Les questions bouillonnent à l’approche d’une rencontre pour ‘remettre les points sur les i’. On ne peut que vouloir comprendre les critiques assassines, assénées sans répit par Pitchfork, aux quatre Californiens, depuis leurs débuts. A travers leurs langues de vipère, elles résonnent, cinglantes et sans appel. Les Cold War Kids ne feraient donc que du ‘pastiche poli qui insulte l’intelligence des amateurs d’indie-rock’ ? Du son de ‘boy-scout’ ? Du ‘storytelling superficiel’ ? Il y a de quoi s’étonner d’une telle hargne alors que les autres avaient encensé –avec raison– « Robbers and Cowards » (2007) et préludaient un avenir tout aussi radieux à « Loyalty to loyalty » ; surtout que ce nouvel album, derrière des mélodies en apparence moins indélébiles et plus décousues, dévoile en profondeur un ton plus mûr et décomplexé. Certes, il faut aimer encore et toujours cette voix poussée à l’extrême dans les aigus; s’accommoder de cette allure brouillonne et chiffonnée, de ce côté touche-à-tout de l’accent blues du terroir, de ce riff de rock crasseux. Mais quand on dit pleinement ‘oui’, l’énergie devient carrément contagieuse et les refrains se vident de leur contenu pour imposer leurs formes, bousculer les endormis, rappeler à la vie. Impressions recueillies auprès du chanteur/pianiste/guitariste Nathan Whillet et du bassiste Matt Maust.
Le patronyme ‘Cold War Kids’ s’inspire de ton website ?
Nathan Willett : oui, je me suis occupé d’un website pendant quelques années. Il permettait à mes proches d’exprimer toutes les formes de leurs expressions artistiques. Comme le contenu était alimenté par cet éventail aussi large de collaborateurs, tous les membres du groupe s e sont identifiés, comme lieu de création. Une idée traduite en création ‘collective’.
J’ai l’impression que l’atmosphère du premier album était plus uniforme, alors que « Loyalty to loyalty » se révèle plus éclectique ? Intentionnel ?
N. : Ce n’est pas étonnant, car on a enregistré ce deuxième album dans plusieurs pièces. Ce qui explique pourquoi les morceaux sonnent différemment. Après réflexion, ce n’est pas un hasard si on a opté pour cette formule, car c’est vraiment le chemin qu’on voulait emprunter. A l’instar des Clash, dont le répertoire propose des compos très différentes les unes des autres. Et disons que pour notre second cd, nous avons accompli un petit pas dans cette direction.
Cherchez à appliquer d’autres principes à vos compositions ?
N. : oui. On estime qu’il existe une différence fondamentale entre les groupes qui ‘sont’ leur son et ceux qui sont beaucoup plus grands que leur album, pour le meilleur et pour le pire. Pour ces derniers, c’est l’image qu’on leur attribue ou leur manière de la projeter qui détermine si sa musique est consistante et intéressante. Prend par exemple Neil Young et Tom Waits. Ils enregistrent des albums. Mais ils ont une manière très personnelle de jouer. Surtout sur scène où ils sonnent complètement différent. Aucun des morceaux interprétés en ‘live’ ne ressemble à ceux figurant sur leurs disques. Parce que ces compos on grandi, ont été interprétées. Celles de Tom Waits, des dizaines de personnes, au cours des dix dernières années, les ont adaptées. Mais ces versions n’atteignent pas le phénomène Tom Waits, car son personnage est beaucoup plus fort que ses albums. Et nous, on serait plutôt enclin à adopter une philosophie similaire. Une chose est sûre, vu la manière dont le public parle de nous, nous serions davantage un ‘live band’ qu’un groupe de studio. Sur scène, les morceaux interprétés sont parfois totalement différents de ceux proposés en studio. Certains apprécient, d’autres pas du tout. Mais ce n’est guère important pour nous. Notre ‘live show’ tient la route et c’est un atout important si on souhaite que notre musique grandisse et devienne plus ‘mature’.
Qu’avez-vous évité de reproduire sur ce deuxième opus ?
N. : Notre premier était plus serré, plus dense. Il y avait plus de basse et de batterie.
Matt Maust : en fait, pour le second, on a voulu que les compos respirent davantage, que l’ensemble soit plus aéré.
J’étais surprise de lire à la fois de très bonnes critiques, mais aussi, comme celle émise par Pitchfork, d’autres qui vous descendent carrément. Avez-vous une explication ?
N. : il existe différente causes à ce phénomène. Parce que lorsqu’on est ambitieux, et je pense à un groupe comme les Clash ou à des formations qui sont ‘plus grandes que leur nom’, le public a une réaction plus tranchée. On est pour ou contre. Et puis, on a tellement polarisé son attention depuis longtemps que sans s’en rendre compte on a placé la barre rapidement très haute. Tout dépend de la manière dont les individus découvrent un groupe. En ce qui nous concerne, nous avons été essentiellement révélés par nos concerts et internet. Et c’est totalement différent de quelqu’un qui découvre un groupe par lui-même ou par l’intermédiaire d’un ami. Parce que tu as peut-être moins d’attente. C’est une règle pour tous les groupes ; mais en ce qui nous concerne, cette situation a provoqué une bipolarisation entre ‘ceux qui nous aiment’ et ‘ceux qui ne nous aiment pas’. Alors que lorsque tu entames ta carrière –un acteur, un chanteur– tu voudrais que tout le monde t’aime. C’est même un objectif ! Pourtant quand on a réalisé que l’avis du public était si tranché à notre égard, on en a conclu qu’il avait quelque chose de positif ; car il oblige les gens à avoir une position franche par rapport à ta musique.
Mais revenons à Pitchfork. Leur critique est aussi très contradictoire. Elle attaque beaucoup vos références religieuses. On se demande même si ce n’est pas un règlement de compte personnel !
N. : Nos textes se rapportent souvent à de simples références à la musique pop. Des références qu’on adore. De Bob Dylan à Tom Waits en passant par Leonard Cohen. Il y a toujours un sens spirituel chez ces artistes. Leurs morceaux abordent des thèmes sérieux et fondamentaux. Mais enfermer notre musique au sein d’un concept religieux est très réducteur. Cette réaction s’écarte réellement de la véritable nature de notre musique. Car elle n’est pas religieuse. Elle reflète simplement un éventail de styles que nous aimons. Mais franchement, on s’en fout de ces réflexions, non ? Enfin, les médias, tu sais…
M. : On ne voulait pas édicter un quelconque dogme religieux, mais rappeler quelques principes fondamentaux de la morale. Car aujourd’hui, elle est tellement bafouée. Ou même tout simplement oubliée. Quels groupes s’en soucient encore ? On voulait aborder des sujets un peu plus profonds. Le discours de notre deuxième album a été stéréotypé. Un exemple ? Nous avons osé décréter que boire 73 bières en une nuit, n’était pas vraiment une bonne idée… Cependant, il y a un message un peu plus profond là derrière.
N. : Ces médias prennent leurs cibles pour des idiots. Mais ce sont leurs jugements qui sont stupides. Ils ne se rendent pas compte que n’importe quel bon groupe véhicule des idées intelligentes. J’en reviens au Clash. Leurs messages étaient parfaitement négociés. Et c’est ce que les gens attendent ! Sauf peut-être les ados. Mais toutes les autres générations confondues préfèrent écouter des lyrics qui ont du sens. Autre chose que ces textes qui invitent juste à faire la fête, à prendre du bon temps, parlent de ‘fun’ et de sexe. Et il est dommage que lorsque tu essaies de trouver une alternative, les médias ricanent derrière toi…