François Staal revient sur l’île de Bréhat…

François Staal retourne aux sources de son enfance à travers son nouveau clip consacré à « Bréhat (Enez Vriad) », extrait de son dernier album « L'Humaine Beauté ». Il part en tournée de 17 concerts en Bretagne, dont 15 seront accordés sur l’Ile de Bréhat, du…

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Motörhead

Je module ma belle voix…

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Bonheur ! Joie! Allégresse! Motörhead vient de sortir un nouvel album (« March Or Die », chez Sony), on va donc voir sous peu la grande carcasse imbibée de Lemmy pointer du nez et des chicots sur le Vieux Continent. Celui-là même qu'il a abandonné pour se réfugier à Los Angeles, il y a deux ans. Coup de fil au Néo-Américain. Révélation! Scoop ! Lemmy est amoureux de Slash ! On blague, of course, mais, quoi qu'il en soit, Lemmy n'arrête pas de parler de lui. Slash joue sur deux titres du dernier opus de Motörhead (« I Ain't No Nice Guy » et « You Better Run ») et Lem en est vachement fier. Il s’explique lors de l’interview…

Slash joue sur deux titres de notre album, tu le sais? Que penses-tu de sa prestation?

Je pense qu’il est très efficace, comme toujours ; ce qui ne m’empêchera pas de le trouver décevant, comme mec…

Hein! Pourquoi?

Je déteste la façon dont les Guns'N Roses, donc lui, se moquent de leurs fans. Ils annulent des concerts à la dernière minute quand ça leur chante, bâclent des shows, les débutent en retard. Ils se foutent du monde!

C'est pas Slash ça, man, c'est Axl ! Il a beaucoup de problème, Axl. Mais il faut lui pardonner. Ces types viennent de nulle part et on fait d'eux les maîtres du monde. Faut comprendre la pression ! Slash n’est pas comme ça. Il est cool. J'voudrais pas, par contre, être dans les pompes d'Axl. Je préfère mes vieilles bottes...

A propos de sentiments personnels, tu te plais à L.A. ? Tu vas voir les filles sur les plages?

Tu sais bien que je me fous des filles et du sexe, non? Yark ! J'vais les voir mais j'sais pas si elles me trouvent beau.

Ce sont elles qui t'inspirent pour tes ballades? Tu deviens romantique? Tu sers des ballades tout le temps !

Déconnes pas, j'en ai écrit trois en dix-sept ans!

Oui, mais trois qui figurent sur les deux derniers albums en date de Motörhead...

J'aime toutes les bonnes chansons et peu importe les genres (NDR : vous serez étonnés d’apprendre que Lemmy est fan d'ABBA et des Everly Brothers). J’aurais pu y mettre aussi une version acoustique d’« Eleonor Rigby»...

Motörhead ralentit un peu le tempo. « March Or Die » est même relativement pauvre en titres heavy vraiment rapides (« Stand » et « Name In Vain» sont pratiquement les seuls). Tu ne t’amuses plus autant des riffs qui tuent et des rythmiques qui mitraillent?

Tu ne peux pas faire la même chose tout le temps. Ce qu'on fait maintenant est mieux. Il est possible que « March Or Die » soit notre meilleur album. Je ne sais pas trop bien juger... Motörhead est meilleur qu'avant. Tout dans le groupe est meilleur. Je chante mieux, non?

Tu gueules moins!

Je savais déjà chanter avant! Je module plus ma belle voix, c'est tout! Yark !

A l’instar d’« Orgasmatron » et « 1916 », « March Or Die » se termine par un titre lent...

J'aime bien ces chansons. Faut lire les textes. « 1916 » est une chanson tragique. « March Or Die » stigmatise la connerie inégalable des hommes. On s'entretue sans arrêt, on laisse des gosses crever de faim mais on envoie des sondes spatiales prendre des photos de Mars à coups de milliards de dollars. Conneries!

Tu as vécu les événements de los Angeles en voisin?

Yeah. Faut pas en vouloir aux noirs. Ils ont voulu s'offrir la justice qu'on leur a refusée. Toute cette histoire est immonde. On a vu sur les films vidéo ces flics tabasser ce pauvre mec et après, aux juges, ces pourris ont osé prétendre qu'ils n'avaient rien fait. Les noirs en ont marre. Je les comprends.

Pourquoi Philthy est-il parti, à nouveau?

Ham... Il fait partie de ma famille, hein, je préfère pas trop parler de cette histoire, ok ? Il y a eu des différences d'opinion sur certains sujets. C'était mieux ainsi.

Sur la pochette de l'album, Mikkey Dee (le batteur) est présenté comme un invité... C'est lui le batteur de Motörhead, quand même?

Ecoutes, tu crois pas que j'aurais amené ce fils de p... à des sessions photos qui coûtent la peau des fesses, si je comptais pas le garder! On l'aime bien. Il reste.

Tu aimes bien Peter Solley, aussi, c'est encore lui qui a produit l'album...

On le garde parce qu'en plus de produire, il joue des claviers. On doit pas payer un claviériste, tu vois. A part ça, il a de bonnes idées. On le laisse faire.

Motörhead tournera en Europe bientôt?

En octobre. On va d'abord casser les c... des Ricains.

(Article paru dans le n°5 du magazine Mofo de septembre 1992)   

Throwing Muses

C’est comme si une chanson était quelqu’un

Écrit par

Kristin Hersh et David Nareizo sont les derniers membres des Throwing Muses. Tanya Donelly la lead-guitariste, les a en effet quittés. Résultat : le groupe est réduit à un duo (chanteuse/batteur). Ce qui ne l’a pas empêché de sortir un nouvel album : le bizarroïde, lancinant et superbe « Red Heaven ». Rencontre avec une rouquine, frimousse et look Bécassine, et un personnage timide, myope aussi, retranché derrière des lunettes d'étudiant en médecine tout droit sorti d'une université américaine.

Pourquoi ce titre « Red Heaven» ?

D : Parce qu'on estime que c'est un bon titre!
K : Il n'a pas de signification particulière, il reflète bien l'ensemble des chansons figurant sur le disque.

Aucun rapport avec le départ de Tanya Donelly ?

D : Non, mais rien ne t'empêche de le croire, si tu veux...

Ce départ a-t-il exercé une influence sur la façon de composer la musique, d'écrire les paroles?

D : Kristin et Tanya écrivaient séparément. Les chansons de Kristin ont toujours constitué 80% de nos albums. Ces 80% sont restés intacts, le processus est le même. On est un duo (enfin un trio) à présent. C’est vrai que nous sonnons aujourd’hui un peu différemment, parce qu'il n'y a plus vraiment de lead guitar. Et quand il y en a, nous essayons de ramener cette partie au strict minimum ou de l'incorporer dans les partitions de la guitare rythmique.

Existe-t-il un lien logique entre cet album et le précédent (« The Real Ramona ») ?

D : Probablement, mais on ne s'est pas dit: ‘OK, maintenant on va faire ce type d'album!’ C'est venu naturellement. Nous n'avons jamais essayé de savoir s'il y aurait un lien ou pas avec le précédent.

Peut-on parler de lien inconscient?

D : Oui, ce sont toujours les chansons de Kristin. Un an s'est écoulé, et donc il y a eu, de toute évidence, une sorte de progression ou de réaction par rapport au passé.

Tu veux dire que ce sont toujours les chansons de Kristin, mais qu'elle est plus âgée?

D : Pas plus âgée, plus mature! (rires)

Est-ce que les mots ont de l'importance à tes yeux, Kristin?

K : Ils sont importants, mais pas au sens intellectuel. C'est leur côté viscéral qui m'intéresse, la fibre affective qu'ils font vibrer en toi, plus que leur sens littéral.

Quels sont les sujets qui inspirent tes chansons?

K : C'est seulement plus tard, après les avoir écrites que je me rends compte de leur véritable signification. Pour moi, écrire une chanson, c'est comme rencontrer une personne : la découvrir prend du temps, des années parfois. Mes chansons m'impressionnent continuellement, j'en apprends sur elles un peu plus chaque jour. Oui, c'est comme si une chanson était quelqu'un!

La façon dont vous écrivez vos chansons est vraiment particulière, fort éloignée des canons couplet/refrain/couplet... Que processus adoptez vous pour les écrire ?

K : On ne savait pas comment imiter les autres (puisque apparemment, ils font tous de la même façon). On parle le langage qui nous vient naturellement à l'esprit. Et puis, tout le monde nous dit: ‘Comment faites-vous? Vous êtes fous !’ C'est une réaction qui nous plaît: à partir de ce moment-là, nous savons que nous sommes dans le bon, que le résultat est valable, car il n’imite pas les autres.
D : Aussi longtemps que la structure d'une chanson vient spontanément, la place du refrain n'a aucune importance. Parfois, le morceau n'a que peu de dynamique, mais c'est très excitant : on élabore des constructions mélodiques hors-normes. Les chansons standard dont tu parlais tantôt me semblent creuses. Enfin, parfois, parce que de temps en temps, j'aime aussi savoir ce que je vais entendre! Mais, mes préférences vont quand même vers des musiques qui sont inattendues, qui m'apportent ce que je n'attends pas.

Des musiques qui ne sont pas conventionnelles?

D : Oui, mais pas intentionnellement. Un peu comme Roy Orbison : si tu écoutes ses chansons et que tu les compares à d'autres de la même époque, tu te rends compte qu'elles sont bizarres, mais elles ont leur propre logique et sont très significatives.
K : Elles sont organiques, elles viennent des tripes... Quand on écoute la radio aujourd'hui, on n'arrive pas à se souvenir de ce qui est passé : ça rentre par une oreille et ça ressort par l'autre.
D : C'est difficile d'imposer le type de chansons que nous aimons aux producteurs et aux ingénieurs qui ont l'habitude de traiter une chanson comportant un ‘sommet’ dans le refrain. Ils disent: ‘Ca démarre bien, mais là, tu aurais dû faire ceci ou cela’. Ils ne comprennent pas que c'est parce qu'elles ne démarrent jamais qu'on aime nos chansons.

Pourquoi avoir choisi un label anglais plutôt qu’américain?

D : Parce qu'ils nous offraient un meilleur contrat. On cherchait une firme de disques, on leur a proposé nos démos qu'ils ont adorées. Comme on s'entend bien, nous restons chez eux. Mais au départ, nous aurions préféré un label américain.

Pourquoi ?

D : Parce qu'initialement, on s'était dit: ‘On monte un groupe et on tourne aux States’. Jouer à l'étranger et y vendre des disques, c'était à nos yeux, seulement accessible aux artistes archi-connus.
K: C'est vrai que du point de vue ‘marketing’, ce n'était pas une bonne décision de choisir un label anglais pour faire sa place sur le marché US. Nos disques se retrouvent systématiquement dans le bac ‘import’ chez les disquaires et coûtent forcément plus cher. Mais on a d’excellents rapports avec 4AD: c'est le plus important!

Pourquoi avoir choisi Bob Mould (ex-Hüsker Dü, aujourd'hui chez Sugar) pour former un duo, lors de la chanson intitulée « Dio » ?

K : Il possède une voix très reconnaissable. J'aimais l'écouter quand j'étais adolescente. Il a bien voulu participer. Voilà!

On ne voit jamais de vidéo des Muses sur MTV...

K : Ils ne les programment pas ou alors au milieu de la nuit sur ‘MTV USA’ dans une émission de ‘musique alternative’.

Est-ce que le succès des Pixies vous fait rêver ?

K : On ne savait pas qu'ils avaient du succès! (rires) Non sérieusement, j'ai entendu qu'ils avaient pas mal de succès, ici. Aux Etats-Unis, ils récoltent le même succès d'estime que nous. De toute façon, on ne se plaindrait pas si on vendait un peu plus de disques. Mais je crois qu'il est plus sain pour nous d'être concentrés sur notre travail et de pas se laisser distraire par autre chose. C’est peut-être une formule ‘cliché’, mais quand tu enregistres un bon disque, c'est ce qui importe, le reste s'efface, pour autant que tu croies à ce que tu fais. Je sais que notre disque est bon et qu'il nous survivra.

De quel autre groupe de rock vous sentez-vous proches?

D : Je n'ai pas l'impression d’appartenir à la scène musicale rock. Aucun, à mon avis.

Il vous arrive d'écouter d'autres groupes?

D : Quand je suis chez moi, j'avoue que je ne m'intéresse pas à ce qui se passe! Mais quand tu es en studio ou quand tu pars en tournée, tu es quasi obligé de t'y intéresser. Constamment des gens te disent: ‘Quoi? Tu ne connais pas ça ? Tiens, je te file une cassette!’ Je crois qu'il n'existe qu'une poignée de groupes qui comptent vraiment...

Qui?

D : J'adore le Velvet Underground, j'aime les Pixies, les Sundays, X, les Violent Femmes... Ca fait une poignée, non?

Dernière question: pourquoi Tanya a-t-elle quitté le groupe?

D : Le groupe s'est séparé au moment où elle a décidé de continuer sa propre carrière. Kristin et moi avons décidé de recommencer ensemble. C'est très plaisant.

Mais vous êtes restés en bons termes?

En chœur : Oui, bien sûr!

(Article paru dans le n°5 de septembre 1992 du Magazine Mofo)

Extreme

Le plus beau jour de notre vie…

Écrit par

A peu près 154 fois au cours de cette interview, Pat, le bassiste d’Extreme, un tatoué à la gueule d’ange nous répètera ‘You know’ ! Ce qui ne doit pas être loin d’un record. Le groupe hard de Boston qui nous a rendu visite au Torhout/Werchter, va publier un nouvel album qui inclut un morceau long de 20 minutes. Aux abris?

Est-ce que le succès planétaire de « More Than Words » a eu une répercussion négative sur votre réputation de groupe de scène ?

Non, parce que ce genre de ballades appartient à notre univers musical. Certains s'imaginent peut-être que nous ne sommes qu'un groupe acoustique, d'autres de hard. Ces deux tendances se combinent pour former le concept Extreme.

Quelles sont tes impressions après votre passage au Freddy Mercury Tribute ?

C'était le plus beau jour de notre vie! Si on m'avait dit qu'un jour, on jouerait avec les mecs de Queen –dont on est de grands fans– on ne l'aurait pas cru. C’était d’autant plus impressionnant que c'était à l'occasion de la mort de Freddy et qu'il fallait faire prendre conscience aux gens des dangers du SIDA. C'était donc à la fois émouvant et excitant.

Est-ce que cette opportunité vous a procuré davantage de crédibilité, notamment auprès de ceux qui ne voyaient en vous que le groupe d'un seul morceau?

On a interprété des compos de Queen, et on a ainsi prouvé qu'on avait suffisamment de planches pour y parvenir. Et c'est vrai que pour des ‘jeunots’ comme nous, être intégré à l'affiche au milieu de formations telles que Metallica et Gun’N’Roses apporte un supplément de crédit. Et en plus, être regardés par 500 millions de téléspectateurs! Mais personnellement, il était également terriblement palpitant de se retrouver au milieu de toutes ces stars du hard telles que Robert Plant et Roger Daltrey qui venaient vers nous pour nous saluer, nous féliciter et nous filer leur numéro de téléphone...

Vous êtes issus de Boston, où on y recense des grands noms comme Aerosmith et Boston (of course) ainsi que d'autres bands qui militent au sein d’univers musicaux différents tels que J.Geils Band, Pixies ou Throwing Muses. Comment expliques-tu ce foisonnement (what?), dans cette ville?

Boston est une ville universitaire, il y a une scène hard, une autre alternative, mais aussi du blues, de la dance et du rap... On y rencontre des tas de styles différents qui s'influencent l'un l'autre. C'est peut-être la raison pour laquelle les groupes de Boston ont un style bien à eux.

Quelles sont vos principales influences?

D'abord, les formations de hard issues des seventies : Led Zeppelin, Aerosmith, Van Halen, Queen. Et évidemment les Beatles...

Et pas de Boston comme le J.Geils Band ou Boston ?

Aerosmith est une référence pour notre musique mais en ce qui concerne le J. Geils Band, même si on les appréciait quand on était kids, je ne crois pas que ce soit le cas. Pour Boston, on a surtout été marqués par leurs harmonies vocales. Et les Cars, qui sont aussi de Boston, pour leur sens de la mélodie.

Votre nouvel elpee va sortir en septembre...

On y retrouvera toujours cet équilibre entre chansons heavy et ballades. La finale proposera un morceau épique de 20 minutes. Ce sera une surprise pour nos fans, car nous n’avons jamais osé tenter un tel projet dans le passé. En fait, ce sera un disque à trois faces ; la première inclura les morceaux heavy, la deuxième sera plus pop et la troisième reprendra ce long morceau enregistré à l’aide d’un orchestre...

Un peu comme Deep Purple au début des années 70 ?

Ah, bon? Je ne savais pas qu'ils avaient déjà réalisé cette expérience. Mais pour ce qui est de ce projet, on a plutôt pris exemple sur les Beatles.

Comptez-vous enregistrer un concept album dans le futur?

Je suis sûr que cette idée réapparaîtra ultérieurement, mais dire quand, je n'en sais rien.

(Article paru dans le n°5 du magazine Mofo de septembre 1992)

 

 

My Bloody Valentine

Creation nous a flanqués à la porte!

Écrit par

Héritiers perdus de la ‘punktitude’, My Bloody Valentine incarne aujourd’hui une référence pour toute la scène noisy-pop (pensez à Ride, Chapterhouse, Blur, Lush, etc.). Pourtant, ce mythe s’est développé indépendamment de leur volonté. Et paradoxalement alors que leur création prenait une nouvelle orientation. Après trois années de relative léthargie, MBV s’est décidé à sortir « Loveless », un album ‘post-néo-psychédélique’ (et le mot est faible). Un disque qui joue avec les ondes mélodiques. S’ils sont particulièrement bruyants sur scène, les musiciens utilisent beaucoup le flou artistique lors de l’épreuve de l’interview. La formation est au grand complet, mais seuls le drummer Colm Ó Cíosóig et le chanteur/guitariste Kevin Shields (NDR : ce sont aussi les membres fondateurs) répondent aux questions…

Comment est née l’aventure My Bloody Valentine ?

Colm : Tout a commencé à Dublin. La scène rock y était tellement ennuyeuse que nous avons voulu lui donner un coup de fouet. Comment ? En montant un groupe, un groupe capable de faire du bruit, beaucoup de bruit, mais du bruit mélodique. Nous avons joué un concert, puis un autre concert… mais comme cela ne marchait pas très fort, nous avons décidé d’émigrer sur le Vieux Continent. Un périple aux Pays-Bas, puis surtout en Allemagne où nous avons enregistré un mini-album. Finalement, nous sommes revenus à Londres pour nous y fixer…

Pourquoi jouez-vous si fort en concert ?

Kevin : Au cours de notre adolescence, nous recherchions les concerts de rock qui faisaient le plus de bruit. Nous en avions marre de cette musique calme, sans punch, au sein de laquelle se complaisaient des artistes atteints par le syndrome de la nonchalance. Ceux qui fréquentent les night-clubs savent combien il est excitant et juvénile de se laisser inonder sous le flot de décibels… J’ajouterai même que les groupes qui pratiquent aujourd’hui le hard-core et le heavy metal ne sont pas assez bruyants. Nous prenons notre pied en jouant fort sur scène. C’est un exutoire face à la monotonie de la vie quotidienne. Et puis, nous ne voulons pas plaire à tout le monde. Nous visons un public bien spécifique, un public qui s’éclate autant que nous.

Pensez-vous qu’il soit possible de jouer plus fort que MBV ?

K. : Oui, pourquoi pas ? Nous développons un niveau de puissance appréciable, mais il est toujours possible de le dépasser. Nous pourrions d’ailleurs en faire la preuve ce soir (NDR : Help !)

Que pensez-vous de tous ces wagons ‘noisy’ qui restent accrochés à la locomotive ‘My Bloody Valentine’ ?

K. : La presse est responsable de cette façon de mettre des étiquettes. Tous les groupes sont différents, même si nous devons admettre avoir exercé une certaine influence sur certains d’entre eux. Etait-il vraiment nécessaire de transformer l’idée de base ‘noisy’ en scène homogène ?

Vous ne croyez pas à cette scène ?

K. : Elle ne concerne que Ride, Lush et Blur. Pas pour des raisons musicales, mais parce que leurs musiciens fréquentaient les mêmes clubs londoniens. Evidemment, les journalistes n’ont pas manqué l’occasion de photographier leurs rencontres, et puis, ils se sont mis à monter en épingle un concept…

Les Pale Saints nous ont raconté qu’il existait, quelque part dans les Midlands, une grande maison où les groupes de ‘noisy’ se rencontraient pour écrire des chansons ensemble. Est-ce exact ?

K. : Non, c’est une plaisanterie.
C. : Ou une légende, peut-être…

Pensez-vous qu’il soit encore possible d’inventer de nouveaux sons dans la musique rock ?

K. : J’espère que oui, mais je ne suis pas tout à fait sûr…

Qu’est-ce que la musique psychédélique représente pour MBV ?

K. : A l’époque, les groupes psychédéliques pouvaient se permettre de décrocher un hit tout en conservant leur originalité. Peu à peu, tout s’est déglingué, et au milieu des eighties les artistes rock ont même été forcés de se prostituer au marketing ou de suivre la mode pour espérer entrer dans les charts. Heureusement, les firmes de disques se sont enfin rendu compte que la musique alternative pouvait se vendre. Elles se sont mises à encourager la création. Faut dire aussi que le public en avait marre de se faire rouler dans la farine. Et puis la ‘house’ a donné une nouvelle impulsion à la pop. D’ailleurs, ceux qui n’ont rien compris sont tombés de très haut. Et ils ne sont pas près de s’en remettre. La house a permis une régénération de la création musicale…

Vous avouez donc avoir été influencés par la house ?

K. : Absolument. C’est même une influence fondamentale, surtout pour le rôle exercé par les guitares.

Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps avant la sortie de notre nouvel album ?

K. : Nous préférons concentrer nos idées et notre énergie sur un seul album plutôt que de ressasser indéfiniment la même mixture. L’enregistrement de « Loveless » a nécessité sept semaines. C’est assez long, mais cela se justifie par les changements successifs de studio. Relativement peu onéreux, ils étaient le plus souvent de piètre qualité. Mais ce qui nous a vraiment assommés, ce sont les bobards d’Alan Mc Ghee (NDR : le boss de Creation). Il est allé raconter que nous avions exagéré les dépenses pour l’enregistrement de l’album. Il a avancé des chiffres largement exagérés. Non seulement nous avons dû bosser sur du matériel peu performant, mais cette opération n’a coûté que 14 000 £ (NDR : 21 000 €). Cette somme peut paraître importante, mais elle est dérisoire par rapport aux investissements engagés pour les autres groupes.

Vous n’étiez pas satisfaits de votre label ?

K. : Non. Creation a fait preuve d’un manque flagrant de professionnalisme. Et nous nous sommes exprimés en conséquence. Alan McGhee l’a très mal pris ; il s’est senti blessé dans son amour-propre et nous a flanqués à la porte. Pourtant, nous avons toujours beaucoup de respect pour les gens qui travaillent chez Creation. Ils sont tellement passionnés par la musique ! Mais beaucoup trop de leurs groupes se sentent frustrés parce que l’aspect promotionnel n’est pas suffisamment approfondi. Depuis notre départ, plusieurs labels nous ont proposé un contrat. Mais nous ne sommes pas pressés. Nous ferons un choix après mûre réflexion…

L’album ne serait-il pas à la hauteur de vos espérances ?

K : Il constitue une nouvelle étape dans l’évolution du groupe. Il a été produit par un DJ. Teenage Fan Club est trop vieux pour confier la finition de son travail à un DJ. Pas que ce soit mal d’être vieux jeu, mais avant de se remettre en question, sans prendre certains risques, il serait illusoire d’envisager le moindre souffle d’air frais sur la musique.

En Grande-Bretagne, les différences sociales sont particulièrement marquées. Pensez-vous que ces inégalités se reflètent à travers la musique ? Noisy d’un côté, groovy, baggy, de l’autre ?

K. : Effectivement, mais chez les ‘baggy’, cette différence n’est pas aussi marquée. Tous n’appartiennent pas à la classe ouvrière. Quoique ! Peut-être Happy Mondays. Et encore ! Le père de Bez est officier de police. Ride et Chapterhouse correspondent probablement le mieux à la ‘middle class’. Mais la plupart des groupes sont composés de musiciens issus de tous les milieux sociaux. ‘Middle class’ ou ‘working class’, qu’importe ! Encore une fois, ces étiquettes ont été fabriquées par les médias. Par exemple, nous comptons de nombreux fans à Newcastle, une cité ouvrière…

Pourtant, votre style musical attire surtout les étudiants !

K. : Non, il n’y a pas d’âge pour apprécier notre musique. Aussi bien le concept visuel que musical intéresse les jeunes de quatorze (NDR : divisez par deux) à septante-sept ans. Lors de nos concerts, vous rencontrez des teenagers, mais également des quadragénaires qui retrouvent une certaine relation avec la musique des sixties.

Comment s’est déroulé la ‘Rollercoaster’ entreprise en compagnie de Dinosaur Jr, Jesus & Mary Chain et Blur ?

K. : Il est toujours intéressant de faire une tournée avec d’autres groupes. Mais pour la ‘Rollercoaster’, nous n’avons pas recueilli les fruits de cette expérience. La demande de tickets était tellement forte que nous avons été obligés de jouer dans des arènes (NDR : des endroits comparables au Cirque Royal de Bruxelles qui permettent de concentrer 2 000 à 3000 places debout). Ce sont des salles inadaptées qui empêchent toute communication entre le groupe et le public. En Angleterre, il n’existe pas de salle appropriée au-delà de 1 000 personnes.

Si vous deviez mettre au point votre propre tournée, quels groupes choisiriez-vous ?

K. : Certainement des groupes qui s’inspirent de notre démarche. Des groupes progressifs tels que Mercury Rev, Pavement. Nous allons d’ailleurs tenté de les engager pour notre tournée américaine.

Est-ce que les problèmes socio-économiques qui rongent l’Irlande vous touchent encore ?

C. : C’est une question qui concerne tous les Irlandais, et elle me touche personnellement. J’essaie de ne pas trop y penser, parce que la politique ne m’intéresse pas. Les exactions commises par l’IRA me répugnent. Il est quand même malheureux de voir les gens mourir pour des mobiles politiques. Je pense aussi à cette foutue guerre du golfe qui n’aurait jamais dû se produire. N’est-ce pas ridicule de faire la guerre pour imposer ses opinions.

Merci à Christophe Godfroid.

Interview parue dans le n° 4 du magazine Mofo de juin 92.

 

 

Boo Radleys

Nous avons de trop gros culs pour mettre des pantalons en cuir

Fondé à Liverpool en 88, les Boo Radleys possèdent la particularité de changer de style musical suivant qu'ils enregistrent en studio ou se produisent live. Plus noisy pop que pop, malgré d'évidentes références aux Beatles, « Everythings alright together », le deuxième album, avait poussé la critique à tracer un parallèle avec la ligne de conduite de My Bloody Valentine. Mais lors de sa prestation au VK à Bruxelles, le groupe a révélé une toute autre facette de son talent : plus brut, plus rock, plus ‘noisy-rock’, le quintette échafaude un véritable mur dans la lignée des très Américains Buffalo Tom, Dinosaur Jr et Band of Susans. Martin Carr et Tim Brown nous ont expliqué les raisons profondes du dédoublement de personnalité des Boo Radleys.

Quelle est la signification du patronyme du groupe ?

Tim : C'est le héros d'un livre américain que nous avons lu à l'école. Il s'appelle Boo Radley. Le nom nous a plu. Pas à cause du personnage ou de l'histoire racontée dons le bouquin, mais parce qu'il sonnait bien à l'oreille.

Pourquoi êtes-vous devenus musiciens?

T. : Parce que la musique représentait la seule solution. Nous serions incapables de faire quelque chose d'autre, nous sommes nuls pour le reste. Au cours de notre jeunesse, lorsque nous rentrions de l'école, nous écoutions sans arrêt de la musique. En lisant des livres sur la vie des musiciens et en regardant nos idoles à la TV, nous nous sommes mis à rêver. Un rêve qui est devenu réalité. Nous souhaitons laisser des traces dans l'histoire du rock, qu'on se souvienne de Boo Radleys.

Pourtant, vous n'aimez pas les vidéos, et puis votre look...

Martin : Le look on s'en fout! C'est la raison pour laquelle nous ne voulons pas figurer sur un clip. Les vidéos, ce n'est pas notre tasse de thé. Nous tenons à rester authentiques. Pas question de faire semblant ou de se soumettre au play-back pour les besoins de la promo. Le clip permet sans doute d'améliorer son taux d'audience, mais il ne change rien à la valeur intrinsèque de la musique

Quelle est voire conception du succès alors?

M. : Les Beatles incarnent notre idéal. Comme il est impossible à atteindre, nous ne sommes jamais satisfaits. C'est un problème, mais il est positif, car il nous force à nous remettre constamment en question, nous empêche de devenir paresseux, de basculer dans l'autosatisfaction. Il nous incite à entretenir notre soif de connaître, notre faim d'explorer. Les Beatles, nous leur devons tout. Sans eux, nous n'aurions jamais été contaminés par le virus de la musique. C'est le plus grand groupe de tous les temps !

Pourquoi « Everything's alright forever » ? (NDR : le titre de leur dernier album).

T. : C'est ce que nous pensons en écoutant un disque. Après une journée d'école ou de boulot harassant, tu te détends en passant un bon disque, tu te sens mieux et tu oublies tes soucis. Mais ce titre peut aussi être ironique, car le monde ne tourne pas toujours très rond. L'interprétation varie en fonction de la sensibilité de chacun. Nous essayons cependant de toujours prendre les choses du bon côté, même lorsque nous sommes confrontés à des problèmes ou lorsque nous rencontrons des moments plus difficiles.

Croyez-vous être représentatif du label Creation ?

M. : Je ne pense pas qu’il existe un archétype du groupe ‘Creation’. Toutes les signatures qui figurent sur ce label possèdent leur propre style, Silverfish et Sweverdriver n'ont rien à voir avec nous par exemple.

Et puis, vous ne portez pas de pantalons en cuir !

T. : Plus maintenant. Ces vêtements collent mieux à la démarche de Primal Scream ou de Jesus & Mary Chain.  Nous avons de trop gros culs pour mettre ces trucs là !...

Estimez-vous appartenir au mouvement noisy ?

M. : Ceux qui nous connaissent mal imaginent que nous pratiquons de la ‘noisy pop’, alors que nous sommes plutôt tournés vers le ‘noisy rock’. En fait, en studio, nous essayons d'appliquer des normes plus pop, en voulant sonner comme les Byrds par exemple, alors que sur les planches nous adoptons une démarche fondamentalement rock, en prenant pour référence Metallica, par exemple, car nous adorons ce groupe. Et puis, il faut avouer qu'il est plus facile d'être rock sur scène que sur disque.

Est-ce la raison pour laquelle l'univers le votre album est proche de celui de My Bloody Valentine, alors que votre set dégage la même intensité que les groupes ‘noisy’ américains ?

M. : Tout à fait! A l'origine, nous avions avoué apprécier My Bloody Valentine. Cette confession a entraîné un rapprochement qui ne correspondait pas à la réalité. Nous aimons surtout les groupes américains. Ils exercent une influence primordiale sur notre musique,

Est-il exact que la ‘noisy’ est réservée la classe moyenne?

M. : C'est une idée reçue qui vise globalement Slowdive et Chapterhouse. Le public se trompe lorsqu'il imagine que nous ne devons pas nous battre pour réussir ; et que les instruments nous tombent du ciel. Au cours des dernières années nous avons dû loger dans des endroits merdiques. La vie est dure pour tout le monde !

Qu'est-ce que vous écoutez?

T. : Au cours de notre jeunesse, nous étions plutôt branchés sur des groupes comme Human League ou ABC. Mais aujourd'hui nous sommes surtout attirés par la musique américaine : Buffalo Tom, Dinosaur Jr, Smashing Pumpkins, Public Enemy, Mercury Rev... Nous n’en faisons cependant pas une fixation. Nous aimons également Led Zeppelin, Deep Purple. La musique de danse, le rap, le reggae, le jazz, le punk aussi. Même la musique classique, surtout lorsqu'elle libère toute sa puissance. C'est beau d'assister au concert d'un orchestre philharmonique…

A part les Beatles, vous ne causez pas beaucoup des autres artistes de Liverpool tels que Julian Cope, Echo & The Bunnymen, et d’une manière plus actuelle de Drive ?

M. : Les musiciens de Drive ne nous aiment pas. Mais c’est un bon groupe. Nous avons cependant récemment sympathisé avec Dan, leur ex-bassiste. Quand à Echo, c’était une musique beaucoup trop froide. Reste Julian. Il ne possède plus le même charisme d’antan. « Saint Julian » constitue la dernière chose valable qu’il ait réalisée.

Pour cette tournée, vous partagez la même affiche que les Pale Saints. Que pensez-vous de leur musique ?

T. : Leur nouvel album est meilleur que le précédent. Ils font preuve de beaucoup de calme. Nous sommes très différents, plutôt turbulents.

Article paru dans le n°4 du magazine Mofo de juin 1992.

(Merci à Christophe Godfroid)

Les Négresses Vertes

Un bordel organisé…

Originaire d'Algérie, Stéfane Mellino a aussi vécu dans le sud de la France, avant de débarquer à Paris. Il est guitariste, compositeur et parfois chanteur (« Face à la mer ») du groupe français le plus connu et apprécié en Grande-Bretagne. Entretien avec ce grand admirateur des... Gipsy Kings (‘Les gitans, Django tout ça j'adore’) et des Tueurs de la Lune de Miel (‘Des très grands, les meilleurs même, bien mieux qu'Arno’).

Votre deuxième album s'intitule « Famille nombreuse », doit-on y voir une métaphore pour parler de la planète?

On peut le concevoir ainsi ; mais c'est plutôt une métaphore pour parler du monde des Négresses Vertes. Le but premier, c'est bien sûr de donner un titre à l'ensemble des chansons qui composent l’album. On le voulait simple, facile à comprendre. ‘Famille’, même à l'étranger, on comprend !

Tu parles du monde des Négresses Vertes. Décris-moi ce monde?

C'est un monde qui évolue. Au départ il était basé sur des feelings, des émotions, des descriptions de personnages. Maintenant, on parle plus d'amour ; on aborde des thèmes différents, on élargit notre rayon d'action. C'est un monde comme tous les mondes, mais celui-là n'existe que par ses chansons. C'est un monde qu'on reconstruit chaque soir sur scène. Si on ne jouait pas, il n'existerait pas.

Tu dis que vous avez élargi votre rayon d'action. Est-ce un processus réfléchi ou s’est-il développé naturellement?

C'est une évolution dont on avait envie. Et puis, elle s'est dessinée à force de travail. On ne peut pas continuellement faire la même chose.

Vous aviez l’impression d'être arrivés à une fin?

Pas du tout. Au contraire, on n'en est qu'au commencement. Sur le premier album, on avait déjà posé les jalons de ce qu'allait devenir la suite pour les Négresses Vertes. Après, il fallait garder ou non, cette inspiration. Je crois qu'il faut la faire évoluer au travers d'une instrumentation plus approfondie, plus maitrisée, plus aboutie. C'est ça le travail ! Nous évoluons, mais dans notre style

Au travers aussi d'un métissage culturel, toujours plus marqué...

Ca, c'est nous aussi. On ne le fait pas exprès. On ne s’assoit pas et on ne dit pas : ‘Si on faisait du métissage culturel !’ La musique, elle vient spontanément ! Et les gens nous reconnaissent dans cette musique, de plus en plus. On ne nous compare presque plus jamais aux Pogues !

Même en Angleterre, où vous êtes un des rares groupes français à avoir bonne presse?

Si les Anglais nous aiment, on va pas en faire un plat, hein ? Au contraire! Ce n'est pas parce qu'ils nous aiment, nous, qu'ils ne peuvent pas aimer d'autres groupes français. On n'est pas meilleurs, parce que les Anglais nous aiment. Ils viennent nous voir parce qu'ils trouvent qu'on est plus qu'un simple groupe de rock. Il y a une dimension spectaculaire et puis, notre apport musical est ancré dans notre époque. La génération actuelle connaît le métissage! Les jeunes d'aujourd’hui qu'ils soient anglais, turcs ou congolais se retrouvent au travers de notre musique... ils viennent pour faire la fête, pour s'éclater, pas pour voir de super-instrumentistes! Attention: la musique, on la joue bien, elle est propre, nette, mais elle n'est destinée qu’à faire passer un bon moment.

Musicalement, vous êtes perfectionnistes ?

Ah oui, on est des perfectionnistes. On est onze, si on n'était pas perfectionnistes, chacun à son niveau, ce serait le bordel ! Ce qu'on fait c'est un bordel, d'accord, mais c'est un bordel organisé.

Réunir onze personnes sur scène, c'est peu fréquent. Cette situation entraine-t-elle parfois des tensions, des discussions?

Non, c'est pas trop le genre de la maison. On fait de notre mieux pour préserver l’entente entre tous les membres du groupe. On est sur la route ensemble depuis trois ou quatre ans, maintenant. Mais c'est une aventure que la plupart d'entre nous avons désiré fortement. Et même si c'est dur parfois, on est quand même bien contents d'être là où on est. On fait quelque chose qui nous dépasse un peu : on est des ‘rien du tout’ et on a la chance de jouer pratiquement dans tous les pays du monde. D'autant qu'on sait jouer de la musique, mais qu'on n'est pas vraiment musiciens. On est des autodidactes, on a appris à la force du poignet. C'est déjà tout du bénéf' pour nous, ça.

Mais à onze, il se forme tout de même des sous-groupes, non?

C'est vrai qu'il existe des sous-groupes, mais ils changent souvent! L'important, c'est que lorsqu'il faut être tous solidaires, on l'est! Qu'il y ait des petits groupes séparés, c'est plutôt bien, ça permet de respirer un peu...

C'est donc plus facile d'être un groupe à onze qu'à trois ?

C'est sans doute un peu pareil. Les problèmes sont les mêmes. Disons qu'à trois, s'il y en a un qui se tire, c'est vraiment gênant, le groupe ne peut plus survivre.

Vous écoutez les groupes français qui vont un peu dans la direction que vous empruntez ? Les VRP, La Mano...

Oui, on achète leurs disques ou on nous les file parce qu'on les connaît.

Aujourd'hui, vous sentez-vous encore proches d'eux?

Plus ou moins. Proches par le délire, par la façon d'aborder la musique. Par le résultat, pas trop non. La Mano Negra réalise aussi une sorte de métissage, mais il est différent du nôtre.  Chez nous, c'est moins muselé, moins rock, plus flamenco, rumba, rythmes chaloupés, plus hispanisant, plus méditerranéen. La Mano, c'est plus anglo-saxon, malgré la présence des trompettes. La Mano ou les Négresses partagent pourtant un point commun : tenter de donner une version de la musique qu'on aime. C'est ça qui est important.

Il y a un aspect burlesque chez les Négresses. D'accord?

Je suis d'accord : il y a un côté Buster Keaton et un autre Charlie Chaplin. Triste, mais qui fait rire. On raconte des histoires tristes, pas rigolotes, proches de la vie. Mais observé par notre œil pétillant! Mieux vaut en parler, de toute façon.

Avez-vous l’impression que votre humour est typiquement français ?

Un humour plus francophone que franco-français. Il y a un humour, très jargon/argot, proche du langage parlé, c'est notre côté parisien. « Zobi la mouche » a beau être français, tout le monde comprend, même en Algérie, pas vraiment un pays francophone. Il suffit de trouver les mots pour communiquer avec les gens. Il ne sert à rien de faire des grandes phrases, quand on a trois mots qui sont bien sentis.

Tu peux imaginer que les Négresses continuent à tourner et à enregistrer des disques après l'an 2000 ?

J'espère bien. En l'an 2000, j'aurai 40 ans, je serai un homme mûr. Je ferai toujours de la musique, peut-être chez les Négresses ou tout seul. Je crois que la plupart d’entre nous enregistreront des albums en solo. Bien sûr on va tenter de préserver notre groupe le plus longtemps possible, parce que ce projet nous intéresse et est aussi ce qui nous fait vivre en premier lieu.

Tu évoques la possibilité d'enregistrer un disque en solo. Tu pourrais le réaliser en restant dans les Négresses ?

Je ne sais pas... Ce n'est pas mon seul projet : j'aimerais bien faire du cinéma, des musiques de films. Ca me plairait bien de tourner un film en compagnie des Négresses, où on soit les acteurs. Pourquoi les musiciens dans un coin et les cinéastes dans l'autre?

A ce propos, j'imagine que le tournage d'une vidéo doit donner des idées...

Bien sûr ! D’ailleurs on choisit les réalisateurs avec beaucoup de soin en fonction de ce qu’on a envie qu’ils nous apportent. Au départ, on a quand même une idée fort précise de ce que sera la vidéo. Comme on n’est pas trop cons et que les réalisateurs non plus, on arrive à faire exactement ce qu’on désire.

Vous ne vous sentez pas capables de le concrétiser vous-mêmes ?

On ne peut pas tout faire ! On imagine déjà le scenario, l’histoire. On ne peut pas être devant, derrière et au milieu. On fait déjà beaucoup : on produit nos vidéos, nos disques. Là, on va tourner une vidéo avec Nakano. On va lui expliquer ce qu’on veut : pas de décor, pas de figurants, faire des incrustations, etc. Ce qui ne l’empêchera pas de marquer le film de son empreinte : il a une vision ultramoderne de filmer. Ca cadre bien avec notre côté acoustique, pas rétro, bien que perçu comme tel par les gens. Moi, comme j'aime bien entendre des remix de nos chansons –parce que justement, ce sont nos chansons, mais retravaillées par d'autres– j'aime bien aussi qu'un réalisateur vienne apporter sa petite touche à la vidéo qu'on a élaborée.

Tu connais les vidéos de Madness ?

Oui j’aime bien Madness. On est fort proche de ce groupe, peut-être. Sans doute plus que des Pogues ! Les Pogues ont un côté folklo, comme nous. Mais les Négresses, c'est pas seulement folklo. Ce côté-là, il explose.

Tu as rencontré Shane MacGowan ?

Il est sympa, mais je te jure, il est explosé, ce mec-là. J'aimerais pas être comme lui. Il a 30 ou 35 ans. Il est déjà éclaté. Evidemment, il abuse…

C'est un peu le mythe du rock n' roll, non?

Des clichés qui font mal. La rock star qui boit, qui se défonce et j’en passe, c'est un mec qui meurt, enfin qui ne meurt pas, mais qui est très atteint, très malade. Si tu n'as pas la chance d'arriver à quarante balais, c'est assez dur, tu ne crois pas? Tout ça parce que tu chantes du rock… et que tu es fragile et soumis à la tentation! Shane a du mal à se délivrer du mal. Je crois qu’il y a des choses avec lesquelles il ne faut pas jouer : l'héro et tout ça. Je ne dis pas qu'on ne peut pas fumer un petit pétard, ça ne va pas tuer un homme, mais il faut faire attention.

Et l'alcool, jamais?

Si, un petit verre de whisky. Souvent avant de monter sur scène, pour se donner de l'entrain, du courage. Pourtant, je suis sûr que j'en ai pas besoin. Cela aide un peu à faire passer le trac. Mais je boirais pas au point d'être malade. Physiquement, c'est dur quand on est malade. Déjà quand on est en bonne santé, c'est difficile, alors quand on est malade, c'est l'horreur. Je veux bien être pauvre, mais pas malade

Comment réagirais-tu si un journal à sensations rédigeait des horreurs à ton sujet?

Il faudrait voir si ce sont des mensonges... Je crois que je réagirais conformément à la loi. Je leur ferais un procès, si j'estime que c’est justifié.

Vous regardez la télé?

Oui. Les émissions intéressantes, les films, les matches de foot. J’aimerais rencontrer des joueurs de foot qui ont mon âge. Mais qui vivent dans une atmosphère vraiment très différente de la mienne...

Vous vivez dans un pays où on parle beaucoup de Le Pen...

Il a été un peu calmé par le résultat des dernières élections. Il n'a eu qu'un siège sur 900...

Vous accordez davantage confiance à Bernard Tapie?

Ah oui.

Il y a le même côté démagogue chez les deux, non?

Je préfère la démagogie de Tapie à celle de Le Pen. Celle de Le Pen conduit à la guerre mondiale. Ce n'est pas ce dont j'ai envie. Bernard Tapie, c'est de la démagogie douce, ce n'est donc pas très dangereux.

(Article paru dans le n° 4 du magazine Mofo de juin 1992)

 

The Gun Club

Le surréalisme de Jeffrey Lee Pierce

Écrit par

In mémoriam Jeffrey Lee Pierce : 27-06-1958 - 31-03-1996

Jeffrey Lee Pierce, leader du groupe culte américain The Gun Club, est sur le point de sortir un album solo (« Ramblin’ Jeffrey Lee »). Marqué par le mouvement punk, ce Texan est très imprégné de la tradition littéraire du rock américain, à l’instar de Jim Morrison. Gun Club et les Cramps partagent, en outre, la paternité du psychobilly… Rencontre d’un Américain à Bruxelles… vivant à Londres mais rêvant d’Amsterdam. Chapeau noir sur lunette rondes, un visage à la Terry Gilliam sortant de Fisher King, les yeux de Robin Williams en prime.

Quelle est ta réaction quand on te dit que Gun Club est considéré comme un groupe culte ?

Ca ne me dérange pas. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons adorés par les critiques. En fait, je souhaiterai que plus de gens comprennent et s’intéressent à ce que nous faisons… Ce serait chouette d’être reconnus par un public plus large.

Tu rêves parfois d’une carrière à la Sonic Youth, c’est-à-dire être un groupe indépendant et atterrir sur un gros label ?

Mmm… Sonic Youth n’a pas changé d’attitude en passant sur un label major ; mais il n’a pas changé de public non plus. J’veux dire en nombre. Il est resté un groupe de rock ‘cool’. Au contraire de Nirvana ; qui a fort changé de style par rapport à ses débuts et ratisse un public bien plus large. Ce genre d’évolution me déplaît plutôt. Aujourd’hui, les ‘majors’ s’intéressent aux groupes indépendants, mais ce n’était pas le cas quand nous avons commencé en 1981. D’une certaine façon, nous sommes arrivés trop tôt…

The Gun Club est-il vraiment un groupe ou bien est-ce The Gun club Featuring Jeffrey Lee Pierce ?

Non, je crois que c’est un vrai groupe ; mais je suis le seul à écrire des chansons pour le ‘band’. Et puis, je suis l’unique survivant du line up original, bien que le batteur soit revenu entretemps. Donc, par la force des choses, je suis le leader, mais… d’un groupe.

Te considères-tu aussi comme un écrivain, à l’instar de Lou Reed, qui prétend l’être dans ses dernières interviews ?

Oui ! Comme un écrivain musical, un orchestrateur. Je suis d’accord avec Lou lorsqu’il dit ‘writer’, mais personnellement ce sont les notes qui m’intéressent, pas les mots. Je ne les utilise que lorsque leur sonorité me plaît ; je peux, par exemple, baser des ‘lyrics’ d’une chanson sur une seule phrase parce qu’elle me botte du point de vue mélodique. Je ne suis pas du genre Bruce Springsteen, qui raconte des petites histoires sur la vie quotidienne des gens. C’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle j’ai moins de succès que lui (rires). J’aime les surréalistes. Marx Ernst, par exemple. Et son inspiration se base sur leur conception du monde, où les rêves et le subconscient occupent une place prépondérante… Mes rêves sont d’ailleurs la source première de mes chansons.

Un de tes albums, « Mother Juno » a été produit par Robin Guthrie des Cocteau Twins. N’est-ce pas étonnant ce choix, quand on sait que vous n’évoluez pas dans le même univers musical ?

Non, cela me semble normal. J’aime ce qu’ils font ; même si nous ne travaillons pas dans la même dimension musicale, on est assez proche dans l’esprit. Cocteau Twins est un groupe qui se fout éperdument des modes. Pour eux, ce qui compte, c’est de créer des impressions, des images musicales. C’est très surréaliste (rires).

Ces références au surréalisme c’est ta façon d’affirmer que tu te sens plus européen qu’américain ?

Oui, c’est vrai que dans un sens je me sens plus proche de l’Europe au niveau des émotions et de la façon de voir le monde ; mais mes racines sont américaines, du Canada au Mexique.

Quelles sont tes influences musicales ?

Je crois qu’on est toujours influencé par ses premières expériences. En ce qui me concerne, elles datent du début des années 70. A l’époque j’étais fou de Led Zeppelin et de Creedence Clearwater Revival. Ce qui explique aussi pourquoi la musique de Gun Club est également marquée par le blues. Mais ça ne m’empêche pas d’être à l’écoute de tout ce qui se passe maintenant, même si à mon avis, c’est moins bon.

Te plairait-il de jouer dans un autre groupe ?

Oui, bien sûr… Ca me permettrait de me concentrer uniquement sur l’écriture de partition guitare… Mais personne ne me le demande. Ils s’imaginent sans doute que je voudrais absolument m’accaparer le rôle de leader.

Article paru dans le n° 3 du magazine Mofo de mai 1992

 

Ian McCulloch

Le plus grand fan de Leonard Cohen au monde…

Écrit par

Après avoir quitté le navire en déroute, le capitaine des Bunnymen s'est lancé dans une traversée en solitaire. Premier opus mi-figue, mi-raisin, « Candleland » était un coup dans l'eau. Sur « Mysterio », Ian McCulloch aborde à nouveau les rivages magiques de son glorieux passé. Rencontre sur fond de nostalgie

J'ai passé la soirée d'hier au DNA... J'ai toujours de bons amis ici Bruxelles. On a eu de très bons contacts avec des Belges, comme Bert Bertrand (NDLR : figure de légende du journalisme rock belge, collaborateur à ‘Télémoustique’, ‘More’ et ‘En Attendant’). La Belgique reste un endroit particulier pour moi. On a joué ici pas mal de fois...

Le point culminant de la carrière des Bunnymen en Belgique était sans doute le festival de Torhout-Werchter... Tu en gardes un bon souvenir ?

Oui, l’édition qui accueillait Iggy Pop. L’atmosphère était très particulière. Ce n'est pas vraiment le genre d'endroit où j'aime me produire, mais c'était agréable. Je me souviens qu'il y avait quelques fans devant la scène, c'était chouette.

Comment était l'ambiance au sein du groupe à cette période? Ca sentait le sapin, non ?

Oui, c'était presque l’épilogue. Et c'est pourquoi ce genre de concert était agréable. C'était un divertissement qui nous permettait de ne plus être vraiment Echo & The Bunnymen. A la fin, tout ce qui me permettait d'échapper à la routine était bon à prendre... Des concerts que nous avons accordés ici, je me souviens surtout de ceux du Plan K. Notamment celui au cours duquel pour partagions l’affiche avec Teardrop Explodes. Nous avions joué à pile ou face pour savoir qui passerait en vedette. Et comme nous avions perdu, nous sommes passés en premier. Or, le public ne voulait pas nous laisser quitter la scène. C’était dur pour Teardrop... Chez les Bunnymen, de toute façon, on a souvent vécu la même histoire ; parfois on pouvait être fantastiques, parfois on faisait de la merde.

Il y a deux ans que ton premier album solo est sorti. Tu es resté assez discret depuis. Ces deux années ont été difficiles ?

Non, après ce disque, j'ai beaucoup tourné. Je n’ai pas été inactif pendant deux ans. Mon emploi du temps a toujours été chargé ; et puis j'ai une famille. J'ai juste passé trois mois à ne rien faire. Le reste du temps, j'ai bossé. J’ai assisté à pas mal de matches de football, aussi. A mon âge, je ne ressens plus l'envie de faire le forcing pendant un mois. Je veux être tout à fait sûr de ce que je fais. Si j'avais à nouveau le temps, je ferais « Heaven Up Here » autrement. « Crocodiles » autrement. Tout différemment.

Peux-tu te permettre de prendre ainsi ton temps vis-à-vis de ta firme de disques?

Oh non, ils n'aiment pas ça. Je n'aime pas trop non plus. Mais si ça doit prendre du temps, ça prendra du temps. J'aimerais pouvoir accomplir les choses très vite, mais ce n'est pas possible, surtout quand on tourne. Je dispose déjà d’une dizaine de chansons pour le prochain album, mais je ne sais pas si je vais les utiliser dans l'état actuel ou changer les textes ou certaines choses...

Qu'est-ce qui vient en premier d'habitude, les textes, les musiques ?

D'habitude c'est un riff sur une guitare. Les textes viennent s'ajouter seulement après.

N'as-tu pas été déçu par le relatif insuccès de ton premier album solo?

Il a été reçu bien mieux que le dernier des Bunnymen auquel j'ai participé. Pour moi, c'était un pas en avant. Et plus c'était en pleine période d'explosion des Stone Roses, des Happy Mondays et de toute cette vague.

C'était une mauvaise période pour toi ?

Non, je ne pense pas que c’était l'antithèse de ce que je fais. C'était complémentaire. Je sais à quel point j’ai –ou les Bunnymen ont– influencé des groupes comme les Stone Roses ou les Happy Mondays. Et puis, « Candleland » n'a pas trop mal vendu. Rien d'extraordinaire, mais beaucoup mieux que « Crocodiles » quand il est sorti. Donc je n'ai pas été déçu. J’ai pris les choses avec philosophie. Ce nouvel album va s’écouler beaucoup plus. Il plaira beaucoup davantage au public qui aime ce que je fais. Celui qui me perçoit comme un chanteur de rock sera agréablement surpris par des chansons comme « Damnation ».

C’est un clin d'œil adressé à Jesus & Mary Chain ?

Je ne crois pas qu’ils aient un jour écrit une aussi bonne chanson. C’est ainsi qu'ils devraient sonner. Ce qu’ils font aujourd'hui a été trop entendu. Perso, leur style actuel me rappelle les premiers Bunnymen et, de toute façon, les Mary Chain m'ont toujours fait penser aux débuts des Bunnymen. Ils étaient d' ailleurs nos grands fans. C'est marrant comme les temps changent ; aujourd'hui les journalistes me disent que je ressemble aux Mary Chain, alors que la vérité a toujours été inverse.

Tu as aussi bénéficié de diverses collaborations sur cet album...

Ce ne sont pas vraiment des collaborations, mais seulement de la production. Bien sûr, le travail d'un producteur est important pour superviser le tout. Je ne peux jamais m'astreindre à rester longtemps en studio. Je me rends souvent dans les pubs, pour prendre un verre. Je ne me concentre pas assez. Ils sont importants, parce qu’ils m'empêchent d'aller au pub.

C'est assez étonnant de voir le nom de Mark Saunders accolé au tien. Il est connu pour ses mises en forme dance...

C’est suite au traitement réalisé pour le « Never Enough » de The Cure, dont il mixé le dernier album. Il beaucoup bossé ces derniers temps. Ce n'est pas un fantastique producteur, mais ce qui me plaît chez lui, c'est qu'il m'a laissé m’exprimer. Contrairement à quelqu’un qui sait ce qu’il veut mais dont le produit fini lui ressemble. Les chansons qui lui incombaient restent mes préférées

Pourquoi avoir choisi de travailler avec Robin Guthrie, des Cocteau Twins ?

Après avoir confié quelques chansons à Mark, je voulais changer. Et puis nous sommes amis, Robin et moi. Nous partageons le même manager, aussi.

Tu aimes leur musique ?

Euh, en fait non (rires). Ce n’est pas que je la trouve nulle, mais elle m’ennuie un peu. J’aime bien certains aspects de leur musique. Surtout la voix de Liz Frazer qui est vraiment fantastique. En fait, c’est parce qu’il est un ami que j’ai travaillé avec lui. Même chose pour Henry Priestman, des Christians. Sa musique n’a pas grand-chose à voir avec la mienne, mais celle qu’il apprécie est très différente de celle qu’il écrit. Il aime beaucoup les trucs psychédéliques des sixties et ce genre de choses. Mais quand il écrit des chansons, elles ressemblent toujours à celles des Christians, c’est plus fort que lui… Je sais qu’il a une bonne oreille parce qu’il a travaillé sur « Lover », ma reprise de Leonard Cohen. On avait déjà accompli l’essentiel du boulot, mais il a apporté le ‘groove’ que je cherchais.

Mais pourquoi avoir choisi cette chanson de Leonard Cohen ?

Parce que peu de gens la connaissent et qu’elle n’a jamais été terrible sur disque. Live, Leonard Cohen en réalise une version géniale, on dirait du rap ! En 85 je l'ai vu à Londres, Birmingham et Dublin et à chaque fois cette chanson m'a foutu des frissons, elle possédait un groove naturel.

En compagnie des Bunnymen, tu chanté pas mal de reprises ; mais tu as déclaré, il y a deux ou trois ans, que tu ne reprendrais jamais de compo de Brel ni de Leonard Cohen, de peur de ne pas leur rendre justice. Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis?

Oui, je voulais rester un fan. Et puis est né ce projet de ‘tribute’ « I'm Your fan ». On me proposait de choisir la chanson que je voulais. Je n'étais pas très chaud ; mais comme je me suis toujours considéré comme le plus grand fan de Leonard Cohen dans le monde, particulièrement dans celui des musiciens, j'ai accepté. Je ne voulais pas qu'un disque pareil sorte sans moi. Et puis même si j’avais refusé, en me considérant au-dessus de ce projet, je l'aurais regretté à sa sortie. Mais j'aurais préféré qu’une face me soit réservée et l’autre à Nick Cave. En acceptant un tel challenge, je prenais aussi un risque. Pourtant, je suis plus fan aujourd’hui que jamais.

Et puis, oser des reprises, n'est-ce pas aussi une manière de t'affirmer en tant que chanteur ?

Oui, je pense que je dois pouvoir chanter une grande palette de styles. J'en suis capable. J'aime Tonny Bennett, Frank Sinatra mais aussi The Sugarcubes. C'est effectivement une manière de prouver que je suis apte à interpréter un autre répertoire que le mien.

Un phénomène demeure mystérieux chez les Bunnymen : vous aviez la voix, les chansons, le look, mais le groupe n'est jamais devenu l’égal de groupes comme The Cure, U2 ou même Simple Minds...

J'étais trop occupé –nous étions trop occupés– à vouloir rester le groupe le plus cool. Je crois que c'est une attitude spécifique aux gens de Liverpool. Tant qu’on est les plus cools, on est les meilleurs. Y compris pour un groupe ou un artiste. C’est pareil dans notre manière de supporter l'équipe de football de Liverpool : même si on était relégués en deuxième division, on considérerait toujours qu'on est les plus forts. Quand U2 est devenu énorme aux States, on s'est dit ‘pffftt ! et alors, on est quand même les meilleurs...’ Et puis notre manager, Bill Drummond qui est maintenant dans KLF, n'a jamais exploré tout notre potentiel. U2 et Simple Minds possèdent des managers qui ont fait le maximum pour eux. Bill qui est écossais, préférait nous envoyer en Islande... Ce n'était pas une mauvaise idée en soi, juste un peu bizarre. Et puis à l'époque, nous ne pensions vraiment qu'en fonction du NME et du Melody Maker ; on ne se tracassait pas pour la France, l'Allemagne ou que sais-je?

Tu n’as pas de regrets à ce propos ?

Des regrets? (longue réflexion). Non, car je pense que je suis dans une position qui me convient particulièrement sur cet album. Après « Candleland », certains ont imaginé que j'étais perdu ; mais grâce à « Mysterio », j'approche de nouveau de la réussite de « Crocodiles ». Etre capable de sortir « Damnation » de ma tête est plus important pour moi que démontrer être devenu un adulte. Je ne voudrais pas me retrouver dans la position de U2, de toute façon. Ce qui me rend vraiment triste, c'est qu'Echo & The Bunnymen ait continué sans moi, qu'ils aient gardé le nom...

Tu as souvent déclaré ‘Je suis le meilleur chanteur du monde’ ou ‘Je suis le sex-symbol des années 80’. Cette attitude arrogante t'a-t-elle vraiment servi?

Mais c'était vrai! (rires) C'était une forme d'humour, de toute façon.

A propos de dérision, tu apprécies KLF?

J'adore! Pas seulement parce que j'aime bien Bill et sa manière de concevoir la musique. Ce groupe est plein d'humour. Et puis, j'ai eu recours à leur ingénieur du son sur deux titres de l'album.

Tu aimes le “Echo & The Bunnymen Mix” de What Time Is Love?

Je n'ai pas entendu. C'est bien? Et l'album d'Echo & The Bunnymen sans moi? Comment était-ce?

Tu ne l'as même pas écouté?

Non. Est-ce que le chanteur n'était pas merdique? C'était pas vraiment le meilleur chanteur du monde, hein?

(Article paru dans le n°3 du magazine Mofo de mai 1992)

 

Manic Street Preachers

Seule une révolution changerait la société

Manic Street Preachers est actuellement un groupe qui déchaîne les passions tout en alimentant régulièrement les colonnes de la presse d'outre-Manche. Au centre de toutes les controverses : des rockers-terroristes gallois qu'on trouve délicieusement arrogants. Tandis que d'autres ne voient en eux que de lamentables marionnettes. James Dean (ça ne s'invente pas !), Richez, Nicky et Sean rejettent le capitalisme, luttent contre l'exploitation et détestent la plupart des autres musiciens. Ce qui ne les empêche pas d'avoir signé chez Columbia, de vouloir vendre plus de disques que Guns 'n 'Roses et d'exécuter des concerts de quarante minutes. Avouez que la suspicion dont ils sont l'objet est légitime. Alors, les M.S.P. sont-ils un produit préfabriqué ou les Stooges des années 90 ? A vous de juger ! C'est Nicky Wire qui répondra à nos questions, dans un hôtel bruxellois. Allions-nous être accueillis à coups d'extincteur ou de tessons de bouteilles ? Surprise : le manager nous sert la main et affirme que la finale de la coupe d'Angleterre opposera Liverpool à Norwich (il s'est trompé). Encore plus fort, le redoutable bassiste porte jogging et baskets, mange du chocolat blanc et sourit timidement. Les journaux racontent vraiment n’importe quoi

Rebel ! Rebel !

Les Manic Street Preachers véhiculent une idéologie sociale et politique rebelle. Les textes traitent de suicide, d’aliénation, de décadence et de rock’n’roll. Reflétez-vous un cliché ou vous nourrissez-vous de la littérature contestataire du XXème siècle ?

Nous sommes un cliché, dans la mesure où depuis le début, nous avons toujours voulu devenir un groupe de grande envergure. A une époque où la télé, les magazines, la littérature occupent ne place de plus en plus importante dans la culture moderne, nos réflexions, réactions deviennent forcément symptomatiques,

Dans la chanson « You need stars… », vous semblez détruire l'idéal punk. Est-ce une négation de vos idées ou une révolte délibérée ?

Une révolte délibérée ! Un jeune a besoin de vedettes, de modèles. Personnellement, j'étais autant influencé par les écrits de Jack Kerouac (NDR : guide spirituel du mouvement ‘beatnik’) que par le rock'n’roll. Aujourd’hui, les kids doivent terriblement souffrir de l’extinction de la bonne littérature. La musique est trop indulgente vis-à-vis d'elle-même. La politique nous casse les pieds. Les grands leaders ont disparu. Le commun des mortels pense que l'ouverture de l'Europe vers le capitalisme est un bien. Dorénavant, cette population fréquentera le Mc Donald et rencontrera une autre forme de pauvreté. Rien de bien réjouissant ne se profile pour eux à l’horizon.

Si les socialistes prennent le pouvoir en Grande-Bretagne, le labour party a raté un rendez-vous…

Aucun parti britannique n’offre la moindre alternative. Les socialistes copient de plus en plus les libéraux. L’idée de nationalisation ne les effleure même pas. Et puis il faudrait changer le système. La monarchie ne sert à rien, ne représente plus rien à notre époque. Seule une bonne révolution pourrait véritablement changer la société. Au Pays de Galles, les charbonnages ferment les uns après les autres, Il y a cinq ans, on y dénombrait encore 30 000 mineurs. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 2 000 ! La région est rongée par près de 55% de chômage. Si les femmes parviennent à dénicher un emploi, c'est parce que les employeurs peuvent se permettre de leur accorder des salaires de misère. Blackwood, notre ville natale, ressemble aujourd'hui à un musée vivant, les usines sont pratiquement toutes fermées. Il n'y a même pas de cinéma. Quant aux perspectives d'avenir, n'en parlons pas… Avant de fonder M.S.P. nous étions tous chômeurs. Ce n'était pas la joie. Pourtant, aujourd'hui, je reviens volontiers chez moi. Ce retour au bercail me permet de rester les pieds sur terre. Finalement, j'y suis mieux qu'à Londres. Dans cette ville, les gens sont tellement hypocrites ; ils ressemblent à des robots, des snobs qui ont perdu tout sens de la communication.

It’s only Rock’n’Roll

Quelle est la définition de la jeunesse ?

L’éclat, le sexe, la mort, la violence.

Vous dites que votre musique n’est pas punk. Avez-vous peur des fantômes ?

Non, mais les Sex Pistols et les Clash constituent les seuls groupes punk qui ont exercé une certaine influence sur nous. J’aime également les bons groupes de rock’n’roll tels que les Stones et les Who. Avec le recul, le punk n’était rien d’autre que du rock. Nous en avons conservé l’esprit, l’attitude, mais nous ne voulons pas être étiquetés ‘punk’. Le punk, c’était en 77. Aujourd’hui, c’est fini. Nous sommes un groupe de rock. C’est tout.

Est-il exact que vous détestez tous les autres groupes ?

Oui, à part Clash, Who, Stones et Pistols, les autres groupes ne nous intéressent pas.

Vous semblez ne pas apprécier l’avant-garde. L’originalité est-elle un mythe ?

Je le crois sincèrement. Dans ce siècle, rien ne peut être original. Tout est triste, y compris la musique. C’est prétentieux de vouloir expérimenter de nouveaux sons. Les nouveaux sons n’existent pas. La musique de My Bloody Valentine est comparable au bruit que produit le train. A quoi ça sert de reproduire ces sons sur un disque ? C’est de l’autosatisfaction ; d’autant plus que leurs paroles sont stériles. Ils me font penser à Emerson Lake & Palmer ou à Yes. Leur public est constitué d’étudiants issus de la classe moyenne qui n’ont rien d’autre à faire que d’écouter ce style de musique. Les gens de la rue n’aiment pas cette musique.

Etes-vous des ‘Working class heroes’ ?

Nous sommes de souche ouvrière, mais pas des héros ; pas encore…

Etes-vous attachés à la vielle imagerie du rock’n’roll, celle de la décadence, de l’autodestruction, incarnée par Bolan, Bowie et d’une manière plus contemporaine par Morrissey ?

Au cours de notre jeunesse, nous aimions bien Morrissey. Mais ses textes n'ont jamais évolué. Il est devenu de plus en plus décevant. Bolan, Bowie et Reed n'ont jamais vraiment véhiculé de message. Ce qu'ils racontaient est toujours demeuré vague. Il m'est impossible d'admirer quelqu'un, simplement parce qu'il se détruit à l'aide de drogues. La plupart de ces soi-disant héros sont des imposteurs. Par contre, Keith Richards est toujours resté authentique et sincère à mes yeux. Il a toujours respecté sa ligne de conduite. Lou Reed ne veut même plus se souvenir de son passé...

Croyez-vous à la doctrine autodidactique ?

Ritchey et moi avons fréquenté l’université pour y étudier la politique. Plus tu lis, plus tu apprends, mais plus tu te rends compte que tu as été manipulé, exploité. Les livres sont parfois plus enrichissants que les disques. Mais la conscience en prend un coup. Le gouvernement anglais a ruiné tout notre système d’éducation.

Parvenez-vous à établir des limites entre votre vie professionnelle et votre vie privée ?

Plus maintenant. Tout s’emmêle. Nous ne disposons plus de temps libre. Cette année a vraiment été folle. Nous ne sommes pas rentrés à la maison. Nous vivons dans un vase clos et perdons le sens des réalités. C’est le danger de faire partie d’un groupe rock. Partout où on va, on a l’impression d’être investi d’un droit divin ; on se croit tout permis et on fait des conneries. Tu ne peux pas t’imaginer les changements qui influent sur ta personnalité lorsque tu pénètres dans le monde du rock. C’est terrifiant !

En voulant changer le monde, ne pensez-vous pas reprendre les idées d’un certain Jim Morrison ?

Jim Morrison était un con, un alcoolique. Je n’ai aucun point commun avec lui. Ce n’est pas avec sa cervelle d’oiseau qu’il aurait pu changer le monde ! Lorsque l’aventure du groupe a commencé, nous aspirions naïvement à changer le monde. Nous y croyons toujours, mais notre idéal s’est quelque peu dilué. Lorsque tu appartiens à une firme de disques, il y a de réalités dont tu dois tenir compte.

Que peut-on encore attendre du rock’n’roll, alors ?

Plus grand-chose, malheureusement. Les Stones, au cours des sixties et les Pistols, fin des seventies, symbolisaient pour les teenagers, des groupes qui allaient changer le monde. De nos jours, la culture est tellement stylisée, indolente, que les gens attendent d’un artiste soit musicalement excellent plutôt qu’il ne manifeste une conscience sociale. C’est décevant ! Le message d’un groupe est aussi important que sa musique. Nous n’écrivons jamais des chansons romantiques, par exemple. C’est un choix que nous avons défini lors de la formation de M.S.P. Les groupes devraient davantage s’adresser à tous ces jeunes qui en ont marre de toutes les conneries qu’on leur bassine…

Vous avez déclaré vouloir vendre plus de disques que Guns’n Roses, pourquoi ?

Si 10 millions de personnes pouvaient écouter notre disque, et surtout le message qu'il véhicule, je pense que quelque chose de positif pourrait se produire. Nos paroles renferment autant d'alternatives à un autre mode de vie. Je suis encore assez naïf pour croire que le rock'n'roll peut améliorer l'existence des gens. Le but du rock'n'roll, c'est d'apporter un peu de chaleur à l'être humain, de le rendre moins solitaire...

L'album a coûté beaucoup d'argent. Est-ce une forme d'exploitation?

Une crasse! Tout est de notre faute. Nous avons consacré trop de temps à l'enregistrement. Il y avait trop de pression sur nous. Dès la signature, nous savions que nous allions être exploités. Mais nous allons récupérer l'argent ; alors on s'en fout!

Que répondez-vous à ceux qui prétendent que vous faites l'objet d'un coup médiatique ?

Ca m'est égal ! Ce qui est sûr, c'est que nous réalisons tout, nous-mêmes ; aussi bien la musique, les paroles que la pochette. Notre origine galloise fait rire pas mal de monde. Ceux qui pensent que nous ne sommes qu'un coup monté n'ont rien compris. Nous n'attachons pas d'importance à ce qui est raconté à notre sujet dans les journaux. On est toujours obligé de se prostituer face aux médias. Tous les groupes sont des produits de consommation, mais peu le reconnaissent.

Article paru dans le n°3 du magazine Mofo de mai 92.
 
 

Clichés

God Save The Queen !
Le meilleur single de tous les temps

The Queen is dead !
Inutile, nul

Margaret Thatcher
Notre mère à tous

Manic
Stupide

Street
Classe ouvrière (working class)

Preachers
Des escrocs

No future
Ma phrase préférée

L’argent
Je n’ai pas bien compris la question

 


 

The Young Gods

Notre musique s’adresse plutôt à l’arrière du cerveau

Écrit par

Futur du rock façon métal ou empereurs d'un concept mélodico-visuel minimaliste ? L'avenir nous dira ce qu'il faut voir en ces Young Gods aujourd'hui. Quelle est la vraie substance de ce trio d'Helvètes esthètes? Leur rock impulsif et scientifique est coincé entre le barbare (agressivité brute) et le progressif (recherche incessante de la confrontation avec des éléments intérieurs ou extérieurs). Une chose est sûre : les Young Gods sont un des groupes les plus passionnants du moment, qu'ils provoquent l'extase ou la déception. Néanmoins, ils se moquent un peu de leur statut actuel, pourtant enviable, de groupe à qui on accorde un crédit certain. Franz Treichler, le leader/chanteur s’explique…

L'important n'est pas vraiment dans le jugement des uns et des autres. La façon dont nous sommes perçus par ceux qui nous abordent relève, à chaque fois, d'un processus individuel établi à partir d'éléments différents comme les goûts, la culture, la sensibilité. Chacun se fait donc sa propre opinion et tout le monde peut avoir raison. Nous nous basons, pour estimer notre musique, sur nos propres sentiments par rapport à nos ambitions, que nous sommes bien sûr les seuls à pouvoir fixer et évaluer. Je ne pense pas que nous soyons le meilleur groupe du monde, ni le pire. Notre but est d'être le plus conséquent possible par rapport à nos idées, le plus proche de notre projet. Je ne vois, de toute façon, pas quel besoin il pourrait y avoir d'instaurer une sorte de compétition à notre niveau, par rapport à qui ou à quoi que ce soit.

Vous avez le sentiment de progresser ?

Oui.

De quelle manière ? Vous améliorez-vous sur le plan technique, matérialisez-vous mieux vos idées ou en avez-vous de meilleures ?

Je crois qu'on matérialise mieux, c'est vrai. Au départ, c'était le contraire en ce sens que les possibilités intrinsèques des outils dont nous nous servions nous donnaient des idées. On a inversé ce schéma aujourd'hui et c'est sans doute un bien, même s'il est évident qu'une partie de la spontanéité, de la naïveté de notre travail des débuts a été progressivement gommée par l'apport conscient ou inconscient de l'expérience, de la maturité. A titre d'exemple, je ne pourrais plus jamais refaire « Comme si c'était la dernière fois », de la même façon que nous l'avons réalisé, même si je pense que cette chanson reste l'une de nos meilleures. Notre tactique est d'avoir une vision des choses la plus globale possible, avec tout ce que cela peut comporter comme remises en cause inévitables.

« TV Sky » est votre quatrième album. Quel est sa place dans votre discographie ?

Je pense que c'est notre album qui met le mieux en évidence la puissance du côté atmosphérique de notre musique. Mais c'est normal. C'est normal parce que nous sommes plus forts et que nous gérons de mieux en mieux notre souhait d'arriver à dépasser le stade de la communication classique, d'utiliser un langage qui dépasse celui qui mène au constat logique de la compréhension. Notre musique s'adresse plutôt à l'arrière du cerveau. C'est la raison pour laquelle nous devons aller plus loin.

Vos trois premiers albums vous ont donc servi à apprendre à parler votre propre langage ?

En quelque sorte... Mais bon, on n’est pas partis de rien. Tu peux d'ailleurs constater que chacun de nos albums possédait en même temps que des qualités et des défauts, une identité propre. Notre premier album (« Young Gods ») est très spontané, très avant-gardiste ; notre second (« L'eau rouge/Red Water ») est, par contre, bien plus clinique et le « Kurt Weill » (« The Young Gods Play Kurt Weill ») est comme une sorte de ‘best of’ des Young Gods, mais réunit des chansons écrites par quelqu'un d'autre. On y détecte cependant, sans peine, notre son, notre démarche.

Quelle est votre marge de progression ?

Je ne la connais pas. Je ne pense jamais à cela.

Bien, quelles sont vos limites alors ?

Je crois que tout est un problème de créativité. Notre musique ne naît pas d'un travail mécanique. Or, ta créativité, tu ne la contrôles pas. Tu peux, au mieux, la canaliser, l'apprivoiser, la provoquer mais pas la déclencher.

Sampler des sons de guitare, c'est une attitude créative ?

Pas plus qu'une foule d'autres choses. Sampler une guitare et la rejouer, c'est un peu comme inventer une nouvelle pédale de ‘disto’. Nous considérons que nous donnons un autre niveau à notre son, un autre impact, en utilisant cette technique. Nous nous attribuons d'autres alternatives sonores mais elles ne sont pas sans limites.

Les Young Gods, c'est avant tout un groupe qui produit de l’énergie ?

L'énergie est, c'est sûr, l'aspect primordial de notre travail. Cette énergie n'est, finalement, rien d'autre qu'une réaction chimique par rapport au courant et à l'esprit du moment. Mon discours est peut-être un peu minimaliste, mais il est sincère. En fait, nous adorons surfer sur la tempête (NDR : Franz doit adorer cette formule, il l’utilise constamment), être secoués sans arrêt, tout en gardant le contrôle.

Si tu devais pousser quelqu'un à découvrir les Young Gods, de quelle façon lui conseillerais-tu de s'y prendre ?

De venir à un concert en premier lieu et puis d'écouter un disque ensuite. Un concert, c'est une expérience à première vue éphémère mais qui peut te filer la ‘banane’ (NDR : image utilisée par Treichler pour exprimer la bonne humeur qui entraîne l'énergie positive) et aussi la pêche. C'est un cocktail de fruits, en somme ! Ecouter un disque est une action plus intimiste que tu gères et conduis toi-même puisque tu as les rênes.

« TV Sky » est un album dont les textes sont en anglais. Tu en as marre de t'exprimer en français ?

Pas du tout, il se fait juste que j'ai passé trois mois aux States récemment et que machinalement je me suis mis à penser en anglais puisque je communiquais dans cette langue à ce moment-là. C'est ma perméabilité qui a provoqué ce choix...

A propos de perméabilité, par quel type de musique t'es-tu laissé imprégner avant d'engendrer la tienne ?

Bof, je suis passé par des tas de choses. A 15 ans, j'étais fan de Pink Floyd, des Doors. A 16/17 ans, j’avalais du punk à longueur de journée. Je n'écoutais que les Pistols, les Stranglers… Ensuite, je suis passé à la vague avant-gardiste allemande. Des groupes comme D.A.F. ou Neubauten. J'écoutais tout. Je passais des heures chez les disquaires à écouter des tas de trucs sans rien acheter. Comme un vrai emmerdeur. J'ai aussi beaucoup écouté Hendrix, tout comme Alain, notre guitariste, Lui, il a même fait partie d'un groupe qui ne jouait que du Hendrix et s'appelait Experience. En fait, aujourd'hui, on rend un peu hommage à tout ça. Je ne crois pas qu’en samplant des sons de guitare, on trahisse quoi que ce soit. Sûrement pas!

Article paru dans le n°3 du magazine Mofo de mai 92.

Pale Saints

Les paroles ne sont pas ce qu'il y a de plus important

Engagés par 4AD à la même époque que Lush, les Pale Saints ne se sont jamais répandus en déclarations tapageuses, ni laissé absorbé par un quelconque phénomène de mode. Si bien que la presse britannique, avide de papiers à sensation, n’a jamais porté grand intérêt à ce groupe qui refuse de tomber dans le piège médiatique. Pour preuve, nous ignorions totalement que le groupe avait engagé, voici déjà dix-huit mois, une nouvelle chanteuse/guitariste ; en l’occurrence Meriel Barham. En fait, ce qui importe pour les Pale Saints, c’est la qualité de leur musique. Non contents de posséder un don inné pour les mélodies pop, ils accordent une attention toute particulière aux arrangements. Des arrangements qui, soit-dit en passant, frôlent la perfection sur « In Ribbons », le deuxième album. Ian Masters, bassiste, chanteur et tête pensante du groupe s’est prêté au jeu des questions/réponses.

Quelle différence y a-t-il entre « The Comfort Of Madness » et « In Ribbons », le deuxième album?

La pochette probablement! Nous avons fait appel à différents photographes. Je possédais une photo de l'intérieur de mon corps prise lors de mon opération. Je l'ai refilée à Chris Pickett de 4AD pour qu'il en imagine la pochette.

Oui, mais musicalement, quelles en sont les différences marquantes?

Nous avons tenté d'explorer de nouveaux horizons, de varier nos compositions Je suis satisfait du résultat final. « In Ribbons » constitue notre meilleure réalisation à ce jour.

N'est-il pas malaisé de se consacrer à de la ‘noisy pop’, alors que le monde entier acclame Nirvana ?

Le succès de Nirvana ne nous touche pas. Nous jouons la musique qui nous plaît et tirons parti de tous les ingrédients sonores disponibles. Les guitares ‘noisy’ appartiennent à notre univers mais leur utilisation n'est pas exclusive. C'est un élément parmi d'autres. Tout dépend du but recherché : distorsion, feedback...

Votre musique ne serait-elle pas plus adaptée au ‘style’ du label Creation ?

Il faut mettre des pantalons en cuir pour convenir à Creation! Alan Mc Ghee rétribue les groupes en fonction des vêtements qu'ils portent. Nous n'aimons pas le cuir. Nous sommes végétariens et notre idéologie nous interdit de se vêtir de cuir. Il ne nous est donc pas possible de signer chez Creation!

Entretenez-vous des contacts avec Ride? Ou d'autres groupes du label Creation?

Pas vraiment. Il existe une grande maison de campagne située dans les Midlands où tous les groupes qui pratiquent de la ‘noisy’ sont régulièrement invités pour passer le week-end. Ils écrivent même des chansons ensemble.

Quelles sont les principales influences des Pale Saints? Quels sont vos goûts musicaux?

Difficile de discerner exactement ce qui nous influence. N'importe quel créateur est inspiré par des tas de choses. Par des éléments musicaux, mais également non musicaux. Il s'en imprègne. Tout comme la perception d'une chanson varie d'une personne à l'autre. Pour l'instant, j'écoute Laura Nyro (NDR : chanteuse américaine issue des sixties), PJ Harvey, Young Gods, les interférences radio, le bruit des pigeons sur le toit de ma maison, des bruits étranges semblables à ceux émis lors de la copulation.

Qu'est-ce qui est fondamental dans un morceau?

L'effet produit sur votre matière grise. Les paroles ne sont pas ce qu'il y a de plus important. D'abord, il y a la musique, puis le vin (NDR: une métaphore qui signifie sans doute la sensation), et enfin le texte.

Comment réagissez-vous face à Top of the Pops ? Aux hit-parades en général?

Je trouve ‘Top of the Pops’ totalement cocasse. Autrefois, l’émission se déroulait uniquement en play-back. Mais aujourd'hui, tous les artistes doivent chanter en direct sur une bande préenregistrée. Ce qui n'est pas évident, d'autant plus que certains chantent totalement faux... Le programme de TOTP est souvent rasoir parce que limité à de la bête musique de danse. Mais si nous étions sollicités, nous accepterions peut-être d'y participer, rien que pour voir le fonctionnement de cette émission ; et puis pour en tirer une certaine expérience. Je n'apprécie pas tellement ces ‘charts’ élaborés sur des idées préconçues, saturées de chansons volontairement commerciales. Cet aspect du succès ne nous intéresse pas. Les charts britanniques nous assènent tellement de conneries pour l'instant.

Considérez-vous le renouveau de la guitare comme une révolte face à l'électronique?

Je pense plutôt le contraire. On assiste à une réaction contre la musique de guitares. Les jeunes branchés sur la musique de danse sont plus nombreux que ceux attirés par le rock plus dur, plus carré…

Aimes-tu partir en tournée ?

Plus ou moins. Au fil du temps, votre cervelle se transforme en légume. Chaque matin, il faut se lever, monter dans le bus, voyager, puis jouer le soir. La routine, un peu comme lorsque tu te rends pour assurer ton boulot, au bureau, de 9 à 5. Le cerveau n'est pas alimenté pendant cette phase. Mentalement c'est fatigant. Aussi, lorsque nous partons en tournée, nous emportons l'équivalent de trois bibliothèques remplies de romans. Nous lisons dans le bus. Et puis, ça tue le temps.

Pourquoi n'accordez-vous pas beaucoup d'interviews à la presse anglaise?

Parce qu'elle veut absolument coller à votre actualité. Surtout celle relative à la sortie des disques. Sauf pour Nirvana qui revient chaque fois sur le tapis parce que les lecteurs veulent encore et toujours découvrir de nouveaux articles à leur sujet.

Abstraction faite de la musique, qu’affectionnes-tu le plus?

Circuler à vélo dans Leeds. Donner des coups de pied aux chiens errants, manger (bien que je n'apprécie pas la cuisine anglaise), dormir, lire, marcher, cuisiner, penser, apprendre, apprendre à penser que je suis sous-estimé...

Et dans le domaine artistique?

Aller au cinéma. J'ai beaucoup aimé « Insignifiant » et « Track 29 » de Nick Rogue. Tout comme « L'homme qui est tombé sur la terre » avec Bowie. Le dernier film français dont je me souvienne est « Cyrano » interprété par Depardieu. Il existe un petit cinéma bon marché à quelques pas de chez moi. J’y vais pour me réchauffer, lorsqu'il fait trop froid chez moi.

Quelle est ta réaction face aux exactions des hooligans?

Un problème pour lequel je ne vois pas de solution. Sauf peut-être de distribuer du cannabis à ceux qui assistent aux matchs! Les gens pétés ne sont pas violents. Pourquoi ne pas faire fumer les hooligans? Sérieusement, je pense que la violence est moins aiguë dans les stades anglais depuis quelque temps. Est-ce la conséquence d'une plus grande consommation de drogues? Depuis l'apogée de la ‘dance’ de l'ecstasy, le rencontres de football se déroulent devant un public plus pacifique. J'ajouterai même que c'est normal, puisque les gens qui passent leur temps à danser toute la nuit n'ont plus tellement l'envie de se battre. Et puis comme au stade, ils sont enfermés dans des cages en fer. Personnellement, je n'aime pas le foot. En Angleterre, les hooligans se battent entre eux, mais foutent la paix aux autres. Chaque club possède un petit gang de violents qui font la guerre chaque semaine à un autre gang de violents...

Que peut-on te souhaiter?

Survivre à notre future tournée américaine. En revenir mentalement intacts. Outre-Atlantique, le calendrier des concerts imposé au groupe par les organisateurs est absolument démentiel. Les musiciens doivent se produire pratiquement tous les jours. La pression est terrible. Le fait n'est pas nouveau, mais il effraie toujours. C'est la raison pour laquelle nous souhaiterions y faire un bref séjour. Nous ne voulons pas devenir dingues!

(Article paru dans le n° 3 du magazine Mofo de mai 1992)

 

 

Teenage Fanclub

Le bassiste de Kiss nous poursuit en justice…

Teenage Fanclub est probablement le premier groupe à avoir pensé à cette méthode. Sur scène, il a recours à un ‘aboyeur’, quelqu'un d'extérieur qui vient présenter les morceaux et s'entretenir un peu avec le public ! Et pendant que les musiciens jouent, l'‘aboyeur’ lit un bouquin ou prend des photos! Très Monty Python, non? Ce qui permet, en tout cas, de détendre un peu l'atmosphère, mais aussi de récupérer des effets provoqués par le mur de son construit à chaque chanson ! Originaire de Glasgow, TFC vient de publier son deuxième LP (« Bandwagonesque »), un des meilleurs parus l'an dernier. Agé de 24 ans, Gerry Love, le bassiste, se réserve aussi parfois le micro, notamment pour « December », « Pet Rock » ou le célèbre « Star Sign ». Il possède, en outre, une connaissance extraordinaire de l'histoire du rock. C’est lui qui nous a accordés cet entretien…

A qui aimerais-tu qu'on vous compare ?

A personne ! En Grande-Bretagne, on nous compare à plein de monde : Dinosaur Jr, Husker Dü, les Ramones, Neil Young, Big Star, les Beach Boys. On avance des tas de nom, mais ces comparaisons n’ont aucune importance, tu sais.

Parfois on parle même d’Abba, non ?

Un de mes amis, après avoir écouté « Star Sign », a eu la même réflexion. Je ne me rappelle plus du titre de la chanson d'Abba qu’il évoquait. On peut y penser : la progression de la compo, les chœurs, tout est très classique. C’est une chanson d'amour, aussi. De toute manière, j’aime bien Abba.

Pas un peu ennuyeux, toutes ces analogies ?

Ennuyeux, sûrement pas. Dans certains magazines, on nous reproche de piquer nos idées à gauche et à droite, ce qui n’est pas très agréable à entendre. Mais être comparé aux autres formations, c'est plutôt un compliment. Une des raisons pour lesquelles nous avons formé ce band, c'est justement parce que nous achetons beaucoup, beaucoup de disques. Nous sommes des grands consommateurs, des fans de musique. Alors, être comparé à ce qu'on aime, c'est chouette! Mais en Angleterre, des personnages cyniques nous traitent de copieurs ! Plutôt ennuyeux.

Tu n'as jamais eu le sentiment que tu piquais une idée à quelqu'un?

Oui! Pour être honnête, c'est vrai (rires). Si tu achètes un disque, que tu l'aimes et que tu accordes de l’attention aux arrangements, etc., tu vas finir par sonner de la même façon. Mais ce n'est pas grave, c'est normal! Pour des raisons que j'ignore, les journalistes anglais sont vraiment préoccupés par l’originalité du groupe, qu’il soit totalement vierge de toute influence. Tu sais, on aime la musique! Alors on est influencés par tout ce qu'on écoute, tout ce qu'on voit! Ceux qui nient cette évidence doivent mentir.

Penses-tu que TFC possède vraiment une place bien spécifique au sein de la scène musicale, actuellement? Qu’il n’émarge à aucune autre déjà existante ?

On est issu de Glasgow. Il y a toujours eu une scène à Glasgow. On en fait partie.

Perso, quand on me parle de la scène issue de Glasgow, je pense à Texas ou aux Silencers qui sont totalement différents de TFC...

Ou pire, Wet Wet Wet ! Oui, au début des années 80, Glasgow a donné naissance à un groupe qui s'appelait Orange Juice. Sa mentalité est un peu pareille à la nôtre. Eux aussi étaient marqués par l'idéal et la musique punk. Eux aussi avaient écouté le Velvet Underground, Buffalo Springfield ou Love... Je crois que beaucoup de formations sont nées à Glasgow, grâce à Orange Juice. Nous ou les Pastels, par exemple. Il existe des points communs!

Tu connais Edwyn Collins, le leader d'Orange Juice ?

Pas personnellement. On s'est salués au festival de Reading en août dernier. Il s’attelle à mettre sur pied un nouveau groupe. Et il nous a demandé de pouvoir partir en tournée avec nous. C'est un beau compliment.

Dans ton esprit, un membre de Teenage Fanclub, qu'est-ce que c'est ?

Quelqu'un qui ne connaît pas de barrières musicales, capable d’écouter absolument n'importe quelle musique et l'apprécier, plutôt que d’être cynique. Quelqu'un qui a de l'humour, soit comique, sait prendre son pied, reconnaît ses propres limites.

C'est quoi, tes limites?

Je crois que notre principale limite, c'est l'honnêteté. Il y a des tas de choses qu'on pourrait faire : un disque de ‘dance’, par exemple, mais ce serait malhonnête, puisqu'aucun de nous n'est fan de ‘dance’. Donc, si nous y recourions, ce serait pour l'argent. On essaie de rester honnêtes avec nous-mêmes.

A propos d'argent, parle-moi un peu de la pochette de votre disque?

Perso, je n'aime pas beaucoup cette pochette. C'est Raymond, le guitariste qui l’a imaginée. Par ordinateur. Il voulait utiliser des couleurs comparables à celles de « Never Mind The Bollocks » des Sex Pistols. Quelque chose de très simple qui laisse une impression forte. Tu sais que, là aussi, on nous accuse de plagier! Il paraît que le dessin était déposé. Le bassiste de Kiss, Gene Simmons, nous poursuit en justice : c'est, paraît-il, le logo de sa firme de disques qui est sur notre pochette!

Tu dis que tu n'aimes pas cette pochette. Tu as donc dû faire des concessions?

Ben oui. Mais tu sais les autres membres du groupe ne sont pas non plus convaincus par ce design!

Comment considères-tu l'argent? Comment le dépenses-tu ?

Je ne dépense pas beaucoup. J'achète des disques. Je prends l'argent au business, et je le lui restitue en achetant des disques!

C'est quoi la chose, la plus chère que tu aies jamais achetée ?

Je crois que c'est une mandoline. On n'a pas beaucoup d'argent à Glasgow. Il y a des gens qui n'ont même pas assez pour manger. Je ne veux pas de Rolls Royce, de limousine et de toutes ces merdes.

Parfois, tu n'as pas peur de devenir une rock-star?

Si. Ce que je ne ferais jamais? Je ne prendrais pas de drogues, par exemple. Je n'achèterais pas toute sorte de futilités, un yacht ou que sais-je? Tu sais, quand on n'a plus aucun souci matériel, quand on gagne beaucoup d'argent, je crois qu'on essaie de continuer à toujours en gagner autant. Et on s'implique moins dans sa musique. C'est peut-être la raison pour laquelle les groupes qui ont le plus à dire sont ceux qui ne gagnent pas énormément d'argent.

Tombes-tu souvent amoureux? Crois-tu que l'amour existe?

Ouais! Je ne crois pas que l'amour existe universellement. Mais il existe individuellement. C'est une question d'ambition. Pour tomber amoureux, il ne faut pas vouloir absolument trouver la perle, il faut être content avec ce qu'on a!

Crois-tu que Teenage Fanclub souhaite absolument être aimé?

(long silence) Aucune idée. Le fait que nous soyons aimés est chouette, mais bon, on ne veut pas que tout le monde nous aime. Et on ne fera rien pour que ce soit ainsi. Même si on ne touche qu'une seule personne au monde, eh bien, pour cette personne-là, c'est important.

En peu de temps, TFC a été considéré comme un grand groupe. Penses-tu que vous méritez toute l'attention que vous portent les médias ?

(re-long silence) Je ne sais pas. Je ne suis pas un grand lecteur des journaux spécialisés! Je me demande si toute cette presse, le NME, le Melody Maker, etc., se soucient un peu de musique ! Ce sont des médias qui parlent de mode, et pas d'autre chose. On parle des artistes, mais c'est surtout de la façon dont ils s'habillent, de leurs attitudes… Chaque semaine, ils essaient de découvrir LE nouveau groupe, LA nouvelle sensation. Pour quelque raison que ce soit à un moment c’est nous qu'ils ont choisis.

Tu te rappelles du premier article qu'on vous a consacré ?

Horrible! C'était dans Sounds qui aujourd'hui a disparu. C'était la critique d'un concert que nous avions accordé dans une toute petite salle à Londres, devant 70 personnes. Il n'y avait pas de sono. Nous n'avions pas dû être très bons. On était très nerveux, alors on a bu quelques verres. En fait nous étions saouls! Le journaliste a écrit que c'était le pire groupe qu’il n’ait jamais vu et que nous ne percerions jamais dans la musique... Il avait raison: on n'arrivait même pas à finir nos chansons!

TFC a signé un contrat chez un label indépendant (Creation). Tu t’imagines rejoindre une major ?

Nous sommes sur une major, aux Etats-Unis. Nous avons un contrat chez Geffen. Dans le passé, les gens étaient très snobs: il fallait signer sur un label ‘indé’. Pour moi, Creation, c'est pareil à une ‘major’. Je ne vois pas tellement de différence entre une major et un label indépendant. On dit que les majors s'en foutent de la musique, que ce qui les intéresse c'est l’argent. Mais le but de Creation, c'est aussi de gagner de l'argent. Comme n'importe quelle firme de disques.

Tu ne les aimes pas particulièrement, dis donc ?

On a un bon contrat. On est libres pour concevoir nos disques comme on le souhaite, on ne se plaint pas.

(Article paru dans le n°2 du magazine Mofo de mars 1992)

 

The Charlatans

Je me vois mal agiter des drapeaux sur scène !

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1990. Les Charlatans sont aux anges. Profitant du sillon tracé par les Stone Roses et les Happy Mondays, ils obtiennent confortablement le premier prix décerné par l'école de Manchester. Oui, on sait, ils sont pourtant issus de Wolverhampton. Leur premier album est ainsi directement propulsé à la 1ère place des charts. L'année dernière, cependant, le doute se substitue à l'euphorie. Des problèmes personnels d'un côté (départ du guitariste, John Baker, dépression nerveuse pour le bassiste-compositeur Martin Blunt) et de l'autre, un désintérêt grandissant du public à l'égard de la vague groovy-rock : la descente aux enfers paraît inéluctable. Qui aurait alors encore misé un sou sur le groupe de Tim Burgess? Pourtant, les Charlatans sont toujours dans le coup. Mark Collins a remplacé Baker, Blunt s'est refait une santé et le nouveau maxi « Weirdo » constitue plutôt une agréable surprise. De bon augure avant la sortie de leur deuxième album. Elle est même imminente. Et il s’intitulera « Between 10th and 11th ». Le chanteur Tim Burgess, nous éclaire sur la personnalité d'un groupe qui a tous les atouts en main, pour prouver qu'il porte mal son nom.

Vous êtes originaires du Nord de l'Angleterre (Wolverhampton). N'auriez-vous pas préféré appartenir à la scène de Manchester?

Non.

Pourquoi?

Parce que j'aime l'endroit d'où je viens. On y est heureux. Et puis, je suis fier de ma ville natale.

Les Stone Roses et les Happy Mondays sont-ils vos rivaux?

Absolument pas.

Vos amis?

Non plus. Il n'existe pas de compétition ni de rivalité entre ces groupes. S'ils ont du succès, tant mieux pour eux. Ca me fait plaisir. Je ne suis pas jaloux des formations qui marchent bien.

Etes-vous des revivalistes sixties ?

Nous apprécions certains disques des sixties. J'aime ceux du Who. Mais également la musique des 70’s, 80’s et 90’s. En général, celle de toutes les époques. Une chose est sûre, on ne veut pas ressusciter le passé ; mais il nous influence, c'est évident.

Qu'est-ce que les Doors, Spencer Davies et les Stranglers représentent à vos yeux?

Les sixties !

Et les Beatles et les Stones?

La même chose! Je n'ai que 24 ans et je ne possède pas de souvenirs précis de ces groupes. Je ne connais que leurs disques.

Aimes-tu la ‘house’ ?

Oui, mais pas celle qui s'adresse au grand public. Je la considère comme appartenant à la culture des jeunes. A la fin des années 80, elle était underground, intéressante. Aujourd'hui, l'industrie musicale s'en est emparée pour la commercialiser. Elle ne correspond plus vraiment à ce qu'elle représentait au départ. Elle a été vidée de sa substance, falsifiée. J'aime la musique de danse pure, intègre.

Qu'est-ce qui te vient à l'esprit lorsqu'on te parle de psychédélisme?

Pas grand-chose. Plein de couleurs ! J'associe le psychédélisme à San Francisco, à la fin des 60’s et à une grande consommation de drogues. Une période qui évoque pour moi des groupes comme Quicksilver Messenger Service, Jefferson Airplane ou encore Moby Grape.

A quelle époque avez-vous commencé à jouer ?

On a séjourné dans plusieurs formations avant de fonder les Charlatans, des ‘teenage punk groups’. Un apprentissage qui s'est fait à travers ces différentes expériences. J'avais 20 ans lorsque nous avons créé les Charlatans. John en avait 19.

Et qu’incarnent pour vous les Sex Pistols et les Clash ?

Beaucoup plus que les Beatles et les Stones. Le punk a influencé des artistes que j'écoutais alors, comme Joy Division, Wire ou Gang of Four. Des groupes nés en 79 et 80, qui ont été pour moi les révélateurs de mon destin musical. J'ai, par exemple, suivi Wire à la trace, que ce soit au niveau des concerts que de l'achat de leurs disques. Je ne me suis procuré « Never Mind the Bollocks», qu'en 1980, soit trois ans après sa sortie. Je voulais comprendre leur message. Les groupes punk m'ont beaucoup inspiré...

Pensez-vous devenir un jour un ‘stadium band’ ?

Non. Je ne le crois pas. C'est curieux, les ensembles qui se produisent dans des stades se voient associés à un son bien spécifique. Personnellement, quand on me parle de ‘stadium rock’, je pense à U2 et Simple Minds. Or, je n'aime pas ce genre de musique. Je ne pense pas que nous pourrions adapter voire arranger notre son pour qu'il convienne à un stade. D'autre part, je ne considère pas les Charlatans comme un groupe indie. Il est pop, mais véhicule une image venimeuse, malveillante. Je me vois très mal agiter des drapeaux sur scène! Je préfère jouer face à un public de plus ou moins 2.000 personnes. J'aime aussi me produire dans des vieux cinémas ou dans des petites salles. Le public peut entrer en communion avec nous. A l'inverse des concerts donnés dans des stades où l’assistance se situe à l'écart, à l'extérieur de l'événement. A nos débuts, nous étions satisfaits de nous produire devant une vingtaine de personnes. Et puis progressivement, les salles se sont remplies. Un an plus tard, notre set se déroulait devant 500 personnes. C'était très excitant!

Que feriez-vous si vous n'étiez pas musicien?

De la radio. De la photo ou du journalisme. Pas quelque chose d'ordinaire, je crois!

Quel est ton rêve le plus insensé ?

Je crains les araignées et l'eau. Je ne voudrais pas me retrouver sous l'eau. Ces rêves m'effraient! J'ai peur de me noyer ou d'être avalé par une araignée géante

Est-ce possible, pour un groupe, de connaître une vie familiale?

Beaucoup d’histoires ont été racontées au sujet des groupes rock du passé. Mais à mon avis la réalité a été un peu déformée. Je pense qu'il est possible de faire partie d'un groupe rock et d'avoir une petite amie en même temps. C'est parfois difficile, mais il faut savoir ce qu'on veut. Les groupies et tout ce qui enveloppe ce mythe, ça n'arrive jamais!

Est-ce que tu étais un étudiant modèle ?

Non. Je me défendais très bien en anglais. Mais je voulais quitter l'école le plus rapidement possible.

Quelle est la plus grosse connerie que tu aies jamais commise ?

A l'âge de 14, 15 ans, j'étais accro aux solvants. Je sniffais du bleu, de l'essence, du gaz aussi...

Comment réagissez-vous aux critiques négatives?

Nous n'avons jamais essuyé des critiques réellement violentes. Parfois, elles nous font rire. Mais lorsqu'elles sont justifiées, nous essayons d'en retirer le positif.

Te sens-tu concerné par les questions écologiques?

Oui. Elles me touchent tout particulièrement. Au sein de notre communauté, nous nous efforçons de recycler le papier. Nous ne conduisons pas de voitures. Mais nous n'en parlons pas ; c'est parce que tu as posé la question! Les budgets destinés à la protection de l'environnement sont peu importants en Angleterre. Les fabricants de produits qui se soucient de la protection de l'ozone disposent de très peu de parts du marché publicitaire. Leurs moyens financiers sont limités. Les grosses boîtes se foutent de la pollution...

(Merci à Véronique Vivier)

Article paru dans le n°2 du magazine Mofo de mars 1992

The Candyskins

On ne rêve pas de devenir des stars sur MTV !

Au pays de Candyskins, comme dans tous les pays du monde, on s'amuse, on pleure, on rit ; il y a des méchants et des gentils. Les gentils, ce sont les Américains, qui ont réservé à la formation d'Oxford un accueil très chaleureux. Les méchants, ce sont les Rolling Stones, qui leur ont intenté un procès (gagné, d'ailleurs) pour le sampling de ‘Sympathy For the Devil’ sur ‘For What it's Worth’, morceau figurant sur leur premier et unique album ‘Space I'm in’. En fait, il faudrait plutôt dire ‘le méchant’ car ni ce brave Mick Jagger ni l'ineffable Keith Richards ne leur ont cherché noise ; c'est un certain Alan Cline, propriétaire des droits sur le catalogue des Stones pour la période 1964-1968, qui s'est constitué partie civile. Les deux Nick (Cope, le chanteur/guitariste et Burton, l’un des deux solistes) ont bien voulu répondre à nos questions.

Cet épisode ridicule (qui a valu le retrait du sampling original) n'a en rien gâché le plaisir éprouvé par les Candyskins lors de leur dernière tournée américaine. Car ce sont les Yankees qui ont succombé les premiers au charme d'une musique qui, un peu comme celle des Milltown Brothers, fait la part belle aux guitares. Surprenant? Pas vraiment, lorsqu'on sait qu'EMF, Jesus Jones et même Ned's Atomic Dustbin ont envahi, il y a peu, les charts US. Burton raconte : « Là-bas, lorsqu'on a demandé à des jeunes s'ils aimaient les Red Hot Chili Peppers et Nirvana, ils nous ont répondu qu'ils préféraient les groupes anglais, comme Ride ou Curve ». Ce phénomène, Cope le confirme: « La musique alternative occupe une place très importante aux USA et on a constaté qu'elle émanait essentiellement d'Angleterre. Les radios de collèges, entre autres, programment beaucoup d’artistes britanniques dans leurs émissions. On pourrait penser qu'un pays aussi grand produit davantage de groupes alternatifs, mais ce n'est pas le cas. Outre les Peppers, Nirvana et le thrash-metal, c'est à peu près tout ! »

En Angleterre, les Candyskins n'ont pas eu de chance : leur album a été distribué par Rough Trade, qui a déclaré faillite une semaine après sa sortie. Heureusement pour eux, un deal signé par Geffen leur a permis d'entrevoir de nouvelles perspectives, le marché américain devenant alors prioritaire. Burton raconte : « On voulait rester indépendants en Angleterre ; mais ça a foiré parce qu'il n'y avait pas suffisamment de personnes pour nous épauler et se charger de la promotion. C'est dommage, car on souhaite d'abord se consacrer à notre pays d'origine. D'un autre côté, aux Etats-Unis, trois mois après la sortie de l'album, il y avait des files lors des concerts pour nous voir sur scène. On a vécu des concerts sold-out à Boston ou encore à Washington. Une surprise totale pour nous ! »

C'est ainsi que David Geffen a mis les cinq Anglais dans un bus et leur a dit de casser la baraque: deux mois et demi aux States, 50 dates réparties en deux tournées (l'une en première partie de Squeeze, l'autre en tête d'affiche). Mais n'est-ce pas un peu angoissant de se retrouver sur une si grosse firme de disques? Burton argumente : « Geffen est un label très diversifié. Dans son catalogue figurent Nirvana, Sonic Youth et Teenage Fan Club : ce ne sont pas des groupes commerciaux. Nous sommes en très bonne compagnie! La maison de disques n'attend pas que nous détrônions MC Hammer de la première place du hit-parade! On dispose de suffisamment de liberté pour pouvoir s'exprimer » De quoi devenir des habitués d'MTV ? Cope réagit : « C'est une corvée de tourner des clips vidéo. On est sous le contrôle artistique d'une personne rencontrée un jour auparavant. C'est assez aléatoire. Le clip que l'on préfère a été réalisé à Londres, à Piccadilly Circus, pour 125 € alors que celui qui nous a coûté 62 500 est beaucoup moins bon! On ne rêve pas de devenir des stars sur MTV ! »

Restait à savoir, vu leur périple, quels étaient les meilleurs et pires souvenirs emportés des States ? Burton reprend le crachoir : « Faire partie d'un groupe, jouer chaque soir pendant 2 mois et demi tout en étant payé : que peut-on rêver de mieux? Notre meilleur souvenir est peut-être le concert accordé à Washington devant une foule surexcitée alors que deux semaines auparavant, on se produisait dans un pub londonien pour cinq personnes! Quant au pire, c'est lorsqu'on s'est baladés dans les environs d'El Paso et qu'on a vu tous ces enfants vivant dans la misère… »

Article paru dans le n°2 du magazine Mofo de mars 1992

 

 

The House Of Love

C’est comme crier ‘Ne m’ignorez pas !’

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The House of Love, c'est le nom d'une nouvelle  érotique d'Anais Nin. Mais, The House of Love c'est aussi le patronyme du groupe qui s'est formé en 86 autour du chanteur Guy Chadwick et du guitariste Steve Bickers. Depuis, Steve est parti, pas en très bons termes, pour former Levitation (NDR : qui vient d'ailleurs de sortir son premier album). The House of Love est rapidement devenu un des groupes chéris par les médias britanniques. Exemple : au cours de la même semaine, ils ont fait la ‘une’ du New Musical Express et du Melody Maker, les deux grands journaux musicaux insulaires ! A ce jour, la formation a sorti trois albums et une compilation. Les trois disques s’intitulent tout simplement « The House of Love » (NDR : pas facile de s'y retrouver !) Et Guy a prouvé qu'il était un grand compositeur de morceaux pop ! Suffit d'écouter les bijoux que sont « Shine on », « Destroy the hear », « Christine » ou « The Beatles and the Stones ». Néanmoins, depuis le début des années 90, le groupe s'est montré très discret. Le grand retour est-il pour bientôt ? Ou bien le train est-il passé ; et la grande percée sur le continent n'est-elle pas encore pour cette année ? Guy Chadwick nous éclaire à ce sujet…

Au cours des derniers mois, House of Love s’est montré plutôt discret. Peut-on espérer du changement dans un futur immédiat ?

Entre 1990 et en 1991, il s'est passé une bonne chose pour nous : nous sommes devenus très populaires en France. Nous avons accompli une tournée dans ce pays et participé à une trentaine de festivals. C'était chouette et nous avons travaillé sur de nouvelles chansons. Notre nouvel album doit sortir bientôt.

Que pensez-vous de Levitation ?

Pas grand-chose. Je ne les ai jamais vus. J'ai reçu une cassette l'année dernière de leur projet ; mais je n’ai jamais assisté à un de leurs concerts. Et puis nous n’avons aucun contact avec eux!

Vous avez signé chez Phonogram ; ne craignez-vous pas de perdre votre intégrité?

Ce n’est pas un sujet qui me préoccupe. On fait ce qu'on aime. Je veux dire, je m'en fiche d'entendre dire que je peux perdre mon intégrité. Je sais que je ne la perdrai pas.

Que pensez-vous du public belge?

Je ne connais pas vraiment le public belge. Nous ne nous sommes produits que 3 ou 4 fois en Belgique. Nous avons joué à Deinze, je crois, en 1988 et à Bruxelles avec Ride.

Quels sont vos projets ?

Eh bien, l'album doit sortir.

Une tournée peut-être ?

Ah, oui. Probablement. Quelque chose dans le genre.

Pensez-vous être le meilleur groupe au monde ?

Guy (et les musiciens en chœur) : Oui !....

Vous le pensez vraiment?

Si je pense que nous sommes le meilleur groupe? Non! (Rires)

Quel est ton opinion sur les autres artistes relevant de Creation, votre ancien label?

J'en aime quelques-uns, oui. Comme Slowdive, Ride. J'aime aussi Teenage Fan Club. Tous ces groupes sont les meilleurs qu’ils n’aient jamais eus. C'est un bon label!

Vous sentez-vous influencé par les 60’s?

Oui.

The Beatles and The Stones?

Evidemment.

Etes-vous romantique? Pourquoi votre écriture est-elle si torturée ?

Romantique ? Non, je ne suis pas vraiment romantique. Enfin, si quand même, je le suis. (Rires) Si j'ai une écriture torturée, je pense que c'est à cause de mes lectures. Je suis consommateur d'une littérature du style, comme celle d’Ernest Hemingway ou d’Henry Miller. J'aime ces écrivains. Vous voyez, c'est plus un style que mes propres sentiments. Et même si j'éprouve parfois ces sentiments comme tout le monde, ma composition est plutôt instinctive.

Pensez-vous être chargé d’une mission dans le rock?

Oui. Enfin, je n'en suis pas certain. J'éprouve un sentiment, en mon for intérieur, qui me conduit : je dois faire de la musique. Au début, je croyais que c’était lié au succès ; mais je n'y crois plus maintenant. Mon but est de créer quelque chose dans la musique, quelque chose que les gens vont aimer. C'est comme un cri. Du genre : ne m'ignorez-pas! (Rires)

Es-tu prolifique ?

Je travaille beaucoup, mais peu m’importe de savoir si je vais vite ou pas. Je passe du temps sur des détails qui semblent importants à mes yeux. Utiles ou pas. C’est dans mon caractère. Enfin on apprend toujours. Comme quand je suis en route, je peux écrire des chansons instantanément (‘clic’). J'ai vécu des périodes au cours desquelles j’étais incapable d’écrire ou de faire quoi que ce soit. Je ne sais pas si c'est parce que je n'ai pas assez de capacités en tant que musicien ou bien si c'est juste dans ma nature. Ou si c'est un des symptômes chez un artiste.

Pensez-vous qu'un jour vous enregistrerez un album solo ?

Je n'y ai pas encore pensé ! Disons que pour le moment, c'est non.

Interview parue dans le n°1 du Magazine Mofo de février 1992.

Lush

En Angleterre, on est un peu claustrophobe

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4AD est un label de plus en plus notoire ; et pour cause, les Throwing Muses, les Pixies et Ultra Vivid Scene y militent. Et ce sont les groupes les plus excitants du moment ! Et puis, il y a aussi Lush –2 filles et 2 garçons originaires de Londres– qui viennent de sortir un nouvel album « Spooky ». C'est leur deuxième elpee, mais leur premier véritable puisque « Scar » était une sorte de compilation de leurs premiers singles. Rencontrés : Miki Berenyi, la chanteuse aux cheveux rouges et à la peau boutonneuse (adolescent look !) et Steve Rippon, le bassiste. On devrait d'ailleurs écrire ex-bassiste puisqu'il avait déjà décidé de quitter le groupe (il a été remplacé depuis par Phil King) au moment où cette interview a été réalisée. Mais Miki n'avait vraiment pas envie d'être confrontée seule aux ‘méchants’ journalistes...

Parlez-moi de votre nouvel album

Miki: Oh my God! (petit soupir et petit silence).
Steve : Tu l'as écouté?

Ben non, je n'ai encore reçu que le single...

S. : Eh bien, l'album a été enregistré pendant les mêmes sessions que le 45. C'est Robin Guthrie, des Cocteau Twins, qui l'a produit. J'espère qu'il n'est pas trop monochrome, pas trop uniforme et que les gens y découvriront un échantillon assez varié de chansons ‘poppy’.

Estimez-vous qu’il existe de grosses différences par rapport à votre album précédent?

S. : Non, pas vraiment. Nous n'avons pas voulu prendre une autre direction, mais bien sûr nos chansons sont un peu différentes de ce que nous avons fait avant.

Comment sont les relations à l'intérieur du groupe? Vous vous disputez souvent?

M. : (rires) Non, On se connaît assez bien l'un l'autre! On est amis, on sait exactement ce qu'on fait ensemble et on ne se lance pas les instruments à la figure. On n'est pas le genre à être furieux envers les autres. Mais on discute, ça oui!

Comment écrivez-vous les chansons, seules dans votre coin ou au complet pendant les répétitions?

M. : Seule dans ma chambre. Même chose pour Emma (NDR : Anderson, l'autre fille du groupe qui compose, elle aussi). Personnellement, ce processus est lent. Je dois y penser longtemps. Et c'est vraiment un travail très dur! Je ne sais pas si j'écrirai toujours de cette façon...

Tu veux dire qu'à l'avenir, vous pourriez essayer d'écrire les chansons ensemble ?

M. : Non. Je pense que ce serait difficile. On n'a jamais écrit les chansons de cette façon-là. Je crois qu'écrire ensemble nous imposerait des contraintes au lieu de nous libérer. Si toi, tu écris à propos des gens, c'est vraiment ton ressenti que tu exprimes. Et pour y parvenir, il faut que ce soit une expérience isolée, personnelle. Si quelqu'un d'autre intervient dans l’écriture de la musique ou des lyrics, j'ai l'impression que tout ce qui fait mes caractéristiques propres de songwriter serait gommé et que toutes les chansons pourraient finir par sonner de la même façon! C'est vrai qu'un jour j'essaierai sans doute d'écrire autrement, mais disons qu'aujourd'hui, je ne sais pas encore comment. Il faudra sans doute tenter des expériences…

Ce que tu dis m'incite à croire que vous accordez beaucoup d'importance aux textes de vos chansons. Qu'est-ce que vous dites, qu'est-ce que vous essayez de communiquer au public?

M. : Ce n'est pas un message dans le sens où on l'entend généralement. Je ne dis pas aux gens ‘Ecoutez-moi, parce que j'ai réellement quelque chose d'important à vous faire comprendre’. Les paroles sont importantes, parce qu'on cherche à faire autre chose que des trucs évidents, comme ‘Hey baby, tu me plais, viens à la maison avec moi’. Je crois que nos paroles ont une autre dimension ; mais je ne pense pas que nous avons l'ambition de changer le monde, hein ? Je voudrais simplement communiquer mes expériences et le faire avec un peu de profondeur. Je ne sais pas si j'y parviens toujours!

Lush est signé chez 4AD. Que représente ce label pour le groupe? Ecoutez-vous les autres disques qui sortent sur le label?

M. : Bien sûr qu'on les écoute, puisqu'on reçoit les disques gratuitement! (rires) Je ne sais pas si nous avons quelque chose en commun avec les autres groupes du label. Il y a certainement des affinités, mais tous les groupes aiment à dire qu'ils sont différents de tous les autres, non ? Moi, je n'aimerais pas dire ‘Oh, nous sommes comme les Cocteau Twins !’ Ce serait stupide. Mais c'est vrai que les gens qui nous écoutent peuvent trouver des similitudes avec d'autres groupes, du label ou non.

Dans mon esprit, vous êtes proches des groupes de filles qui sont apparus au début des années 80, comme les Girls At Our Best ou les Raincoats...

M. :
C'est drôle, parce que les journalistes anglais ne font jamais référence à ces groupes en parlant de nous. Pourtant, Steve, lorsqu'il a rejoint le groupe, nous a dit que nous sonnions comme les Girls At Our Best !
S. : Lorsque Miki m'a demandé de les rejoindre dans Lush, je n'avais aucune idée de la musique qu'ils jouaient. Je suis allé les voir et c'est vrai que le premier groupe auquel j'ai pensé, c'étaient les GAOB. Mais, c'est un groupe très obscur qui n'a sorti qu'un album et deux ou trois 45 tours... Je crois que c'est une bonne comparaison, mais quasi personne ne peut la saisir puisque GAOB est vraiment oublié!

En Angleterre, on préfère vous comparer à Abba. Ennuyeux ?

M. : Non, mais je crois que cette comparaison est vraiment stupide! C'est peut-être à cause de la composition du groupe qui est la même que celle d'Abba. Ou alors parce que nous avons repris une de leurs chansons. Je crois qu'Abba était un grand groupe, mais on ne peut vraiment pas comparer Lush à Abba !

Vous accepteriez de participer au concours Eurovision?

M. : Non, je ne crois pas (rires). Bien que ce soit sûrement très excitant. Tout le monde regarde ce concours! Même nous.

Qu'est-ce qui pourrait s’avérer une réussite, une consécration pour Lush ? Ecrire une chanson parfaite ?

M. : Non. Si on écrivait une chanson parfaite, ce serait une apothéose, le signe qu'on ne peut pas aller plus loin, que c'est fini. De toute façon, je ne crois pas que ce soit possible d'écrire une chanson parfaite.

En Angleterre, vous avez un public, on vous connaît, vous faites la ‘une’ de certains magazines. Ici, en Europe, vous êtes encore des débutants. En quoi les interviews que vous accordez en Europe sont-elles différentes de celles que vous donnez en Grande-Bretagne?

M. : La principale différence, c'est qu'en Angleterre, les journalistes sont plus obsédés par le présent, par ce qui se passe maintenant, la dernière chose qu'il faut avoir entendue. En Angleterre, c'est comme si toute l'évolution musicale ne se passait que durant un mois. On ne nous compare qu'avec des groupes actuels, comme si le passé avait été oublié. Aux Etats-Unis et en Europe, ce n'est pas le cas! En Angleterre, on est un peu claustrophobe, on veut absolument vous rattacher à une ‘scène’. Le trip ‘Manchester’ et tout ça, c'est de l'invention ; les Anglais aime bien l'idée de mouvance, de rassemblement.

Dernière question: les pochettes de disques, vous y travaillez ou vous laissez le champ libre à Vaughan Olivier, le graphiste de 4AD?

S. : On n'y travaille pas. Et on pourrait facilement leur dire voici notre disque, pouvez-vous vous charger de la pochette! Huit jours après, elle serait terminée. Mais la décision finale nous appartient: si nous voulions autre chose, je ne crois pas que cela poserait un problème!
M. : Toutes les pochettes de Cocteau Twins ont une certaine unité et pourtant plusieurs graphistes se sont succédé. Donc, c'est quand même le groupe qui inspire sa pochette. Ce n'est pas parce qu'on est sur 4AD qu'on doit absolument confier ce travail à tel ou tel graphiste. Prend pour exemple les Throwing Muses, leurs pochettes n'ont rien à voir avec ce look.

 

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Quizz 

- La meilleure chanson de Lush ?
“Chirpy Chirpy Cheep Cheep”

 - La meilleure chanson d’Abba
 “Knowing you knowing me”

 - La chose la plus chère que vous avez jamais achetée
Howard Gough (notre manager)

- Boisson favorite
Téquila

- Qui voudriez-vous rencontrer ?
Natalie Wood

 - Le train, l’avion ou l’automobile ?
Le train, parce qu’il respecte mieux l’environnement

 - Le nom de votre animal domestique ?
Casper, Guily, Luigi et Spoony (NDR : ce sont des chats)

 - Combien de disques avez-vous ?
2 500 (approximativement)

 - Que savez-vous de la Belgique ?
Il y a des Wallons et des Flamands. Elle a perdu contre l’Angleterre lors de la dernière coupe du monde

 - La voiture que vous conduisez ?
Une Trabant

 - Dans quel film auriez-vous aimé jouer ?
Bugsy Malone

 - Un groupe rock que aimez / Que vous détestez ?
REM / Soup Dragons

- L’amour existe-t-il ?
Mais oui (en français dans le texte)

 - Le disque qui a changé votre vie ?
« Scar »

- Endroit favori au monde ?
La côte ouest de l’Irlande

 -Comment voudriez-vous mourir ?
En tombant dans une machine à faire de la saucisse.


Interview parue dans le n° 1 du Magazine Mofo de février 1992.

 

The Farm

Les Beatles étaient les Jason Donovan de l’époque…

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‘Bienvenue à Liverpool’ est inscrit sur une pancarte, à la sortie de Liverpool Lime Street, la gare principale. Je débarque donc sur une des rives de la Mersey, dans la ville du football, des Beatles et de The Farm. Il est onze heures et demie. J'ai rendez-vous à quatorze heures afin de rencontrer le groupe. Ce qui me laisse un peu de temps. Mais d'abord, il faut partir en repérage afin de localiser la tanière des fermiers. C’est au Palace, à Wood Street. Dix minutes plus tard, j'y suis. Maintenant que je sais où me rendre, je peux flâner un peu. Un bus à l’effigie des ‘Beatles’ écume les lieux qui ont vu défiler les Fab 4. Il rappelle aux visiteurs que la légende est toujours bien vivante. Trop cher, tant pis pour le folklore local. Penny Lane, ce sera pour une autre fois. Je pourrais me rendre à Anfield, le célèbre stade qui tous les samedis résonne au son de ‘Youll Never Walk Alone’. Ou à l'Albert Dock... Trop loin. Restons dans les parages. Destination pub. Une bonne pinte de lager ne peut faire de tort. Dès la première gorgée, il n’y a plus aucun doute : c'est bien l'Angleterre ! Heureusement, la vue de deux charmantes serveuses fait oublier le goût, disons... spécial, du breuvage. Je discute avec quelques indigènes qui bien évidemment me parlent de Lennon et McCartney. Mais pour l'heure, c'est aux rois du groovy qu'il faut songer. Retour à la ferme. L'endroit en lui-même est très intéressant car, outre le management de The Farm et celui des LA's (un étage en dessous), il abrite des locaux de répétition, des studios d'enregistrement, un disquaire spécialisé dans le groove et le siège du label indépendant de la formation, Produce Records. Bel exemple de centralisation. Le manager m’invite à entrer et me présente au band, du moins aux membres présents dans la pièce, c'est-à­dire à Peter Hooton, le chanteur, et Keith Mullen, le lead guitariste. C'est ce dernier que je vais interviewer, Hooton se tapant un journaliste anglais. Keith, enthousiaste, me montre les dates des concerts de The Farm. 
          

On sait que The Farm possède un gros son et est toujours à l’affût de la dernière nouveauté technologique. Mais n'est-ce pas difficile de reproduire live ce que vous gravez sur disque ? Lors de votre dernier concert accordé à l'Ancienne Belgique, vous n’aviez pu utiliser votre matériel, et le son ne me semblait pas aussi bon que d'habitude…                       

Généralement on y arrive. Sur scène, on utilise beaucoup de sequencers, de computers mais on libère beaucoup d'énergie. Il faut aller de l'avant. Ce n'est plus comme il y a 30 ou 40 ans où pour faire du rock, il fallait que tout soit naturel. De toute façon, il faut du talent pour utiliser cette technologie, les gens ne s'en rendent pas toujours compte. C'est difficile à manipuler, surtout en concert. On utilise, entre autres, une basse-sequencer et des claviers-sequencers. La technologie nous intéresse mais on essaie de ne pas en être esclaves. Il faut atteindre un équilibre entre la musique live et cette technologie.

The Farm existe depuis 7 ans et incarne, en quelque sorte, l'instigateur de cette musique sauvagement dansante. Le groupe a bien sûr bénéficié de l'explosion dance en Angleterre. Son album et plusieurs singles (« All Together Now », « Don’let Me Down », ...) ont été propulsés au sommet des hit-parades. Contrairement à ce que prétendent certains critiques, The Farm n'a pas pris le ‘groovy’ train en marche, il est la locomotive du mouvement. Quel regard Keith Mullen porte-t-il sur cette fusion entre le rock et la dance-musique ?                                                 

On a vécu une explosion de la musique de danse en Angleterre, à travers les raves et le reste. Les gens ont éprouvé le besoin de faire la fête, d'aller dans les clubs. La musique de danse a évolué au cours des 10 dernières années. Elle a changé, pris d'autres formes et influencé beaucoup de groupes de rock. Les raves n'ont rien de violent. On s'y rend pour s'amuser. Pour la jeunesse de ce pays, c'est comme si un dieu avait été envoyé sur terre. Il s’agit d’un des seuls moyens qui lui reste pour oublier ses soucis.                                              

On en profite pour demander au guitariste ce que signifient exactement les termes ‘baggy’ et ‘scally’.                                                                                  

‘Baggy’ ne veut rien dire du tout. C'est un mot fabriqué par les journalistes. Ils veulent coller une étiquette sur toutes les formes de musique. Quant à ‘scally’, c'est un terme issu de Liverpool. Il est synonyme de mauvais garçon, de voyou.

Liverpool et Manchester

On peut parler de véritable renaissance pop à Liverpool. Le phénoménal succès commercial de The Farm et des LA's a de nouveau attiré l’attention sur sa scène et a servi de détonateur pour les autres. On recense aujourd’hui près de 200 formations en activité à Liverpool, parmi lesquels The Real People, The Hoovers, Top, Rain, Stairs et 25th of May. Cependant, ce qui se déroule actuellement n’est pas comparable à ce qui s’est produit au début des années 80 dans cette même ville. Souvenez-vous d’Echo & The Bunnymen, entre autres. Keith corrobore mon point de vue…

Au début des années 80, la plupart des ensembles de Liverpool étaient issus de classes sociales assez aisées, composés d’étudiants ou d’anciens étudiants. C’était très ‘arty’, assez prétentieux. Les Beatles aussi d'ailleurs appartenaient aux classes moyennes. Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de groupes à succès issus des classes sociales plus modestes. Les années 90 sont différentes des années 80, de ce point de vue. ‘Working class bands’ ? ‘People’s band’ (groupe du peuple, des gens), je dirai plutôt. L'expression est un peu dépassée mais c'est ce qu'on est.

Liverpool serait-elle en train d'éclipser Manchester, ville des Stones Roses, Happy Mondays et autres Charlatans ?

En fait les groupes de Manchester ont bénéficié de beaucoup de publicité. Trop même. Et c'est ce qui a causé la perte de plusieurs d'entre eux. A Liverpool, il existe de bons clubs, des bons groupes. La plupart sont présents depuis 4 ou 5 ans ; nous, il y a 7 ans qu’on fait de la musique. Il a fallu attendre que la presse nous découvre. On a des contacts avec d’autres formations. Les LA's sont ici, un étage plus bas.                                                                                       

Et il y a une rivalité entre Manchester et Liverpool ?

Il y a toujours eu une rivalité à propos du football, mais en ce qui concerne la musique, on est les meilleurs au monde. Il existe une petite concurrence, mais elle est amicale. Il n’y a rien de mesquin ou de violent. Avant, lorsque Liverpool se déplaçait à Manchester pour un match de football, on avait l’impression que les supporters partaient à la guerre ; et c’était la même chose lorsque Manchester venait ici. Maintenant ce n’est plus tout à fait le cas. Je pense que la musique a beaucoup contribué à l’amélioration des relations entre les 2 villes.

Musicalement, on ne peut pas dire qu’il y ait une scène homogène à Liverpool, contrairement à Manchester. Le fait que la ville ne dispose pas de beaucoup de salles de concert n’est pas étranger au phénomène. Il y a bien le ‘Royal court’ –généralement réservé aux méga-groupes– et le ‘Picket’ –mis sur pied il y a quelques années grâce au soutien financier de Paul McCartney, Pete Townshend et Ringo Starrr– mais c’est tout. Keith analyse les avantages et les inconvénients du manque d’infrastructure…

Disposer de davantage de salles de concert à Liverpool est un avantage dans la mesure où cette situation permet d’éviter la création d’une scène locale, ce qui peut être néfaste ; c’est ce qui a tué Manchester. Mais c’est aussi un désavantage car peu d’artistes ont l’occasion de se faire entendre ici. La presse ne vient pas ici pour voir ce qui se passe musicalement. Ainsi, les groupes doivent se produire à l’extérieur. C’est ce qu’on fait.

Esclaves.

Il y a 600 000 habitants à Liverpool. La Cité s’est développée à partir du 18ème siècle grâce au commerce des esclaves et à l’industrie cotonnière. De nos jours, comme bien d’autres villes britanniques, elle est confrontée à une réalité économique peu réjouissante. « Tell the story », la tendre ballade qui figure sur l’album « Spartacus » relate avec beaucoup d’émotion sa grandeur et sa déchéance.

Le développement de Liverpool est en effet lié au commerce triangulaire. C’était un grand port. Le plus proche pour traverser l’Atlantique. Aujourd’hui, il est mort. Les chantiers navals aussi. Depuis toujours, les ouvriers ont dû se battre pour acquérir des garanties, mais le gouvernement aussi bien que les organismes privés n’ont jamais tenu leurs promesses. Beaucoup d’ouvriers perçoivent des salaires de misère et s’ils revendiquent une augmentation, on leur dit d’aller voir ailleurs, qu’ils peuvent déjà être contents d’avoir un job. Quand une compagnie dépose son bilan, la faute est rejetée sur les ouvriers parce qu’ils ont exigé de meilleures conditions de travail. Les multinationales peuvent faire plus de profit à Taiwan qu’à Liverpool ; là-bas, les gens ne revendiquent pas. Mais ce n’est pas arrivé qu’ici, des politiciens, des sociétés, ont appliqué le même régime ailleurs. Les multinationales détruisent tout.

C’est clair, les membres de The Farm ne portent pas les politiciens dans leur cœur…

Ce sont tous des menteurs. Les politiciens locaux sont nos gangsters. Terry Fields est une exception. Il se bat pour imposer ses idées. Beaucoup de politiciens condamnent la poll-tax (NDR : taxe d'habitation) mais peu accepteraient d’aller en prison en refusant de la payer (NDR : Terry Fields membre du Labour Party y est allé pour ne pas avoir acquitté sa poll-tax). En outre, les politiciens sont responsables de beaucoup de morts. Les clochards, par exemple, qui meurent d'hypothermie, en hiver. Les politiciens connaissent la situation. Ils déclarent qu’ils vont agir ; mais dès que Noël est passé, c’est déjà oublié.

Le Nord et le Sud.

Parlons du Liverpool de 1991. Comment décrirais-tu ta ville, Keith ?

J’aime bien ma ville, mais parfois aussi elle m’énerve. Elle est assez sale, on s'en rend bien compte ; surtout quand on vient en Belgique, par exemple. Les rues sont si propres là-bas, les gens se soucient de l'écologie. Il y a peu, on s'est rendu en Allemagne de l'Est pour s'y produire et on s'attendait à découvrir un pays horrible, sale, en noir et blanc ; c'est ce qu'on nous avait raconté en Allemagne de l'Ouest. En fait, on a découvert des endroits très beaux, très propres. C'est un paradis comparé à Liverpool. Néanmoins, j'aime ma ville, c'est un gros centre industriel mais c'est ici que je suis né, que j'ai grandi ; tous mes amis vivent à Liverpool. Elle peut être très dangereuse aussi. On peut se faire agresser dans la rue, comme on peut aussi y marcher sans le moindre problème. Ce n'est pas pire qu'ailleurs. Et puis, il y a une atmosphère familiale ici.                                                                                                                    

Liverpool serait-elle un pays dans le pays ?

A cause d'une famine liée à la pénurie de pommes de terre, 80 % voire 90 % des Liverpuldiens sont d'origine irlandaise et ne sont pas très nationalistes. Il y a une attitude anti-anglaise qui est réelle ; je ne considère pas que je suis Anglais. Je ne pourrais jamais m'identifier à l'équipe nationale de foot. Je hais l'Angleterre, je suis de Liverpool, je ne suis pas un putain d'Anglais. On s'entend bien avec les Ecossais et les Irlandais, par contre. Si tu vas en Irlande et que tu es de Londres, on te traite de Britannique mais si tu viens de Liverpool, on te serre la main et on te demande comment ça va. On n’a pas le même mode de vie ici que dans le Sud de l’Angleterre. 

Existe-t-il réellement un fossé entre le Nord et le Sud ?

Il y a plus d’argent dans le Sud. Il y a des prolétaires dans le Sud également, mais c’est là qu’on trouve les plus de riches. Il n’y a pas de mur à travers le pays, mais des différences de classes sociales entre les deux parties.

Il est bien évidemment difficile de parler de Liverpool sans évoquer les Fab 4.

Les Beatles ont plus touché mes parents que moi. J'étais trop jeune pour les Beatles. Mais, il est évident qu'on ne peut pas les éviter, le public associe inévitablement Liverpool aux Beatles. Ils ont été le premier grand groupe parce que le marketing autour d’eux était énorme. Ils étaient les Jason Donovan de l'époque. C'est ainsi qu’ils sont devenus légendaires.

Football

Chapitre foot. Liverpool FC est une des plus grandes équipes du monde. Au sein duquel ont milité Keegan, Dalgish, Souness… ?  Les joyeux fermiers sont effectivement de grands sportifs ; ils organisent régulièrement des tournois de Subbuteo. Parlons un peu de ballon rond. Keith avoue être un fan d’Everton FC, l’autre équipe de Liverpool et avoir été ébloui par Duncan Mc Kenzie (NDR : ce dernier a joué à Anderlecht en 1976-77). Le football est une véritable religion outre-Manche et comme toute religion, elle engendre passions et excès. Peter Hooton était présent au Heysel en mai 85.

Peter et Roy étaient là, en effet. Ils ont des souvenirs terribles. Le match n'aurait jamais dû se jouer dans un stade pareil. En plus, il ne fallait pas mélanger les supporters de Liverpool et ceux de la Juventus. La catastrophe était prévisible. Ce stade n'était pas sûr, comme à Hillsborough. Mais il n'y a pas qu'ici qu'il y a des hooligans. Il y en a partout, en Allemagne, en Hollande. La presse anglaise a profité du drame du Heysel pour enfoncer Liverpool, une fois de plus ; elle a lié ce drame aux grèves de mineurs.                                                                        

Spartacus

The Farm se veut le porte-parole de la conscience collective de Liverpool. Hooton, Mullen et les autres se défendent néanmoins d'être des militants. Leur combat est sincère et dénué de toute démagogie, ils sont les Spartacus des temps modernes.

Avant, personne ne voulait de nous. On a intitulé notre premier album « Spartacus », car c'est un symbole de révolution. On a entrepris une révolution contre les maisons de disques multinationales. En 8 mois, 4 singles et l album ont atteint le Top 40. Et ils sont sortis sur notre label indépendant. On se débrouille bien. Maintenant on essaie de rester à l'écart des majors. Pour la Grande-Bretagne, Produce Records s'occupe de tout. Pour l'étranger, on a des licences avec différentes firmes. En ce qui concerne les USA, on a signé directement chez Sire. Le marché est énorme là-bas, on est obligés de passer par le biais d'une major pour la distribution, mais on contrôle très attentivement le travail qu'elle accomplit. Notre contrôle artistique est total.

(Article paru dans le n°1 du Magazine Mofo de février 1992)                                                     

Leather Nun

Nun permanent

Fondé au beau milieu des seventies, cet ensemble suédois constitue un cas très particulier dans le domaine du rock. Tout d’abord, tout au long de sa carrière, il est toujours demeuré fidèle à ses racines américaines, qu’elles soient ‘punk’ ou urbaines. Ensuite, malgré une discographie prolifique et des prestations ‘live’ exceptionnelles (cfr Futurama 1987), sa notoriété n’a jamais dépassé les limites d’un public averti. Il faut dire que se procurer une quelconque rondelle de vinyle de Leather Nun relève de la performance. Heureusement, certains albums de cette légende bénéficient aujourd’hui d’une gravure sur compact disc. Produit par (excusez du peu) Mick Ronson (ce guitariste mythique –il a notamment joué au sein des Spiders From Mars de Bowie- est décédé le 29 avril 1993 !), « Nun Permanent » libère une intensité mélodique impitoyable, fascinante, fiévreuse (guitares corrosives, féroces, braisillantes ou slide, section rythmique solide, pulsante, chœurs féminins voluptueux, claviers fluides, harmonica bluesy, cuivres fugitifs) que consume la voix rauque, profonde, vibrante de Jonas Almqvist. Le chaînon manquant entre Lou Reed et Iggy Pop. Remarquable !



Nirvana

Nervemind

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En automne 1991, un trio pratiquement inconnu jusqu’alors sort un single : « Smell like teen spirit ». Cette chanson deviendra alors aux nineties ce que le « My generation » du Who était aux sixties : un hymne. En fait, à cette époque, ce trio originaire d’Aberdeen, ville satellite de Seattle, s’inscrivait tout simplement dans la lignée du rock indie juvénile pratiqué aux States. Celui des Pixies, Dinosaur Jr, Buffalo Rom ou encore des déjà disparus mais encore notoires Hüsker Dü. Et « Nevermind », leur second album, qui s’ouvre par cette plage incontournable, se contente de propager des mélodies viscérales et contagieuses. Mais énorme différence, le producteur Butch Vig et l’ingénieur du son Andy Wallace ont raffiné les douze plages de cet opus à l’extrême. Une technique qui va conférer à l’œuvre un potentiel commercial considérable. Et populariser un style qui va marquer le début des nineties : le grunge…

Sebadoh

III

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Sebadoh est passé à un trio lorsqu’il enregistre cet album : le drummer et multi-instrumentiste Jason Loewenstein vient de rejoindre Eric Gaffey et Lou Barlow. Nous sommes alors en 1991. Bien que les premières prises aient été opérées dans un garage à l’aide d’un quatre pistes à cassettes, la formation bénéficie de structures un peu plus professionnelles pour concocter cet elpee. 23 plages au cours desquelles les trois acolytes changent constamment d’instruments et se réservent le songwriting à tour de rôle. Si ce disque n’est pas le chef d’œuvre de Sebadoh, il est probablement celui qui a le plus influencé la scène lo-fi américaine. Le son est brut et cru. Les compos minimalistes, parfois bancales, en général mélodiques, oscillent entre folk, power pop, punk, psychédélisme (celui de Syd Barrett !), country, et blues ; épisodiquement le hardcore. Et bonne nouvelle, cet album culte vient de ressortir. Non seulement les 23 morceaux ont été remasterisés, mais l’opus a été enrichi d’un deuxième compact disc réunissant inédits issus des sessions d’enregistrements de ce « III », quelques démos de Barlow, ainsi que du fameux « Gimmie indie rock » compo iconoclaste et ironique qui figurait sur l’Ep, devenu aujourd’hui introuvable.

Nirvana

Même les avocats et les chefs d’entreprises écoutent du rock…

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Le succès actuel de Nirvana est-il un phénomène inexplicable ou est-ce, au contraire, le signe qu'une révolution est en marche dans le monde du Rock n' Roll? Pour salutaire que soit l'arrivée d'un groupe aussi viscéralement underground au sommet des charts mondiaux (« Smells like teen spirit », n°1 en Belgique : on n'avait jamais vu ça !), on ne peut quand même que s'interroger sur les causes de cet engouement sans précédent. Qu'une musique que l'on passe son temps à défendre sans réel espoir de la voir faire le ‘cross over’ se retrouve popularisée à ce point a de quoi surprendre.

Si Geffen, le label américain du groupe, qui ne pensait pas faire une si bonne affaire en rachetant leur contrat à Sub Pop, se frotte les mains à l'heure actuelle, une seule chose est sûre, tout le monde se perd en conjectures. Du journaliste rock moyen au programmateur radio, en passant par le groupe lui-même. Inutile d'ailleurs d'essayer de leur demander ce qui se passe, ils tentent de gérer ce qui leur arrive. En pleine tournée européenne, ils se sont retrouvés n° 1 aux States. Sur les genoux, les cordes vocales en sang, Kurt Cobain et ses acolytes vont devoir affronter une véritable Nirvanamania à leur retour au pays. Nous avons rencontré Kurt, le chanteur, guitariste et principal compositeur du groupe en novembre dernier. Quelques heures avant le concert/foire aux bestiaux accordé à Gand dans un Vooruit archicomble. Visiblement crevé, il passait le plus clair de son temps à se terrer dans un coin, évitant soigneusement les journalistes, laissant à ses deux collègues le soin de répondre brièvement à leurs questions. Plus chanceux que d'autres, nous parviendrons finalement à le coincer quelques minutes. Fatigué, grelottant dans un vieux pull troué, il n'a pas le profil d'un homme qui se retrouve soudain célèbre et millionnaire en dollars...

Je n'ai jamais considéré qu'accorder des interviews était particulièrement amusant ou fascinant. On s’y plie uniquement pour satisfaire la firme de disques parce qu'on a promis qu'on le ferait. On a accepté d'entrer dans ce business de merde et on joue le jeu. Mais dès que cette tournée sera terminée, on ne donnera plus d'interviews ; du moins on sélectionnera drastiquement. On choisira des fanzines ou des magazines spécialisés.

Ne considérez-vous pas qu'il est aussi important pour ceux qui aiment le groupe de pouvoir lire une interview de vous, de savoir qui vous êtes ? Vous estimez peut-être que la musique se suffit à elle-même...

C’est plus que suffisant. Je pense que notre musique possède assez d’émotion et de signification pour toucher les gens. Et en comparaison avec des tas de groupes, c’est bien plus qu’ils ne peuvent offrir. Il n’y a pas beaucoup de groupes qui me plaisent ; mais même dans ce cas, ça ne m’intéresse pas vraiment de savoir qui ils sont ou ce qu’ils pensent. Je ne suis touché que par leur musique… Je n’ai rien à faire avec eux, je n’ai aucune envie de les rencontrer personnellement.

Tu considères que les conversations que tu as avec les journalistes ne t’apportent pas grand-chose ?

Oui, je suis particulièrement étonné de voir à quel point ils manquent d’originalité, posent des questions inintéressantes. Ou même ne parviennent pas vraiment à entamer une conversation. Ils répètent tous les mêmes questions clichés, celles que, semble-t-il, le public a envie de voir posées. Je crois qu’on a donné assez d’interviews pour que les gens puissent avoir une vague idée de qui nous sommes, de ce que nous faisons. C’est d’ailleurs le même problème avec les fans qui viennent nous demander des autographes, je trouve ça stupide. En général, ils n’ont même pas envie de nous parler. La seule chose qui les intéresse est de ramener ce petit trophée ridicule. Personnellement, je n’ai jamais demandé d’autographe de ma vie… 

Contrairement à Charles/Black Francis des Pixies et surtout Jay Mascis de Dinosaur Jr, pour qui les textes sont soit sans importance soit volontairement inaudibles, tu sembles accorder un certain crédit aux paroles des chansons. C’est du moins ce que tu as déclaré…

En fait je n’ai jamais dit une chose pareille. C’est ce que les journalistes ont écrit. Les articles où il est mentionné ce genre d’infos sont des extrapolations de ce que nous avons déclaré. En fait, je pense que les paroles ne sont qu’un bonus à la musique, un petit extra. On ne peut pas s’attendre à ce que des textes de chansons soient très intelligents. On doit respecter une structure qui te limite déjà très fort. Dans une chanson rock, on est beaucoup plus limité par les mots que par les notes. 

Sur « Smells Like Teen Spirit », vous combattez pourtant l’apathie de certains teenagers qui ne s’intéressent qu’à la télévision…

Je n’aurais pas le droit de dire ça. J’ai pu dire quelque chose de ce genre et ça a été repris dans notre bio. Et je suis constamment obligé de me défendre contre cette idée. Une prise de position qu’on peut défendre à une occasion est terriblement exagérée. C’est quelque chose que je disais à un ami, pour le secouer, et, évidemment, l’info a été relayée et grossie par les médias. J’ai donc décidé que je n’avais plus rien à dire sur le sujet. 

Penses-tu que le rock doit être rebelle ?

Je ne suis pas passif, certainement pas… mais j’aime des tas de groupes qui n’ont pas une attitude rebelle et ne montrent aucun sentiment ni émotion à ce sujet. Ils ne m’intéressent qu’à travers leur musique. 

Quels sont les groupes que tu aimes ?

Mes groupes préférés sont Jad Fair, Beat Happening, les Pastels, Young Marble Giants… La plupart des gens s’attendent à ce qu’on écoute des trucs comme Godflesh… 

Ou Blackflag…

J’aime beaucoup Blackflag, comme les Butthole Surfers, ils ont été de grandes influences. Il y a pas mal de groupes durs que j’aime mais pas trop de groupes contemporains dans ce genre, sauf The Melvins ou Jesus Lizard… 

Le fait d’être maintenant sur un gros label vous oblige à accorder des interviews, faire des concessions, de la promo et tutti quanti...

On n’est pas obligés. On a accepté au début parce qu’on pensait que ça nous ferait pas chier. On ne savait pas à quoi s’attendre, on n’imaginait pas que l’on accorderait 10 interviews par jour. Et à des tas de magazines qui ne nous intéressent pas vraiment, comme ces revues heavy metal luxueuses sur papier glacé. J’aimerais mieux uniquement rencontrer des fanzines ! Mais malheureusement, les fanzines qui essayent de nous contacter à travers la firme de disques se font souvent jeter. Et on devra certainement réfléchir à cette situation lors de la prochaine tournée. 

C’est un peu contradictoire puisque les fanzines sont un peu l’équivalent journalistique de ce que sont les petits labels indépendants. Et vous avez choisi d’être sur un gros label…

Ce qui ne signifie pas que je ne suis plus capable d’apprécier ça. La majorité de mes amis sont toujours sur des labels indépendants et les seuls trucs que j’aime lire sont des fanzines. Etre sur un gros label nous permet d’être mieux distribués, mais on a bien l’intention de toujours être en accord avec les choses dans lesquelles on croit. D’une certaine manière, la communication avec MCA/Geffen est mauvaise. C’est un label qui n’a évidemment que l’expérience de promouvoir des groupes très commerciaux… 

Penses-tu que les gens qui aiment Nirvana aux Etats-Unis aiment le groupe pour les mêmes raisons que ceux qui l’apprécient ici ? En Europe, la plupart des gens ne comprennent pas les paroles des chansons…

C’est très bien ainsi ! J’aimerais pouvoir m’exprimer dans un langage bien à moi, que personne ne pourrait comprendre. Et je pense que nous aurions le même impact sur les gens avec notre musique. Les mots n’ont réellement aucune importance dans la musique. Ils peuvent toucher les gens mais c’est très rare. Si on a l’intention de toucher les gens avec des mots, on doit avoir un espace illimité pour le faire… 

La version américaine de l’album comporte une chanson cachée qui n’est pas renseignée sur la pochette. Elle ne figurait pas sur les versions européennes au début, c’était délibéré ?

On ne voulait pas promouvoir cette chanson, on n’en a donc pas trop parlé et certains label-managers européens de BMG ne se sont pas rendu compte qu’il y avait une chanson supplémentaire après la fin de « Something In The Way ». L’idée était d’ajouter sur l’album une chanson susceptible d’être découverte peut-être des mois après avoir acheté l’album. Quand on en a presque marre de l’écouter, découvrir ainsi une nouvelle chanson peut être une bonne surprise, un cadeau… 

Cet album est beaucoup plus intense que le précédent, les chansons sont assez différentes…

Je dirais que c’est une collection de chansons écrites sur deux ans. Il s’est passé des tas d’événements, on a engagé un nouveau batteur. La plupart des gens pensent que notre premier album était beaucoup plus agressif, qu’il avait plus d’énergie. Ils disent aussi que les deux albums sont très différents l’un de l’autre. Je ne suis pas du tout d’accord. Je pense qu’il y avait des hits en puissance, des hits évidents sur les deux albums… 

La production a sans doute rendu cet album-ci plus accessible au plus grand nombre ; et puis votre vidéo passe sans arrêt sur MTV.

Pour ce qui est de la production, je connais des tas de groupes punks underground qui ont une production nettement plus clean que celle de « Nevermind ». Quand à MTV ou les radios plus commerciales des States, elles auraient diffusé les chansons de « Bleach » si on avait été sur un gros label. C’est ainsi que vont les choses. Bien sûr, la production, évidemment, est différente pour cet album. Le précédent avait été enregistré sur huit pistes, celui-ci sur seize… 

Les filles arborent des symboles anarchistes dans la vidéo de « Smells Like teen Spirit », c’est une manière d’être subversif ?

Je ne pense pas que ces images aient un impact particulier sur les gens ou que ça soit subversif. Elles étaient simplement appropriées pour la vidéo, pour le texte. L’intention n’était pas d’être subversif… 

Lors de vos concerts vous avez une attitude assez ‘destroy’, vous cassez vos instruments à la fin de chaque set. Une raison particulière ?

C’est un peu pour exorciser cette période de crise qu’on voudrait nous faire vivre. Nous sommes un groupe indépendant qui passe sur un gros label et c’est souvent ressenti comme une trahison. Des tas de groupes, d’amis ont tenté de nous dissuader de quitter Sub Pop, alors on leur montre qu’on est plus incontrôlables et plus ‘destroy’ que jamais… Quoi que nous fassions, nous voulons garder l’esprit punk qui nous animait au début. Le rock’n’roll est devenu aujourd’hui un produit de consommation courante, tout le monde écoute du rock, les avocats, les chefs d’entreprises… ça ne dérange plus personne. On espère que le rock underground va réveiller un peu les Kids, leur donner l’envie de vivre autre chose qu’une vie conformiste… ‘Birth, school, death’. Voilà la vie de la plupart des gens, c’est d’un triste… 

(Article paru dans le n°1 du Magazine Mofo de février 1992)