La Britpop s’est trouvée ses éternels seconds. La complexité du cas Elbow remet perpétuellement nos croyances musicales en cause. Le groupe de Guy Garvey dispose d’une puissante assise artistique, d’un lyrisme à faire fondre des kilomètres de banquise et d’irréprochables compositions, habitées d’une aura à la profondeur abyssale. Mais où sont les milliers de fans ? Les couvertures du New Musical Express ? Les femmes nues ? Les stades en ébullition ? L’Elbowmania ? Les tamponnades chez Top Of The Pop ? Le problème de la formation de Manchester est récurrent: trop petit pour être grand, trop grand pour être petit, l’énigme Elbow pourrait être la suivante. Proches cousins de Radiohead dans leurs sublimations expérimentales, liés à Coldplay dans les intonations et la manière, les membres d’Elbow peuvent aujourd’hui s’interroger. Pourquoi sont-ils malmenés par la planète rock ? Que peuvent-ils faire de plus ? Rien. La réponse est définitive. Guy Garvey et les siens fourbissent d’excellentes intentions, ne se répètent pas et font constamment évoluer leur musique vers de nouvelles cimes. En 2001, les Anglais signaient « Asleep In The Back », solide album, unanimement acclamé par la critique et immédiatement nominé au prestigieux Mercury Prize. En 2003, contre toute attente, Elbow livre un classique : « Cast Of Thousands ». Un disque fulgurant. Coincé entre la musique classique, le rock, la Britpop, l’expérimentation et l’électronique. Décrit par beaucoup comme le « OK Computer » du groupe, l’album trempe ses onze titres dans le calice du succès. Pourtant, l’Europe continentale résiste, nie l’évidence et refuse de contempler l’œuvre d’Elbow à sa juste valeur. Aujourd’hui, l’heure du troisième essai a sonné. « Leaders Of The New World » s’imbrique dans l’invraisemblable discographie de la formation. Magnifique. Une fois encore. Mais combien de temps faudra-t-il pour que cède le nouveau monde ? Elbow s’applique et redécouvre ses racines, revient à Manchester (« Station Approach »), fonce à travers les ruelles à la recherche de l’amour et s’oublie dans les bras de l’être attendu, de la reconnaissance publique (« Forget Myself »). Les musiciens s’impliquent et s’affranchissent d’un puissant message politique (« Leaders Of The Free World »). Et pour tout dire, Elbow présente toutes les caractéristiques du leader idéal, souverain respectueux d’un monde libre. Un monde plus logique où triomphe l’honnêteté et la labeur. Un monde nettoyé des jérémiades de Chris Martin, sauvé des arnaques commerciales de Keane. Un monde plus libre. Tout simplement.