Ce jeudi 8 septembre 2011, dans un studio 4 (l'une des salles de Flagey) bien rempli, le groupe anversois Dez Mona et quelques musiciens du collectif BOX (Baroque Orchestration X) donnaient la première représentation de leur opéra "Sága". Organisée par le Klara Festival 2011, dont le thème est "Imagine Paradise", la soirée s'inscrivait dans une programmation de musique classique.
Une jeune femme présente la soirée : Sága est le nom d'une déesse des pays nordiques, gardienne des contes et légendes. C'est un opéra, mais il n'y aura pas de personnages ou de fil conducteur, ni une histoire qui commence et finit. En réalité, on le découvrira, il s'agit d'un concert comportant une scénographie nécessitant des costumes, mais pas d'un opéra.
Le public s'installe dans la salle –un théâtre garni de sièges moelleux disposés en plusieurs étages de balcons– et les artistes ne se font pas plus attendre pour débuter le concert.
Six musiciens entrent en scène, pieds nus, vêtus de longues jupes grises et de chemises blanches, et entament une composition épique et mélancolique. Le contrebassiste Nicolas Rombouts et l'accordéoniste Roel Van Camp (de Dez Mona) sont accompagnés de quatre membres du projet BOX : Jutta Troch à la harpe, Pieter Theuns au théorbe (sorte de grand luth italien à double manche) et au carillon à tubes, Piete Vandeveire à la viole, Tijs Delbeke au clavecin, au violon, à la guitare ainsi qu’au trombone.
Une sobre installation lumineuse compose le décor. Un rond de lumière blanche tombe à la verticale sur la tête des musiciens, créant une atmosphère monacale, climat renforcé par la grande barbe noire du contrebassiste et par l'austérité qui règne dans la salle.
Après une délicate introduction, Grégory Frateur (le chanteur de Dez Mona) fait son apparition.
Sa voix perce le vide, d'une amplitude remarquable et d'une texture inimitable. Le chant, en anglais, est expressionniste, et les gestes l'accompagnent. Frateur ressemble à un crooner, tignasse bouclée qui retombe en banane décoiffée, le corps tout secoué à chaque inflexion.
Les ambiances rock et blues se mêlent au répertoire baroque, par le mariage audacieux des instruments issus d'univers éloignés. Le carillon à tubes (structure à laquelle sont suspendus des tubes, qui provoque une belle image lorsqu'il est frappé au marteau par la harpiste en dos nu) évoque le son des cloches, tandis qu'un tambour insuffle de la gravité aux morceaux.
Au beau milieu d'un titre, un silence est jeté, un silence très long qui suspend le public, incrédule.
La scénographie s'est métamorphosée, un champ de lumières s'est insensiblement allumé derrière les musiciens qui semblent alors flotter dans un cosmos végétal. Les loupiotes évoquent aussi des cierges disséminés dans l'espace, monastère d'un autre temps, d'une autre dimension.
En plein centre du mur frontal, une série de cercles concentriques et irréguliers se sont eux aussi allumés, tel un œil divin surveillant l'assistance ou un trou noir, c'est selon.
Pour qui connaît Dez Mona, et l'aime pour son côté sombre, le concert tourne un peu trop dans cette ambiance féérique et paradisiaque. Grégory Frateur ne se trahit pourtant pas, on retrouve ses cris profonds et ses vibratos aigus.
C'est finalement dans le dénuement que la musique est la plus intense, lorsque le duo accordéon voix se permet une incartade. Ou lorsque les cordes (viole, violon, contrebasse, théorbe) dialoguent entre elles. Quand tout le monde chante en chœur, c'est une scène pastorale aux notes trop attendues, déjà entendues. Ca sent la rédemption, ça goûte le nuage. De même, lorsque le violoniste se met à chanter, sa voix pop a du mal à faire écho à la voix de Grégory Frateur, si pleine d'émotions.
L'assistance y est peut-être pour quelque chose dans cette trop sage atmosphère.... Ou bien sont-ce les voix qui forment un chœur harmonique et harmonieux, alors que justement, ce sont justement les dissonances et la tension à la limite de la fausse note, que l'on aime chez Dez Mona.
Le public applaudit entre chaque morceau, mais pas une tête ne bouge, pas un corps n'essaie de se balancer sur les fauteuils molletonnés (certains même se sont assoupis). On n'est pas à un concert de rock, mais tout de même.... tout cela manque un peu de ‘lâcher prise’, de spontanéité. C'est beau, mais finalement au paradis, peut être s'ennuie-t-on un peu.
Dez Mona + BOX