Issu du Brabant Wallon, Black Mirrors est un quatuor dont on dit le plus grand bien. A son actif, un Ep éponyme. Et en préparation, un premier album, dont la sortie est prévue pour 2016. La formation se produisait, le 4 juin dernier, au ‘Ciné le Parc’ de Charleroi, à l’issue d’un documentaire inédit consacré à Nico, figure emblématique du Velvet Underground. Un concert qui s’inscrivait parfaitement dans ce contexte, surtout quand on sait que le band est particulièrement branché sur les sixties. Marcelle Di Troia et Pierre Lateur, respectivement chanteuse et guitariste se sont fort sympathiquement et ouvertement prêtés au jeu des questions et réponses.
Marcella, au départ tu souhaitais créer une formation de nanas. On en est loin du compte aujourd’hui !
Marcella : Ouais, on en est loin du compte ! Ce sont des hommes, des vrais (rires). A l’origine, il n’y avait que des filles. A cette époque, on se tapait des jams. Puis, Pierre est arrivé pour se consacrer à la gratte. Alors on a décidé de continuer l’aventure ensemble. Et les mecs ont progressivement remplacé les filles. C’est ainsi que le line up actuel a finalement pris forme.
Cette volonté première ne cachait-elle pas les prémices d’une démarche féministe ?
M : Non, pas du tout ! Je suis loin d’être une féministe accomplie. Au contraire, je trouve intéressant la complémentarité entre les deux sexes, dans la vie quotidienne. Je n’imagine pas revendiquer un jour des droits égalitaires. Il y a des tâches que les femmes font très bien, et vice-versa.
Comment définir le style de Black Mirrors ? Est-il garage, stoner, blues, rock ou psychédélique ?
Pierre : Un mix de tous ces genres. Nos influences individuelles sont assez variées et notre musique s’en ressent, sans qu’il y ait vraiment une volonté excessive de notre part de l’orienter vers tel ou tel créneau musical. On aime beaucoup le ‘stoner’ des Queens Of The Stone Age ainsi que le garage/blues/rock ‘old school’ pratiqué par Led Zeppelin ou Jimi Hendrix. Perso, je n’ai jamais trop exploré l’histoire de la musique psychédélique, mais chaque fois que j’en écoute, elle me parle. D’ailleurs, j’apprécie les sonorités éthérées, planantes…
M. : Perso, le rock psychédélique des années 60 m’a toujours beaucoup plu. Souvent à coloration pop, comme celui de Jefferson Airplane. Il y a quelques années, j’étais également fort branchée sur Janis Joplin et Led Zeppelin. Et puis, à une certaine époque, je me suis intéressée à Anouk, une chanteuse et compositrice néerlandaise.
P. : Ma première influence majeure, c’est Pink Floyd ! Ce qui m’a toujours épaté chez Gilmour, c’est sa capacité à te foutre par terre en deux notes. Il possède une assise rythmique et un toucher qui forgent son identité sonore. Il parvient à conter une histoire tout en dispensant des accords minimalistes. Il est clair que les deux Jimi (Hendrix et Page) constituent deux références incontournables et classiques ! C’est un truc que j’ai bouffé pendant longtemps. Parmi les contemporains, Radiohead et Queens Of The Stone Age m’ont également marqués. De manière plus large, j’aime aussi m’inspirer de la mouvance stoner/psyché qui a repris du poil de la bête et retrouvé une certaine vitalité depuis les années 90. Colour Hase, en est une belle illustration. Un groupe allemand que j’adore. Les guitares sont mélodieuses et puisent autant dans le jazz que chez Hendrix…
Marcella, ce goût pour le psychédélisme, tu le reflètes par ton attitude en ‘live’. Exact ?
M. : Oui, c’est possible ! Elle émane certainement de mon for intérieur ! (rires)
Quel est votre processus de création musicale ?
P. : Je compose une trame très simple à la guitare. Ce sont des riffs parfois basiques. Je les soumets à Marcella qui pose sa voix dessus. Ce mécanisme constitue le premier jet de notre travail. Ensuite, les lignes de basse et de rythmique viennent compléter ce squelette. Mais, je n’impose rien. Chacun apporte sa propre touche. Lorsque le tout est au point, il nous arrive parfois, après réflexion, de compléter le morceau ou à contrario, de retirer des parties qui nous déplaisent et nuisent à la compo. Mais, au final, il existe un vrai effort collectif. Chacun des membres a son rôle…
Vous paraissez bien jeunes et pourtant vous faites preuve d’une grande maturité. Quel est votre âge ?
P. : Nous avons entre 27 et 30 ans…
Pierre, on ressent parfois un feeling blues dans ton jeu …
P. : C’est exact ! Il vient naturellement ! En réalité, je n’ai jamais vraiment bossé le blues comme tel. Souvent, quand tu commences à gratter de la guitare, on te le conseille parce qu’il permet d’improviser. Je pense que cette technique jeu vient surtout de ce que j’écoute ! Je parviens à recréer ces effets par le biais d’une pédale. Marcella aimerait que j’en ajoute un peu plus ; ce qui constitue parfois une pierre d’achoppement entre nous (rire).
On sent une réelle complicité entre vous. Est-ce indispensable pour créer de la bonne musique ?
M. : Je pense, effectivement ! On se connaît depuis un certain temps et par conséquent, elle est devenue naturelle.
P. : La formule actuelle est assez récente. Je joue avec le bassiste depuis environ la fin de mes secondaires, soit une décennie. Notre batteur a rejoint le groupe, il y a sept ans maintenant. Nous avons tous milité au sein de projets parallèles. Par la force des choses, notre amitié s’est ainsi renforcée. Nous avons rencontré Marcella, il y a trois ou quatre ans. J’estime que l’entente au sein d’un collectif est primordiale. A un moment ou à un autre, tu devras passer du temps en compagnie des autres musiciens. Nous revenons d’une tournée en Allemagne où nous avons cohabité deux jours durant. Si elle dure plusieurs mois, une mésentente pourrait vite devenir problématique. Je reste convaincu que les interconnections permettent de connaître les qualités et les défauts de chacun ; et de composer avec ces spécificités. Et ce qui me permet, d’un point de vue musical, de prendre du recul pour encaisser les critiques de mes camarades. Nous pouvons aussi prendre davantage de risques sur les planches, comme oser l’impro ; ce qui est difficile à concevoir aujourd’hui auprès d’autres musiciens !
Marcella, quel est ton cursus musical ?
M. : J’ai commencé la musique assez tardivement. J’ai suivi des cours de ‘voice coaching’ vers l’âge de 17-18 ans. Après avoir terminé l’école secondaire, je me suis inscrite au ‘Jazzstudio’ d’Anvers afin d’y étudier la musique. J’y suis restée quatre années. Je suis ensuite partie très loin durant quelques mois, avant de revenir apprendre la musique classique indienne au Conservatoire de Rotterdam.
Le premier Ep est sorti très rapidement (6 ou 7 mois après les premières sessions rythmiques) alors que chez la plupart des groupes émergents, le temps de gestation est plutôt long…
P. : Nous nous étions fixés cet objectif dès les prémices du groupe. Nous sommes conscients qu’il s’agissait d’une prise de risque énorme. Mais, nous devions démarcher rapidement ! Tu sais, nous sommes tous des professionnels de la musique. Nous militons dans plusieurs groupes et enseignons comme prof de musique. On sait très bien comment le milieu fonctionne ! Nous avons opéré le choix de sortir des sentiers battus ! La plupart des formations attendent un an et demi, voire deux ans, avant de voir apparaître les premières dates. Nous, nous voulions ressentir immédiatement l’énergie du live, quitte à prendre le risque d’écarter certaines chansons valables. Mais ce disque reste très représentatif de l’esprit de Black Mirrors quoiqu’il advienne.
Marcella, ton visage arbore une peinture tribale, un peu comme chez les Recorders. Une raison ?
M. : Ces signes ne reflètent aucune signification particulière ! Il s’agit simplement d’un personnage que j’incarne sur les planches. Ce maquillage permet de m’y libérer et de lâcher prise. Si je n’y avais pas recours, je serais sans doute plus introvertie.
Tu sembles complètement invertébrée sur scène… Ce comportement est très important chez toi ?
M. : C’est quasi viscéral ! La musique de Black Mirrors m’incite à remuer dans tous les sens ! L’échange avec le public me transporte en quelque sorte. La scène a toujours été un exutoire pour moi.
Adoptes-tu le même conduite lors des répètes ?
M. : Non, pas du tout ! Pas de grimage et je bouge beaucoup moins (rires). Les répétitions sont destinées à travailler, moins pour s’amuser.
A propos des Recorders justement, Pierrick Destrebecq s’est chargé des fûts tout un temps au sein de ta formation. Tu confirmes ?
P. : Effectivement ! Il remplace Edouard lorsqu’il n’est pas disponible, soit parce qu’il se produit en concert dans un autre groupe, soit parce qu’il est contraint à des engagements professionnels. L’emploi du temps de Pierrick est de plus en plus chargé et il se fait un peu plus rare maintenant.
Le patronyme du band est tiré de la série anglaise ‘Black Mirror’, dont la trame dénonce les dérives du superflu actuel. Est-ce la raison pour laquelle les textes baignent dans le monde du fantastique ?
M. : Les thématiques développées dans la série ne se retrouvent pas forcément dans les textes de Black Mirrors. Mais, j’aime m’engager parfois à travers ceux-ci.
Tu chantes toujours en anglais ?
M. : Oui. J’ai toujours des difficultés à écrire des textes en français. A l’oreille, j’estime qu’ils sont moins jolis qu’en anglais.
P. : Nous avons essentiellement baigné dans la culture musicale anglophone. J’écoute peu de chanson française, hormis M et Noir Désir. En outre, la langue française est beaucoup plus intellectuelle. Les mots y ont une importance considérable. Très peu d’artistes peuvent se targuer de posséder une écriture qui tienne la route.
Est-ce que l’écriture est d’abord réalisée dans la langue de Molière, avant d’être traduite ou est-elle directement torchée dans la langue de Shakespeare ?
M : J’écris les textes directement en anglais. J’ai un bon niveau ! Je suis partie en Inde quelques mois et l’anglais me permettait de communiquer auprès de la population locale. J’ai étudié à Rotterdam aussi. Les cours y étaient donnés dans cette langue.
Marcella, tu viens de le signaler, tu es partie en Inde durant 6 mois. Pendant ce séjour, tu as flashé sur la musique classique indienne, suite à quoi, tu es rentrée au Conservatoire pour l’étudier. Qu’a-t-elle de particulier ?
M : Je vivais une période que je qualifierai de transition. J’y recherchais une quête de spiritualité. A mon grand désarroi, je ne l’ai pas trouvée ! J’ai vécu une très belle expérience. Mais au final, les réponses aux questions que je me posais étaient en moi ! Aussi, j’étais influencée par ces groupes psychédéliques qui eux-mêmes s’y étaient rendus. J’en avais conclu qu’un jour, j’irais là-bas.
Ton parcours musical est plutôt étrange. Jeune, tu explorais plutôt une veine rock, avant de te tourner vers une étude académique. Aujourd’hui, tu reviens dans un genre assez différent. Tu parlerais d’évolution ou de révolution ?
M : C’est une évolution (rires) ! Je suis allée chercher tout ce dont j’avais besoin pour me construire ! J’avais par exemple des lacunes dans le domaine de la composition et le jazz m’a beaucoup aidée dans l’apprentissage de l’improvisation. La musique indienne, quant à elle, m’a plutôt enrichie de par sa palette de gammes.
Certains d’entre-vous ont étudié dans une école de jazz. Cette démarche était quand même particulièrement professionnelle ?
P. : Nous sommes tous issus d’une école de jazz. Marcella est passée par le ‘Jazzstudio’ ; et les autres, ont fréquenté une école équivalente, sise à Laeken. Elle a fermé ses portes depuis. J’ai entamé des études universitaires, mais l’appel de la musique a été plus fort ! Je passais plus de temps sur ma gratte qu’à étudier mes cours ! Les deux autres garçons du groupe ont suivi à peu près le même parcours. On s’est orienté vers le jazz pour une raison simple. En Belgique, les seules écoles musicales supérieures se consacrent soit au classique, soit au jazz. En ce qui me concerne, je n’ai pas de culture classique, même si j’en écoute un peu. Je n’avais ni le niveau, ni l’envie de travailler ce type de répertoire. Le jazz reste intéressant parce qu’il analyse plus globalement la musique. J’aime faire le corollaire avec ce langage. Faire du jazz, c’est comme lire une encyclopédie en long et en large. Tu y apprends plein de choses ! Je reste conscient qu’on ne ressent pas nécessairement ces influences dans notre musique. Je dirais qu’aujourd’hui, il s’agit davantage d’un état d’esprit.
M. : Pour ma part, j’ai toujours eu envie d’exercer ce métier. Je ne rêvais que d’une chose, terminer mes humanités et me lancer dans la musique !
La ‘jam’ appartient-elle au processus de création chez Black Mirrors ?
P. : Absolument ! Les raisons sont plurielles. On vient d’en parler, mais le jazz est une excellente école. On se connaît depuis pas mal de temps aussi, ça aide ! Il m’arrive parfois de développer des idées de chansons. J’anticipe la structure du morceau et je propose même des idées pour la batterie. Mais, je me suis rendu compte que presque systématiquement, cette manière de travailler ne fonctionne pas ! On doit essayer de garder cette liberté, cette spontanéité tant dans les répétitions qu’en concert.
En live aussi, on a aussi l’impression que l’improvisation de la fin des morceaux relève du concept de Black Mirrors. Est-ce une envie consciente de vous mettre en danger ou plutôt une sorte de lâcher prise ?
P. : Sur le troisième et le dernier titre que nous avons joués ce soir, nous nous sommes effectivement lâchés ! Il y a bien quatre ou cinq minutes d’improvisation. Par contre, souvent, nous respectons une ligne directrice. Il y a un instrument ou deux qui servent de base et les autres vont graviter autour. Ce n’est pas vraiment de l’impro pure et dure, mais plutôt un réarrangement ! La grille d’accords reste intacte ! Les chutes de compos se prêtent plus volontiers à ce genre d’exercice. C’est davantage une question de pratique ; on sait qu’on ne devra pas retomber sur ses pattes à un moment précis dans la structure musicale. J’aime cette prise de risques, même si elle est quand même limitée. C’est ce qui rend cette méthode excitante ! Par exemple, j’estime dommage que chez certains nouveaux groupes, la set list soit souvent tellement rigoureuse. Le spectacle en devient sclérosé. Le public ressent très vite ce type de climat ! Je ne critique pas cette manière de travailler, loin de là, mais l’improvisation apporte du piment. On parlait de jazz tantôt, mais encore une fois, dans ce contexte, cette école est extraordinaire !
Marcella, j’ai l’impression que ta voix sert de charpente aux compos !
M. : J’ai la chance de pouvoir être à l’aise sur différentes tonalités, en effet.
P. : La voix de Marcella sert de pilier central. C’est elle qui va capter l’attention du public, bien plus que l’instrumentation. On peut la considérer comme une accroche. Le travail de mélodie vocale s’avère donc fort important dans notre musique.
Un scoop ?
P. : Peut-être un album en 2016 ! Cependant, pour y parvenir, il faudra énormément de travail, mais aussi voir à partir de quel moment on se sentira prêt à concrétiser ce projet !