Il s’agit de la troisième soirée passée d’affilée, par votre serviteur, à l'Ancienne Belgique. Il y a 37 ans qu’il la fréquente, soit depuis l’âge de 16 ans. Et il s’en est déroulé des concerts d’anthologie, sous ses yeux et les oreilles grandes ouvertes. Ce soir, le spectacle est intégralement consacré à des découvertes. Soit C.W. Stoneking et en supporting act, Fernando Gonzalez. La salle est en mode flex (théâtre assis)
Fernando Gonzalez est un guitariste qui pratique le finger-picking. En Belgique, Jacques Stotzem et Antoine Goudeseune en sont également de dignes représentants. Chiliens, ses parents et grands-parents étaient des guitaristes professionnels. S’il a choisi la nationalité belge, ce sixcordiste talentueux est à la fois inspiré par le classique et le flamenco. Il est également professeur au Conservatoire d'Anvers.
Sur les planches, Fernando est soutenu par un pianiste. Pas courant d’assister à ce type de spectacle à l’AB. Il prend place sur un siège, à droite du podium. Il tient sa gratte un peu à la manière de Django. Il signale qu'il va interpréter de la musique classique et latine. Le concert s’ouvre en duo par une superbe reprise d'Astor Piazzola. De Vivaldi à Marco Pereira, les adaptations sont superbes. Le set baigne dans une ambiance latine. La guitare devient carrément agressive pour « La Vie Est Brève » de Manuel Falla (NDR : ce pianiste espagnol a bossé en compagnie de Claude Debussy et Maurice Ravel). L’artiste a perdu sa setlist. Un petit moment de silence suivi rapidement de l'hilarité générale au sein de l’auditoire. Ouf, Fernando l’a retrouvée et peut poursuivre le concert qu’il achève par un titre signé par l'Argentin Abel Flery. Grâce à sa technique, Gonzalez nous a carrément bluffés. Une belle entrée en matière…
Place ensuite à Christopher William aka C.W. Stoneking. Très particulière, sa voix s’adapte parfaitement à son répertoire. Perso, je pensais qu’il était issu du Sud des States, tellement il a un accent à couper au couteau. Mais non, il est australien. Peut-être existe-t-il, au pays des kangourous, un Delta et un Bayou, tellement sa musique est contaminée par le blues et le roots.
Le podium est parsemé de plantes exotiques. Un squelette trône devant la batterie et une perruque blanche sur un présentoir. C.W. monte sur l’estrade. Il est armé de sa gratte et se plante juste devant le drummer, Jacob Kinniburgh. Deux charmantes choristes vêtues de robes charleston, prennent position à gauche. Il s’agit de Maddy et Memphis, aka The Kelly Sisters. Andrew Scott, le contrebassiste/bassiste, choisit le côté droit. Stoneking joue du blues, mais un blues qui oscille du plus classique à celui des années 30, et qu’il teinte de swing, de jazz, de roots et de gospel. Ce n’est pas le premier show de l’artiste en Belgique. Son fan club est assez conséquent. Et on va s’en rendre compte au cours du show.
« How long » ouvre le bal. C’est un extrait de son nouvel opus, « Gon' Boogaloo ». Les sonorités de gratte (une Fender jazzmaster - Firemist de 1965) sont vintage et lo fi. On a l’impression de déambuler au sein des rues de Détroit pour ce titre très années 40. Chœurs gospel et grosse caisse font pétiller l’ensemble. Le décor roots est planté. La voix de CW est impressionnante. Andrew a opté pour la contrebasse sur « I'm The Jungle Man ». C.W. a davantage recours au spoken word qu’au chant et il est remarquablement secondé par les voix féminines. Le swing est omniprésent, mais il manque de cuivres. Des aficionados commencent à jumper, à droite de l’auditoire. Gospel/soul, « The Love Me Or Die » (NDR : tiré de « Jungle Blues »), nous entraîne dans un vieux club de jazz enfumé, pour y siffler un tord-boyaux, comme à l’époque de la prohibition. Suranné et langoureux, « Mama Got The Blues » est beau à pleurer. Idéal pour danser un slow. Les choristes ont rejoint les loges. La suite du spectacle sera plus festive…
« The Thing I Done » passe en revue flamenco, roots, reggae et même ska (la section rythmique !) On a franchement envie de danser. Tout comme pour « The Jungle Swing ». De vieilles perles remises au goût du jour et qui enchantent. Le présent conjugué au passé. Pas de cuivres ni de banjo pour « Jungle Blues », un morceau qui pourrait servir de bande sonore à un film muet. Les filles opèrent leur retour pour « Good Luck Charm », une compo à l’atmosphère ‘philspectorienne’ qui nous rappelle les sixties et tout particulièrement The Ronettes et The Crystals. « Tomorrow Gon' Be Too Late » est un blues ténébreux et poignant.
« He's Been A Shelter For Me » est une cover de The Soul Sirrers datant de 1961. Bien épaulé par la chorale soul, C.W. épate la galerie. « Get On The Floor » est un rockabilly endiablé, « The Zombie » un titre plus sombre et « Talking Lion Blues », une chanson récréative. Le set s’achève par une brillante interprétation du titre maître de son dernier opus, « We Gon' Boogaloo », un rock’n’roll enflammé réminiscent de Jerry Lee Lewis. Le dernier album est passé dans son intégralité à la moulinette.
Tout au long du show, C.W. interagit avec l’auditoire. Mais excusez-moi l’expression, mais putain, j'ai passé une belle soirée ! Dur, dur de revenir dans notre siècle. Je pense ne pas emprunter la DeLorean du Professeur Emmett Brown, mais m’exiler dans le Mississipi australien.
(Organisation : Ancienne Belgique)