Cent ans de solitude et onze ans d’absence ne sont pas venus à bout du souffle de l’une des plus belles voix, de l’une des plus belles plumes de la scène rock française. Si la musique avait oublié Bertrand Cantat, ne fût-ce qu’un instant, le public avait résolument répondu présent ce jeudi 15 mai, à l’Ancienne Belgique de Bruxelles. Et quel accueil !
Quelques minutes à peine ont d’ailleurs suffi pour fermer tous les guichets de l’Hexagone et de Belgique.
Sans doute, certains s’attendaient-ils à un événement peuplé de quadras nostalgiques à la recherche du temps perdu. D’autres, à de nouveaux horizons sis au-delà du vide orienté vers une autre lumière, loin des rivages ‘sombres’ de Noir Désir, qui auraient définitivement brûlé les dernières pages du groupe culte français, grillé ses dernières cartouches. Par bonheur, Bertrand Cantat et Pascal Humbert ont réussi magistralement à garder le cap, à se frayer une voie médiane, louvoyant entre passé et futur pour s’ouvrir vers un Détroit plus que présent. Un voyage au bout de la nuit ? Pas vraiment.
Un rendez-vous avec le temps traversé par une électricité spasmodique. Rarement une telle ferveur n’a saisi l’auditoire francophone de l’AB. Aux côtés de Bertand Cantat (Chant, Guitare) et Pascal Humbert (Basse, Contrebasse), militent Nico Boyer (Guitare), Bruno Green, alias ‘le Professeur’, (Claviers, Guitare) et Guillaume Perron (Batterie). Et cette équipe s’est vraisemblablement rendue coupable de l’un des meilleurs concerts de musique française, en cette année 2014. Rien de moins.
Certainement sensible à la critique de ses premières représentations, le ‘jeune’ groupe français ne cesse de revisiter ses concerts, de changer de formule, de trouver l’équilibre. Tant dans le répertoire que l’orchestration. Et vu le résultat atteint ce jeudi soir, le public bruxellois a certainement dû assister à la fin d’un ‘tour de chauffe’.
17 titres d’une set list qui sillonne habilement entre « Horizons » et le répertoire de Noir Désir totalement réorchestré. Entre l’envie furieuse de réécouter les anciens titres réinventés et de découvrir les nouveaux sur scène. Aucune concession, pas de prétexte au racolage nostalgique. Juste un nouveau Cantat qui préfère chanter sans lyrisme excessif ni grandiloquence, privilégiant une justesse émotionnelle déchirante.
Le frisson est constamment palpable dans la salle, il vibre derrière chaque mot, chaque note, chaque morceau. Il lézarde les âmes. Une pureté émotionnelle qui, cette fois, ne se cache pas derrière des violons. Ce soir, Détroit a décidé de sortir les guitares électriques et de laisser les cordes au vestiaire. Le temps d’un instant.
Hagard, cheveux ébouriffés et habillé de noir, Cantat monte sur les planches accompagné de son complice Pascal Humbert et de ses trois nouveaux camarades de jeu. Le chanteur est accueilli par une longue salve d'applaudissements ponctuée de ‘On t’aime’. Figé au centre de l’estrade, tel un enfant perdu dans la foule, il répond par quelques sourires, quelques gestes mêlés de mercis étouffés. Symboliquement, c'est sur Pascal Humbert que sont braqués les projecteurs pour les deux premières chansons de la soirée.
« Ma Muse » et « Horizon » en ouverture. L’atmosphère devient subitement troublante, suffocante. Une chape de béton scelle un public désormais muet. La tête rivée au ciel, les yeux fermés, comme absent, Bertrand Cantat revient sur l’indicible d’une voix bouleversante : ‘Qui de mon cœur ou de ma tête va // Imploser comme une étoile // Quel débris ou quel morceau de moi // D'abord te rejoindra.’ Pas question d’oublier !
« Des Visages des figures » vient ensuite atténuer l’intensité de l’émotion. Et nous rappeler, qu’outre une voix magnifique, intacte, l’artiste français est un grand parolier.
Dès les premières notes de « A ton étoile », le ton général change radicalement. Le leader de Détroit reprend progressivement confiance et retrouve les automatismes de l'homme de scène qu'il était du temps de Noir Dez, tourbillonnant avec sa guitare. Loin des polémiques et des controverses, les interprétations de Cantat et Humbert sont habitées d’une musicalité exceptionnelle. Le diable au corps, le chanteur se libère, crache, vomit ses émotions et enchaîne les tubes. Les riffs s’enragent, la batterie cogne et le public exulte. Un incendie volontaire largement maîtrisé par nos cinq pompiers-pyromanes.
Un set terriblement plus dynamique et électrique que celui des concerts précédents qui change de configuration lors du premier rappel. Un rappel sur lequel Pascal Humbert échange sa basse contre une contrebasse et vient souffler sur les braises à l’aide du violon de Catherine Graindorge et du violoncelle d’Anne Lisa pour interpréter « Droit dans le soleil » et quatre autres titres.
Après deux heures de concert, les cinq musiciens viennent frontstage, guitare à la main, pour un final furieux en communion totale avec le public sur « Le vent nous portera » et « Comme elle vient ». Un vacarme étourdissant produit par un auditoire braillant sans accalmie : ‘Comme elle vient vient // Encore et encore // Comme elle vient // Encore et encore…’ sur lequel Bertrand Cantat a eu juste le temps de lancer un ‘Bruxelles, je t’aime’ avant de disparaître en backstage.
Un très grand concert sans démesure, plein de sobriété et riche en émotion.
Nietzsche suggérait ‘qu’il n’est pas de belle surface sans une redoutable profondeur’ (Naissance de la Tragédie), Cantat nous apprend qu’on ne crée pas de chant sublime sans un gouffre de souffrance sous-jacent.
Notez également qu’après ce concert accordé dans une AB archi-comble, Détroit a décidé d’offrir à son public belge une troisième et dernière date à l’Ancienne Belgique, le mercredi 8 octobre 2014.
Voir aussi la section photos ici
La setlist:
Ma muse – Horizon – Des visages des figures – A ton étoile – Le creux de ta main – Lazy – Le fleuve – Lolita nie en bloc – Ange de désolation – Null & void
Rappel 1
Droit dans le soleil – Glimmer in your eyes – Sa majesté – Fin de siècle – Tostaky
Rappel 2
Le vent nous portera – Comme elle vient
(Organisation Live Nation)