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Ugly Kid Joe

Fini de glander !

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Ugly Kid Joe n’a certainement pas traîné en chemin. Il vient de publier « As Ugly As They Wanna B », un mini-album et « America's Least Wanted », un long playing normal (mais y a-t-il quoi que ce soit de normal chez ces types?), en une seule année. Deux disques qui ont suffi pour transformer ces ‘american rigolos’, en impressionnants représentants d'une toute nouvelle excitation métallique de première qualité.

Ces Ugly Kids (de vrais mariolles!) débordent d'énergie (le véritable cirque auquel on a pu assister dans les coulisses, avant leur set, n’était vraiment pas triste). Parfois grossier, leur humour les fait beaucoup rire. Et ils sont capables d’écrire de bonnes chansons comme « Neighbor », « Everything About You », « Cats ln The Cradle » ou un « Sweet Home Alabama » plombé à souhait. Bref, le groupe est promis à un bel avenir… C’est Dave Fortman, le guitariste qui a répondu à nos questions, d’un air faussement détaché…

Ce succès ravit ma mère. Quand je lui ai dit, il y a quelques années, que je voulais vivre de la musique, elle s'est fait beaucoup de mauvais sang. Elle craignait que je devienne clochard. Aujourd’hui, quand elle me voit à la télé, elle est fière.

Justement, votre réussite a été rapide. A tel point qu'elle vous a rendus suspects aux yeux de pas mal de gens, qui voyaient en vous un produit du business américain de plus...

Han han, j'ai lu ces articles. Mais les gens qui ont écrit ces conneries ne nous connaissent pas ; ils nous jugent à partir de paramètres qu'ils ne maîtrisent pas. C'est pas très logique. Nous n’avons aucune excuse à faire valoir, mais, je peux te dire que nous ne devons rien à personne. Notre seule préoccupation est de nous payer une tranche de bon temps, et d'en offrir une à ceux qui viennent nous voir. Pour le reste, basta! On n'est vraiment pas du genre à se casser la tête et à monter des plans. On sait que nos disques se vendent bien, mais on ne connaît pas les chiffres ; et, honnêtement, on s'en fout! Bien sûr, on parlera sans doute différemment quand on n'en vendra plus aucun. Ugly Kid Joe, pour nous tous, c'est une source de plaisir, une party continuelle, une jam permanente. Il y a quelques mois, je glandais, plus ou moins... Aujourd'hui je joue dans toute l'Europe devant des dizaines de milliers de gens, c'est ça le miracle!

Pressés par le temps et vu le ‘boom’ dont a bénéficié le groupe, vous avez enregistré votre album très rapidement. Aurait-il été très différent si vous aviez pris le temps?

Sans doute, mais ce n'était pas nécessaire. Nous sommes un groupe nature, vrai, simple et direct. Pas besoin de passer des années en studio comme... heu... Def Leppard pour sortir un bon disque. Evidemment, chacun fait comme il veut. Nous, on est des types nets et spontanés et notre musique nous ressemble. On éprouvera peut-être le besoin, plus tard, de travailler plus nos chansons, c'est possible. On verra bien.

Quelle est ta définition d’une bonne chanson?

Quelques minutes de musique qui parviennent à faire vibrer, c'est tout. Le reste, c'est de la littérature. On est tous très éclectiques, dans la formation. Perso, j'écoute des tas de vieux groupes, comme Lynyrd Skynyrd ou les Allman Brothers autant que des guitaristes de la nouvelle génération. J'adorais Randy Rhoads, j'aime beaucoup le jeu de George Lynch. Quand j'écoute Lynyrd ou Lynch, je ressens la même excitation. Donc pour moi, ils sont aussi bons les uns que les autres! Je ne me torture pas la tête et j’en conclus que les gens nous ont bien compris s'ils ont cette attitude à notre égard.

Quel est selon toi, le meilleur groupe de rock au monde?

Mec, le rock a les épaules suffisamment larges pour pouvoir porter un tas de gens sur son dos. Il n'y a pas de meilleur groupe de rock du monde. Par contre, il en existe beaucoup de bons. Je ne suis pas partisan des restrictions et des privilèges. Que chacun prenne un maximum de fun tant qu'il est sur terre et tant mieux si dix mille groupes de rock l'y aident!

(Article paru dans le n° 14 du magazine Mofo de juin 1993)

 

 

Peter Astor

Concrétiser ses propres idées…

Écrit par

Poète introverti, cet ex leader de Loft, puis de Weather Prophets a décidé de faire cavalier seul en 1989. Depuis, il nous a livré quatre albums différents, "Submarine", "Zoo", "Paradise", et aujourd'hui "God and other short stories". En évolution constante, puisque de la morosité et de l'intimisme, il est parvenu aujourd'hui  à traduire ses émotions sous une forme de pop plus optimiste. Rencontre avec un Peter Astor détendu, souriant, décidé à faire table rase du passé, et surtout très satisfait de son dernier disque, pour lequel nous avons voulu tout savoir. Ou presque! 

Avais-tu l'intention, dès ta plus tendre enfance, de devenir un artiste? As-tu suivi des études en conséquence? Que ferais-tu si tu n'étais pas musicien?

A l'âge de onze ans, je rêvais de devenir un footballeur célèbre. Sinon, je passais mon temps à jouer avec des petits soldats ou à assembler des modules de tanks. J'ai terminé un cycle d'études consacré à la littérature anglaise. J'étais à la fois intéressé et motivé, parce que j'y ai gagné plus d'argent que lorsque je suis devenu chômeur! En Grande Bretagne, le chômage est un grave problème. La plupart des musiciens ont connu cette situation difficile à leurs débuts. Si je n'étais pas devenu musicien, je ressemblerais à ces bâtards qui, pour oublier leur condition misérable, se saoulent la gueule toute la journée dans un bar, en espérant une hypothétique providence...

Avant d'entreprendre une carrière solo, tu as joué au sein de Loft et des Weather Prophets. A quelle formule donnes-tu la préférence?

A celle que je mène pour l'instant. Cela me paraît le choix le plus honnête, le plus adapté à ma sensibilité. Prends l'exemple d'Andrew Eldritch, il a conservé le patronyme Sisters of Mercy, alors qu'il est devenu le seul maître à bord. Et il y en a beaucoup d'autres dans le cas. J'estime qu'il est plus correct de jouer sous son propre nom lorsque tu es seul responsable de la création. Faire partie d'un groupe, c'est apprendre à vivre ensemble, à faire des concessions, des compromis. Parfois, tu te rends compte que tu fais fausse route, mais tu n'oses pas l'exprimer de peur d'exacerber les susceptibilités. Attention, cette aventure est enrichissante, mais elle ne correspond pas à ma nature. J'ai choisi délibérément de poursuivre une carrière individuelle, et j'en suis très heureux. Ce qui n'exclut pas la participation de collaborateurs sur scène et sur vinyle. Mais je ne tiens plus à appartenir à un groupe, car je n'aurai plus le sentiment d'interpréter ma propre création, de concrétiser mes propres idées.

Est-ce que tu reprends parfois des chansons de Loft et de Weather Prophets en concert?

Quelques unes. Mais pas trop! Mais cela n'a guère d'importance... (NDR : il a l'air embarrassé). Ce serait trop ennuyeux d'interpréter ces vieux morceaux. En fait, je me limite à l'une ou l'autre chanson de Loft ou des Prophets. Des faces ‘B’ de singles méconnus. Le reste ne m'intéresse plus. Je préfère me consacrer au nouveau répertoire!

Comment s'est déroulé l'enregistrement de ton dernier album? Es-tu satisfait du résultat?

Il a fallu deux mois et demi pour le terminer. Je dois avouer que son enregistrement n'a pas été facile. J'y ai travaillé très dur. J'ai voulu tirer un maximum de moi-même, et j'ai fait preuve de la plus grande sévérité quant au choix des morceaux. Mais je suis content du résultat. Maintenant, ne me demandes pas d'analyser ma propre création, c'est un peu comme si tu devais décrire ta propre maison, alors que tu l'occupes depuis plusieurs années. Disons qu'il est plus optimiste, plus pop, par rapport à ce que j'ai réalisé jusqu'à présent...

Moins dramatique que "Submarine"?

Absolument! "Submarine" développait des thèmes très sérieux, réalistes même. "God and Other Short Stories" se veut plus positif. Et je suis enchanté que tu l'aies compris dans ce sens.

Est-ce que Dieu est plus important que les autres petites histoires?

Non! Que veux-tu dire par là?

Que représente Dieu dans la vie et dans l'œuvre de Peter Astor?

C'est une question difficile. C'est un peu comme si tu me demandais le chemin qui mène au ciel, alors que j'ai égaré le plan...

Tu crois en Dieu? A la religion?

Non! Je voudrais bien, mais non!

"God and Other Short Stories", c'est seulement un titre?

Oui! Un titre ironique...

Sur ce disque, de nombreuses plages relatent des histoires qui se déroulent le week-end. Est-ce une nouvelle fascination pour Peter Astor?

Pas seulement les week-ends! En fait, après avoir enregistré les chansons de cet album, je me suis rendu compte qu'il y en avait une qui concernait le mercredi, une autre le jeudi, etc. jusqu'au dimanche. Et je me suis dit qu'il serait intéressant de les aligner sur le Cd. Mais au départ, ce n'était pas du tout intentionnel.

A quoi accordes-tu le plus d'importance, aux paroles ou à la musique?

Aux deux! La conjugaison des deux éléments est très importante. Une bonne chanson ne se limite pas à de bons mots!

Es-tu d'un naturel pessimiste?

C'est relatif. Je suis un romantique, et cette sensibilité imprègne mes chansons. Mais je ne suis pas un pessimiste. Pas toujours quoi! Disons que je trouve de la beauté dans la tristesse. Cela donne une signification à la poésie. Je ne suis d'ailleurs pas le seul artiste à y puiser l'inspiration...

Romantique, cela fait très conservateur britannique! Pourtant, tu ne portes pas de chapeau-melon?

Conservateur? Certainement pas dans le domaine de la politique! Traditionnel? C'est très relatif. Peut-être parce que je critique tous ceux qui détruisent l'environnement ou ces nihilistes qui foutent la merde partout. Mais aussi marginal parce que j'aime toutes les formes d'art contemporain, et que je suis tolérant en matière de sexualité. On ne peut donc dire que je sois un véritable conservateur...

Au cours de ton adolescence, tu appréciais tout particulièrement Patti Smith, Television et le Velvet Underground. Que penses-tu du dernier album de Television?  De la reformation du Velvet?

Je n'aime pas du tout le dernier Cd de Television. Il se limite à des riffs de guitares, et pas très subtils en plus! Il ne recèle aucune bonne chanson. L'aura de Television appartient au passé! Le Velvet? Sterling Morrison a sans doute besoin de fric. Pas les autres, je suppose. Lou Reed est devenu le personnage le plus pompeux et le plus ennuyeux du monde musical. Il n'a plus aucun talent et je ne parviens pas à comprendre comment il parvient encore à avoir du succès. "New-York" était son chef-d’œuvre. Le reste n’est que détritus. "Magic & Loss" ne mérite même pas les immondices. Il est dégoûtant! Je n'ai jamais rien entendu d'aussi mauvais! John Cale? Au cours des seventies, il a beaucoup apporté à la musique underground. Depuis, à ma connaissance, il n'a plus fait grand chose d'intéressant. Cette reformation n'est motivée que par l'appât du gain. A moins qu'elle ne soit destinée à leur procurer de la compagnie (rires). Je hais ce style de reformation. Tout comme celle des Buzzcocks. Elles sont totalement ridicules.

La presse rock te rapproche souvent de Nick Drake. Comment réagis-tu à ces comparaisons? Ce personnage est-il si important pour Peter Astor?

Ce n'est pas parce que j'apprécie l'œuvre de Nick Drake qu'il faut nécessairement me comparer à lui. Il est mort! Alors, je préfère être comparé à des artistes comme Metallica, Nirvana, Screamin' Trees ou Babes In Toyland. Au moins eux sont toujours vivants...

(Interview parue dans le n°13 du magazine Mofo de mai 1993)

 

That Petrol Emotion

Libres de contrat!

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Bâti sur les cendres des Undertones par les frères O'Neill, That Petrol Emotion a toujours été un favori des critiques, mais a constamment rencontré des difficultés auprès des firmes de disques. Leur dernière en date, Virgin, les a virés. Ce qui a convaincu le groupe de continuer désormais sur leur propre label ‘Koogat’ (en licence sur New Rose en France et chez Play It Again Sam en Belgique). Les membres du groupe irlandais qui ont bien géré le départ de Sean O'Neill, leur guitariste et principal compositeur, semblent animés d'une foi inébranlable! Sur « Fireproof », leur nouvel album, ils ont même intitulé un morceau « Last of the true believers » ! Explications en compagnie de Steve Mack, le chanteur, américain lui...

Difficile à croire, hein? De toute façon, notre but a toujours été de sortir plus de disques que les Undertones. Aujourd'hui, c'est fait! Le nouveau est arrogant. C'est une sorte de grand ‘Fuck You’ adressé à l'industrie du disque, aux grosses compagnies. Vous ne nous aimez pas? On s'en fout! On est un grand groupe, quoi que vous pensiez...

N'était-ce pas quand même traumatisant de se faire jeter par Virgin, votre firme de disques ? Vous avez songé à vous séparer ?

Oh oui. Spécialement l'été dernier, j'étais retourné à Seattle –d'où je suis originaire– pour voir des amis et de la famille. C'est à ce moment-là que Virgin nous sacqués. 'Libres de contrat!’ On s'y attendait et c'était plutôt une bonne nouvelle pour chacun de nous. Seulement voilà, moi, je suis resté deux semaines de plus que prévu aux Etats-Unis, cinq au lieu de trois. J'ai donc laissé un message sur le répondeur d'un des membres des Petrols. Manque de pot : le message n'a pas été enregistré. Alors, quand je suis revenu à Londres, un copain m'aborde et me dit: ‘Tiens, vous avez splitté ?’ Là dessus, je téléphone à Damian, le guitariste, pour lui demander des nouvelles. Il me dit ‘Ben on était sans nouvelles de toi, on croyait que tu allais rester définitivement aux Etats-Unis!’ Finalement, nous avons tous discuté et nous nous sommes rendus compte que nous étions d'accord : il fallait rester ensemble au moins pour que le disque que nous avions réalisé sorte un jour. On a donc décidé de le réenregistrer, parce que nous n'étions pas tout à fait satisfaits de la première version.

Malgré tous ces ennuis, vous semblez toujours y croire. C'est la signification de la chanson « Last of the true believers » ?

Oui, si tu veux. Les thèmes des chansons, c'est vrai, tournent autour de ‘nous-mêmes’. « Detonate my dreams » est un peu dans le même esprit. On parle des vaches maigres, d'un groupe désargenté qui, pourtant, continue à faire de la musique parce qu'il y croit dur comme fer!

Comment vois-tu l'avenir si vos disques ne se vendent pas mieux?

Ben... Je possède mon propre studio d'enregistrement maintenant. Je pourrai toujours me reconvertir. C'est d'ailleurs mon occupation en dehors du groupe. Mais on a tous l'impression que ce disque va marcher... De toute façon, même s'il n'y a que nos fans habituels pour l'acheter, ça nous permettra déjà d’en faire un autre. Mais on espère plus évidemment. On fera beaucoup de scène pour mettre tous les atouts de notre côté. La situation ne peut donc que s'améliorer.

J'ai lu une critique qui disait que « Detonate my dreams » aurait été un hit dans les années 80, mais qu'aujourd'hui...

Je ne peux pas croire ce genre de truc. Ca m'a tourneboulé. Il est écrit que la chanson est très bonne, de la veine de « Hey Venus » ou « Big Decision »... Moi, je crois qu'à partir du moment où une chanson est bonne, les gens s'y intéresseront. Imagine que ce soit Therapy? qui signe « Detonate my dreams » aujourd'hui. Eh bien, crois-moi, le morceau serait considéré comme un classique des années 90. Par contre, si nous sortions leur single à eux, les gens nous regarderaient en se demandant ce qui nous prend. Attention, j'aime bien l'album de Therapy?, qu'on me comprenne bien. Tout ça me fait rigoler. Une réaction comme ‘OK, quelle bonne chanson, mais personne ne va l'acheter’. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu'on est trop vieux?

Quel âge as-tu?

29 ans, c'est moi le bébé du groupe. Non, pour clore le sujet, je dirais que chaque fois que je vais voir un nouveau groupe, je le compare à ce que nous sommes. Et la comparaison est toujours en notre faveur. Les Petrols sont bons et encore meilleurs qu'il y a quelques années.

Des rumeurs de reformation des Undertones ont circulé. C'était vrai?

Oui. Feargal (Sharkey, le chanteur) ne voulait pas en entendre parler. Nous, on a répondu à Damian qu'il aurait pu l’envisager soit l'an passé, soit l'an prochain, mais pas cette année. Cette année, c'est That Petrol Emotion! De toute façon, je crois que la magie des Undertones était due à leur âge. A l’époque ils étaient très jeunes : 17, 18 ans. Tu les imagines chanter « Teenage Kicks » à 35 ans? Ce serait embarrassant pour des gens qui sont mariés et ont des enfants. Tu ne crois pas?

Tu rencontres encore Sean?

Chaque fois qu'on se produit en Irlande du Nord, il vient nous voir. Il donne des leçons de guitare aux gosses maintenant.

Et s'il voulait rejoindre le groupe?

Il n'est pas le bienvenu (rires). Non, s'il veut nous refiler des chansons, pourquoi pas? Mais, il ne souhaitait plus être dans le groupe, parce qu'il voulait s'occuper de sa famille, de ses enfants. La famille et le rock'n'roll, c'est l'huile et l'eau, ça ne se mélange pas. Sean aurait pu continuer avec nous si nous avions décidé de travailler en dilettante, accorder un concert de temps en temps. Comme professionnels, ce n'était plus possible.

Qu'est-ce qui pourrait être une consécration pour vous?

Juste la reconnaissance populaire. Les critiques, eux, nous ont toujours aimés. La scène reste importante pour nous. A 17/18 ans, j'ai vu tous ces groupes : Iggy Pop, Killing Joke, Dead Kennedys, Gang Of Four, Public Image Ltd. C'était comme une drogue pour moi. Et c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de me lancer dans la musique. On va remonter sur scène, quasi après 5 ans d'absence, et la période est difficile, j'ai l'impression que l'assistance est partout en constante diminution : plus personne n'a suffisamment d'argent pour se payer tous les concerts. Mais il y a peut-être une autre explication : je me demande si tous ces shoegazers n'y sont pas pour quelque chose. Ride en ‘live’, c'est à peu près aussi passionnant que regarder de l'herbe pousser. Je veux bien que leurs disques soient bons, mais sur scène, le rock'n'roll c'est pas ça. Un groupe doit suer et convaincre le gars qui est là d'oublier la journée merdique qu'il vient de vivre. Et ce feeling, il n’y a plus beaucoup d'Anglais qui parviennent à le communiquer. Davantage d’Américains, oui. Suede est un jeune groupe. Pourtant, ses chansons sont extraordinaires. Mais je me demande si ce statut ne va pas leur monter à la tête. Est-ce qu’ils ne vont pas se croire aussi grandiose que Manhattan, un de ces jours? Regarde où sont les Stone Roses aujourd'hui! Eux, ils ont sorti un excellent 45tours ; point à la ligne. J'ai lu un sondage selon lequel Reni est le plus grand batteur de tous les temps, à cause de « Fools Gold ». Cette réflexion me rend furax : sur « Fools Gold », c'est pas un batteur qu'on entend, c'est une boîte à rythmes.

Steve, tu es américain, est-ce un avantage alors, aujourd'hui?

Pendant très longtemps, c’était un désavantage Au départ, on me disait: ‘Comment peux-tu parler de l'Irlande, toi qui es américain?’ Et puis quand on a commencé à jouer live, les autres m'ont demandé de ne pas gigoter autant en chantant, parce que je détournais l'attention du public, et que l'important c'étaient les chansons! Là, j'ai dit: ‘Stop, attendez les gars, je suis ricain ; j'aime la musique et je la vis. Le jour où je ne me démènerai plus en les interprétant, ça voudra dire que je n'aime plus nos chansons.’ Voilà, mais en ce qui me concerne, je crois qu'il vaut mieux être américain en Grande-Bretagne aujourd'hui qu'il y a 8 ou 10 ans. Entre-temps, il y a eu Seattle...

(Article paru dans le n° 12 du magazine Mofo d’avril 1993)

 

Giant Sand

Il faut être fou pour assurer la première partie des tournées de Neil Young !

Écrit par

Giant Sand est un projet monté par Howe Gelb au beau milieu des années 80. Bien que né au Nord des Appalaches, Howe Gelb a véritablement entamé ses aventures musicales à Tucson, dans l’Arizona ; là où il avait émigré. Avant de se lancer dans le projet Giant Sand, il a milité chez les Giant Sandworms (NDR : commettant même un Ep passé complètement inaperçu), puis sorti un elpee sous l’étiquette de The Band Of Rocky Blanchette, disque édité par le défunt et mythique label parisien New Rose (NDR : un second long playing de ce combo, intitulé « Hertland », paraîtra même en 1986). C’est en 1985, que Giant Sand sort son premier opus : « Valley of Rain », un disque pour lequel il reçoit le concours du bassiste Scott Garber et du drummer Tom Larkins. Si on implique Giant Sand dans le mouvement ‘Paisley Underground’, c’est à cause de ses relations qui lui ont permis de côtoyer des musiciens comme Steve Wynn, John Convertino et Joey Burns (NDR : ces deux derniers ont même sévi chez le Géant de Sable, juste avant de fonder Calexico) ainsi que Chris Cacavas (NDR : voir également l’interview qui lui est consacrée). John, Joe et Chris accompagnaient même Howe pour la tournée mondiale de Giant Sand, début 1993, un périple destiné à promotionner l’album « Center of the Universe », auquel les trois protagonistes avaient participé. Le 6 février 1993, le band se produisait même à De Kreun, à Courtrai. Pour un set particulièrement halluciné. Faut dire qu’à l’époque, la musique du G.S. était très expérimentale. Surtout en ‘live’. Une sorte de country/psyché/jazz/blues qui aurait pu naître d’un hypothétique bœuf entre Captain Beefheart, Tom Waits, Thelonious Monk et Neil Young. Bref, la musique de Giant Sand est avant tout alternative. Apre, sulfureuse, urbaine, elle est en outre soulignée de textes très élaborés. Certains n'ont d'ailleurs pas hésité à les qualifier de kafkaïens. Rencontre donc avec un personnage, ma foi agréable, mais qui formule le plus souvent des réponses à prendre au second degré, lorsqu'elles n'atteignent  pas le stade de la dérision à l'état pur. Jugez plutôt du résultat...

Howe Gelb est-il ton véritable nom ?

H.G. : Oui, j'en ai bien peur !

Dans la mythologie du rock'n roll, quels sont les artistes qui t'ont le plus marqué ?

H.G. : Mott The Hoople!

Tiens, j'aurais parié que tu me cites Johnny Winter, Woodie Guthrie et Neil Young.

H.G. : D'un point de vue artistique, ce sont de véritables monuments qui ont toujours affiché une forte sensibilité musicale. Mais ce sont aussi des citoyens américains qui paient leurs taxes comme moi et présentent probablement une anatomie semblable à la mienne (!!!)

N'as-tu jamais rêvé d'assurer la première partie d'une tournée de Neil Young ?

H.G. : Surtout pas ! C'est beaucoup trop dangereux ! Le rythme des prestations est tellement élevé que j'en perdrai la carte. Je ne tiens pas à vivre sur les routes pendant des mois et être astreint à me taper chaque soir un concert. Il faut être fou pour assurer la première partie des tournées de Neil Young !

Combien d'albums as-tu enregistré ?

H.G. : Huit en compagnie de Giant Sand. Onze ou douze si on tient compte des albums solos. J'ai également participé aux projets d'autres artistes. Mais là, je ne me souviens plus très bien...

Pourquoi le désert et le sable sont-ils omniprésents dans ton œuvre ?

H.G. : Je suis amusé d'entendre parler de l'omniprésence du sable du désert dans mon œuvre. Il n'est pas à l'intérieur, mais autour...

Tu as quand même une vision du monde bien particulière ?

H.G. : J'aime cultiver les choses troubles, à double sens (NDR : on s'en serait douté!), mais je n'ai pas de vision du monde très précise.

Tes lyrics semblent exprimer un bien-être, un spleen ou une expression violente à l'encontre de ce qui te déplaît. Est-ce la raison pour laquelle ta musique est tantôt douce, violente, complexe ou difficile ?

H.G. : Selon que je suis heureux, triste ou irrité, mon inspiration se modifie. C'est un état d'esprit qui a une répercussion sur mes textes et ma musique.  Et comme je suis extrêmement sensible aux évènements de la vie, ils peuvent paraître versatiles...

Te sens-tu inspiré par la littérature absurde ? Par Joyce, Beckett et Kafka en particulier ?

H.G. : Kafka est-il absurde ? C'est un excellent musicien et je me suis procuré son dernier album la semaine dernière... (rires)

Mais encore ? Tu as lu Kafka ?

H.G. : Je ne peux le nier, mais chacun en retire ce qu'il veut bien !

Que penses-tu de la mort ?

H.G. : Lorsque tu mets chauffer l'eau et qu'elle commence à bouillir, elle dégage de la vapeur... elle se meurt. L'âme de l'eau se détache alors du liquide. C'est la même chose lorsque nous nous éteignons... nous nous évaporons, nous nous transformons en un état gazeux...

De Dieu et de la religion ?

H.G. : Les deux choses ne sont pas nécessairement  liées...
John Convertino : Dieu est une relation personnelle, tandis que la religion crée Dieu.

Retournes-tu encore parfois à Tucson ? Y-a-t-il une scène spécifique en Arizona ?

H.G. : Je rentre à Tucson pour y retrouver ma famille. Ma petite fille s'y trouve pour l'instant. Il n'existe aucune scène en Arizona. Si tu trempes dans le rock'n roll, tu cherches les meilleurs studios d'enregistrements et les meilleurs musiciens de studio ; or ce n'est pas à Tucson que tu les trouveras. C'est la raison pour laquelle j'ai souvent séjourné en Californie ; et qu'aujourd'hui je vis à New York. C'est juste pour mon travail.

Que penses-tu de la phobie des groupes américains qui s'entassent à Seattle pour chercher fortune? Du noisy rock et du grunge en particulier?

H.G. : Un phénomène ou une phobie? Je ne sais pas pourquoi ! Sans doute pour gagner autant de fric que Nirvana. Ils vont bientôt devoir se marcher dessus pour se faire une petite place. Et je ne vais certainement pas allonger la liste. Le grunge? C'est une affaire privée... (???). Noisy? Regarde autour de nous, l'environnement est noisy... (???).

Bernard Dagnies

Interview (adaptée) parue dans le n°11 du magazine Mofo de mars 1993.

 

Chris Cacavas

Nostalgique du ‘Paisley Underground’

Écrit par

Figure de proue de la scène underground californienne de la fin des seventies et du début des eighties, Chris Cacavas vient d'accomplir une tournée en compagnie du Giant Sand de Howe Gelb. Un périple qui fait d'ailleurs suite à l'enregistrement en commun de l'album "Center of the Universe". Cacavas est surtout connu pour son rôle de claviériste joué au sein de Green On Red, un groupe qu'il a quitté apparemment brouillé avec Dan Stuart et Chuck Prophett. Mais là, c'est une autre histoire. Pourtant, ce musicien accompli, doué d'une superbe voix, capable de troquer son orgue contre une guitare avec une aisance surprenante, dégage une sympathie naturelle. Il ne compte d'ailleurs que des amis parmi les musiciens qui ont vécu ou été impliqué dans le ‘Paisley Underground’, dont Howe Gelb qui participe également à cet entretien (voir également l’interview qui est consacrée à Giant Sand)

Lorsque tu as quitté Green On Red, tes relations avec Dan Stuart et Chuck  Prophett étaient loin d'être au beau fixe, que s'est-il donc passé ? Regrettes-tu d'avoir joué au sein de ce groupe ?

Chris Cacavas : (en grommelant) Difficile à expliquer. Je ne me rappelle plus des raisons exactes (NDR : ou il ne souhaite pas les divulguer). Tu sais, lorsque j'ai joué au sein de Green On Red, on ne peut pas dire que le courant soit toujours bien passé entre eux et moi et puis, mon rôle se limitait à assurer les claviers. Pas évident de vivre avec ces deux types. Ce qui ne signifie pas nécessairement que je regrette cette aventure, car elle m'a procuré une certaine expérience. Mais Green On Red était d'abord le groupe de Dan Stuart.

Tu as vécu le ‘Paisley Underground’ qui a sévi à Los Angeles au début des eighties ; n'as-tu pas la nostalgie de cette époque ? Que reste-t-il de ce passé prestigieux ?

C.C. : Un peu nostalgique quand même. Tous les musiciens se connaissaient, et la plupart sont restés des amis. Nous faisions ensemble des jams et n'hésitions pas à remplacer quelqu'un au pied levé lorsque c'était nécessaire. Les concerts étaient excellents, et ils dégageaient une formidable ambiance... Aujourd'hui, on nous compare à des profs. Personnellement, je n'aime pas beaucoup d'être comparé à un prof. Mais certains (NDR : Chuck Prophett et Dan Stuart ?) cultivent ce complexe de supériorité. C'est ridicule ! Il faut rester humble et s'ouvrir aux autres. Et particulièrement aux jeunes musiciens. Nous aussi nous avons eu des débuts difficiles... tu comprends ce que je veux dire ? Maintenant, le passé, c'est le passé et il vaut mieux vivre avec son temps...

Pourquoi a-t-on qualifié cette musique de psychédélique ? Y a-t-il, comme lors des sixties, une relation avec la consommation de drogues ? 

C.C. : Cette musique avait quelque chose de psychédélique, et de nombreux musiciens ont eu recours aux hallucinogènes ; mais je ne pense pas que cette scène reposait uniquement sur la consommation de drogues...

Tous les groupes issus de ce ‘Paisley Underground’ reconnaissent pour influence majeure les Byrds, et particulièrement Gene Clark. As-tu eu la chance, un jour de monter sur scène avec lui ? Que représente pour toi cette légende ?

Howe Gelb : J'ai joué avec lui !

C.C. : Je suis un fan des Byrds. Mais je regrette que des gens se procurent leurs disques pour les décortiquer, et que des artistes interprètent leurs chansons sans se soucier du message qu'il véhicule. Lorsque j'ai écouté les Byrds pour la première fois, j'ai été très ému. C'est une émotion que je ne puis décrire ; alors, tu comprends pourquoi je n'accepte pas que l'on en fasse des exercices de style. Je m'estime incapable de chanter correctement une chanson de Gene. Certains prennent pourtant le risque, mais avec quel résultat, je te le demande ?

Comment expliques-tu que des groupes comme Long Ryders et Green On Red aient eu ou ont encore des racines ‘country’ ?

C.C. : En ce qui concerne G.O.R., je pense qu'elles sont dues au passé de Dan Stuart. Il a séjourné tellement longtemps en Australie, qu'il se prend pour un cowboy. Il porte même encore aujourd'hui des chapes (NDR : jambières d'équitation)
H.G. : Même qu'il a peur de sourire de peur d'attraper des gerçures !...

En tant que claviériste, as-tu un modèle ?

C.C. : Oui et non. Disons que j'admire beaucoup Bent Montench, le claviériste de Tom Petty, et l'organiste de jazz Jimmy Smith.

Pas Ray Manzarek ?

C. C. : J'apprécie les Doors dans leur ensemble. A une certaine époque je n'écoutais rien d'autre. Et figure-toi que je n'ai jamais atteint mon point de saturation. C'est un groupe toujours aussi fabuleux, et j'aime toujours sa musique.

Les Doors représentent-ils encore quelque chose à Los Angeles, aujourd'hui ?

C.C. : Oui... plus ou moins... pas tellement (rires)

Lorsque tu composes, à quoi accordes-tu le plus d'importance, à la musique ou aux lyrics ? Qu'est-ce qui t'inspire pour écrire ?

C.C. : Ce qui me vient le plus facilement à l'esprit, c'est la musique. L'élaboration des textes est plus laborieuse. Mais je n'ai pas d'exclusive en ce qui concerne les sources d'inspiration. Cela peut être une réaction à un film auquel je viens d'assister, à un livre que je viens de lire ou à une expérience que je viens de vivre...

En 1985, tu as participé à l'album de Giant Sand, "Valley Of Rain".  Comment t'es venue l'idée de recommencer cette collaboration pour "Center Of The Universe", puis de participer à la tournée du groupe ?

C.C. : Ce "Valley Of Rain" remonte déjà à un bon bout de temps. C'était juste avant la naissance de mon premier enfant. Cela doit être en 1985, tu as raison. En fait, j'ai surtout contribué à la confection du single qui porte le même nom. Nous avions pris beaucoup de plaisir à jouer ensemble, et avions convenu de reproduire l'expérience, mais les aléas de la vie ne nous avaient pas permis de la concrétiser plus tôt. Je ne regrette d'ailleurs pas cette décision, et je suis prêt à la renouveler...

Que comptes-tu faire à l'issue de cette tournée ?

C.C. : Me rendre à Disneyland (rires...) Je n'en sais trop rien. Me concentrer davantage sur mon propre travail. Me débrouiller pour que mon album puisse être distribué normalement en Europe. Reprendre mes activités de musicien de studio, prendre part à l'enregistrement des disques de mes amis.

Quel est le partenaire que tu préfères à la guitare ?

H.G. : Dis le, dis le !
C.C. : C'est Howe Gelb.
H.G. : Et moi, mon claviériste préféré, c'est Chris Cacavas.
C.C. : Faux cul ! (rires)

Interview (adaptée) parue dans le n°11 du magazine Mofo de mars 1993.

 

Screaming Trees

Une sorte de revanche !

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C’est quand même con, parfois, la musique et la façon dont ça marche. Tiens, on n’est pas certain qu’on aurait fait un tel cas des Screaming Trees si, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, Seattle n’était devenu la Mecque des rockers patentés en quête de Nirvana (NDR : oui, oui, d’accord, le jeu de mots est bête et facile). Pire encore : il aurait été dommage et injuste! Comme quoi, les Trees méritent bien qu’on s’attarde un peu sur leur sort. Surtout qu’elle n’est pas loin, l’époque où leurs albums se vendaient chichement. Gary Lee Conner, le guitariste de la formation, le reconnaît…

- C'est exact, nous avons connu des moments difficiles. Le groupe a même failli splitter avant d'enregistrer « Sweet Oblivion ». Nous avons, à cette époque, rencontré d'énormes problèmes. Notre batteur est parti et nous avions l'impression de ne plus avancer dans le bon sens. Nous n’étions pas vraiment loin de la rupture ! Nous avons alors modifié notre façon de faire. Auparavant, nous étions du genre à foncer tête baissée pour enregistrer : ‘on écrit, on met en place, on enregistre et c'est dans la boîte’. Eh bien, on a changé ! Pour « Sweet Oblivion », on s'est rendu compte qu'on pouvait aller plus loin en bossant plus posément, plus précisément. Sans perdre l'énergie, la spontanéité qu'on a toujours souhaité garder. Depuis, tout va bien! Fini, le temps où on pensait bien avoir dit tout ce qu'on avait à dire, où on avait même du mal à imaginer de bosser encore ensemble... Cette période est derrière nous et on se sent bien. C'est d'autant plus chouette que la réussite commerciale de « Sweet Oblivion » n’est probablement pas le facteur déterminant de cette évolution. On a relancé la mécanique, redynamisé le groupe, et nos perspectives d'avenir me semblent bonnes.

« Sweet Oblivion » est-il meilleur ou simplement différent des albums précédents?

- C'est toujours une question-piège. Moi, je l'aime bien mais peut-être que dans six mois je ne pourrai plus l'écouter. Par exemple, de cet album, je n'aime pas particulièrement « Nearly Lost You ». Et pourtant pas mal de gens ont craqué sur cette chanson (NDR : ce titre est paru sur la B.O. de « Singles » et a fait un joli petit tabac dans les charts US). Non, ce que j'adore surtout dans ce cd, c'est qu'il soit réellement le fruit d'un travail de groupe. Nous avons tous participé à la composition et le résultat a été géant, vu les événements dont je viens de parler. Une sorte de revanche.

C'est assez amusant, la façon dont vous vous exprimez par l'image. Les pochettes de disques, par exemple. Tout est très fouillé et on y décèle des tas de symboles et d'objets bizarres. Alors que musicalement, justement, vous donnez plutôt dans le ‘vite fait bien fait’...

 

Mwouais. C'était peut-être un moyen de rétablir un certain équilibre! (il se marre)... Disons qu'on a toujours cherché à ne pas présenter de pochette de disques débile, mettant nos tronches en avant et tout le tremblement. On n'a pas vraiment des faciès de jeunes premiers et les pochettes à la Poison n'étaient donc pas pour nous. Nous avons toujours invité l'auditeur à aller plus loin. Des illustrations un peu complexes, c'est un bon moyen d'y parvenir. Je signalerai aussi qu'enregistrer rapidement ne signifie pas qu'on se contente d’une musique creuse, vide de sens.

Vous êtes associés à cette vague ‘Made in Seattle’ et vous tournez actuellement en compagnie d’Alice ln Chains. Cette assimilation géographico-musicale est-elle un avantage ?

Certainement sur le plan de la popularité, ne nions pas l'évidence. Néanmoins, il faut que nous ne devenions pas prisonniers d'une telle situation! Il se passe des choses superbes à et autour de Seattle parmi des groupes que tout le monde connaît mais il ne faut pas que ce climat  devienne un cauchemar pour les artistes. Si ceux-ci perdent le sens de leurs idées, tout s'écroulerait en deux secondes...

(Article paru dans le n° 11 du mois de mars 1993 du Magazine Mofo)

 

 

Buzzcocks

On a peut-être ouvert la porte aux Smiths

Atome prépondérant de l’explosion punk, les Buzzcocks ont profondément marqué le rock anglais de la fin des années 70, au même titre que Clash, Sex Pistols ou The Jam. Pourtant, même si leur musique possédait la fougue et la frénésie de rigueur à l’époque, le groupe de Manchester ne s’identifiait pas vraiment à la ‘no future generation’.

Alors que d'autres parlaient de révolution et d'anarchie, Pete Shelley et sa bande abordaient, à travers leurs hymnes adolescents, des thèmes aussi abstraits et universels que l'amour, la romance, le désir ou la recherche de son identité, les Buzzcocks faisaient rimer punk avec sensibilité, laissant aux générations futures des titres aussi essentiels qu'« Ever Fallen in Love » ou « Everybody's Happy Nowadays », un héritage que les Smiths exploiteront à merveille quelques années plus tard. Après un break de 8 ans, ils sont de retour, sans cheveux gris et sans maison de disque. On ne refait pas l'histoire, mais quand il s'agit des Buzzcocks…

Rencontre avec Pete Shelley et Steve Diggle.

Pourquoi cette reformation?

Pete : Il y a 3 ans et demi qu'on est de nouveau ensemble. L'argent? Il est toujours le bienvenu (rires)… mais la raison principale de ce retour, c'est l'envie de s'amuser et de faire plaisir à tous ceux qui voulaient nous revoir sur scène.
Steve : On estimait que c'était le moment opportun pour travailler à nouveau ensemble. Mais il fallait d'abord qu'on se repose un peu, qu'on prenne nos distances par rapport à l'industrie du disque, ce qu'on a fait chacun de notre côté pendant plusieurs années. Puis après plusieurs discussions dans les pubs de Manchester, on a eu envie de recommencer.

Y a-t-il encore une place pour les Buzzcocks en 1993?

P. : Il y a un grand vide, actuellement, dans la pop anglaise et il y a donc de la place pour nous, je crois.

Est-ce celle laissée vacante par les Smiths?

P. : Non, pas vraiment. On a peut-être ouvert la porte aux Smiths mais il ne s'agit pas de récupérer notre trône. C’est vrai qu'en 78, je ne parlais ni d'anarchie, ni de politique. Mes chansons étaient plutôt des petites histoires d'amour de la vie quotidienne et là, je pense que nos thèmes ont pu inspirer les Smiths. Mais ce n'était pas en réaction contre les Pistols ou les Clash, c'était ma façon de voir les choses et de les exprimer.

Ce n'est pas difficile de conquérir un nouveau public?

P. : Depuis notre reformation, on a tourné deux fois et la réaction du public a été très bonne, particulièrement en France. C’est intéressant parce qu'on va se produire dans de nouvelles salles et c'est un défi pour nous de jouer devant des gens qui ne nous avaient jamais entendus auparavant.
S. : Les trois-quarts du public qui vient nous voir sont composés de nouveaux fans, de jeunes kids, c’est une réelle surprise, étant donné notre longue absence.

N'est-ce pas la curiosité qui pousse les gens à venir vous vous voir ?

P. : Oui, mais ça nous arrange.

Vous préparez un nouvel album?

P. : Oui, il y a deux ans qu'on y travaille mais on est toujours à 1a recherche d'une firme de disques ; et ce n'est certainement pas Factory qui nous signera en tous cas, la boîte a fait faillite (rires).
S. : On n’a jamais rien enregistré pour Factory, de toute façon. On ne correspondait pas vraiment à leur politique, davantage axée sur la musique de danse. On a reçu quelques offres et j'espère que l’une d’entre-elles se concrétisera, cet été.
P. : Les nouveaux morceaux ne déboussoleront pas nos anciens fans ; ce ne sera pas de l’acid jazz ! On a expérimenté de nouveaux sons, mais pas trop quand même.
S. : Nos nouvelles chansons sont aussi fraîches que celles écrites il y a 15 ans. La qualité ‘Buzzcocks’ est toujours là. Sur scène, on ne peut pas jouer trop de morceaux parce que le public ne les connaît pas. Alors, on reprend aussi nos anciens classiques.

Pourquoi éprouvez-vous des difficultés à trouver une firme disques?

P. : Je ne crois pas que les goûts aient changé, il y a toujours un demande pour la musique que nous jouons. Ce qui se passe, c'est que l'industrie du disque, au Royaume-Uni, est frappée par la récession économique. Beaucoup de groupes sont actuellement sans contrat. Les maisons de disques ont beaucoup changé en 15 ans. A nos débuts elles étaient dirigées par des gens passionnés de musique. Maintenant, ce sont les hommes d'affaires qui dictent leur loi, et eux, ils ne pensent qu'à la rentabilité: on signe un groupe, on attend qu'il ait sorti deux 45 tours et si les ventes sont faibles, on le vire! C'est ainsi que ça marche de nos jours. Nous, on recommence à zéro et comme notre musique n'est pas particulièrement commerciale, il faut lui laisser le temps de faire son chemin.

Que reste-t-il du punk?

S. : Après l'explosion punk qui n'a duré que 8 mois, chacun a suivi sa propre direction. Les Clash, par exemple, sont devenus un grand groupe de rock tout court, en imposant leur son très personnel. Nous n'avons plus de contacts avec tous ceux qui ont démarré en même temps que nous. En plus, on ne s'est pas reformés dans le but d'exploiter un quelconque ‘revivalisme’ punk. Le terme ‘punk’ n'a d'ailleurs plus aucune signification à l'heure actuelle.
P. : Il en avait une en 1976, en Angleterre, dans le contexte socio-économique de l'époque. C'était une nouvelle façon de vivre, en quelque sorte. Mais peut-être encore davantage un état d'esprit qu'un style musical. Le sens de l'humour en était une composante importante, aussi.

Vous avez entendu parler des Manic Street Preachers?

P. : Je les ai vus une fois en concert et je les ai trouvés trop bons pour être punk! (rires)... Ils étaient filmés pour la télévision, c'est peut-être la raison pour laquelle ils jouaient si bien.
S. : Leur premier 45 tours, « Motown Junk », était vraiment très bon, tout à fait dans l'air du temps. Ensuite, ils ont signé chez Sony et je trouve que leur attitude a changé, ils se sont mis à copier les Clash. Ils n'ont rien apporté de nouveau, ils ont davantage soigné leur image médiatique. « Motorcycle Emptiness » est un bon morceau mais je ne sais pas trop quoi penser d'eux.

Quels sont les groupes actuels que vous écoutez volontiers?

P. : Eyh... Je ne sais pas, j'ai oublié. Je passe: trop difficile (rires)

Vous connaissez des groupes francophones?

S. : La presse musicale anglaise est très insulaire, elle ne parle pas de ce qui se fait en dehors du Royaume-Uni, sauf si un groupe anglais se produit sur le continent. C'est dommage. C'est également la raison pour on aime tourner hors-Angleterre, ça nous permet de découvrir d'autres scènes musicales, en France, en Espagne, ... Les journalistes, chez nous, pensent que l'Angleterre est le nombril du monde en matière de musique.
P. : Elle l'est, non? (rires)
S. : Il ya beaucoup de bons groupes dans notre pays. Ailleurs aussi. .

Etes-vous conscients d'avoir influencé une multitude de groupes?

P. : Oh oui! REM, par exemple! (rires).
S. : Ca nous fait plaisir d'être une référence. En fait, il n'y a pas longtemps, est sortie une compilation sur laquelle plusieurs groupes de Seattle reprennent nos morceaux. C'est un beau compliment et c'est amusant à écouter parce qu'ils essaient de les jouer à la perfection, sans trop s'éloigner des versions originales.
P. : On n'est est pas toujours conscients. On ne connaît même pas nos propres influences, hormis l'alcool (rires).

Avant de mourir, quelle serait votre dernière parole?

P. : Fuck me and die (rires).
S. : Je me souviens de ce vieillard, le père d'un ami, qui voulait absolument écouter un morceau de musique classique avant de mourir. Le jour où il l'a entendu, il a compris que c'était la fin. J'étais présent et ça m'a vraiment fait une impression bizarre.

Buzzcocks de 1976 à 1993

1976

- Naissance des Buzzcocks à Manchester, après avoir vu les Sex Pistols en concert.
- Sortie de « Spiral Scratch », un EP pressé aux frais du groupe sur son label New Hormones.

1977

- Howard Devoto quitte le groupe et fonde Magazine (premier et meilleur album « Real Life », sorti en 78). Pete Shelley s'empare du micro.
- Steve Garvey remplace Garth Smith à la basse.

1978

- Sortie du premier album, « Another Music From A Different Kitchen ».
- Sortie en 45 tours d'« Ever Fallen in Love », leur plus gros hit.
- Sortie du deuxième album, « Love Bites ».

1979

- Sortie de « A Different Kind Of Tension », troisième album.

1981

- Les Buzzcocks cessent d'exister...

1989   

- …pour se reformer 8 ans plus tard.
- Nouveau batteur: Mike Joyce (ex-Smiths) remplace John Maher.
- Sortie du maxi 4 titres, « Alive Tonight »,

1993

- Tournée européenne et nouvel album en préparation.

Article paru dans le n°11 du magazine Mofo de mars 1993

Inspiral Carpets

Proche de l’esprit des Doors

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Détonateur (involontaire) du mouvement ‘baggy’ mancunien, au même titre que Stone Roses et Happy Mondays, Inspiral Carpets avait soufflé tour à tour le chaud et le froid en enregistrant le superbe "Life" en 1990, puis le controversé "The Beast Inside", l'année suivante. Novembre dernier, le quintette a gravé "Revenge of the Goldfish", un troisième opus frais, pétillant, qui nous a complètement réconciliés avec le groupe, une oeuvre qui s'inscrit dans le mouvement néo pop du début des nineties. Pourtant, le Carpets aiment les Doors, et ils ne s'en cachent pas ; mais ils réfutent toute implication dans le revivalisme sixties. Tom, le chanteur, et Graham le guitariste, nous ont accordé une longue interview. Nous vous en proposons les extraits les plus intéressants, mais également les plus loufoques...

A la fin des eighties, vous avez été assimilés par la scène ‘baggy’ de Manchester? Ce phénomène a-t-il favorisé votre succès?

Graham : Au départ, c'était un avantage d'appartenir à cette scène, parce que Manchester polarisait toute l'attention des médias. Il est exact que si nous avons été emportés par le mouvement, nous ne nous en sommes jamais réclamés. D'ailleurs, fin 1990, lorsque notre deuxième album est sorti, cette situation s'est retournée contre nous. "The Beast Inside" était un disque ‘anti party’, et en tous cas, à des miles de la musique de danse qui sévissait alors à Manchester. En fait, la presse nous avait déjà enterrés avant même d'avoir écouté le cd. D'autre part, le public qui ne jurait que par le ‘baggy’ trouvait le contenu trop sérieux, pas assez ‘fun’, si vous préférez. Ainsi, l'avantage, s'est transformé en désavantage.

Que penses-tu de groupes comme Happy Mondays et Stone Roses qui relevaient de cette scène?

Tom : Avant 1988, personne n'avait jamais entendu parler de ‘baggy’. Ce sont les journalistes, et en particulier ceux du Melody Maker qui ont inventé ce vocable. La première fois que j'ai assisté à un concert de Stone Roses, c'était en 1987. Nous n'avions pas les mêmes, idées, et certainement pas celle de fonder une scène homogène. Bien sûr, à partir de 1988, nous avons tourné avec les Stone Roses et les Mondays ; et il est inévitable, dans ce contexte, que nous ayons exercé une certaine influence sur chacun de ces groupes, comme chacun d'entre eux a exercé une certaine influence sur nous. Mais toutes ces formations ont tenu à conserver leur propre style, leur propre identité. Personne n'a jamais comparé les Smiths à Happy Mondays, parce qu'ils sont de Manchester, que je sache!

Bien que de Wolverhampton, les Charlatans ont également été confondu avec cette scène ; même qu'au début, vous étiez souvent mis en parallèle avec eux, à cause de la sonorité très ‘Doors’ des claviers. Comment réagissez-vous à ces allusions?

T. : Je pense que si nous sommes inspirés des Doors, les Charlatans se sont inspirés de nous. Et pas seulement à cause des claviers; mais également du look et du light show. Bien qu'inconsciemment, le contraire soit peut-être tout aussi vrai... Notre perspective du rythme est quand même totalement différente ; c'est la raison pour laquelle nous nous sentons plus proche de l'esprit des Doors que les Charlatans. Attention, mon raisonnement est loin d'être péjoratif, car le fait de s'inspirer des autres favorise la création, et permet d'élargir son audience. Je m'explique. Les Happy Mondays ont bâti leur succès en tirant parti de la popularité des Stone Roses. Et puis nous avons bâti le nôtre en séduisant ceux des Happy Mondays et des Stone Roses. Mais à l'inverse, notre succès aux USA a permis aux Mondays et à Stone Roses de se créer une ouverture outre-Atlantique. Finalement, dans ce mécanisme, tout le monde s'y retrouve.

Qu'est ce qui vous attire chez les Doors?

G. : Tout! Les textes d'abord. Jim Morrison était à la fois capable de raconter des histoires très ‘noir et blanc’, mais également très ‘hard’, du style ‘Hey baby, viens, nous allons coucher ensemble ce soir, etc., etc.’, des images lascives que nous avons réutilisées sur l'album The Beast Inside. Pour nous, Jim n'est pas seulement un symbole, mais aussi un grand compositeur qui peignait les moeurs les plus tabous de ses contemporains... Et puis il y a les claviers. Parce que cet instrument constitue un élément clef de notre musique, comme chez les Doors. D'ailleurs si tu compares David à Ray (NDR : Manzarek), il prendra cela pour un compliment. Et c'est la même chose si tu compares Jim à Tom. Pour nous les Doors, c'est très important!

Que penses-tu du film sur les Doors, réalisé par Oliver Stone?

T. : Pure fiction!
G. : C'est un film intéressant, mais il montre les facettes les plus excessives du personnage. Jim n'avait pas que des mauvais côtés, même s'il ne devait pas être facile de vivre avec lui au sein du groupe. Mais s'il est devenu un mythe, ce n'est certainement pas à cause de ses débordements, mais surtout parce qu'il reflétait le mal être de sa génération...
T. : Le film est quand même fort romancé, un peu comme celui qui relate l'assassinat de John Kennedy...

Quel est le style musical qui a le plus marqué Inspiral Carpets? La house, la pop, le psychédélisme, le punk, le garage ou autre chose?

G. : Toute l'histoire du rock. Depuis Elvis Presley jusqu'à Alice Donut, en passant par les Pistols, Can, Talking Heads et bien sur les Doors. Personnellement, la house ne me botte pas trop, mais elle est indispensable à notre section rythmique.
T. : Depuis que la house est devenue une tendance dominante en Grande-Bretagne, elle a perdu toute sa stimulation, tout son crédit. A Manchester, la house est devenue un produit de consommation tout à fait banal. Des tas de jeunes se rendent chaque soir dans les boîtes pour y fumer un joint et danser sur de la house. Où sont donc la passion et l'excitation nécessaires à l'émulation, je vous le demande?...

Vous affichez une tendance plutôt revivaliste alors?

T. : Pas du tout! Nous ne sommes pas des revivalistes. Nous explorons le plus large éventail de formes musicales possible pour en retirer le maximum de feeling. Le revivalisme est totalement étranger à Inspiral Carpets!...

Comment avez-vous fait pour dénicher ce fabuleux orgue ‘farfisa’? Combien l'avez-vous payé?

T. : Cent livres dans une brocante à Londres!

Que représente pour vous le 19 avril 1986?

G. : La première fois que le groupe a perçu un cachet après avoir donné un concert. Ce jour restera longtemps gravé dans notre mémoire...

Quelles sont les différences marquantes entre vos trois albums? Sur votre dernier, les textes font allusion à Dieu et à l'amour, mais d'une manière désenchantée, pourquoi?

T. : "Life" notre premier disque, était bien dans l'air du temps. "The Beast Inside"  baignait dans une atmosphère plus progressive, paradoxalement plus sereine et plus sensuelle, même s'il recelait deux morceaux plus dansants. Nous avons voulu insuffler à "Revenge of the Goldfish" un son et un format plus pop. Chaque titre dépasse rarement les trois minutes, et pourrait figurer sur un single. Quant aux textes, c'est une forme d'ironie. Nous n'avons certainement pas l'intention de disserter sur l'existence de Dieu ou sur la religion. Laissons ces élucubrations philosophiques à l'Amérique et aux Américains. Ils raffolent de ces concepts. Nos lyrics sous-entendent des choses très terre à terre comme la tentation, le désir sexuel, la libido, des desseins plutôt charnels que nous tentons d'inoculer dans nos compositions avec une forte dose d'humour...

Sur ce disque, il existe une chanson qui porte le titre "Here come the Flood", alors que le producteur de l'album, du groupe S Express, s'appelle Pascal Gabriel. C'est aussi une autre forme d'humour?

T. : Hein!...
G. : (Il éclate de rire). A non là, on l'a pas fait exprès, c'est une drôle de coïncidence!

Croyez-vous à la réincarnation?

T. : Trois mille ans avant notre ère, je vivais dans la peau d'un pharaon qui régnait sur la grande Egypte...
G. : Je souhaiterai me réincarner sous la forme d'un chien. Oui, un chien! Un chien ou une radio. Plutôt une radio, car c'est plus facile pour se faire comprendre, ah, ah, ah...

Est-ce que les poissons rouges (NDR : par référence au titre et à la pochette de l'album) sont prisonniers dans leur bocal?

G. : C'est une existence très triste!...
T. : C'est une très triste existence!...
G. : Vraiment triste comme existence! Etc.

N'avez-vous jamais pensé vous procurer un tapis volant?

G. : Oh mais si, nous en possédons un. Il nous permet de nous rendre de Grande Bretagne aux quatre coins du globe. Surtout ne le répétez à personne!...

Quelle est la couleur d'Inspiral Carpets?

G. : Bleu mer et orange ; nous avons pourtant vécu une période pourpre...

Avez-vous peur du silence?

T. : Non, il constitue le refuge de notre imagination. Il ne nous effraie pas, mais nous permet  de nous pencher sur notre conscience. Le silence nous inspire...

Interview paru dans le n°10 de février 93 du magazine Mofo

Jesus Jones

Qu’est-ce qu’un bon groupe de scène ?

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Mike Edwards, c’est le leader incontesté et incontestable de Jesus Jones, groupe londonien qui veut enfin réussir à percer en Europe. Sorte de chaînon manquant entre EMF et Carter The Unstopable Sex Machine, sa musique n’y a pas recueilli le même succès en Angleterre. « Perverse (chez Food/EMI), le 3ème LP du groupe parviendra-t-il à imposer JJ ? Rien n’est moins sûr… Mais, d’abord, pourquoi « Perverse » ? Mike est au crachoir…

La perversion, c'est oser ce que les autres ne tentent pas. C'est le but qu’on s’était fixé en mettant sur pied Jesus Jones : réagir en fonction des événements présents ; et, si possible, offrir une alternative. Réaliser un projet distinct a toujours été une priorité pour moi. C'est pourquoi la scène de Manchester est devenue préoccupante à un certain moment. Ce que tout le monde accomplissait, ce que tous ces groupes ‘normaux’ recherchaient, devenait franchement très proche de notre démarche! Aujourd'hui, c'est un peu différent, il y a l’émergence d'un esprit 70’s, cristallisé dans le rock guitare et fort teinté de nostalgie. On veut aller à l'encontre de ce courant, en prendre le contre-pied. C'est, je crois, une bonne époque pour y parvenir, un bon moment aussi pour lutter contre la technologie, contre la normalité, pour concevoir quelque chose de plus détaché, de plus comique aussi.

En allant à l'encontre des normes, ne crois-tu pas que tu leur donnes trop d'importance?

Peut-être, mais on n'a pas beaucoup le choix! Il n'y a pas que le rock, il y a le monde, la télé, la publicité. Un ensemble de paramètres qui doit te faire réagir ! Bien sûr, prendre le contre-pied n'est jamais un gage de qualité.

Sans oublier le risque de tourner en rond, de reproduire ce qui a été fait auparavant?

Bien sûr, la dégénérescence, la ‘dé-évolution’, c'est un peu comme l'inceste. Je crois qu'on ne peut pas améliorer le rock en réinterprétant, même de façon personnelle, ce qui a été fait avant. Si on appliquait cette méthode, dans le domaine, disons de la médecine, ce serait l'hécatombe tous les jours! A ce stade, je suis déçu aussi par les médias. On dirait qu'ils partagent tous les mêmes options. Même les journaux qui traditionnellement se proclament les champions de la découverte, de la nouveauté, commencent à opérer des choix trop évidents! Où est la progression?

Qui a le privilège d’écouter tes compositions en premier lieu?

Les autres membres du groupe, normalement. Parfois ma femme... Je les soumets aussi au personnel de la firme de disques ; pas ceux d'EMI, mais de Food qui nous ont signés en Angleterre.

Leur réaction t’influence ?              

(long silence) Non. Enfin, pas vraiment. Parfois, chez Food, ils te donnent des conseils sur la mise en forme des arrangements, mais jamais sur les compositions elles-mêmes. Je prends en compte leurs remarques, c'est normal. Je ne vis pas dans un monde clos ; je ne travaille pas rien que pour moi, et je dois penser à vendre ce que je fais. Une vision qui n’est pas péjorative. Pour « Perverse », on a travaillé sous la houlette de David Balfe, un ex-Teardrop Explodes. C'est quelqu'un qui a une idée très précise du groupe rock. Il défend une vue artistique, pas uniquement ‘marketing’. Je respecte son avis.

Les shows du groupe, surtout ici sur le continent, ont toujours été fort critiqués. On a même écrit que, live, vous ne valiez pas grand-chose...

C'est vrai? (rires) OK, tu as raison, de tels articles ont été publiés. Tu sais, je crois que nous sommes un excellent groupe de scène. Je veux dire que nos shows sont de bonne facture. Nous n'y jouons pas rien qu'un rôle, nous aimons nous produire sur scène. Si on a critiqué nos concerts, c'est sans doute justement parce que nous ne nous conformons pas aux usages, nous ne jouons pas sur la démagogie. Les gens qui viennent nous voir, généralement, aiment nos shows. Si du moins, ils ne sont pas totalement allergiques à notre style.

Est-ce que tu réponds à ma question? Tu te contentes d’affirmer que Jesus Jones est un bon groupe de scène, non?

Que pourrais-je te dire d'autre? Et finalement, qu'est-ce que c'est un bon groupe de scène ? Un groupe qui reproduit fidèlement le son et la qualité de son CD ? Il serait triste de se limiter à ce critère…

Crois-tu qu’il est préférable de se rendre à vos concerts, après avoir écouté vos compos ?  

Pas nécessairement! Mais, il est plus facile d'apprécier un concert quand ce n'est pas la première fois qu'on entend les morceaux. Si nous vendions plus de disques en Europe, le public connaîtrait mieux nos chansons. Et, qui sait, nos prestations live seraient moins critiquées. Cependant, nous essayons de nous montrer convaincants, même pour ceux qui ne nous connaissent pas. Aujourd'hui, beaucoup de formations commencent par décrocher un contrat, ensuite ils enregistrent un disque et puis ils apprennent à le jouer sur scène. Pas très logique, comme cheminement! Jesus Jones était un groupe de scène avant toute carrière discographique.

Parle un peu de toi. Tu vis où ? Quel âge as-tu ?

Je vis à Londres dans une maison. J'ai 28 ans, je n'ai pas d'enfants. Ce serait très égoïste de vouloir un enfant. Ma femme devrait s'en occuper seule. Je suis très souvent absent. Et en 1993, je serai quasiment toujours sur les routes. Donc, à brève échéance, c’est exclu.

Ado, tu étais fan de rock?

Je me rappelle avoir copié les notes du refrain de « Pretty Vacant » des Sex Pistols. J'ai écouté les premiers disques de Duran Duran et de U2. A cet âge-là, on se jette un peu sur n'importe quoi. C'est après qu'on se met à réfléchir, à comparer.

Tu achètes encore des disques?

Oui, 7 ou 8 par mois. Mais je suis souvent déçu par ce que j'entends. Pourtant, je les écoute d'abord comme un fan de musique, pas comme un musicien. Après, je les analyse un peu plus. Quand on est musicien, il est difficile de ne pas approfondir le sujet.

(Article paru dans le n°10 du magazine Mofo de février 1993)

Ed Kuepper

Il y a encore une vie après les Saints....

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Lorsque les Saints se sont séparés en 1986, toute l'attention des médias s'est focalisée sur Chris Bailey, chanteur compositeur à l'existence tumultueuse, mais au talent incontestable. Pourtant, Chris s'est enfoncé dans la médiocrité, alors que son guitariste, devenu aussi chanteur par la force des choses, a renversé la vapeur à son avantage. Après un bref intermède chez les extravagants Laughing Clowns, Ed Kuepper va se révéler un auteur prolifique, épinglant en moins de cinq années une flopée d'albums aussi savoureux les uns que les autres. En 1992, il nous a ainsi gratifiés de deux superbes oeuvres, deux disques immédiatement suivis par autant de tournées. La dernière, qui transitait par la Belgique voici quelques semaines, nous a permis de rencontrer ce très sympathique Australien, beaucoup plus loquace lorsqu'il s'agit de causer de son pays natal que pour dévoiler les arcanes du passé...

La scène rock australienne a connu un essor remarquable voici trois ou quatre ans. Aujourd'hui, le phénomène semble s'être quelque peu estompé. Comment expliques-tu cette accalmie?

Je n'en sais strictement rien. Je suis australien, mais je n'ai rien à voir avec la scène australienne. Je n'y ai d'ailleurs jamais porté grand intérêt. Je suis trop absorbé par mon travail pour analyser les turbulences qui agitent le monde musical. Je me consacre uniquement à ma création; il est donc difficile, pour moi, de répondre à cette question...

Des groupes tels que les Triffids, Wreckery, Died Pretty et des artistes comme Grant Mc Lennan et Louis Tillet ne t'intéressent donc pas tellement?

Mwoui! Louis Tillet est quand même un excellent musicien et il récolte un succès appréciable en Australie. En fait, j'aime un tas de styles différents issus d'époques différentes... les Easybeats, les Only Ones, Heart & Soul, les Blue Jays, les Box Tops; pas nécessairement des artistes australiens...

A propos des Box Tops, un journaliste britannique a écrit récemment que tu incarnais l'Alex Chilton des nineties. Est-ce un compliment?

J'apprécie les Box Tops, mais je n'ai pas grand-chose de commun avec Alex Chilton. D'abord ses sources d'inspiration varient totalement des miennes. Il avait recours à diverses drogues pour développer les différentes perspectives de sa composition. Ce n'est pas mon cas. Je n'ai pas besoin de consommer des stupéfiants pour trouver l'inspiration. Sans quoi, c'est sans doute un compliment...

Ce qui ne t'empêche pas d'être prolifique. Mais n'as-tu jamais eu l'idée d'écrire pour d'autres musiciens?

Cette idée ne m'a jamais effleuré l'esprit. Mes chansons sont parfois interprétées, mais je ne compose pas spécifiquement pour les autres. Je me limite à Ed Kuepper et à ses deux groupes.

Deux groupes? Pourquoi deux groupes?

Pour bénéficier d'une plus grande marge de manœuvre dans la création et dans l'interprétation. Ces deux formations me permettent également d'emprunter des directions musicales différentes. Et puis, sur scène, il m'est toujours loisible de concevoir des versions différentes d'une même chanson, suivant qu'elle est jouée en compagnie des Aints ou des New Imperialists. C'est d'ailleurs en compagnie de ce dernier groupe que je viens d'accomplir ma dernière tournée européenne.

N'est-ce pas troublant de baptiser son groupe The Aints lorsqu'on a appartenu aux Saints? Aurais-tu la nostalgie du passé?

Pas du tout! C'est le genre de fantaisie dont je raffole. Romantique oui, mais pas nostalgique. Et n'imagine surtout pas que ce romantisme se limite à une certaine forme de littérature ou de poésie. Il est dans mon tempérament et influe sur ma façon de composer.

Lorsque les Saints ont décidé de mettre un terme à leur existence, un tas de rumeurs a circulé sur les mobiles de cette séparation, mais aucun ne nous a convaincus. Quelle était la véritable raison de ce split?

Nous devenions sans doute trop vieux pour continuer à jouer ensemble. Nos divergences musicales s'étaient amplifiées au fil du temps. Il était donc préférable de nous séparer. C'est un peu comme un joueur de football qui ne parvient plus à exprimer son talent parce qu'il végète dans la même équipe depuis trop longtemps. Et puis en quittant les Saints, j'ai pu explorer de nouveaux horizons, musicaux bien sûr, mais aussi sur notre planète...

As-tu tu encore des contacts avec Chris Bailey? Que penses-tu de son dernier album?

Je le vois épisodiquement. Je n'ai pas eu l'occasion de découvrir son dernier disque, mais bien le pénultième...

Tes albums précédents étaient plutôt minimalistes, "Black Ticket Day" semble davantage façonné dans le rythm'n blues des seventies; le dernier titre du CD, "Walked thin wires", éveillant même certaines affinités avec le son "Tamla Motown" dispensé par Rare Earth sur "Get Ready". Pourquoi?

Je suis plutôt surpris par cette réflexion. Si le rythm'n blues me fascine, je ne pense pas qu'il soit un élément fondamental de ma musique. Si certaines compositions de "Black Ticket Day" flirtent avec le rythm'n blues, c'est tout à fait involontaire de ma part. Ce n'est pas mon objectif. Enfin, "Black Ticket Day" n'est pas plus ou moins minimaliste que les albums précédents. Il s'inscrit dans la suite logique de mon ouvrage. C'est un pas en avant par rapport à "Honey's Steel Gold", et un de plus sur "Today Wonder". Le flux est naturel.

Te sens-tu concerné par la question d'intégration des autochtones en Australie? Penses-tu que ce sujet puisse être mis en parallèle avec la situation des Indiens en Amérique? Est-ce que Yothu Yindi symbolise le combat ethnique des aborigènes?

C'est un problème, effectivement. Mais je doute fort que les aborigènes souhaitent s'intégrer. Ils aspirent à plus d'indépendance. Je ne vois d'ailleurs pas l'utilité de les intégrer dans la société moderne. Ils sont protégés par la législation australienne et sont capables de se débrouiller sans nous. Ils pourraient même fonder leur propre état. La Nouvelle Zélande rencontre les mêmes difficultés avec ses indigènes. Il faut bien comprendre que ces peuplades ont été arrachées à leur culture. C'est vrai que transposé dans une autre époque, la question des Indiens d'Amérique peut être comparable... Yothu Yindi est un groupe de danse folklorique qui a trouvé dans la pop l'occasion de véhiculer des idées indépendantistees à travers le monde. Quant à savoir s'il représente le combat ethnique des aborigènes, c'est une autre histoire...

L'Australie est un pays fascinant, peuplé d'animaux étranges tels que les émeus et les kangourous, traversé de paysages merveilleux et entouré de profondeurs sous-marines abyssales. Bref, un univers idyllique que bon nombre de voyageurs rêvent de découvrir un jour. Est-ce que ces attributs constituent un motif de fierté pour toi ou considères-tu ces caractéristiques comme quelque chose de banal?

J'aime mon pays, mais je ne suis pas un nationaliste. Son environnement est fragile, et les Australiens mettent tout en œuvre pour le préserver. Ce pays est beaucoup plus vaste que les USA. Mais le territoire n'est occupé que par 10 % de sa surface. Le reste est la propriété du désert. Les habitants sont très attentifs à la sauvegarde des zones vertes. C'est essentiel pour maintenir l'équilibre écologique du pays. C'est un endroit unique, et j'espère y vivre le plus longtemps possible...

L'Antarctique n'est pas tellement éloignée de l'Australie. Plus personne n'ignore que son sol regorge de richesses naturelles. Ne crains-tu pas que dans un futur proche, ce site ne devienne un nouveau Far West, avec les risques de pollution incontrôlable auxquels l'Australie n'est que très peu confrontée aujourd'hui?

C'est un réel danger pour l'Océanie, et j'y réfléchis souvent. Tout notre continent est exposé à ces risques, et en particulier la Nouvelle Zélande et Tahiti. Il est d'ailleurs à craindre que les excès ne soient commis par ceux qui pratiquent les essais atomiques dans le sud du Pacifique. La plupart de ces pays détiennent déjà des droits territoriaux sur l'Antarctique; et au vu de leurs antécédents, je serai très étonné qu'ils se soucient des nuisances écologiques. Je regrette qu'il n'y ait pas suffisamment de monde qui soit sensibilisé par la question. Si les grandes puissances étaient victimes de graves préjudices causés par des expériences nucléaires, elles réagiraient différemment...

(Version originale de l'interview parue dans le n° 9 - janvier 93 - de Mofo)

 

Dick Annegarn

Citoyen sur péniche

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« Bruxelles », « L’institutrice », « Ubu », « Bébé éléphant », « Mireille »... Toutes des petites chansons d’un grand Hollandais âgé aujourd’hui de 40 ans et qui a connu une grande période de succès au début des années 70. Avant, comme il le dit lui-même, de se retirer de la compétition, en 78. Dick Annegarn vit sur une péniche (‘La Gueuze’) à Marne-la-Vallée, dans la banlieue Est de Paris. Il a les huissiers au cul, accorde de temps en temps des concerts dans lesquels il introduit des petites pièces de théâtre, publie un disque acoustique (NDR : « Inné’Dick », sur lequel figure un seul inédit, « Les Thèques », ainsi que des enregistrements dépouillés de certaines chansons peu connues) et ricane derrière ses lunettes...

Quand as-tu choisi de devenir chanteur?

Ce n'est pas vraiment un choix. Je me suis rendu compte que je savais y faire. On croit toujours que les artistes choisissent leur vie, ce n'est pas vrai. Comme les employés n'ont pas tous choisi d'être employés... Il y a toutes sortes de rêves associés à la vie d'artiste, et bien moi, j'ai plusieurs fois essayé de me recycler. Mon dernier projet en date était d'ouvrir une librairie 24h/24 à Bruxelles.

As-tu l'impression que tes chansons traverseront le temps?

Je les ai écrites pour qu'elles durent. Ce ne sont pas des chansons soixante-huitardes. « Oithyrambos » parle d'une mythologie d'avant les Grecs et « Robert Caillet » raconte une histoire qui pourra encore arriver dans 150 ans. Mes compos, j'essaie qu'elles ne soient pas typées, ni ‘mode’. Le mot ‘moderne’ date du XIVe siècle! « Mona Lisa Klaxon » de Jacques Higelin est une belle chanson, mais je crois qu'elle est périssable. J'ai pris un abonnement pour l'avenir, et je crois que mon style folk vieillit mieux que le rock et la pop.

Tu es connu aux Pays-Bas où tu es né ?

J'y accorde quelques concerts de temps en temps, dans des salles de 3 ou 400 personnes. Mes disques sont très mal distribués en Hollande. Mais je n’y suis pas un illustre inconnu. Le bouche-à-oreille, le téléphone arabe fonctionne. J'ai lu que Nougaro à qui on demandait s'il me connaissait a répondu : ‘Oui, de légende’.

Tu as 40 balais. Imagines-tu, comme Charles Trenet, continuer à écrire et interpréter des chansons, quand tu en auras 80 ?

Tout dépendra de ma voix et de mon inspiration. Si à 80 ans, je trouve encore les sujets intéressants, pourquoi pas? Mais Dick Annegarn, j'en aurai peut-être fait le tour! Je suis celui qui est le plus en contact avec moi, je serai donc le premier que Dick Annegarn ennuiera.

Raconte-moi comment tu vis sur ta péniche...

Je suis un solitaire, je vis avec mon chien. J'aime le silence, écouter la Marne. Je vais au café, les gens me racontent leurs dernières blagues, je cours, je fais du yoga pendant que l'eau bout. Je suis le poète que les gens viennent parfois consulter, quand ils ne vont pas bien.

Si tu animais un talk-show aujourd'hui, qui inviterais-tu?

J'ai un projet d'émission radio. C’est l'outil qui correspond le mieux à mon imagination. Il n'y a pas d'images, c'est plus suggestif. Je voudrais mettre en valeur les différents parlers, les dialectes. Je vais solliciter la radio belge pour voir si je peux faire cette émission à mi-temps. J’aimerais tenter l’expérience, un an ou deux. Je vais là où je crois pouvoir être utile...

Le cinéma, ça te tente?

Oui. Jacques Doillon m'a un jour proposé un rôle. J'ai refusé. Ca puait l'appartement, le scénario claustrophobe. Moi, je me vois plutôt dans des épopées, jouer un héros un peu foireux. J’aurais bien voulu incarner Théo Van Gogh au cinéma.

Cite quelques chansons qui t'émeuvent?

« Les Bergers » de Brel, « Georgia » de Ray Charles, « Daytripper » des Beatles, « What have they done to my song? » de Melanie et « Like a rolling stone » de Bob Dylan. Ca va comme ça?

(Article paru dans le n° 9 du magazine Mofo de janvier 1993)

 

EMF

On a toujours quelque chose à prouver

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La réussite d’EMF a été très rapide. Elle a donc rendu le groupe suspect. Plan ‘plaqué or’ du business, accident de passage ou groupe crédible et sincère? On n’a pas lésiné sur les interrogations. Normal après tout, il faut bien qu’il y ait une rançon à la gloire. Cette gloire, EMF l’a parfaitement assumée et digérée. Faut voir le professionnalisme exacerbé de ces jeunes types pour le croire: Zac (pour Zachary Sebastian Rex James Foley), le bassiste, tâche déjà de vous vendre, en interview, sa ‘camelote’, avec un désintérêt feint qui égale celui des habitués de ce genre d’exercice…

« Si je crois que ‘Stigma’ (le nouvel album sorti chez EMI) représente une progression ou une confirmation pour EMF par rapport à ‘Shubert Dip’ ? Ben, une progression oui, enfin, j’espère ! Mais demande plutôt au public qui vient nous voir ! Il peut mieux juger que moi. »

Bien, signalons quand même à Zac, pour le cas où il ne l’aurait pas perçu directement, que ledit album est tout de même sensiblement plus sec, plus heavy, que le précédent, tout illustre soit-il. « Je pense que l’explication est simple : nous avons beaucoup tourné depuis la sortie de ‘Schubert Dip’. » Il ne faut pas oublier que ce groupe est très jeune. « Nous n'avions accordé que quelques concerts locaux quand EMI nous a signés. Well, on a tout de suite commencé à enregistrer et on a appris des trucs en méthode accélérée. Le fait d'avoir joué beaucoup a raidi assez sensiblement notre son. C'est normal! On a voulu retrouver sur le disque celui que nous dispensons en ‘live’. Ou, en tout cas, nous en rapprocher au maximum ».

A l’instar de leur premier opus, ‘Stigma’ mélange les styles. On y rencontre à la fois du heavy, du pop, du punk, du progressif (les claviers de ‘They're Here’ évoquent ceux d'Hawkwind voire d'Eloy époque ‘Metromania’). Est-ce ce qui constitue leur marque de fabrique. Soignent-ils cet aspect des choses? Zac s’explique : « Je ne peux pas dire qu'on le soigne parce que tout cela est parfaitement naturel pour nous. Nous ne calculons rien. Nous n'écrivons jamais de chanson en nous disant ‘on va mettre dix pour cent de ceci, vingt pour cent de cela, etc.’ Ce sont les journalistes qui établissent le relevé de ces dosages, plutôt! Nous, en fait, à partir du moment où une chanson nous paraît bonne, qu'elle plaît au groupe, OK, on la classe dans le tiroir du dessus. Mais il faut qu’elle reste naturelle et spontanée, sinon on va se casser la gueule, je pense. On n'est pas des types à jouer aux apprentis sorciers! Le business nous laisse froids de toute manière. Merde, on sait ce que c'est ce business. C'est la musique qui nous botte, sinon on se contenterait de vendre des disques et on ne ferait pas des concerts tant qu'on peut. C'est pas facile tous les jours ces grosses tournées, je peux te le dire! » Ces périples justement, sont-ils accomplis, parce que le groupe a quelque chose à prouver? « Qui peut dire qu'il n'a rien à prouver? A partir du moment où tu proposes quelque chose, tu as quelque chose à prouver! On n'a rien à justifier, ça c'est certain. OK, je vais te donner un exemple: je me souviens parfaitement de notre précédent concert en Belgique. Eh bien on veut démontrer aux gens d'ici qu'on est meilleurs encore qu'alors. Et pourtant, on a été bons, la dernière fois ».

Les lyrics des compos ne sont pas imprimés sur le booklet. On imagine dès lors facilement qu’ils n’ont guère d’importance pour le combo. Réplique : « Ils n’ont pas plus de valeur que nos mélodies. Cela dit, nous n'imprimons pas non plus les partitions de nos chansons! Nos textes sont importants pour nous. On ne dit pas n'importe quelle ânerie. Mais bon, on ne défend aucune cause, non plus. Il ne faut pas que cela devienne une obligation… »

Article paru dans le n° 8 du magazine Mofo de décembre 1992

 

Faith No More

Ne croyez pas ce que racontent les journaux

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En 1989, Faith No More décrochait un hit :’Epic’, un rap-metal imparable. Trois ans plus tard, ‘Angel Dust’, album riche et complexe brouille les pistes sans altérer la popularité des Californiens. Mieux encore, tous leurs 1eurs concerts européens affichent sold-out. Pour en parler, place à Bill Gould, le bassiste ‘qui tue les enfants’. Sujet de la conversation également abordé : Guns’N’Roses, Metallica et Richet Said Fred. Après avoir joué aux Etats-Unis en lever de rideau, justement de Metallica et Guns’N’Roses, Faith No More s’est lancé dans une longue tournée européenne en compagnie d’L7 et sous le patronage d’MTV. Entre Glasgow et Paris, le quintet de San Francisco faisait escale à Deinze, pour la 2ème fois en un mois, dans un Brielpoort plein à craquer. Après avoir publié 4 albums, Faith No More s’installe parmi les forces majeures de ce début de décennie, aux côtés de Nirvana, Metallica et Red Hot Chili Peppers. Voués malgré eux à un succès planétaire, ces groupes produisent tous un rock féroce, viril et sans compromis.

« La musique, les goûts du public et l'industrie du disque ont évolués, mais je me demande si cette situation va durer ou si ce n'est que provisoire. Il est difficile d'analyser le succès d'un groupe comme Nirvana, tout comme le nôtre. Pourquoi sommes-nous si populaires? Je n'en sais rien. Le 45tours ‘Epic’ a servi de détonateur ; auparavant, personne n'avait entendu parler de Faith No More. Ce qui nous a permis de toucher un public plus large. Jane's Addiction et Red Hot Chili Peppers ont connu le même succès. Nous avons certainement ouvert des portes. C’est plus facile aujourd'hui pour un groupe de rock d'entrer dans le Top 40 qu'il y a 3 ou 4 ans. Les maisons de disques ont compris qu'il y avait une demande pour notre musique. Les radios américaines ont également changé leur fusil d'épaule: elles n'hésitent plus à passer du rock radical »

Maisons de disques et stations de radio ne sont pas les seules à avoir favorisé le succès de Faith No More. Il y a aussi la télévision, MTV plus précisément. La chaîne musicale sponsorise la tournée européenne du groupe et pour promouvoir celle-ci, elle n'a pas lésiné sur les moyens : interviews et clips chaque semaine, pendant un mois, dans le cadre de l'émission ‘Post Modern’.

« Je n'ai pas vu ce programme, précise Bill. On a réalisé toute l'interview en un seul jour. Elle a été découpée en plusieurs tranches pour le programme en question. Oui, je sais, il est agaçant de nous voir constamment à la télé? C’est du matraquage, je partage ton point de vue ; et à la longue, ça devient lassant. Toujours les mêmes questions qui reviennent. Mais bon, on n'a pas touché d'argent pour cette promo. Au contraire, c'est moi qui ai payé MTV: 3 heures de mon temps! Le tournage s’est déroulé en Finlande ; et franchement, j'aurais préféré me balader dans les rues d'Helsinki plutôt que de rester à l'hôtel pour me taper cette saloperie. »

Publics Ennemis

Depuis la sortie du single ‘Epic’ et la confection de l'album ‘The Real Thing’, est paru l’elpee ‘Angel Dust’, décrit en termes laudatifs par l'ensemble de la critique bien qu'étant moins accessible que le précédent opus, tant par la forme que par le fond. Etait-ce le seul moyen de se débarrasser des kids pubères et branchés?

« On ne veut pas enregistrer le même disque à chaque fois. Dès lors, il est normal qu'on touche plusieurs publics en même temps. Parmi nos fans, il y a la phalange pure et dure et puis les petits jeunes qui viennent au concert pour ‘Epic’, parce qu'ils l'ont entendu à la radio. Ceux-là, dans un an, aimeront probablement un autre groupe. Mais ce n'est pas notre problème. On a tourné en compagnie de Guns'N'Roses et Metallica, devant une bonne partie de leur public. Ce n’est pas nécessairement dérangeant. Les gens ont de mauvais goûts musicaux, de toute façon. Il faut être débile pour aimer Faith No More! (rires). Mon boulot ne consiste pas à analyser les motivations de nos fans mais plutôt de leur vendre des T-shirts! (rires) ».

Les reprises du groupe sont particulièrement significatives à ce sujet. « Lors de nos premiers concerts accordés à San Francisco, on nous reprochait de jouer du Black Sabbath, c'était impopulaire, un truc de hippies. Pour emmerder le monde, on a continué à en interpréter. Mais par la suite, les hard-rockers ont commencé à s'intéresser à notre musique et réclamaient constamment ‘War Pigs’. A leurs yeux, on était devenu heavy metal, simplement parce qu'on reprenait ce morceau. C’est pour faire chier ceux-là qu'on joue désormais ‘Easy’ des Commodores. C’est un clin d'œil. Et lorsqu'‘Easy’ aura fait son chemin, on choisira une autre chanson. On aime bousculer les habitudes. »

Sur les Roses

Pour Faith No More, la tournée américaine accomplie en compagnie de Guns'N'Roses et Metallica constituait avant tout l'occasion rêvée de se produire dans des stades, devant la toute grosse foule. Toutefois, Bill garde un souvenir amer de cette expérience: « Avec les Guns, on a joué devant 80 000 personnes en un seul jour. Il nous aurait fallu 40 concerts pour attirer une telle foule. Ce qui nous paraissait être une bonne idée au départ ; mais on s'est vite rendu compte que le public s'était déplacé uniquement pour voir Guns'N'Roses et Metallica. C’est un peu frustrant. En Europe, ce périple nous a aidés, parce qu'on y est moins connus. Le principal, c'est qu'un maximum de gens nous écoute. D'un point de vue humain, cette tournée s'est bien déroulée pour la simple raison qu'on ne s'est pas souvent côtoyés. Je n’ai rencontré Axl qu'une seule fois. Au début, on était attentifs à ce qu'on disait ; mais par la suite, on s'en foutait royalement. On les regardait jouer, sur le côté de la scène, en se payant continuellement leurs têtes. Après, il y a eu un froid. Ils avaient probablement lu dans la presse ce qu'on pensait de ces cons! »

Metallica, par contre, est un groupe que Bill apprécie énormément: « Ce sont de bons amis et j'aime ce qu'ils font. Au niveau metal, il n'y a que 2 groupes qui nous ont influencés: Slayer et Metallica. Avant qu'ils n'apparaissent, j'avais toujours détesté le heavy metal et ses hordes de poseurs. Je préférais le punk rock. Je ne supportais pas Led Zeppelin, par exemple, parce que c'était le groupe favori de mon père. Je l'associais à une certaine forme d'autorité. Moi, j'écoutais Black Flag et les Sex Pistols. Aujourd'hui, j'aime bien Led Zep parce que ce n’est plus une menace pour moi. »

Rumeurs

Les membres de Faith No More possèdent un sens de l'humour hors du commun. Ils adorent faire des blagues ou dire le contraire de ce qu'ils pensent. Malheureusement, leurs gestes et paroles sont souvent interprétés au premier degré. C’est le cas de cette histoire où Jim Martin, le guitariste expliquait à un journaliste anglais comment il avait fait sauter sa chambre d'hôtel à l'aide d'un flingue. Ce que le journaliste en question avait oublié de mentionner dans son papier, c'est qu'il s'agissait d'un pistolet en plastique! Bill a d'ailleurs un message à l'adresse de ceux qui liront cette interview: « Ne croyez pas ce qu'on raconte dans les journaux, ce n'est qu'un tissu de mensonges. Beaucoup de journalistes exploitent les musiciens afin de se rendre intéressants, en inculquant aux lecteurs des mythes qui n'existent pas! »

Ainsi, les choses sont claires. Quand on vous révèle que Bill a pour hobby d'uriner du haut d'un pont, on ne cherche qu'à se rendre intéressant. Mythe ou pas mythe, tentons d'élucider la question. Avec beaucoup de bonne volonté, Bill lève le voile sur les rumeurs qui entourent le groupe. Il est de notre devoir de signaler que certains passages sont susceptibles de choquer les âmes sensibles. Vous êtes prévenus.

Tout d'abord, cette collaboration avec Right Said Fred. Est-ce vrai ? Bill nuance : « C'est davantage une blague, mais si l’occasion se présentait, pourquoi pas? Bien que je n'ose imaginer le résultat! (rires). On serait peut-être les seuls à trouver ça drôle! Ils sont cools, Right Said Fred, pas prétentieux pour un sou ».

La maison de disques de F.N.M. s’est-elle finalement remise des frayeurs causées par le dernier album? Réponse de notre interlocuteur : « On a laissé supposer pendant longtemps que l'album s'intitulerait ‘Crack Hitler’ (titre d'un morceau) pour lui faire peur. Ce n'était qu'une blague de plus. Un autocollant a quand même été appliqué sur la pochette, pour mettre en garde les parents qui se soucieraient du contenu. »

Les musicos de F.N.M. seraient des misanthropes ! Réaction : « Ceux qui prennent tout ce qu'on dit au premier degré doivent nous prendre pour des misanthropes ; mais c’est parce qu’ils n’ont aucun sens de l'humour. Je ne pense pas qu'il faille toujours donner des explications sur tel ou tel morceau. Chacun y trouve ce qu'il cherche et tant pis pour celui qui est incapable de comprendre une blague. Je n'aime pas lever l'ambiguïté, mais je vais quand même avouer que personne parmi nous n'est misanthrope. Tu me trouves méchant, honnêtement? On aime bien jouer avec les pieds des gens, c'est tout. Ca nous amuse. Je trouve que les Européens perçoivent plus facilement notre humour que les Américains… »

Et clôturons cet entretien par la polémique sur les armes. Bill serait-il armé ? « Pas encore, mais je pense m’acheter un flingue dès mon retour aux USA. A San Francisco, il est moins dangereux d'avoir une arme que de ne pas en avoir. Ainsi si tu peux aussi tuer quelqu’un au volant d’une voiture ! » Ah bon, et quelle cervelle aimerait-il faire sauter ? « La mienne (rires). Non, sérieusement, celle d’un petit bébé. Et après, je lui pisserais dessus! » (rires) Et d’en remettre une couche : « Je tue des nourrissons, tant que je ne me fais pas prendre. Personne ne m’a encore jamais attrapé! (rires) La justice est impuissante, tu sais… »

Article paru dans le n° 8 du magazine Mofo de décembre 1992

The Godfathers

Il n’y a rien d’original à se servir du talent d’autrui

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Bien que perpétuant la tradition rock'n rollienne de groupes tels que les Yardbirds ou les Kinks, les Godfathers réfutent  toute analogie avec le revivalisme sixties. Ce qui importe chez eux, c'est l'efficacité de leur musique. Une efficacité qui se manifeste d'abord sur les planches. Là, ils libèrent toute leur énergie, toute leur adrénaline, toute leur rage de s'exprimer. Les mauvaises langues diront que leur rock'n roll n'est plus d'actualité. A notre humble avis, ils auraient mieux fait d'assister à leur prestation qu'ils ont donnée dernièrement à Bissegem (De Kreun). Un petit club sympathique situé dans la banlieue de Courtrai qui pour la circonstance était plein comme un oeuf. Ce soir là, les Godfathers  étaient dans un état de grâce et nous ont gratifiés d'un set de Dieu le Père (!). A l'issue du concert, la bande aux frères Coyne nous a accordé une interview. Rien ne leur a été épargné, même pas les questions auxquelles ils se refusent, en général à répondre. Jugez-vous même du résultat...

Si je ne m'abuse, vous étiez cinq auparavant, qui donc s'est fait la malle?

Chris : Les deux guitaristes et le batteur originaux ont été remplacés. Chris (Burrows) est parti voici déjà quatre ans. Georges (Mazur) l'a suivi très rapidement. Quant à Mike (Gibson), son départ ne date que de Noël 91.
Kevin : Mon entrée chez les Godfathers remonte à novembre dernier. J'ai aussi participé aux sessions d'enregistrement de l'album "Unreal World", et puis je joue sur plusieurs titres du "live"...

Ah, c'est un ‘live’!

C. : Pourquoi, tu ne l'as pas reçu?

Ben non, je croyais qu'il s'agissait d'une compilation. (NDR : le CD nous est parvenu entre-temps, et nous regrettons qu'il n'ait pu bénéficier d'une promo plus conséquente).

Peter : En fait, nous avions engagé un second guitariste. Mais il s'évertuait à reproduire des clichés dont nous ne voulions plus entendre parler. Comme nous avions décidé de faire une croix sur notre passé, nous avons estimé qu'il était préférable de s'en séparer. Et puis, Kevin s'acquitte de son rôle à la perfection. Il joue bien et fort. Nous n'avons donc plus besoin de guitariste supplémentaire. La formule à quatre est beaucoup plus équilibrée. Elle nous permet de prendre notre pied sur scène...

Jouer ‘live’, c'est important pour les Godfathers?

P. : Absolument! Que ce soit devant 45.000 personnes ou dans un petit club comme ce soir, nous essayons toujours de créer un climat différent. Le nombre de spectateurs importe peu. Ce qui compte, c'est la qualité du set et la relation qui se crée entre la foule et le groupe.
C. : Je préfère quand même me produire dans des petites salles. C'est plus intime. Il n'y a pas de barrières entre les musiciens et le public. Et puis c'est plus pratique pour embrasser les jolies filles...

Pourtant vous semblez particulièrement violents et même irascibles sur les planches!

C. : Nous libérons de l'énergie sans plus. La colère est une valeur négative. Chez les Godfathers la violence véhicule une forme d'excitation susceptible de vous apporter une sensation de bien-être.

Cette succession de tournées n’est-elle pas trop pénible ?

Ali : Après plusieurs semaines d'exode, nous sommes contents de prendre un bon repas à la maison.

Vous aimez la nourriture anglaise? Le porridge par exemple? (NDR : Beurk!)

K. : Absolument! En hiver, lorsque le temps est froid, prendre une ration de porridge salée ou poivrée (NDR : Rebeurk!) est un excellent reconstituant pour la santé...
C. : Nous aimons beaucoup voyager. Ces tournées nous permettent de rencontrer beaucoup de monde, de voir du pays...

Pourquoi toutes ces tournées?

P. : Le succès est lié à l'argent et vice versa. C'est vrai que les tournées coûtent cher, mais si tu ne te fais pas connaître, tu ne gagnes pas d'argent. Et sans argent, tes chansons ne valent pas un clou. Il existe de nombreux groupes de rock. Certains gagnent beaucoup d'argent, d'autres moins. Nous n'avons pas à nous plaindre. Nous aurions tout aussi bien pu émarger au chômage!

Cela me permet de passer à un sujet qui touche particulièrement les Britanniques: la politique. La Grande-Bretagne souffre d'un taux de chômage particulièrement élevé. Pourtant, les insulaires continuent de voter pour les conservateurs. Pourquoi? Malgré le retrait de Margareth Thatcher, rien ne semble avoir changé...

C. : Cinquante-six pour cent de la population détestaient Maggie, mais quarante-deux pour cent la plébiscitait. Tout le monde n'a pas la chance de voter en Angleterre. Il faut payer la poll-tax pour pouvoir donner ta voix. Alors si tu es dans la dèche tu dis ‘merde’ aux élections. Ce n'est pas démocratique. Et puis il y a les paresseux qui oublient de voter. Enfin, les opportunistes qui prétendent défendre la cause des travaillistes ou tout au moins admettre leurs idées, et qui en dernière minute se rétractent parce qu'ils pensent à leur propre situation. Ils ne pensent alors plus du tout aux autres, ni à leur pays. Ils s'en foutent de la Grande-Bretagne et de ses sans-abris. C'est leur portefeuille qui compte! 

"Birth School Work Death", c'est une conception de la vie?

P. : Non, c'est le titre d'une bonne chanson!

Pourtant, vous êtes un groupe à thèmes. Dans l'étymologie de Godfathers (NDR : traduction littérale de parrain), on retrouve les mots "God" (Dieu) et Fathers (Pères), croyez-vous en Dieu?

P. : Nous sommes fondamentalement croyants. Mais chacun d'entre nous possède sa propre spiritualité. En ce qui me concerne, cette foi vit au plus profond de moi-même; j'espère simplement qu'elle m'aidera à sauver mon âme...

Pourtant la religion est une des principales sources des conflits qui gangrènent notre monde?

P. : Evidemment! Tu sais, la foi c'est quelque chose de personnel. La religion implique des dogmes. Et ces dogmes peuvent conduire à l'intolérance. Regarde en Angleterre, le football est devenu une forme de religion. Il a conduit au hooliganisme. Et dans notre monde, il y a tellement d'idéologies différentes, qu'elles finissent par devenir conflictuelles...

La politique, c'est un peu une autre forme de religion, alors?

C. : La politique est accusée de tous les maux de la terre. Mais, c'est un élément indispensable de la vie sociale. C'est encore une fois l'intolérance qui conduit à la destruction du tissu social. Le monde entier craint l'extrémisme; mais si tu fais ton examen de conscience, tu te rends compte que ton comportement fait le lit de l'extrémisme. Aux Etats-Unis, si tu as la peau noire, tu n'as pratiquement aucune chance de décrocher un job. Dans l'ex Allemagne de l'Est, on prend pour cible les immigrés qui seraient responsables du chômage. En France Le Pen n'a pas bonne presse, mais son crédit augmente de jour en jour. Là est le danger!

Pourquoi détestez-vous parler des sixties?

P. : Parce que ce sujet entraîne inévitablement des comparaisons rétrogrades. Il est vrai que les sixties constituent une période productive. Pas seulement pour le rock, mais également pour toutes les autres formes musicales. Productive et créative. C'est pourquoi tant de groupes y trouvent leur inspiration. Tu sais, les charts des sixties étaient beaucoup plus excitants. Ils étaient inondés de chansons plus formidables les unes que les autres. Et les bouleversements du Top Ten étaient uniquement provoqués par le renouvellement des hits. Aujourd'hui, c'est de la merde!...

La house, la techno et les samplings, ce n’est pas votre truc alors?

A. : Au départ, la house était intéressante, mais plus aujourd'hui. Elle étouffe complètement la mélodie. Il ne reste que du bruit sur lequel les kids doivent se droguer pour éprouver un semblant de quelque chose. C'est stupide!
P. : Le sampling n'est pas à priori mauvais. C'est son utilisation abusive qui est néfaste. Regarde Jesus Jones, sa consommation excessive de samplings rend sa musique dépressive. Et puis quel manque d'imagination de puiser dans le répertoire des autres pour le réinjecter dans ses propres compositions. Il n'y a rien d'original à se servir du talent d'autrui.

Pourquoi avez-vous quitté Epic?

P. : Nous sentions que ce label cherchait à nous manipuler. Et comme nous ne voulions pas devenir un autre groupe de pop merdique, nous avons préféré changer d'air...

Quel est votre voeu le plus secret?

A. : Etre heureux tout simplement!
K. : Vivre jusque 93 ans et voir que le monde se souvient encore des Godfathers...
P. : Mourir dans mon lit en faisant l'amour...

Et pour tout savoir à leur sujet, ils aiment... The Beatles, Iggy Pop, Sex Pistols, Gene Vincent, Elvis, Hendrix, les films classés "X", mais détestent... Sonic Youth, My Bloody Valentine, Mark E Smith, Guns 'n Roses, Prince, la vanité.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 7 – novembre 1992 - de Mofo)

 

Lonnie Mack

Le père du Roadhouse blues

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Lonnie Mack est l'un de ces artistes qui traversent les vagues sans être touché par ce qui l'entoure, un homme tout d'une pièce, assez bourru, somme toute typique du sud des Etats-Unis. Un musicien qui fait l’unanimité chez ses pairs. De son vrai nom McIntosh, Lonnie est né le 18 Juillet 1941, à Harrison, dans l'Indiana, près de Cincinnati, non loin de la frontière que forment les trois états de l'Ohio, du Kentucky et de l'Indiana. Il s’est prêté de bonne grâce à cette interview…

Tu fais figure d'influence majeure pour de nombreux guitaristes (Eric Clapton, Jeff Beck, Mike Bloomfield, Duane Allman, Stevie Ray Vaughan, etc.) Tu n'avais pourtant que deux ou trois ans de plus qu'eux ?

J'ai commencé à jouer très tôt, dans le milieu des années 50 et puis j'ai beaucoup enregistré au début des années 60 ; mes succès commerciaux, c'était en 1963, c'est-à-dire, bien avant que tous ceux que tu cites ne soient devenus célèbres.

Tes racines?

Mes racines, c'est la country music. Il n'y avait d'ailleurs pas grand-chose d'autre à l'époque ; mes pionniers étaient Merle Travis, Chet Atkins, Les Paul ou encore Hank Williams. Après, j'ai écouté du blues et puis le rock est arrivé, mais c'était déjà plus tard, dans les années 50.

Quand as-tu employé pour la première fois ta guitare ‘Flying V’ (en forme de flèche) ? Peu de bluesmen ont joué sur ce modèle de guitare hormis Albert King bien entendu. Elle est plutôt recherchée par les spécialistes du heavy metal...

Je joue sur cette guitare depuis 1958. C'était une des toutes premières ; d'ailleurs elle porte le numéro de série 7. Elle est appréciée chez les musiciens du heavy metal, parce qu'elle restitue un son très métallique. Je trafique le son au niveau de l'amplification par des systèmes de ventilation ; un ‘Leslie’ qui est une technique utilisée pour les claviers. Ce qui apporte ainsi un certain son d'orgue. J'ai repiqué certains de ces trucs à un musicien extraordinaire qui est malheureusement décédé il y a peu, Robert Ward. Ce type était l'influence majeure de Jimi Hendrix qui jouait souvent aussi sur la ‘Flying V’.

Tes premiers succès, c'était des instrumentaux très rock'n'roll, non?

J'ai commencé par être musicien dans les célèbres studios King à Cincinnati. J'ai notamment joué pour James Brown et Freddie King. Puis, j'ai pu enregistrer mes propres compos pour un nouveau label local, Fraternity. C'est par hasard qu'ils ont sorti ma version instrumentale de « Memphis », une face B d'un 45tours de Chuck Berry. Aux Etats-Unis, lorsqu'on joue de la musique un peu spécialisée (NDR : tout ce qui n'est pas de la ‘pop music’), il est difficile de te forger le succès commercial au niveau national. Par contre, tu peux réaliser les meilleures ventes dans certains coins spécifiques. C'est ce qui m'arrivait. Je jouais alors dans tous ces Etats qui voulaient bien de ma musique. J'étais tout le temps en route, c'est la raison pour laquelle on l’appelait le ‘roadhouse rock ou blues’. Les roadhouses ce sont ces gargotes que l'on croise le long des routes nationales aux States.

Est-ce la raison pour laquelle tu as participé aux sessions d’enregistrement de l'album « Morrisson Hotel » des Doors, pour le titre « Roadhouse blues »?

En fait, à cette époque, j'étais sous contrat chez le label Elektra, qui était aussi celui des Doors. Ils n'avaient pas de bassiste, c'est l'organiste Ray Manzarek qui assurait les parties de basse à l’aide de ses pédales. Je suis donc venu pour jouer la basse mais surtout pour accélérer le rythme des sessions ; car ils avaient tendance à mettre en boîte des dizaines de prises pour souvent revenir à la première. En débarquant, je pensais que les sessions allaient être menées rondement ; mais comme d’habitude, elles ont traîné. Morrisson, quand il arrivait, était complètement bourré. C'est pas un grand souvenir pour moi!

Quand es-tu (re)venu au blues?

Je ne suis pas venu au blues. Je ne suis pas un bluesman. Je ne me suis jamais considéré comme un bluesman. Je joue du rock et du rhythm'n'blues, c'est pas la même chose. Bruce Iglauer vient de la même ville que moi dans l'Indiana ; sa mère vivait près de chez moi. Une fois qu'il était dans le coin, il est venu m'écouter et m'a proposé d'enregistrer pour son label de Chicago, Alligator. Je ne connaissais pas cette boîte, alors il m'a envoyé quelques uns de ses disques, comme ceux d'Albert Collins, et ils m’ont plu.

Pourquoi avoir choisi Stevie Ray Vaughan comme producteur de ton premier album sur Alligator (« Strike like lightning ») ?

J'ai habité à Austin, au Texas, pendant quelques années, à la fin des seventies. C'est là que j'ai rencontré Stevie Ray, un gars fantastique. Le premier disque qu’il n’ait jamais acheté était « The Wham of that Memphis man » (NDR : le 1er LP de Lonnie). Je l'ai influencé mais en quelque sorte, il est devenu une influence pour moi aussi. Il a voulu produire mon album. On a vécu des moments magiques comme pour « Greo Cookie Blues », mon hommage à Merle Travis. Nous étions trois, Stevie, mon frère Bill et moi, assis sur le sol des studios avec nos guitares acoustiques. Un grand moment!

Est-il exact que ce sont les pays européens qui te réservent le meilleur accueil?

Nous aimons particulièrement jouer en Irlande, en Hollande, ici en Belgique et puis aussi en Norvège. Nous avons participé à quelques festivals, mais nous fréquentons aussi les petits clubs, c'est très bien ainsi!

Qu’est ce que tu écoutes, comme musique ?

J'écoute de la country bien sûr et puis des groupes de R&B comme les Allman Brothers, ZZ Top, des artistes qui jouent du ‘southern rock’ (NDR : il en est sans nul doute lui-même le précurseur). Il y a énormément de très bonnes formations aux States, au Texas, dans le Tennessee, à Memphis, mais ils ne sortent guère en dehors de chez eux. J'habite maintenant près de Nashville, la capitale du country.

(Article paru dans le n°7 de novembre 1992 du Magazine Mofo)

 

Catherine Wheel

Des chansons, pas du bruit…

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Catherine Wheel n'est pas un groupe de noisy, pas plus qu'un ‘shoegazer’ ou qu'un membre de la ‘scene that celebrates itsef. Ses musicos ne veulent pas qu'on les qualifie comme tels, en tout cas. Et on les comprend. Mais rappelons d'abord la signification de quelques mots de vocabulaire. ‘Shoegazer’ qualifie les musiciens qui regardent leurs chaussures quand ils jouent. ‘The scene that celebrate itself’ concerne les groupes souvent shoegazers qui passent leur temps à se faire voir aux concerts des autres. ‘Hype’ est un terme qui désigne les formations ou artistes devenus rapidement chouchous du NME ou du Melody Maker, parce qu’à la mode ou dans l’air du temps. Aujourd'hui en tout cas, plus personne ne veut être traité de ‘shoegazer’. Un substantif à fuir comme la peste…  

Rob Dickinson : il y a énormément de pression, sur un groupe, quand il commence. On a souvent été comparés aux ensembles noisy, à nos débuts, catalogués dans la ‘scene that celebrates itself’ qui était plus sociale que musicale. C’est pourquoi nous n’y étions pas impliqués, car nous sommes issus de Londres. Ceux qui appartiennent à ce mouvement construisaient de gros mur du son ou essayent désespérément de se recréer. Ils ne comptent que douze mois d'existence et doivent déjà se réinventer! Moose a sorti un LP qui, pour éviter les critiques de shoegazing, s’est orienté vers le country & western. Ils essaient à tout prix de modifier leur style pour ne pas hériter de l’étiquette ‘shoegazer’ ! Notre son évolue mais ce qui était vrai pour Catherine Wheel, il y a deux ans, reste d'actualité. Notre musique est basée, avant tout, pour des chansons. Pas sur le bruit. On a effectivement franchi un pas entre nos premiers Eps et note création actuelle. Mais on n’a pas cherché à se renouveler, on n'essaie pas plus de suivre les modes. Notre démarche était en vogue, il y a un an ; elle ne l'est plus aujourd'hui. Des compos comme "Black Metallic" ou "Texture" ne découlent pas sur le bruit ; on pourrait les jouer sur des guitares acoustiques. Une attitude souvent adoptée lors de notre tournée américaine, pour les interviews radio et télé.

C'est précisément "Black Metallic" qui marque cette rupture, en révélant la véritable personnalité de Catherine Wheel ?

R.D. : Oui, « Black Metallic » incarne l'ultime rencontre entre une chanson à la structure assez classique et un bruit magnifique, sur le fil du rasoir. Marcher sur cette ligne entre la tentation d'être des songwriters –ce qui est une erreur, car on écrit nos chansons très naturellement, sans vraiment se soucier de leur donner une ossature– et produire un gros mur de guitares. Une ouverture qui permet, en concert, de construire quelque chose de différent. "Black Metallic" est la moelle de tout ce qu'on a essayé de créer, la cristallisation de Catherine Wheel.

Aujourd'hui, les ex-hypes de la presse anglaise (Lush, Chapterhouse...) se font démolir. On peut dire que vous avez eu de la chance de ne pas avoir subi le même sort.

R.D. : C'est vrai. Car dès qu'on a été une hype, on ne peut que décliner sans espérer remonter la pente. Ce groupe existe sur ce qu'on fait spontanément. J'ai grandi en lisant le NME et le Melody Maker. C'était la seule raison de se lever, le mercredi matin et durant la semaine. Le risque est donc grand de les prendre trop au sérieux et d'attraper la grosse tête car on se retrouve tout d'un coup, dans ces journaux, à notre tour. Je connais pas mal de formations qui écrivent leurs chansons, non pas pour eux-mêmes, mais pour la presse anglaise. Ils savent qu’en produisant un certain type de son ou en incarnant un certain modèle de groupe, on parlera d'eux dans la presse musicale. C'est assez étrange. On n'a jamais été une hype et c'est très bien ainsi, car cette situation nous a permis de grandir naturellement. Tout ce que nous avons accompli, à ce jour, relève de notre propre identité. Sans image préfabriquée, sans relations dans le milieu des stations de radio ou de la presse musicale. On y est parvenu grâce à nos chansons.

Et que pensez-vous de la dernière grande hype en date: Suede?

R.D. : Ils sont formidables. Vraiment très bons. Il est de bon ton de clamer qu'ils sont nuls ; il est très facile de les dénigrer, mais ils racontent des choses assez intéressantes. J'ai lu une interview où ils critiquaient certains groupes de la Scene, parce qu’ils avaient tous le même son. Je comprends Suede quand ils les attaquent ; il y a quand même une sorte d’abdication de votre identité de groupe. Ils produisent tous des paysages soniques qui n’existent que pour trois minutes. Une fois encore, c'est peut-être bien, mais je peux comprendre la frustration de ceux qui veulent des paroles, des riffs de guitare, un contenu créatif. C'est très facile de créer un mur du son très compact, qui va et qui vient! Suede se nourrit d'influences complètement différentes comme Bowie, T.Rex... Pas mal de musiques avec lesquelles j'ai grandi, d'ailleurs. Mais je ne pense pas que les gens prennent la presse musicale trop au sérieux. Ils savent bien que si le Melody Maker estime qu'un groupe est génial, il ne vaut peut-être rien. Ils lisent ces journaux, avant tout, pour se distraire.

Votre signature sur une major (Fontana) a-t-elle été bien acceptée ?

R.D. : Il existe un certain snobisme dans cette éthique ‘indie’. C’est totalement stupide. Nous sommes un groupe indépendant, on travaille de manière indépendante, personne ne nous dicte ce qu'on a à faire. On a eu la chance d'être dans une position assez forte, quand on a signé chez une major. On fait, sur Fontana la même chose que ce qu'on faisait sur notre petit label. Creation voulait nous recruter, comme de nombreux autres gros labels indépendants ; mais aucun n'était prêt à nous octroyer ce qu’on attendait. Seul Fontana voulait bien nous payer suffisamment tout en nous laissant une totale liberté. Les gens commencent enfin à comprendre que, ce qui compte, ce n'est pas le label qui vous héberge, mais bien la musique que vous enregistrez. Nirvana a réalisé un des meilleurs albums de ces 10 dernières années sur un major! En Angleterre, on veut en finir avec les charts indés, car ils ne représentent pas la scène indépendante. Il faudrait les remplacer par des charts de musique alternative ; ils ne seraient plus orientés sur le label mais sur l'attitude. Kilye Minogue relève d’un label indépendant! C'est un peu offensant pour la mémoire des Smiths et de Joy Division... Néanmoins, je crois que les labels indés seront toujours nécessaires ; ils permettent de sortir ses premiers disques sans l'obligation d'un succès immédiat. C'est très important pour les jeunes groupes.

(Article paru dans le n°7 du magazine Mofo de novembre 1992)

 

PJ Harvey

Comment piéger la P.J.?

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Mi-poétesse, mi-tigresse, à la fois fragile et brutale, vulnérable et provocatrice, Polly Jean Harvey est une jeune femme ambiguë qui ne manque pas d’éveiller la curiosité. Cette Anglaise du Dorset, élevée à la campagne, se passionnant pur la sculpture et les longues balades en forêt, est une des révélations de ces 15 derniers mois. En peu de temps, les deux simples « Dress » et « Sheela-Na-Gig » puis « Dry », un album aussi sec que rafraîchissant, l’ont propulsée du statut d’espoir à celui d’artiste reconnue et respectée. Qu’elle le veuille ou non, PJ Harvey est aujourd’hui un personnage public. Seulement voilà, elle est réservée, peu bavarde et refuse de s’expliquer sur les paradoxes qu’elle cultive avec un malin plaisir : elle tient à préserver son jardin secret tout en écrivant des textes à connotation sexuelle, naviguant constamment entre la pudeur et l’exhibitionnisme ; elle déteste faire parler d’elle, mais pose à moitié nue sur la couverture du NME et le verso d’une pochette. Pour mieux contrôler son image, elle choisit le silence, alimentant inévitablement la rumeur. Timide par nature, elle adore être regardée… Polley, le drummer Rob Ellis et le bassiste Steve Vaughn sont présents lors de l’entretien, mais seuls les deux premiers y participent…

Vous êtes trois lors des interviews, alors que Polly apparaît toujours seule sur les photos et les pochettes de disques. Une raison ?

Polly : Parfois je suis seule pour répondre aux interviews
Rob : Sur scène, on est toujours à trois, par contre.

Rob et Steve, faire partie d’un groupe s’appelant Polly Jean Harvey ne vous dérange pas ?

R. : Non, dans la mesure où Polly écrit tous les morceaux. On n’a pas trouvé d’autre nom, de toute façon. On avait pensé appeler le groupe ‘PJ Harvey and The quelque chose’, mais rien d’intéressant ne nous est venu à l’esprit.

Te sens-tu bien Polly, auprès de Rob et Steve ?

P. : Oui, il n’y a aucun problème. J’ai toujours préféré la compagnie des hommes à celle des femmes.
R. : On est les premiers à être venus la trouver, alors elle nous a gardés (rires).

Caractères

On t’a surnommée la ‘Madonna’ de la scène indépendante.

P. : Je la trouve formidable. Je suis différente, mais j’aimerais lui ressembler. Elle possède une réserve d’énergie incroyable qui lui permet de travailler sans cesse et de s’exprimer ainsi dans plusieurs domaines artistiques. En plus, elle a du caractère. Elle se fiche de ce que les gens peuvent penser de ses actes.

Comme elle, tu joues beaucoup avec l’ambiguïté, non ?

P. : Je suis contente que tu me le dises. Cependant, je ne ‘joue’ pas avec l’ambiguïté. Au moment où j’écris un texte, je n’ai aucune idée de ce qu’il peut suggérer. Mon inspiration est spontanée, naturelle voire inconsciente.

Dans tes chansons, tu mets en scène des personnages. Es-tu toi-même un personnage ?

P. : Tout le monde en est un, non ? Il y a des éléments autobiographiques dans mes chansons, bien sûr. Jusqu’à un certain point. Ils proviennent de mon expérience personnelle, de ma vie, qui n’en est qu’à ses débuts.

La plupart de tes personnages féminins semblent beaucoup souffrir.

P. : Mes chansons ne sont pas dénuées d’humour. Il n’y a pas que des femmes qui souffrent. Il y en a aussi qui se foutent éperdument du mal qu’on leur fait. Il ne faut pas dramatiser ! Beaucoup de gens ne perçoivent pas cette dimension humoristique, peut-être parce que ma technique d’écriture n’est pas encore tout à fait au point… Avant tout, je célèbre la vie. J’essaie de me rapprocher au maximum de la réalité. Je ne vois pas tout en noir et blanc.

Il t’arrive parfois de connaître des faiblesses ?

P. : Parfois, je dois faire des efforts incroyables pour rester forte. Les conséquences de cette exigence me font souffrir de temps à autre.

Penses-tu assumer des responsabilités vis-à-vis des jeunes filles qui écoutent tes disques ?

P. : Non, je ne me considère pas comme étant leur grande sœur. Je ne suis pas assez vieille pour ce genre de responsabilité. Moi-même, je me cherche, alors…

Féminisme et féminité

On t’a souvent reproché ton côté misanthrope, ou plutôt ‘misandre’.

P. : C’est faux, archi-faux ! Ce sont des saloperies qu’on lit dans la presse. Au contraire, j’aimerais bien être un homme.
R. : On aurait déjà quitté le groupe depuis longtemps si c’était le cas.
P. : Tu as probablement puisé cette info dans les journaux anglais. C’est ridicule ! Je suis sûre que je n’ai jamais tenu de tels propos dans aucune interview ; mais bon, je sais que pas mal de journalistes extrapolent, en prenant leurs désirs pour des réalités.

Tu n’es pas féministe non plus ?

P. : Absolument pas. De toute façon, ce n’est pas parce qu’on est féministe qu’on perd automatiquement sa féminité. On peut être jolie, sensible, pure tout en se battant pour une cause que l’on trouve juste. Les femmes ne sont pas là pour satisfaire les besoins de l’homme, il ne faut pas les réduire à de simples objets de contemplation et de désir.
R. : Les hommes peuvent aussi être beaux et innocents. Aucun sexe n’a l’apanage de telle ou telle qualité.

Penses-tu que l’image des filles qui font du rock a changé ?

P. : C’est difficile à dire, parce que j’ignore comment elle était auparavant. A l’heure actuelle, les groupes féminins n’hésitent pas à jouer fort, c’est peut-être là que réside la nouveauté. Personnellement, je sais ce que je veux. Je suis têtue. Ce qui me permet de contrôler la marche de ma carrière.

Les hommes peuvent-ils comprendre la musique ?

R. : Moi, je la comprends, à ma façon. Le sens des chansons est laissé à l’interprétation de chacun, ce qui n’est pas plus mal.

Nudité

Partages-tu mon avis, si je te dis que ta musique est nue ?

P. : Oui.

Est-ce la raison pour laquelle tu as posé nue à certaines occasions ?

P. : Oui. Ces photos reflètent ma démarche musicale. Mes chansons sont nues, dépouillées, c’est vrai. Je ne suis pas complètement nue, non plus. Sur la pochette de « Dry » (au verso), mon corps est plongé dans l’eau et en ce qui concerne la couverture du NME, je suis photographiée de dos. Je suis satisfaite des résultats. D’un point de vue strictement artistique, ces photos sont de qualité. Je ne me suis pas dévêtue pour vendre plus de disques, je peux te le certifier.

Tu ne veux pas qu’on viole ton intimité, tu es peu bavarde aux interviews ; ce qui ne t’empêche pas d’écrire des textes introspectifs et de poser nue. Ce n’est pas un peu paradoxal ?

P. : Je ne dévoile rien au sujet de ma vie privée. En fait, à partir du moment où tu t’ouvre trop aux autres, par excès de confiance, tu ne montres rien du tout. C’est une façon indirecte de se protéger davantage. C’est ainsi que je vois les choses. Au départ, il faut être forte et vraiment sûre de soi pour agir de la sorte ; et tout en s’exhibant, on se crée une défense naturelle.

Si tu as choisi ce métier, c’est pour communiquer quelque chose. Tu ne te contentes pas de jouer de la guitare seule dans ta chambre, tu te produis chaque soir devant des milliers de personnes. Qu’es-tu prête à donner à tes fans ?

P. : Je n’éprouve pas vraiment un besoin urgent de communiquer. Je ne me sens pas investie d’une mission particulière. Je suis plutôt égocentrique : j’aime me retrouver sur une scène et chanter devant plein de gens qui n’ont d’yeux que pour moi. Ca me plaît et ça leur plaît en même temps. Ma motivation première, c’est le plaisir personnel que je peux retirer d’un concert

Interview parue dans le numéro 7 du magazine Mofo de novembre 1992.

 

 

Ultra Vivid Scene

La technologie n’apporte rien à la musique, elle oblige à calculer, à trop réfléchir…

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Bien que « Joy 1967-1990 » soit sorti depuis deux ans à peine, une éternité semble s'être écoulée depuis la dernière fois où quelqu'un a mentionné le nom d'Ultra Vivid Scene. Mutisme médiatique et désertion des planches européennes ont contribué à faire oublier un groupe américain qui a pourtant beaucoup influencé la scène indépendante britannique actuelle. Derrière ce pseudo-groupe se cache un compositeur doué : Kurt Ralske. A 27 ans, ce New-Yorkais ne veut pas (encore) faire figure de musicien-culte. Et en publiant « Rev », son 3e album, il prouve que, même si elles sont toujours habitées par le psychédélisme des années 60, ses chansons restent parfaitement contemporaines...

On a tourné pendant neuf mois aux Etats-Unis. C'est à San Francisco, où j'ai passé un an, que j'ai écrit les compos l'album. Après quoi, je me suis enfermé dans mon studio à NY pour l'enregistrement. Au départ, je voulais faire subir aux chansons un traitement électronique. J'ignore pourquoi j'avais cette idée. Peut-être, par curiosité. Au bout d'un mois, je me suis rendu compte que cette méthode ne menait nulle part et je suis revenu à quelque chose de plus naturel. La technologie n'apporte rien à la musique, elle t'oblige à calculer, à trop réfléchir. Je ne pense pas qu'elle puisse donner de bons résultats. Finalement, on a enregistré "Rev" à la manière de ce qui se faisait dans les années 60 ; sans préméditation et en donnant libre cours à notre imagination.

Ultra Vivid Scene, est-ce un groupe de studio avant tout?

Oui, mais la prochaine tournée a toutes les chances d'être intéressante, car les musiciens qui m'accompagnent sont ceux qui ont pris part au travail de studio. Ils ont participé à l'élaboration de l'album, ils ont laissé leur empreinte dans le son. Ce qui se sentira sûrement sur scène.

Es-tu obsédé par la recherche de sons?

J'aime faire sortir une émotion des instruments, et créer des climats sonores. Mais pour qu'une chanson soit bonne, il faut d'abord la jouer sur une guitare acoustique. Après seulement, on travaille le son. Ici, pour ce disque, j'ai joué la carte de la simplicité, en tirant profit de l'apport de chaque musicien. Ainsi, on a joué ensemble en studio, sans traiter chaque instrument à part. Je ne voulais pas passer des heures sur des détails, à corriger quelques petites imperfections qui, tout compte fait, ont leur charme.

Tu as suivi l'évolution du rock depuis 1990. Que penses-tu du ‘grunge’ ?

Je n'ai jamais appartenu à une scène bien précise. Mais j'étais conscient qu'un vent nouveau soufflait sur les States. Sur « Rev », il y a quelques morceaux très durs, aux guitares agressives, comme « Slood and Thunder » qui dépasse les 10 minutes. Si j'ai choisi cette orientation, c'est pour me faire plaisir, pas pour copier qui que ce soit. Tu sais, je ne pense pas qu'il y aura un nouveau Nirvana. Peu de groupes sont capables d'atteindre un tel niveau de qualité. Il ne suffit pas de jouer le plus fort possible...

Tu n’as pas l’impression qu’aujourd’hui, toutes les maisons de disques veulent signer des groupes à tendance ‘dure’ 

Si. Perso j’étais persuadé que le single extrait de l’album serait « Cut Throat », un morceau accessible. Immédiat. A ma grande surprise, c’est justement « Blood and Thunder », un titre beaucoup plus dur, qui a été choisi. Je suis certain qu’un idiot s’occupant de la promotion s’est dit : ‘Genial, c’est plein de guitares, on dirait du Nirvana’.

4 AD est une boîte de disques comme les autres, alors?

Ce sont quand même des gens plus tolérants que ceux qui travaillent pour les firmes américaines. Le boss de 4AD a bon goût, il a l'art de dénicher des jeunes talents. Mais 4 AD fonctionne comme tous les autres labels. Ce n'est pas une religion, on n'y entre pas par vocation.

Crois-tu qu'il est encore possible d'être original de nos jours ? Le rock peut-il innover perpétuellement ?

Les Beatles, les Stones et le Velvet n'ont pas tout dit. Il faut connaître l'histoire de la musique avant de proposer ses propres créations. On a beaucoup exploré au cours de ces 30 dernières années ; mais on ne peut pas utiliser cette excuse pour justifier un manque d'originalité. On vit une époque différente, peut-être moins intéressante que la fin des années 60, mais il ne faut pas croire qu'il n'est plus possible de se renouveler.

A ce propos, Quelle était la signification du titre de ton album précédent (« Joy 1967-1990 ») ?

On pourrait y voir l'épitaphe inscrite sur la tombe d'une jeune femme, par exemple. Rassure-toi ce n'était pas la tombe du rock 'n' roll ! Enfin, qui sait ?

Que penses-tu de la réédition des 45 tours des Sex Pistols ?

C'est un peu ridicule, mais ces rééditions vont certainement satisfaire beaucoup de gens. C'est quand même triste d'exploiter commercialement des disques qui sont sortis il y a 15 ans. Récemment, j'ai jeté un œil sur les charts anglais, on y relève la présence de Mike Oldfield, Abba, Eric Clapton… Ils ne sont plus tout frais, ceux-là !

As-tu, comme la plupart des Américains, été influencé par les groupes anglais ?

J’aime le Velvet, les Beatles, T Rex, Love. Tu vois, il y a des Anglais et des Américains.

Te considères-tu comme un Américain typique?

Non, ma sensibilité s'apparente davantage à celle des Européens. Et puis, de toute façon, New York ne ressemble en rien au reste des USA ; c'est une île sur la côte Est de l'Amérique. On y rencontre des tas de cultures différentes. Dans ma ‘petite’ ville, il y a des Portoricains, des Ukrainiens, des Italiens ou encore des Chinois. Les Etats-Unis sont si vastes! Je crois qu'il y a beaucoup d'autosatisfaction aujourd'hui aux USA, alors que tout ne tourne pas rond ! Le rap, c'est peut-être l'équivalent du rock'n'roll de la fin des années 60. Pour les Noirs, c'est un véritable engagement politique. La vague ‘grunge’, elle, n'a rien de politique. Elle ne peut en tout cas pas changer les mentalités, parce que les Américains n'ont aucune conscience politique et sont souvent plongés dans l'apathie. Ils n'ont pas davantage une grande ouverture d'esprit et sont incapables de prendre du recul par rapport aux événements.

Tu as suivi l'affaire « Cop Killer », la chanson d’Ice-T ? Ton avis ?

Je ne commets pas d'actes violents. Je n'ai jamais tué personne et j'espère que personne ne me tuera. Cependant, je ne sais pas ce que c'est d'être Noir aux Etats-Unis, en 92. Donc je suis mal placé pour juger. J’imagine qu’Ice-T a eu de bonnes raisons d'écrire ce morceau. Et les gens ne s’en rendent pas compte. Si mon meilleur ami était tué par un flic, j'éprouverais certainement le besoin d'en parler. Il faut connaître le contexte d’une situation avant d'émettre un jugement.

(Article paru dans le n° 7 du magazine Mofo de novembre 1992)

 

 

Galliano

Musique sans frontières…

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Sous l'impulsion des labels ‘Acid Jazz’ et ‘Talkin' Loud’, l'Angleterre danse actuellement au rythme de l'acid jazz. On réactualise le jazz et le funk en leur insufflant une dose de modernisme, par le biais du ‘groove’ hérité de l'acid house. Parmi ses plus beaux fleurons, aux côtés des Brand New Heavies et autres Young Disciples, figure Galliano, une formation impressionnante comprenant deux Blancs (Rob Galliano et Mick Talbot, ex-Style Council) et huit Noirs. Enfant du melting-pot multiracial londonien, Galliano, en construisant un mur sonore où s'imbriquent jazz, funk, soul, rap et reggae, démolit les barrières culturelles, effort souligné par des textes prônant la paix et le bonheur. Un exemple à suivre. Pour en parler, la choriste Valérie Etienne et le chanteur-rapper Constantine.

Galliano prend toute sa dimension sur scène, non?

V.E. : Nos chansons sont jouées différemment sur scène, elles constituent le développement logique de ce qu'on enregistre en studio. Elles sont souvent plus longues aussi. Mais c'est important d'écouter les disques auparavant, quoi qu'en dise une certaine presse.
Constantine : On peut comparer l'interprétation live de nos morceaux au développement d'un bébé qui grandit progressivement, en tâtonnant. Tout dépend aussi de la réaction du public. S'il nous procure de bonnes vibrations, on aura tendance à pousser la musique le plus loin possible. Il y a parfois un fameux décalage entre la chanson d'origine et son traitement devant un public.

Une définition pour la musique de Galliano?

V.E. : Je n'aime pas l'étiquette ‘acid-jazz’.
Constantine : Le terme ‘acid-jazz’ vient du nom d'un label, d'une part, et des journalistes, d'autre part. L'acid-jazz est avant tout une attitude qui consiste à fusionner plusieurs formes musicales. Ce processus appartient à la culture londonienne. Tu peux aller en boîte là-bas et tu verras qu'on passe aussi bien des morceaux jazz, punk ou psychédéliques. On mélange inconsciemment différentes influences. C'est une démarche naturelle, liée à notre éducation. Galliano est un produit de la ‘club culture’ londonienne actuelle.

Vous aimez Stax et Motown, je suppose ?

V E. : Oui, les deux. J'aime le son Motown et j'apprécie beaucoup des chanteurs comme Marvin Gaye.
Constantine: Mick Talbot, bien qu'il soit blanc, a toujours préféré la musique noire. Son claviériste préféré, c'est Ray Charles. Il voue aussi beaucoup d’admiration au groupe Sly and The Family Stone. Londres est un melting-pot culturel, ce que notre musique reflète parfaitement. Il n'y a aucun problème entre Noirs et Blancs. On a une attitude progressiste d’un point de vue social. La musique n'a pas de frontières, elle est libre. On forme une grande famille qui a besoin de beaucoup d'espace ; en outre, elle est plus à l'aise sur de grandes scènes. D'un point de vue musical, on joue sur notre complémentarité. On ne se marche pas sur les pieds, au propre comme au figuré. En plus, le batteur, le percussionniste et le guitariste avaient déjà joué ensemble avant de rejoindre Galliano. Ils se connaissent donc très bien, ils n'ont pas eu de mal à s'intégrer. Quant à Mick Talbot, c'est Mick Talbot : tout le monde le respecte.

Vous n'avez pas encore décroché de hit, un problème ?

V.E. : Ce n'est pas parce qu'on ne figure pas dans les hit-parades qu'on va arrêter la musique. Tant mieux si le public achète nos disques mais ce n'est pas prioritaire pour nous. On n'essaie pas de plaire à tout le monde, on joue ce qu'on ressent.

Les paroles de vos chansons véhiculent-elles un message particulier?

V.E. : Certaines condamnent la pollution, d'autres le racisme, l'injustice sociale ou l'inégalité des chances. Ce sont des thèmes qui préoccupent la jeunesse d'aujourd'hui.

Le racisme est toujours d'actualité en Angleterre?

V.E. : Il n'a pas complètement disparu, en Angleterre comme ailleurs. Heureusement, les mouvements antiracistes se multiplient un peu partout. De toute façon, le racisme naît de l'ignorance et émane essentiellement de la vieille génération, pas des gens de notre âge. Les jeunes sont plus tolérants. À cet égard, Galliano est un bel exemple de cohabitation raciale. Si on peut contribuer à l'évolution des mentalités, tant mieux ; et je suis sûre que les jeunes qui viennent au concert en sont conscients. D'autres groupes comme B.A.D. (Mick Jones) agissent comme nous. Mêler différentes cultures à travers la musique, c'est intéressant, c'est tout simplement une preuve d'intelligence. Nos concerts en Allemagne et en Suède –où le public est presque entièrement blanc– ont attiré pas de mal de monde, ça fait plaisir.

Vous sentez-vous Anglais ?

Constantine: Non! (rires).
V.E. : Britannique? Peut-être, mais je suis aussi à moitié dominicaine. Je suis une Dominicaine britannique (rires). Linford Christie a brandi le drapeau de l'Union Jack après avoir remporté le 100 mètres à Barcelone, parce qu'il défendait les couleurs de son pays, mais il ne renie pas pour autant ses origines jamaïcaines.

(Article paru dans le n°7 du magazine Mofo de novembre 1992)

The Stranglers

Vraiment dans la nuit?

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Hugh Cornwell, chanteur et membre fondateur des Stranglers a donc décidé d'abandonner le navire. Une résolution qui aurait tout aussi bien pu se solder par le naufrage de l'ensemble. Pour pallier ce départ, Jean-Jacques Burnel, Dave Greenfield et Jet Black ont décidé d'élargir la formation à un quintette. Tout d'abord en engageant Paul Roberts, un illustre inconnu, pour remplacer Hugh au chant. Ensuite en confirmant à la guitare John Ellis, un musicien qui avait déjà participé à certaines sessions d'enregistrement des Stranglers. Et le groupe vient de concocter un nouvel album : "Stranglers In The Night" avant d'entreprendre une nouvelle tournée. C'est au candide Paul Roberts et au quadragénaire Jet Black qu'est revenue la périlleuse mission de répondre à notre questionnaire. Des Stranglers bien décidés à ne pas se laisser se laisser étrangler (!) par les vicissitudes du destin...

Paul, pourrais-tu nous éclairer sur ton passé musical. Comment es-tu devenu membre des Stranglers ?

Paul : J'ai fréquenté plusieurs groupes indépendants au cours des dix dernières années. J'ai également enregistré quelques disques en Angleterre et en Allemagne. En fait, je suis un fan des Stranglers depuis 1977. Aussi, lorsque j'ai appris que la formation cherchait un remplaçant pour Hugh, je n'ai pas hésité à poser ma candidature. J'ai même insisté pour décrocher le job. J'ai sans doute été suffisamment persuasif pour l'obtenir.

Jet : Je souhaiterais apporter un rectificatif. Paul n'a pas décroché un job chez les Stranglers. Il est devenu membre du groupe à part entière.

Quel sentiment as-tu éprouvé en te joignant aux Stranglers, Paul ?

P. : Fantastique ! Etre inconditionnel d'un groupe et puis devenir membre de ce groupe, c'est comme un rêve qui se réalise. Je suis ravi de pouvoir poursuivre l'œuvre des Stranglers.

Participes-tu à la confection des chansons ?

P. : Absolument. Chaque musicien du groupe est directement concerné par la composition. C'est une manière de travailler qui a fait ses preuves. Elle est propre aux Stranglers. Il n'y avait donc pas lieu d'en changer.

Faut-il cependant s'attendre à une nouvelle direction musicale de la part des Stranglers ?

P. : Compare "Rattus Norvegicus", "Black & White" et "Feline". Ce sont des albums totalement différents. "Stranglers In The Night" se singularise par un chant différent, un phrasé de guitare différent. Le résultat ne peut être que différent. D'autre part, des musiciens différents ont en général une approche différente de la musique. Heureusement d'ailleurs. La musique des Stranglers est en constante évolution. L'important, c'est qu'elle reste de bonne qualité, qu'elle conserve sa véritable nature. Mais entendre la musique n'est pas suffisant. Il faut savoir l'écouter. Malheureusement, l'auditeur ne prête pas toujours une oreille attentive à ce qu'il perçoit. Et cette règle est nécessaire pour apprécier le musique des Stranglers...

Quels sont tes artistes préférés ?

P. : Les Doors, Iggy Pop, Fishbone, Sly & The Family Stone, John Coltrane et puis surtout Roxy Music. Malheureusement, aujourd'hui, je n'ai plus beaucoup le temps d'écouter autre chose...

Quelles sont les principales caractéristiques de votre nouvel album ? Comment s'est déroulé son enregistrement ?

J. : Il s'agit certainement de la session la plus facile à laquelle le groupe ait été appelé à participer. Et nous sommes satisfaits du résultat.

P. : Je suis passé à la TV. C'est une première (rires). Je dois également souligner que les Stranglers ont engagé un cinquième membre, le guitariste John Ellis. Par rapport aux cinq albums précédents, il a été accordé plus d'importance aux parties de guitares.

J. : Et il y a plus de chant !

P. : Oui, plus de chant ! (Ah ! Ah ! Ah ! ....)

L'enregistrement s'est déroulé à Bruxelles?

J. : Non. Nous avons enregistré à Bruxelles à plusieurs reprises, mais celui-ci a été conçu dans un studio anglais; et c'est Mike Kemp qui l'a produit.

Pourquoi avez-vous changé de label ?

J. : Parce que nous n'avions pas le contrôle de notre création. Je m'explique. Nous ne voulions plus être subordonnés à une boîte qui détermine en fonction de ses états d'âme ce qui sera ou ne sera pas distribué. Nous désirions disposer d'un certain pouvoir de décision. Travailler avec une compagnie de disques, plus dépendre d'un label. Nous avons obtenu satisfaction. C'est la raison du changement.

Les chansons des Stranglers deviennent de plus en plus douces, est-ce intentionnel?

J. : Ce n'est certainement pas délibéré mais instinctif. Nous sommes incapables de déterminer à l'avance quel style de chanson nous allons écrire. Agressive ou romantique, tout dépend de l'état d'esprit du moment, du feeling...

De quoi se compose le nouveau répertoire des Stranglers 'live' ?

J. : Nous interprétons aussi bien les anciennes compositions que les plus récentes. Nous n'avons pas tracé une croix sur notre passé!

Rencontrez-vous encore Hugh Cornwell?

J. : Il y a plusieurs mois, voire une bonne année que nous ne l'avons plus vu. Il est très occupé, voyage beaucoup. Il devient de plus en plus difficile de le rencontrer.

Que pensez-vous du courant musical qui sévit aujourd'hui en Grande-Bretagne?

J. : Ces sons mécaniques destinés à la danse ressemblent à tout sauf à de la musique. J'avoue que ces sonorités préfabriquées ne m'emballent pas particulièrement. L'aspect mélodique est totalement négligé; alors que chez les Stranglers, il est primordial. Enfin je dois avouer que je ne dispose pas assez de temps pour écouter d'autres styles musicaux. Je suis suffisamment absorbé par les Stranglers...

Est-il exact que les Stranglers n'apprécient guère la critique négative?

J. : La presse est souvent négative. Ce n'est pas un grave problème. J'estime que ce sont plutôt les journalistes négatifs qui ont un problème. C'est bien dommage, car ils ne font pas preuve de beaucoup d'imagination. C'est également regrettable pour les lecteurs, car ils doivent se contenter d'immondes articles. M'enfin. Les journaux finissent également leur carrière aux immondices (Ah ! Ah ! Ah !)

Est-il exact que les Stranglers ne sont pas toujours faciles à vivre?

J. : Nous sommes des êtres humains comme tout le monde. Avec nos défauts et nos qualités. Lorsque tu es mal disposé, il arrive de t'emporter, puis sans doute de regretter ta réaction impulsive. Mais personne n'a le droit de porter un jugement sur qui que ce soit sans connaître le fond d'un problème...

Que pensez-vous des artistes qui refusent systématiquement d'accorder des interviews?

J. : Je suppose que c'est un choix! Il m'est difficile de critiquer quelqu'un qui refuse d'accorder des interviews. Personnellement j'aime communiquer avec les autres, donc ce problème ne me concerne pas. Pour certains comme Michael Jackson par exemple il s'agit ni plus ni moins que d'une stratégie de management. D'autres encore ne désirent pas s'exprimer, peut-être par paresse ou tout simplement parce qu'ils n'ont rien à dire. Il existe une multitude de raisons...

Vous sentez-vous concernés par la construction de l'Europe?

J. : L'idéal européen est merveilleux. Acheter ou vendre où bon te semble constitue une excellente perspective. Mais d'énormes difficultés enraient son processus. Trop de conflits, d'influences, de lois politiques et économiques sont en jeu. De nombreux britanniques pensent au fond d'eux-mêmes que l'union européenne est une bonne chose. Mais, ils se méfient des clauses cachées du Traité de Maastricht. Certains accords sont trop nébuleux, et on se pose des questions au sujet des répercussions que pourrait entraîner l'application de ces articles. Les Britanniques souhaiteraient s'exprimer à travers un référendum. Comme en France ! C'est plus démocratique!

(Version originale de l'interview parue dans le n° 6 - octobre 1992 - de Mofo)

 

 

 

 

Bob Mould

Sans casser de sucre sur le dos des autres…

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Il existait déjà les Sugarcubes, aujourd’hui place à Sugar ! Sugar ? C’est le nom du nouveau groupe de Bob Mould. Agé de 31 ans, c’est sans doute un des musiciens qui exercé le plus d’influence sur le rock des années 80, alors qu’il militait chez Hüsker Dü.

Ce nom n'a aucune signification particulière. C'est un mot simple, mais bizarre et très rock. On l'a choisi, parce qu'il fallait bien en dénicher un. Nous buvions du café autour d’une table. Sur laquelle il y avait du sucre. On a choisi Sugar puisqu'il existait déjà un groupe qui répondait à celui de Coffee! Mais on aurait pu en prendre un autre. Hüsker Dü, non plus. Il n'avait plus de signification. C'était stupide et ne disait plus rien à personne...

Sugar, c'est de nouveau un trio. Comme Hüsker Dü...

Même mes albums solos, on peut considérer qu'ils sont l'œuvre d'un trio! Je suppose que si j'y retourne toujours, c'est que j'y vois le format le plus approprié pour créer la musique que j'aime. J'ai accompli une tournée avec un deuxième guitariste. J'en ai essayé deux différents, tout deux d'excellents musiciens, mais ma manière d'approcher la guitare en ‘live’ m'est très personnelle. Je suis persuadé que je sonne franchement mieux quand je suis seul à en jouer! Pour dire la vérité, je crois que Bob Mould, tout seul, sonne mieux que Bob Mould avec Jimi Hendrix ou avec Buddy Holly (rires). Dans un trio, la relation entre les trois instruments est très pure. Pour Sugar, mes acolytes sont David Barbe, le bassiste, et Malcolm Travis, le batteur.

Après la séparation d'Hüsker Dü, tu avais déclaré que tu ne monterais plus jamais d'autre groupe...

(rires) Il doit y avoir quelque chose dans la bio qui raconte cette histoire, non? Tout le monde me pose la question. OK, je l'ai dit, c'est ce que je pensais, à ce moment-là.

Mais qu'est-ce qui a vraiment motivé la formation de Sugar, surtout après deux albums en solo?

Après Hüsker Dü, qui a été mon band pendant très longtemps, après mes albums solo, je me suis rendu compte que je n'avais pas de groupe. C'est un sentiment que j'ai ressenti, surtout après avoir tourné en solo et en acoustique, pendant 10 mois. L'idée de reformer un ensemble m'était agréable.

Tu veux dire que tu n'étais pas totalement satisfait, seul à la guitare acoustique?

Donner des concerts de cette façon-là, c'était chouette. Et je pense qu’ils étaient bons, pas traditionnels. Des shows acoustiques, mais aussi très agressifs... Mais cette formule n'aurait pas pour autant permis de réaliser un disque intéressant. Composer un album acoustique, à mon sens, prend énormément de temps. Il faut vraiment être méticuleux, utiliser une grande variété de matériel, changer la façon d’écrire. Tu es seul avec seulement ta voix et un instrument acoustique... Je suis intéressé d’enregistrer un disque acoustique dans le futur, mais je devrais écrire des chansons sur une longue période, pour réaliser quelque chose de valable dans ce créneau. Je ne peux pas m'asseoir et me dire: ‘OK, j'écris un album acoustique’. Ce n'est pas si facile que tu l’imagines...

Au lieu d’y consacrer un album entier, tu pourrais seulement y réserver l'une ou l'autre chanson de cette manière, non?

Il y a deux trucs un peu acoustiques sur le disque de Sugar, mais j'ai envie de dire que ma période acoustique est finie, à présent

Tu as quitté Virgin pour Creation.

Oui, j'ai demandé à Virgin America de me laisser partir! Je disposais d’un contrat à long terme chez eux (pour six albums, en fait). Après le 2ème disque, il est devenu évident que notre collaboration ne pouvait pas fonctionner. Il était impossible de concilier ce que je voulais faire et ce qu'eux pensaient que je devais faire. C'est surtout pour l'Europe que se situait le problème. Je suis un artiste américain, signé aux States, pour une distribution mondiale. Mais ici en Europe, les compagnies se disaient : ‘A quoi bon sortir ce disque?’ Visiblement on ne savait pas qui je suis, qui est mon public. Ce qui m'a fait perdre beaucoup de fans ici, parce qu'ils ne trouvaient pas mes albums. Par contre aux Etats-Unis, tout se passait bien ; j'ai vendu plus d'albums sous mon nom que sous celui d'Hüsker Dü!

L'Europe est donc une priorité pour toi?

Disons que dans mon esprit, c'est tout aussi important. Mais bon, j'ai eu d'autres ennuis. C'est la première fois que j'avais un manager. Il voulait que je tourne des vidéos à 18.000 $. J’estimais que c'était du gaspillage. Résultat : il allait raconter chez Virgin que je ne savais pas ce que je voulais ! Donc, je suis redevenu mon propre manager! Ce n'est pas un job difficile, il est même assez fascinant. Il faut juste quelqu'un qui réponde au téléphone pour toi, mais à part ça... Tu sais les grosses firmes de disques ne rechignent pas à dépenser de l'argent. Plus elles dépensent, plus elles ont le contrôle sur toi...

Tu as donc signé chez Creation. Tu aimes les artistes du label?

Pas tous, mais je vais parler uniquement de ceux que j'apprécie : Swervedriver, les Boo Radleys... Teenage FanClub, c'est bien aussi, mais leur premier disque était bien plus fort, bien plus fou que le deuxième.

Tu as entendu parler des problèmes entre My Bloody Valentine et Creation?

Oui, mais j'aime beaucoup les gens de Creation et j'aime beaucoup My Bloody Valentine. Alors, je ne vais pas en parler! Cela arrive à tout le monde de se disputer avec sa firme de disques...

(Article paru dans le n°6 du magasine Mofo d’octobre 1992)