Cat Power a adapté le concert mythique accordé par Bob Dylan, à Londres, en 1966, sur un album intitulé "Cat Power Sings Dylan : The 1966 Royal Albert Hall Concert". Et la voix de la chanteuse américaine est parvenue à magnifier les chansons. Dans la ‘conduite’ de son interview, c'est elle, Cat Power, qui fait… Bob
C'est la plus belle voix féminine du rock alternatif, la plus chaude en tout cas. La plus déglinguée aussi. Car, tout au long de ses 25 ans de carrière, Chan Marshall, alias Cat Power, a combattu ses démons : la drogue, l’alcool et la dépression. Et son dieu dans sa lutte face à l'enfer de sa vie répond au nom de Bob Dylan.
Elle qui a pris l'habitude de se reprendre en main en multipliant les… reprises, entonne cette fois non pas une prière mais une messe entière : Cat Power réinterprète, en effet, un opus légendaire et bootleg du ‘Zim’, enregistré live comme son modèle, note à note et mot pour mot, et dans le même temple musical : l'Albert Hall de Londres. En 1966 dans le cas de Robert Zimmerman, en novembre 2022 pour la chanteuse américaine.
Laquelle nous reçoit à Paris dans sa chambre de l'hôtel Costes… aussi baroque qu'elle. Elle est allongée sur son lit. Telle une odalisque, elle réclame au serveur convoqué, 12 verrines de marshmallow et chocolat, tandis que nous prenons place sur une chaise à côté de sa couche, pour une séance de psy à la Henry Chapier dans son fameux Divan, lors d’une interview qui tourne rapidement au monologue... extérieur.
Vous étiez âgée de cinq ans lorsque vous avez découvert cet elpee pirate de Bob Dylan. Ses chansons ont-elles servi de berceuses pour la jeune enfant que vous étiez ?
J'ai été élevé par ma grand-mère jusqu'à mes cinq ans, moment où j'ai enfin rencontré ma mère, peu de temps avant mon père. Puis, mon beau-père… Nous vivions tous ensemble en compagnie des membres du groupe majoritairement black, le Mother's Finest. Ma baby-sitter était afro-américaine, tout comme Patrick Kelley, le styliste qui, à l'époque, remplissait le rôle de père, à mes yeux.
Mon environnement était constitué de jeunes adultes brillants et originaux pour qui la mode, la musique et la drogue occupaient une place essentielle. Ma mère était chanteuse et lorsque je l'ai rencontrée, elle se faisait appeler Ziggy. Elle se prenait pour Ziggy Stardust…
Mon père, musicien dans un groupe de blues et de soul, était moitié Juif allemand, moitié Indien choctaw et un disciple de la Black Church (NDR : églises protestantes fréquentées par des Afro-américains) du Sud de l'Alabama où il a appris à chanter. Il a ensuite déménagé à Atlanta, a rencontré ma mère qui avait quitté l'école. Elle avait 17 ans, fumait de l'herbe, était très belle, amusante, et sauvage.
Vous naissez très vite et votre beau-père s’immisce dans la vie de votre mère...
Oui. Mon beau-père militait au sein d'un autre groupe musical. Il adorait Dylan, Neil Young, Jimi Hendrix, Arthur Lee, Crosby, Stills and Nash, The Byrds, les Stones et les Beatles…
Grâce à mon beau-père, j'ai appris à écouter les paroles de Bob Dylan qu'il fredonnait constamment. Dylan a éveillé mon esprit critique dans la confusion de ma jeunesse. Et à travers les chansons de Bob, il m'a appris à me poser des questions… et à chercher mes propres réponses dans l’existence. Il m'a appris à écouter...
Parce que j'ai été témoin et spectatrice, quelque part, de sa motivation à s'épanouir personnellement grâce aux paroles de Dylan, j'ai passé ma vie à y réfléchir. Bob Dylan m'a enseigné l'esprit critique et m'a ouvert à la poésie.
Mais Bob s'adressait souvent aux femmes dans les chansons, que vous interprétez à votre tour ?
Que je sois une femme interprétant les paroles qu'un homme leur adresse n’a, personnellement, pas d’importance. J’ai d’ailleurs toujours affiché un côté garçon manqué.
Et quand Bob chante "Visions of Johanna", bien qu'il ait connu des aventures avec des femmes sublimes comme Marianne Faithfull, Françoise Hardy ou Eddie Sedgewick, j'ai le sentiment qu'au fond de son cœur, il s'adressait à la figure féminine, féministe avant l'heure, de Jeanne d'Arc.
Votre féminisme serait-il plutôt révolutionnaire à la Angela Davis ?
La photographie qui réunit Gloria Steiner, grande figure du féminisme, et Angela Davis est l'une des plus importantes de tous les temps. Savez-vous que l'ERA, l'amendement sur l'égalité des droits entre les sexes, déposé il y a un siècle, n'a toujours pas été adopté aux États-Unis ? Nous les femmes, sommes toujours deuxièmes...
Avez-vous envoyé votre enregistrement-hommage à Bob Dylan ?
Lorsque l'an dernier, j'ai signalé mon concert du 5 novembre à l'Albert Hall de Londres et deux autres en Grande-Bretagne, le lendemain, Bob a annoncé sa tournée au Royaume-Uni et dans les mêmes villes.
Je l'ai aperçu sur les marches du même hôtel au sein duquel je logeais, la veille de son concert d'Halloween. Je me suis approché et je l’ai interpelé : ‘Bob !’ Mais il a détourné le regard. J'ai alors ajouté : ‘C'est Chan, Cat Power’. Nous nous étions rencontrés 15 ans plus tôt. Il a alors mis son bras autour de mon épaule en disant simplement : ‘C'est bien de te revoir’. Et quand je suis remonté dans ma chambre, une ‘Guest’ pour son concert solde-out du lendemain m'attendait...
Quelqu'un crie Judas durant votre concert, au même moment que sur l'enregistrement original, quand Dylan se met à électriser son style acoustique. Et vous répliquez par un ‘Jésus’...
Bob n'est qu'un homme. C'est pourquoi j'ai prononcé le nom de Jésus ; n'importe qui, s'il travaille dur, comme Bob, qui a lu toute la littérature du 19ème siècle, peut devenir Malcolm X, Bouddha, Gandhi, Stephen Biko, Bob Dylan... ou Jésus.
Incarneriez-vous, dès lors, Marie ou Marie-Madeleine par rapport à ce Jésus ?
Oh, c'est intéressant... À cause de la fierté que je ressens pour Bob qui s'apparenterait à la fierté d'une mère ? Waouh, c'est magnifique !
"Cat Power Seings Dylan : The 1966 Royal Albert Hall Concert", paru le 10 novembre 2023 sur Domino.
Photo Credit: Inez & Vinoodh.