A pas de velours, la musique des Tindersticks prend corps le temps de quelques soirées d’exception à travers le monde, grâce aux images de Claire Denis (juste renvoi d’ascenseur, puisque l'inverse est vrai au cinéma depuis 1996). Si les compositions de Stuart Staples et des siens marient pour le meilleur et jamais le pire la filmographie de cette dernière depuis quinze années maintenant, ce n’est pas un hasard. Sorte de communion solennelle des sens et des sons, l’union sacrée entre ce groupe de classe et la réalisatrice française se fait charnelle et douloureuse, triste et passionnée, sensible et tumultueuse. L’interprétation live captivant les sens tandis que les images déclinées en patchwork illustrent les notes qui elles-mêmes renvoient aux images.
Ce jeudi, Bruxelles jouissait à son tour de cet immense privilège, après Istanbul, Paris, Londres ou encore San Francisco.
Aperçu d’une soirée en seize neuvième.
S’invitant dans les plus belles salles pour ces représentations hors-cadre, les Tindersticks découvrent ce soir le Palais des Beaux Arts, dans le cadre de la neuvième édition du Brussel Film Festival.
En ce lieu élégant et quelque peu daté, seyant parfaitement à la musique des Anglais, les spectateurs, peu habitués à ce type de cadre, savourent l’atmosphère théâtrale. Elle emplit le microcosme avant que les lumières ne s’effacent. Sous les applaudissements se découpent alors les huit silhouettes du groupe sur la toile blanche qui ce soir, leur servira de tremplin. Absorbée par les images de « Nénette et Boni » et baignant dans les reflets aquatiques de cette scène miroitante de la piscine, doucement, la bande son prend possession de l’espace. Pour ne plus s’en défaire, jusqu’à la dernière note, suspendue quelque part dans l'infini.
Défilent sur la toile: trains à destination de l'abandon, chevaux lancés à bride abattue, dans la virginité opaque de campagnes enneigées ou paysages d'Afrique à la terre rouge sang.
Se succèdent, scènes chagrines ou sensuelles, tantôt bercées, tantôt malmenées ou encore transfigurées par la sublime musique de ces ombres se dessinant en contrebas de l'immense écran.
Violence et tourments, personnages en perdition, amour, haine et sexe se côtoient ainsi dans une orgie fantasmagorique dont la bande son illustre avec brio chaque imperceptible mouvement. La flûte traverse hier, le mélodica s’appuie sur deux mains, et le violon scelle son destin.
Alors que les dialogues se décalquent sur les nuances tissées au fur et mesure, le temps s'arrête, happé par cette ambiance feutrée.
Quand plus de septante minutes plus tard, en guise de remerciements, le groupe offre deux titres en rappel, dont l'incontournable "Tiny Tears", le voile se lève sur ce concert événement qui situe un peu plus les Tindersticks dans la sphère de ces groupes précieux considérés comme indéfinissables et dont la trempe n'a d'égal.
Standing ovation et saluts théâtraux clôturent cette bien belle soirée contrastant drastiquement avec la dernière fois que j'avais pu assister à un de leurs sets.
C'était à Eindhoven, l'an passé et après une trentaine de minutes, le concert s'était achevé prématurément, Stuart Staples tournant les talons à un public irrespectueux et à la langue trop bien pendue.
Et oui, les Tindersticks jouent une musique qui s’écoute, mais comme aujourd’hui, se regarde aussi.
Organisation: Bozar