Ex-chanteuse de Belle and Sebastian, Isobel Campbell poursuit une carrière en solitaire et a sorti un nouvel opus. Intitulé "Bow To Love", elle y exprime des considérations autant intimes qu'universelles sur la domination masculine. Notamment !
La native de Glasgow, plus connue pour sa voix éthérée que ses talents indéniables de violoncelliste (NDR : son instrument de référence), revient quatre ans après avoir gravé "There Is No Another", paru en pleine pandémie, qui faisait suite à une décennie de silence forcé consécutif à des litiges avec son ancien label.
Ce "Bow To Love" se révèle toujours aussi intimiste, aérien, porté par sa voix d'ange, laquelle adopte cependant une attitude de révolte face à la domination du patriarcat, les agressions sexuelles ou la phallocratie toujours bien vivante.
L’Ecossaise s'insurge d'une voix suave, sans éclats, mais pas sans éclat, s'en explique et évoque également la disparition de Mark Lanegan, en compagnie duquel elle a publié trois magnifiques long playings au cours de ce millénaire.
Touchée par la grâce et la spontanéité, Isobel Campbell l'est aussi par l'humour...
Pourquoi ne pas avoir intitulé “Everything Falls apart”, le morceau d’ouverture, "Son of a Bitch", insulte que vous proférez sans arrêt ?
Dans mon esprit, il s'est toujours appelé "Everything Falls Apart". Cette phrase s'est imposée, sans que je sache pourquoi. Un peu comme si tout s'effondrait dans mon cerveau également... (elle rit).
J'ai trouvé cette situation plutôt drôle… et qu’elle correspondait à ma vision des choses…
Cette invective n’est donc destinée à personne ?
En fait, si... mais elle pourrait s'adresser à beaucoup d'hommes et à quelques-uns en particulier (elle rit). Mais, rétrospectivement, et plus sérieusement, je me suis rendu compte à quel point dans la langue anglaise, conçue par le patriarcat, il existait énormément de mots et d'expressions afin d'exprimer des propos désobligeants à l'égard des femmes. Si vous cherchez l'équivalent en insultes concernant les hommes, une telle ‘diversité’ n'existe pas. J’estimais cette disproportion injuste, d'où cette répétition... (elle sourit)
Vous évoquiez le patriarcat. Cet elpee se veut-il féministe ?
Il y a de cela ; même si la société progresse, parfois il m'arrive encore de me retrouver face à un véritable dinosaure misogyne (rires). Je suis quelqu’un de très patiente, mais parfois je pète un câble et je me dis : ‘Waouh, on en est encore là !’ Mais pour le moment, grâce au mouvement #MeToo, la situation est très polarisante. C'est un véritable champ de mines ! Entamer une conversation à ce sujet au travers d'une chanson, me semble une bonne façon de procéder pour aborder le sujet...
Vous évoquez la perversité narcissique dans "Spider To The Fly". Correspond-t-elle également à certains types d'hommes ?
Je ne m'en suis rendu compte qu'après l'avoir enregistrée et écoutée ; mais j'ai fait l'expérience de ce genre de personnes dans ma vie.
Ma musique se veut personnelle. Il serait donc étonnant que ce qui constitue ma passion, mon travail et mon domaine de créativité, ne se révèle pas intime.
En fait, c'est comme si j'avais fait un doctorat sur le narcissisme (elle rit) ! Mais tout est un traumatisme... même si ce mot est parfois un peu galvaudé. Cependant, à ce stade, je pourrais en effet probablement donner une conférence sur le sujet (rires).
D'ailleurs, je connais pas mal de choses dans le domaine de la psychiatrie comme le DSM 5 (NDR : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques de l'Association américaine de psychiatrie).
Désormais, j'essaie de faire preuve de sagesse en étant consciente de ce qui arrive… J'aime à penser que je suis née existentialiste (elle rit).
Quelle est l'importance du violoncelle dans vos compositions au moment de l'écriture ?
Parce que je suis violoncelliste, certaines lignes mélodiques peuvent fonctionner ou attirer mon attention. Lorsque j'écrivais pour Mark Lanegan, je l’adaptais pour un baryton, en tenant compte de la fréquence de sa voix et celle de mon violoncelle. Car lorsque je joue d'un instrument à cordes, il existe certains types d'arrangements et de lignes auxquels je me réfère. Mais je suis avant tout une auteure-compositrice qui compose d'ailleurs aussi au piano. L'influence du violoncelle se limite à environ 20% au sein de ce processus.
Avez-vous pensé à Mark Lanegan, disparu l'an dernier, lorsque vous avez enregistré et composé ces chansons pour cet opus ?
J'étais occupée d'écrire “You”, le jour où Mark est disparu. Une journée très étrange. J'avais passé toute la journée à bosser sur cette compo et à écouter “Anthem” de Leonard Cohen. Les paroles racontent : ‘There is a crack in everything’ (Trad : Il y a une fissure dans tout...)
J'ai appris qu'il était décédé vers 19 h 30 ce soir-là, alors que j'avais passé ce morceau toute la journée. J’avais la chair de poule. Il était probablement à l’article de la mort au moment où je l'écoutais.
Certains jours, j'ai encore du mal à croire qu'il ne soit plus de ce monde. C'est comme si c'était un chapitre de ma vie s'était clos ce soir-là. Mais, de temps en temps, je reçois de petits signes de sa part, et je souris…
Isobel Campbell : Bow to Love (V2) 14/06/2024