Si pour le commun des mortels, le 21 mars 2024 coïncide avec le premier jour du printemps, cette date est une peu différente dans l’esprit de votre serviteur, puisqu’il l’a cochée dans son agenda afin d’assister au concert de Shake Shake Go, un groupe d'indie folk aux origines franco-galloises.
Une fois n’est pas coutume, le show ne se déroule pas dans en Belgique, mais outre-Quiévrain, au sein d’un endroit plutôt chaleureux.
Bien que situé dans un quartier très populaire, le Moulins et Wazemmes, la Bulle Café est un endroit, certes atypique, mais qui présente beaucoup de charme et une franche convivialité. Situé dans une ancienne fabrique, l’espace n’est pas très grand ; aussi, on doit pouvoir y accueillir, au bas mot, deux cents personnes. La cour en pavé est parsemée de tables et de chaises ; ce qui permet de s’y délasser au soleil ou prendre l’air entre deux morceaux de musique. Et du soleil, il y en avait ce jeudi, comme par miracle.
Le quartier dans lequel s’inscrit l’édifice brasse une multitude d’ethnies, ce qui rend les choses culturellement intéressantes et surprenantes.
Etymologiquement, la bulle est un espace protégé dans lequel on se sent en sécurité. De même, qu’elle constitue un globule gazeux [bière ?] qui se forme dans une matière [musique ?] en fusion. Bref, chacun sa formule !
La salle est comble. La pyramide des âges et des sexes y est relativement bien représentée. Cocorico, de nombreux Belges ont également fait le déplacement.
Le supporting act est assuré par Xavier Polycarpe. Il se présente seul sur les planches armé d’une sèche et d’un Apple (l’ordi, pas le fruit). Le gaillard (s’)impose à lui seul. Il doit mesurer, au moins 1m90.
Il semble très à l’aide sur scène. Normal, il était l’une des chevilles ouvrières de Gush, quatuor rock responsable de deux albums. Il a aussi participé à de nombreuses tournées internationales et a été nominé aux Victoires de la Musique. Il formera ensuite Macadam Crocodile, une formation aux accents électro-disco.
Les puristes l’ont également vu apparaître sur une célèbre chaîne de télé française, lors d’une émission de télécrochet. Ou encore, s’acquitter des premières parties de Matthieu Chedid ou encore de feu Johnny Hallyday.
Bref, le gaillard jouit d’un sacré curriculum vitae.
Il se produit ce soir en solo en vue d’écimer de ses sons, le parterre lillois. Ses textes empruntent tantôt au français, tantôt à l’anglais.
Ils sont ciselés et empreints d’émotions. Solaire, son sourire illumine et fait vivre en ‘live’, son projet.
Si sa musique baigne plutôt dans un folk cosy, ses chansons peuvent traduire de la contestation, à l’instar de « House is burning », bande originale d’un documentaire consacré à la cause animale.
De temps à autre, il s’interroge sur le temps qui passe, la vie et la mort comme sur ce très joli « Vanish in the Runaway Wind », aux contours chantournés.
Généreux avec son auditoire, il nous réserve un titre de son prochain Ep éponyme, « Minute », un morceau au refrain entêtant. Le public le lui rend bien en reprenant ces paroles sur un ton endiablé.
« Dancing in the Ring » clôture un set bien trop court, mais de bien belle facture.
Grâce à une voix et une attitude digne de Ben Harper, Polycarpe s’est forgé une place de choix dans le cœur des aficionados.
Une belle découverte dans le chef de votre serviteur.
Après une pause de quelques minutes, afin de faire place nette sur l’estrade et permettre aux spectateurs de se rincer les amygdales, une longue intro au synthé retentit.
Les membres de Shake Shake Go grimpent sur le podium, les uns après les autres. D’un pas timide, d’ailleurs. Coiffée d’un chapeau, Poppy Jones apparaît la dernière, mettant ainsi un terme à un suspens de courte durée. Elle est vêtue d’un chemisier rose, plutôt échancré. De quoi ravir le parterre masculin, agglutiné aux premiers rangs, langue pendue face à cette plastique de rêve.
Rapidement, elle laisse tomber son couvre-chef, dévoilant alors un visage angélique. Gageons que derrière l’ange ne se cache un démon.
Alors que SSG était initialement constitué de cinq mousquetaires, aujourd’hui, il se produit en trio, formule qui lui permet une redistribution des rôles tout en créant de nouveaux espaces de liberté.
Pour la petite histoire, lorsque le band se produisait dans la rue et les pubs miteux, un gosse de six ans s’est exclamé en les regardant ‘Shake shake go’ ! Le patronyme venait d’être trouvé.
La suite de l’histoire ressemble à un conte de fée. Jugez plutôt : une première partie de James Blunt assurée en 2014, au Royaume-Uni, puis en France (notamment celle de Rodrigo y Gabriela), un premier single publié en décembre 2014, un premier Ep (éponyme), en mars 2015, un premier album orienté folk, « All in time », début 2016, un second taillé pour le live, en 2018, « Homesick », avant enfin d’accoucher de « Double Vision », un opus nettement plus organique que les précédents.
Aujourd’hui, la nouvelle sensation venue d’outre-Manche tourne dans le cadre d’un périple international. Pas étonnant, lorsqu’on sait que plus de 7 millions de personnes ont écouté « England Skies », son tube incontournable.
Votre serviteur avait pu les découvrir en 2016, dans le cadre du Ronquières Festival. Il s’agissait de sa première date belge. Les choses ont bien changé et les musiciens ont gagné en maturité et en précision.
La jeune femme est accompagnée de ses fidèles serviteurs. Mais également de deux musicos de tournée. Une demoiselle aux ivoires et un préposé aux quatre cordes.
Issu de son dernier long playing, « Red Woman » donne le ton. Une compo acidulée où guitare et basse flirtent allègrement. Poppy prend le train en marche dès les premières notes. Son corps se laisse bercer et entreprend des soubresauts rageux. Elle joue complètement son rôle d’ambassadrice.
La musique de Shake Shake Go baigne au sein d’un univers pop/folk mélodieux, gracile, où se mêlent évasion et bienveillance. Les chansons s’inspirent de la nature, de la vie, des expériences et des gens qui les entourent. La voix candide de Poppy subjugue. Elle est dynamique, puissante, organique, épique et surtout optimiste…
« Come back to me », « Hands Up » ou encore « We are now » s’attardent dans le rétroviseur, puisque ces morceaux sont tirés respectivement de « Homesick » et d’« All in Time ».
Les accords sont posés avec justesse, passion et professionnalisme. Ces jeunes sont entrés dans la cour des grands.
Les riffs de guitare sont dispensés tout en retenue, mais avec rage et puissance. Pas mal pour des jeunes en culotte courte ! Ils s’amusent beaucoup sur scène, sans se prendre la tête. Ce qui frappe, c’est la symbiose qui les unit. Aucune individualité ! Chacun est là pour servir l’autre. Magnifique !
Poppy s’essaie ensuite dans un français qui s’avère… approximatif. Manifestement, elle n’y arrive pas, alors, elle s’excuse. Pour reprendre ensuite le cours de son discours, dans sa langue natale.
Ballade émouvante, le magnifique « England Skies » constitue un des moments forts de cette soirée. Impossible pour la foule de ne pas chanter ce titre à la mélodie imparable, devenu disque de diamant, et qui comptabilise 50 millions de streams.
Shake Shake Go vit pleinement ses compos en ‘live’. Et « Love outside the line » en est certainement la plus belle démonstration. Il faut dire que les compos et les arrangements permettent une ouverture pour ce type de configuration.
Pourtant, paradoxalement, lors des promos ou showcases, le combo propose des versions alternatives acoustiques, dans un exercice qui lui va tout aussi bien. Les titres, ici interprétés, pourraient bien y trouver une place de choix.
Alors que « Blackbird », permet à la voix de Poppy de mettre en avant son côté cristallin et ses nombreuses amplitudes, le concert reprend de plus belle par un « Let Me to The Water » plus incisif et à la rythmique emphatique.
Durant environ une bonne heure, la bande à Poppy a proposé une musique qui déchire les tympans dans un tourbillon de rage, de volupté et de candeur.
Les chansons sont finalement assez simples, mais pas simplistes. A cause de leur construction réfléchie, outre leur positivisme. Elles servent parfois d’exutoire, mais véhiculer des lyrics engagés ne semble apparemment pas être la tasse de thé du band.
Il est temps de mettre un terme à ce qui est resté une surprise de taille.
La fin du set approche. Poppy invite l’auditoire à se diriger vers le merchandising. Outre la vente de disques, elle est aussi venue pour faire connaître ‘Target Ovarian’, une association dont elle est l’égérie. Une cause qui l’affecte, sa mère étant décédée d’un cancer de l’ovaire, il y a environ deux ans.
Les lieux se vident très rapidement, le bar ayant reçu pour consigne de fermer juste après le concert.
L’assistance déserte les lieux ; les souvenirs, eux, restent bien présents.
Photo ©shooting_concerts