tour à tour possession des lieux.

De la scène d’abord, mais très vite de l’ensemble du Cirque Royal.

L’une des sœurs, dans une robe mystique, l’autre surplombée d’une très Led coiffe (des dizaines de points lumineux éparpillés en grappes autour de sa tête).

L’effet visuel est, en outre, assuré par des projections en fond, qui illustrent tantôt par petits films, tantôt par des captations live, le contenu musical de ce show haut en couleurs fluorescentes.

Un contenu époustouflant de maîtrise et d’audace qui va me laisser littéralement sur mon séant, posé négligemment en travers d’une allée.

Alliant magistralement les styles et les formes techniques, le sextet retranscrit parfaitement, en live, l’univers loufoque et quelquefois baroque des sœurs Bianca et Sierra (ok, qui est Coco, qui est Rosie ?)

Le préposé au human beatbox déchaînant quant à lui l’enthousiasme général pendant un break au cours duquel sa virtuosité est mise pour la seule fois de la soirée en exergue.

Alliant pendant près de deux heures les ingrédients disparates de leurs féeries musicales, CocoRosie développe avec classe et panache, l’étendue de son savoir plaire.

Après un rappel au cours duquel figure le très demandé « Beautiful Boyz » (évidemment sans Antony Hegarty), le concert set se termine, laissant derrière lui comme une impression lumineuse sur le négatif de mes préjugés.

Un superbe moment, la tête projetée dans les étoiles, en compagnie de Bianca (Coco) et Sierra (Rosie).

(Organisation : Botanique)

 

CocoRosie

Grey Oceans

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Les sœurs Casady n’ont pas fini de fasciner et de diviser. Après « The Adventure Of Ghosthorse And Stillborne », tièdement accueilli par la presse et les fans, Sierra et Bianca poursuivent leur ensorcellement global à l’aide d’une quatrième œuvre vaporeuse, voire spirituelle. L’affreuse pochette de « Grey Oceans » dissimule onze incantations hypnotiques qui jonglent sans pudeur entre Trip Hop, Electronica et Folk. Les influences hip hop sont, elles, mises en sourdine. Et bien que toujours inévitable, la comparaison entre CocoRosie, Joanna Newsom et Björk s’arrête ici au spectre vocal.

Pour « Grey Oceans », les deux demoiselles se sont débarrassées de pas mal d’artifices qui parcouraient leur discographie antérieure. Cet embargo sur le trop-plein de bidouillages leur aura permis de concocter des mélodies d’une simplicité et d’une pureté singulières. L’influence directe de leur ami Antony et ses Johnsons ? Quoi qu’il en soit, les océans grisâtres de CocoRosie sont des eaux dans lesquelles on ne demande qu’à se perdre, surtout lorsque les séduisantes mélodies « Trinity’s Crying », « R.I.P. BurnFace » ou « Gallows » s’évaporent dans les airs…

CocoRosie

L’arme à l’oeil

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Comment expliquer le phénomène CocoRosie ? En moins de trois ans, Bianca Casady et sa sœur Sierra sont devenues le dada le plus hype chez les hippies post-modernes. Cette nouvelle communauté est bigarrée : fashionistas, pères de famille, joyeux girons, mères au foyer et adolescent(e)s mélancoliques. En trois albums, les deux Américaines ont repéré le point sensible d’une société éclatée. Avec son folk tarabiscoté de mille astuces infantiles, CocoRosie est passé de sa chambre à coucher au sommet de l’affiche. Sans même comprendre les raisons de son succès. Pour ce troisième album, intitulé « The Adventures of Ghosthorse & Stillborn », les voix mutines des deux sœurs se détachent pour laisser place à une castafiore (Sierra) et une enfant blessée (Bianca). La poésie énamourée et les larmes de joie des débuts s’ornent aujourd’hui d’une conscience politique. Dans cet opéra urbain, CocoRosie est une Superstar. Même Jésus Christ cherche sa place. Si la religion a perdu une grande part de son mysticisme, Bianca et Sierra seront bientôt plus célèbres que la Vierge Marie. Demandez à John Lennon.

Parfois, un regard suffit pour comprendre. Bianca et Sierra sont nées sous les étoiles : des stars, des vraies. Maquillées de jour, comme de nuit, les deux sœurs ressemblent à des vedettes hollywoodiennes : intouchables, impénétrables. Une casquette vissée sur une tignasse rasée et peroxydée, une veste de training sur les épaules, un jean grisonnant, forcément moulant, un foulard rouge serré autour de la cuisse, Bianca est là, face à nous, plantée dans ses pompes blanches. Premier constat : son air triste ne fait pas les belles chansons d’amour de son groupe. « C’est difficile à gérer. Toute cette attention, cette pression, ces questions sur ta vie, tes envies. Aujourd’hui, je ne sais même pas si je crois encore en l’amour ». Ambiance. Malgré ses épanchements émotionnels et une rupture sentimentale mal digérée (NDR : avec Devendra Banhart), Bianca demeure charismatique, christique. « A l’époque de la ‘Maison de Mon Rêve’, notre premier album, tout semblait évident, simple. C’était un rêve éveillé », explique Bianca. Aujourd’hui, CocoRosie est une formation populaire, presque un porte-drapeau générationnel. « Nous n’avons pas cherché à devenir des icônes ou un symbole quelconque. Si des gens se reconnaissent en nous, c’est une bonne chose. Mais nous n’avons jamais cherché cette reconnaissance. » Toujours est-il que le nouvel album des deux sœurs est attendu et sera entendu. Les sœurs Casady le savent et profitent de l’occasion pour habiller leur folk aux mélodies mutines de textes engagés. A ce titre, les paroles de ‘Japan’ sont illustratives : « Everyone wants to go to Iraq. But once they go, they don’t come back ». Quand on aborde le sujet, Bianca s’emballe : « Le fait de toucher un public plus large ne change en rien notre façon de travailler, de voir le monde. Notre réalité n’est pas forcément différente de la vôtre. L’art est un champ de liberté. Il faut le cultiver. » Toujours mystérieuse, elle repousse encore les limites de l’allégorie lorsqu’on aborde la photographie de Pierre et Gilles, illustrant la pochette de leur nouvel album. « Oh, c’est simple. Sur cette photo, nous apparaissons sous les traits des ‘jumelles sanglantes’ (NDR : The Bloody Twins). Là, évidement, elles sont mortes. On est donc au paradis et on navigue sur la voûte d’un arc-en-ciel. » Voilà bien longtemps qu’on n’avait plus entendu telle explication... Si l’univers du disque se vit comme une nébuleuse aventure mythologique, la musique de CocoRosie permet à l’auditeur de se rattacher à une certaine réalité. Car « The Adventures of Ghosthorse & Stillborn » regorge des subtilités d’usage : harpe miniature, jouets d'enfants, crépitements électroniques, guitare titubante, beats humains et timbres vocaux effarouchés. Petites nouveautés cependant : l’affirmation d’un goût immodéré pour l’opéra et l’accentuation d’un phrasé coulé dans le hip-hop. «  Tout ça n’est pas nouveau... Sierra a suivi des études de chant lyrique. D’ailleurs, elle est fan de Debussy et Fauré. Et nous avons toujours apprécié le hip-hop. Mais, au fond, ce n’est pas essentiel. L’important, c’est de continuer à créer, d’être en relation avec sa musique, de rechercher de nouvelles lignes d’expression et d’y trouver du plaisir. » Sur ce nouvel album, l’objectif semble atteint, tout comme le grand public. Un jour, peut-être, les deux filles seront les vedettes de vos plus belles émissions de divertissement. Ce jour-là, l’appellation ‘variété’ en sortira grandie. A coup sûr.


 

CocoRosie

Noah´s Ark

En l’espace de deux ans les sœurs Casady sont devenues les divas acid folk d’un revival qui sent bon le patchouli, et dont les ambassadeurs les plus médiatisés s’appellent Devendra Banhart, Vetiver, Joanna Newsom ou encore Espers. Lors de la sortie de leur premier album gentiment bucolique, « La Maison de Mon Rêve », on découvrait ainsi l’univers paradisiaque de CocoRosie, ces bruits champêtres, ces beats colombophiles, ces couleurs intimistes. Comme thèmes l’enfance et son jardin d’Eden, une certaine idée de l’animisme, des textes cryptiques évoquant la fin de l’innocence et un possible retour aux sources. Pour ce second album, les sœurs Sourire du folk à la Karen Dalton creusent évidemment le même sillon, puisqu’il plaît tant aux amateurs de ritournelles de chambre. On y entend donc le même bric-à-brac de cocoricos et de beatbox lunaire (Spleen au mic), de la harpe, du xylophone, du piano, enregistrés à la lueur rassurante d’une bougie, comme dans une peinture de Vermeer. S’il s’agit bel et bien de folk hippie (cfr Vashti Bunyan, Sandy Denny, Ann Briggs), on y décèle également, en filigrane, l’influence plus urbaine du hip hop à la Tribe Called Quest (le fameux « Daisy Age », tiens, d’où le rapport entre bitume et pâquerettes). Du hippie-hop ? En concert, les deux sœurs n’hésitent d’ailleurs pas à montrer leur passion pour le rap, toutes entourées qu’elles sont de breakdancers et de ‘human beatbox’… Il est certain que ce deuxième album plaira à tous ceux qui étaient tombés sous le charme de « La Maison de Mon Rêve. » Les autres resteront sans doute agacés par ces deux ‘soul sisters’ accoutrées comme des bergères sous amphés, qui miaulent et hululent sans se soucier des canons pop/rap/folk en vigueur… A noter la présence d’Antony (sans ses Johnsons) sur deux titres joliment troussés (« Beautiful Boyz » et « Bisounours »), et l’intervention téléphonique de Devendra Banhart (l’ami, l’amant) sur l’éthéré « Brazlian Sun ». Adorable, à condition d’aimer les animaux, la Castafiore, et de croire en un monde plus beau, enfantin, utopique. Ce serait donc ça, le fameux « Rêve » ?

 

CocoRosie

Le mythe du paradis perdu

Telles deux rescapées d'un monde où l'amour serait roi et l'inconscient une valeur politique, les sœurs Casady croient encore que notre civilisation peut être sauvée, par l'imagination. Un fantasme, une aberration, peu importe : leur musique est là pour panser nos plaies, laissées béantes à force d'être seulement soignées par notre vaine certitude. De qui, de quoi ? L'homme est trop sûr de lui-même, et c'est ce qui l'oblige, un jour, à ravaler sa fierté de travers et mourir, seul. Aucune rédemption possible ? Pour prévenir l'agonie on écoutera « Noah's Ark » et « La Maison de Mon Rêve » en boucle : c'est comme du yoga, en version 'folk hip(pie)-hop'. Hip hip hip hourra ?!? Et advienne que pourra. Mais qu'en pense Sierra Casasy, une des deux CocoRosie ?

En l'espace d'un an vous êtes devenues des stars de l'Internationale folk. Qu'est-ce qui explique selon vous cet intérêt soudain pour CocoRosie ?

Eh bien… La réalisation de notre premier disque (NDR : « La Maison de Mon Rêve ») a été  pour nous une surprise totale. Même en plein enregistrement, on avait du mal à imaginer sa concrétisation : qu'il atterrisse dans les mains du public, et même qu'il existe, tout simplement ! Il est arrivé si vite et de manière si spontanée que même une fois l'album terminé on se sentait… Comment dire… C'est comme s'il menait sa propre existence, sans l'aide de personne, comme s'il avait une âme. Et bien que je l'adore, j'étais très surprise que tant de gens y trouvent leur compte et s'y reconnaissent. C'est quelque chose que je peux très bien comprendre, mais pas expliquer ! Peut-être est-ce dû au fait qu'en ce moment l'humanité connaît une mauvaise passe et ressent le besoin de revenir à quelque chose de plus primal, d'originel, qui touche au plus profond de son être et de son cœur. C'est palpable en ce moment au niveau artistique. Ce retour aux sources, à l'état primitif. Peut-être peut-on même parler de spiritualité. En fin de compte on espère que notre musique est un acte d'amour, qui libère l'imagination.

C'est vrai que votre musique dégage beaucoup de spiritualité, et touche en cela notre conscience collective. Tous ces bruits du quotidien qu'on y décèle renvoient à la nature et aussi à l'enfance. C'est comme un retour aux origines, d'avant les remords et les désillusions de l'âge adulte.

Je pense que les enfants sont très innocents, et qu'à travers cette innocence ils s'avèrent capables d'embrasser le monde de manière quasi mystique. Quand ils racontent une histoire ils parviennent ainsi à révéler la vérité qui la sous-tend, sans tomber dans les préjugés et les préceptes sur lesquels bute l'adulte. Nous avons tellement de bagages, d'a priori et de frustrations… Je pense que les adultes ont peur, et c'est la raison pour laquelle on raconte nos histoires comme si nous étions restées des gosses, dans le but de révéler en même temps la lumière et les ténèbres.

Quand on écoute la musique CocoRosie, on se sent réconforté. Elle nous rappelle l'utérus, la quiétude amniotique, quand l'être humain s'avère encore intact, sans peurs et sans reproches.

(NDR : belle comme un soleil, elle sourit encore) Oui… Je ne sais pas… Il est difficile d'être objective tout le temps ! (NDR : elle rit) Mais je vois très bien ce que tu veux dire. L'important pour nous, en tant qu'artistes, c'est d'évoluer dans un espace qui déborde d'humanité. Nos histoires abordent ce sujet, sans trop d'arrière-pensées… L'humain, c'est l'essentiel.

Sur la pochette de « Noah's Ark » on peut voir des licornes, qui durant le Moyen-âge étaient le symbole de la pureté et de la virginité… Tout se tient !

(NDR : grand sourire.) Exactement ! On accorde beaucoup d'importance aux créatures mythologiques, et on adore les animaux ! Pour nous la mythologie s'apparente à une manière de vivre, à une sorte de médium qui permet la remise en question, la transformation, la recréation. C'est comme une renaissance.

Pourquoi l'une d'entre elles saigne ?

Elle pleure. Des larmes sacrées de tristesse. 

Mmm, quelles jolies bêtes ! Et les oiseaux, les chats, les chevaux,… On en entend plein sur vos deux disques ! Pourquoi donc ?

On aime les sons qu'ils produisent, c'est tout !

Avez-vous bossé différemment sur ce disque ?

Non, notre démarche s'est révélée plutôt similaire : on a pas mal improvisé, et fait confiance à notre troisième œil… La seule grande différence, c'est qu'au lieu d'avoir tout concentré dans une petite pièce, on a bossé partout, à tout instant. Comme on a beaucoup tourné ces derniers mois, on y réfléchissait aussi bien sur la route que backstage, quand on sentait que c'était le moment. C'est ça l'inspiration : elle peut aussi bien jaillir pendant la nuit dans une chambre d'hôtel qu'avant un concert, peu importe où l'on se trouve… Un peu comme les escargots, tu vois ? Qui portent leur maison sur leur dos ?

Euh… Oui, bien sûr ! Mais tous ces lieux de passage n'ont pas l'air de vous avoir tellement influencées : « Noah's Ark » ressemble fort à « La Maison de Mon Rêve », non ?

Oui, l'expérience reste avant tout très intime, et c'est ce qui est étrange : peu importe le fait qu'on voyageait tout le temps, on arrivait toujours à réinventer ces mondes de créativité et de musique dans lesquels on se sent si à l'aise… Même si partir en tournée s'avère un véritable challenge. Parce que c'est fatigant et qu'à un moment t'as envie de tuer tout le monde ! Nous avons vite réalisé qu'il était tout à fait possible de préserver notre propre univers… Grâce à notre imagination.

Cela signifie-t-il que rien ne peut vous émouvoir en-dehors de votre propre psyché ? Que la musique vous sert avant tout d'échappatoire ? Que vous ne ressentez aucune volonté de confrontation avec la société qui vous entoure ? 

Oui, définitivement. Quand nous sommes en plein processus de création, nous évitons d'être en contact avec notre environnement immédiat. Je pense que notre musique se suffit à elle-même mais qu'au final elle exprime quand même bien la façon dont on appréhende le monde, et comment celui-ci nous affecte. L'environnement qui nous entoure, on ne s'y intéresse pas de manière littérale : c'est bien plus profond, bien plus fort et authentique…. On parle ici de connexion avec nous-mêmes, avec les gens qui nous entourent, d'une façon plus imaginative, quasi surréelle. C'est comme si on était en contact avec notre propre subconscient, et peu importe s'il nous échappe, si on ne comprend pas ! Parce que même pour nous c'est un mystère… Mais c'est après, une fois que le travail est fini, qu'on peut tenter d'interpréter les histoires qu'on raconte, les sentiments qu'on ressent, à travers la musique, les mélodies et les paroles. Et par là y déceler nos opinions sur la politique ou le monde actuel… Tu saisis ? 

Il y aurait donc chez CocoRosie une grande part laissée à l'inconscient, d'où le titre de votre premier disque, « La Maison de Mon Rêve » ?

Absolument ! Et je pense que cette perspective n'a rien à voir avec une quelconque notion d'échappatoire. Pour moi c'est comme si au contraire nous étions en osmose avec le monde qui nous entoure, avec l'humanité, son histoire et ses cicatrices ; et ce quelle que soit l'importance accordée à nos rêves et à notre inconscient dans le processus créatif. 

Dans le livret du cd promo on peut lire que votre musique est 'connectée au passé, et vague à propos du futur'. Donc quoi ? Vous avez peur du futur ? La maison de vos rêves ne ressemble-t-elle pas, en fin de compte, à une prison dorée ?

(NDR : interloquée) Ce n'est pas ce qu'on a voulu dire ! Je n'étais même pas au courant ! Il est difficile de superviser tout ce qu'on écrit sur nous, il y a tellement de gens qui bossent pour CocoRosie… 

Tu n'es donc pas d'accord avec cette assertion ?

Je pense qu'il y a intégration de l'histoire dans notre musique, pour autant qu'elle nous affecte émotionnellement… Mais il est certain qu'on ne peut imaginer l'avenir, c'est quelque chose qui reste pour nous un mystère… Et c'est justement ce que nous chérissons ! 

Et que penses-tu de cette soi-disant nouvelle scène folk à laquelle on vous affilie, en compagnie de Devendra Banhart, d'Antony, de Vetiver, de Joanna Newsom, de Ben Chasny et j'en passe ?

A vrai dire on s'en fiche ! Elle ne nous dérange pas. On s'y est fait. Mais quand on lisait les premières reviews de « La Maison de Mon Rêve » on se sentait quand même offensées… En quoi notre art, dans tout ce qu'il symbolise de personnel, a-t-il à voir avec un 'genre' ? Ca n'a aucun sens ! Mais on s'y est habitué, et finalement c'est bien d'être comparées à des artistes qui sont avant tout des amis… »

Vous les connaissiez avant que le succès et la médiatisation n'arrivent ?

Devendra, c'est un vieux pote. Quant à Antony, nous sommes d'abord tombées amoureuses de sa musique avant de le connaître… 

C'est lui qui chante sur « Bisounours » ?

Non…

Ah bon, on dirait que c'est lui ! Il chante même en français.

Tu veux parler de Spleen ? (NDR : rappeur et 'human beatbox' français qui les accompagne sur disque et en tournée).

Ah, euh, c'est-à-dire non, je… Tu en es sûre ?

C'est moi !

Soit. Vous aimez donc la culture française ?

Cette culture est si poétique ! Et romantique, même si c'est cliché de le dire… On aime beaucoup Rimbaud, Jean Genet : leurs œuvres nous parlent, de façon spirituelle. 

Peux-tu m'en dire plus sur le titre de l'album, « Noah's Ark » ?

(NDR : soudainement, elle s'émeut et sa voix se fragilise) On tente de trouver le chemin qui nous mènera vers un monde nouveau… Vers une nouvelle vie. Notre monde touche à sa fin, tu ne crois pas ? 

Mmmm ?

Oui. Notre monde. Les gens.

Pourquoi poses-tu cette réflexion ?

Ne penses-tu pas que l'humanité agonise ? 

Yep, mais ce n'est pas nouveau. C'est ainsi depuis la nuit des temps, non ?

Oui, mais je pense qu'en ce moment c'est de pire en pire… 

L'humanité est en danger !

Oui… (NDR : de plus en plus émue, pensive). Il vrai que ce n'est pas nouveau. Le profit, le matérialisme, la corruption, l'obscurantisme,… Ces notions existent depuis toujours, elles vivent au cœur de notre humanité et sont très destructrices... Enfin bref… La mort est inhérente à l'humanité, et sur « Noah's Ark » on essaie de comprendre comment on en est arrivé là… L'Apocalypse approche ! C'est la raison pour laquelle il faut prendre le large, vers le nouveau monde…  (NDR : un ange passe)

L'arche du titre, c'est la passerelle qui relie l'ancien monde et le nouveau ?

Oui, c'est comme un pont entre ce monde-ci et celui de notre imagination. 

Tu penses donc qu'il est plus facile de capitaliser sur notre imagination, sur nos mondes intérieurs, plutôt que sur le monde dans lequel on vit ? Si on suit ton avis, on n'est pas dans la merde !

Bon, je suis sûre que les gens peuvent changer… Et je pense qu'il est très important de croire en ses rêves et en ses idéaux, parce qu'ils révèlent ton identité. C'est le mythe auquel il est nécessaire de croire, et il se passe ici, maintenant ! Il n'a donc rien à voir avec le fait de fuir notre monde : il faut juste parvenir à vivre à fond son propre mythe personnel, tant qu'il est encore temps !

CocoRosie

La Maison de mon rêve

Deux sœurs d’origine new-yorkaise, Bianca et Sierra, se perdent de vue. Elles se retrouvent à Paris, où l’une d’elles a déménagé. Pour fêter ces retrouvailles, elles décident de faire un disque avec les moyens du bord : une guitare acoustique, un séquenceur, et pour la rythmique un pote francophile assez fortiche question beatbox. L’une a étudié l’opéra : elle chante comme la Castafiore, mais pas trop fort, pour ne pas déranger les voisins. L’autre susurre elle aussi, mais comme un chat qu’on étrangle : peut-être que ses cordes vocales ont été coincées, un jour, dans un piège à souris… De temps à autre, retentit comme un coco(rico) : plus qu’une « Maison de rêve », ce disque est une vraie « Ferme des animaux »… Etrange tableau, comme si Chan Marshall et Vashti Bunyan étaient enfermées avec Björk dans une vieille baraque pourrie au fin fond du Gers, autorisant pour seule compagnie trois cochons et cinq poules. But du jeu : faire un disque. Comme sur TF1. Mais qu’il n’y ait pas de malentendu, surtout : « La Maison de mon rêve » est un grand disque de folk rural, de lo-fi campagnard, plein de bruits du quotidien et d’échos surréels. Que ces deux sœurs soient saines d’esprit (ne snifferaient-elles pas de la colle à bois au fond de l’étable ?), c’est encore autre chose. Des drôles de cocos, c’est sûr. Un conseil, donc : réfléchir à deux fois avant de frapper à leur porte. Il y a des visites auxquelles il vaut mieux bien se préparer.

CocoRosie

Un rêve aphrodisiaque...

Après de longs et pénibles détours pour trouver la salle, toujours aussi profondément enfouie dans le fin fond du Nord de la France, quelle joie d'apprendre qu'en première partie de Cocorosie et de Devendra Banhart jouait notre vieil ami Jeffrey Lewis ! Pour rappel : l'antifolk, les comics, tout le bazar, en direct de New York, bref un bon petit apéro à cette soirée placée sous le signe du folk hybride et déjanté, tendance Incredible String Band et Linda Perhacs. Il y a du monde au bar, mais Jeffrey et son frère n'en ont cure : ils balancent la sauce et parviennent même à séduire un public pas conquis d'avance (rappel : nous sommes en France – c'est tellement vrai que ça rime, ndr). Grâce à son bagout post-pubère et sa coupe de cheveux complètement ridicule, Jeffrey le bienheureux nous aura rappelé qu'il ne faut ni savoir chanter ni savoir jouer pour donner des concerts (et des bons, en plus). Poète beatnik au verbe acidulé mais drôle (Réf. : Chester Brown, Joe Matt, loosers magnifiques de la BD nord-américaine), Jeffrey Lewis était présent ce soir par surprise, et c'était plutôt une bonne nouvelle.

Mais déjà les sœurs Sourire du revival psyché-folk débarquent avec leurs camions jouets et leur beatbox humaine, un black francophile ayant la triste tendance à parodier MC Solaar, lui-même étant déjà une belle grosse blague (même pas belge, en plus). Mais dès que les sœurs Coco et Rosie (à moins que ce ne soit le contraire ?) commencent à chanter, là c'est le bonheur. Nous sommes dans la Maison de Leur Rêve, à prendre le thé avec une jouvencelle en robe XIXe. Elle nous sourit de sa bouche féline, et entame son chant de sirène : charmés dès les premières roucoulades veloutées qui se glissent en travers de ses lèvres, nous ne pouvons que lui demander encore un peu, euh… oui…, de cet aphrodisiaque sucré. Heureux en amour, malheureux au jeu ? Il en vaut pourtant la chandelle. Et dans cette ambiance on se croirait au grenier, à fricoter sous les bougies, dans le silence interdit d'un rendez-vous coquin. Au début la belle se veut chaste, n'osant murmurer à nos oreilles qu'un souffle léger à faire frémir notre braguette, mais très vite elle se détend, tandis que l'autre, manque d'exploser sous la pression. C'est dans un râle de plaisir que cette histoire aurait dû se conclure. Des gens tapent des mains, à la porte de la Maison : notre union se consume, il est temps de rallumer.

Et d'aller chercher une bière, pour se rafraîchir les idées. Le temps qu'il faut à Coco et Rosie de remballer leur bric-à-brac, pour laisser la place au génie folk de ce siècle nouveau, « the revelation of the year », le gentil gourou du finger picking au poil pachydermique, la réincarnation en éphèbe tatoué de Vashti Bunyan, le plus beau spécimen de 'music freak' en captivité sur cette planète : Devendra Banhart. Fort de deux albums magnifiques sortis en l'espace de six mois (« Rejoicing in the Hands » - album de l'année - et « Nino Rojo »), Devendra Banhart peut se targuer aujourd'hui, chers terriens, d'être l'élu envoyé par le Saint Verbe Acoustique pour nous sauver de la perdition et de la surdité marketée. Ouvrons les yeux, et surtout les oreilles : ce type au look de bédouin white trash shooté à la lavande pourrait bien être notre salut, notre épée de Damoclès face à la médiocrité qui nous assaille tous les jours sur la bande FM. Et comme un beau Jésus, Banhart a invité ses apôtres. Des types aussi barbus que lui (du groupe Vetiver), parce que c'est dans la barbe que crèchent la force et la jeunesse (écouter « This Beard », et pleurer). Sauf que les apôtres parfois se mettent à déconner (rappelez-vous les trois cris du coq – comme chez Coco Rosie d'ailleurs), et c'est Jésus qui trinque. En bref on avait adoré Devendra Banhart en solo ('Mirage au Pukkelpop : des individus en short baggy couverts de boue affirment avoir vu le Christ'), mais entouré d'une bande de saoulards qui auraient bu tout le pinard à la messe, notre sauveur aura bien eu du mal cette fois à prêcher sa bonne parole. Imaginez La Compagnie Créole reprenant Bob Dylan entre deux culs secs au vin rouge (qui a crié 'Judas !' ?) : l'hostie, tout de suite, reste en travers de la gorge. Evidemment, quand en plus c'était - semblait-il - la dernière date de la tournée européenne de Devendra Banhart, on pouvait s'attendre comme de coutume à de longues jams entre musiciens défoncés jusqu'à l'os. A la fin, donc, c'était la fête sur Cène (avec Jeffrey, Coco, Rosie et tout le cirque), mais moins dans la salle : qui aura vraiment tenu jusqu'au bout ? Les derniers seront-ils toujours les premiers ? Qui a lancé la première pierre ? Sans doute que cette soirée restera pour beaucoup un mystère.