‘C'est vraiment passionnant, tout ce qui se passe pour l’instant, en Angleterre. Parce que tout le monde a l'air fatigué! Pour le moment, les grands groupes de guitares sont aux Etats-Unis : Nirvana, Pavement… On a complètement oublié les Ride, les Lush. Ils ne sont pas bons, de toute façon, ce ne sont que des hypes. Nous, on continue à faire ce qu'on veut faire. Et si, soudain, des gens commencent à s'y intéresser, tant mieux, mais on s'en fout! J'ai du mal à percevoir ce qui se passe vraiment. Je ne pense quand même pas que les gens vont changer leur état d'esprit au point de se dire que les Kitchens sont ce qu'il y a de mieux au monde. On a un certain nombre de fans hardcore qui nous suivent dans tout ce qu'on fait et si ce nombre augmente, c'est bien.’
Patrick, le chanteur/bassiste des Kitchens of Distinction –dont le nouvel album, « The Death Of Cool », vient de sortir– explique la situation particulière du rock indépendant en Grande-Bretagne. Normal pour un groupe anglais qui recueille son succès aux Etats-Unis!
Il n’existe qu'une station de radio qui passe du rock indé. Et seulement après 19 heures. C'est la BBC 1 et c'est grâce à John Peel. Mais il n'est présent que deux soirs par semaine. Donc, les auditeurs n'ont pas beaucoup d'occasions d'écouter cette musique. Par conséquent, ils n'y pensent même pas. Quand ils entendent notre nom, ils font la grimace. Mais aux Etats-Unis où on passe beaucoup notre musique à la radio, on vend pas mal de disques. Nous y sommes très populaires, à notre niveau, c'est-à-dire celui des ‘collège radios’. Bien plus qu'en Angleterre! Je ne sais pas quelle sera la suite, maintenant, aux U.S.A. car, entre-temps, le phénomène Nirvana a débarqué. Et les attitudes du public ainsi que de l'industrie du disque vis-à-vis de la musique ont changé. Tout comme celles de ceux qui achètent des disques.
Il est difficile, à la seule écoute de votre musique, de déterminer si vous êtes anglais ou américains. Notamment, à cause de ta manière de chanter qui est très différente des groupes insulaires habituels.
En fait, c’est parce que lorsque j'écoute un disque, j’accorde de l’attention au chanteur. J'aime les artistes qui savent chanter. Je ne chante pas très bien mais j'aime chanter. La plupart des chanteurs anglais sont ennuyeux. J'aime écouter des textes, j'aime entendre de bons textes et j'aime entendre un bon chanteur. Et si c'est démodé, je m'en fous.
Quels sont, pour toi, les grands chanteurs ?
Ian McCulloch, Julian Cope, même Jim Morrison... Patti Smith, grande chanteuse, elle parvient à faire passer une telle émotion. Et puis on arrive aux ‘vrais’ chanteurs: Ella Fitzgerald, Aretha Franklin, Billie Holliday.
Je ne peux m'empêcher de penser à Michael Stipe, de R.E.M., aussi.
(Il imite la manière de chanter de Michael Stipe). Si tu écoutes R.E.M. sur leur premier disque et ensuite, leur dernier, et que tu les mets l'un à côté de l'autre, manifestement sa voix a complètement changé... Et c'est très bien! Maintenant, il sait chanter. Parce qu'en huit ans, il a gagné de la confiance. Peut-être qu'après 8 ans, moi aussi je serai capable de chanter.
Dans le clip de « Drive That Fast » vous semblez tous tourner autour d'un axe invisible. Il correspond bien à la musique et me rappelle certains clips tournés par Siouxsie & The Banshees, notamment pour « Spellbound » et « Wheels On Fire ».
C’est inhérent à la rythmique. Tu tu tu tu tu, tu tu tu tu tu... Et quand tu l'as en stéréo via les haut-parleurs, tu obtiens cet effet circulaire qui permet d'emplir toute la pièce. Julian (le guitariste), s'il avait été là, te l'aurait très bien expliqué. Il faut dire que quand on voit ses doigts sur l'instrument et qu'on entend les sons qui en sortent, c'est incroyable. Je ne comprends pas comment il fait. C'est un garçon intelligent.
Les clips dont les images expriment la musique sont plutôt rares.
MTV veut des clips où le groupe joue live, au cours desquels le public hurle et des machines font du vent. C'est nul, horrible. C'est pourquoi on essaie de créer quelque chose de différent. Et ils nous rétorquent : ‘Non, on ne le passe pas. Il n'y a pas de jolies filles sexy dedans’. En Amérique, MTV ne diffuse que du heavy-rock. Les guitaristes y affichent des poses grotesques, alors que le chanteur est poursuivi par des filles. Alors, on ne veut pas reproduire les mêmes clichés. Jamais. Et c'est difficile. On essaie d'exprimer la musique visuellement. Julian, tout ce qu'il voudrait, lui, c'est mettre en son des nuages, des étoiles, la lune. Rien que la nature. Mais tu n’es pas libre de choisir. Tu dois apparaître dans le clip. Ce qui ne permet guère de créativité. Car, si tu passes six semaines sur un album, tu ne consacres qu'une demi-journée à un clip. C'est un medium formidable, mais on ne nous laisse pas l'occasion de l'exploiter. J'aimerais aussi réaliser un clip en ne me servant que des couleurs qui exprimeraient la musique mais, une fois encore, ce n'est pas possible. Les New Order peuvent se le permettre, parce qu'ils sont énormes et qu'on passera toujours leurs clips ; ou maintenant R.E.M., car c'est R.E.M. Mais à notre niveau, on ne peut pas faire ça. Les Replacements, qui détestent les clips, en ont fait un, où ils filment un haut-parleur dont ils ont enlevé la protection et on le voit bouger au son de la musique. Mais c'est très rare. House Of Love a également osé innover pour « Destroy The Heart ». C'est très lent ; on les voit jouer une chanson totalement différente. Mais sinon, quel est l'intérêt de voir le groupe?
Finalement, la vague acid house, techno aurait pu connaître davantage de débouchés car, la plupart du temps, il n'y avait pas vraiment de figure marquante.
The Orb a réalisé de grandes choses du style. Quand ils sont passés à Top Of The Pops, les deux membres du groupe jouaient aux échecs. C'est tout ce qu'ils faisaient. Ils avaient derrière eux une projection et c'est tout. On aimerait pouvoir faire ça. Mais, concernant le mouvement dans notre musique, il y avait une vague sur la pochette de notre album précédent et elle résume bien ce qu'on veut faire. C'est l'idée du flux et du reflux, de manière constante. Un mouvement circulaire, des mathématiques. Mais ça ne fonctionne pas toujours. Jouer, c'est comme atterrir dans un cercle... je ne peux pas l'expliquer, c'est tellement étrange. On a affaire à des effets circulaires et c'est assez excitant.
Est-il facile d'arrêter un morceau? On ne peut pas arrêter une vague ?
La chanson « Mad As Snow » (sans doute la meilleure de l'album), au départ, durait 15 minutes et on se disait que personne n'allait jamais l'écouter. Alors on l'a réduite à 8 minutes. Mais toujours elle veut continuer. Nous, on pourrait ne jamais cesser de la jouer. C'est comme aller dans un autre monde, vivre une sensation extraordinaire. Live, c'est formidable car on peut la terminer quand on veut. On aimerait, un jour, ne jouer qu'une seule chanson lors d’un concert. On commencerait le morceau et on déciderait de ne pas l'arrêter. Un jour, pendant un rappel, on a interprété une compo pendant 30 minutes, c'était fantastique. On était perdus dans son rythme. C'est le batteur qui a mis un terme au morceau. Il a interrompu son drumming nous signifiant ainsi que la chanson était terminée. Sinon, un bon concert, pour moi, doit alterner les rythmes, lents et rapides, revisiter tout le spectre des émotions, en 45 minutes. Mercury Rev semble y parvenir. Un jour, peut-être, quand on aura accompli de gros progrès, on pourra peut-être interpréter un seul morceau, sans susciter l’ennui. Mais on n'est pas encore prêts pour ça...
(Article paru dans le n°5 du Magazine Mofo de septembre 1992)