Le premier album d'Elbow, " Asleep in the Back " (2001), avait laissé une impression fugace de disque agréable à l'écoute, sans plus. C'était du pop-rock un peu renfrogné, trop timide pour vraiment marquer son temps. Enfanté dans la douleur, ce " Cast of Thousands " prend une autre tournure : Elbow a mûri et ose davantage, aux niveaux chant, mélodies et lyrisme (leur marque de fabrique, à l'instar des Doves, leurs amis). Sur le morceau d'ouverture, " Ribcage ", Guy Garvey s'est par exemple accroché un micro à la gorge, qu'on n'entende plus (ou mal) le découpage des syllabes. Une technique qui donne au morceau une patine un peu glauque, comme si le chanteur était sur son lit de mort et ânonnait une dernière prière. Il y a d'ailleurs des chœurs (ceux du London Community Gospel Choir, déjà entendus chez Blur) qui l'accompagnent dans son oraison funèbre, comme si le paradis ouvrait ses portes et laissait entrevoir sa lumière. De cette musique des anges (" Fallen Angel ", plus enlevé), Elbow a retenu non pas la candeur, mais un certain fatalisme : c'est beau, mais pas folichon. Sur " Fugitive Model ", les violons donnent envie de pleurer plutôt que de rire. Puis " Snooks " nous rappelle que Radiohead reste une influence majeure d'Elbow : ces rythmes tribaux, ce cri déchirant… Sans doute que les cinq Mancuniens ont écouté et aimé " Kid A " et " Amnesiac ". Le milieu du disque recèle les plus belles perles : " Switching Off ", " Not A Job ", deux ballades aériennes d'une finesse de diamantaire, et surtout " I've Got Your Number ", longue complainte relâchée, entre notes bleues et riffs hendrixiens. Vers la fin, notre attention se dilue un peu, faute de refrains vraiment accrocheurs… Elbow se retire de la scène, en douceur, et nous laisse seuls avec nos rêves. Au loin, des anges passent, après un dernier tour de ronde (" Flying Dreams "). La nuit tombe, les enfants dorment. Chut.