A peine un an après sa dernière visite, Steven Wilson est de retour chez nous ; et pour la circonstance à l'Ancienne Belgique de Bruxelles. Le Britannique revient auréolé du succès de son dernier opus : « Hand. Cannot. Erase », qui a dépassé les ventes de toutes ses autres plaques, y compris celles réalisées par son précédent groupe, le légendaire Porcupine Tree. Dans ses bagages, il nous apporte un tout nouvel Ep : « 4 1/2 ». Ce disque réunit des compositions qui n'avaient pas trouvé grâce sur les deux elpees précédents, ainsi qu’une reprise d'un titre de Porcupine Tree.
Il y a quatre ans, Steven Wilson s’était produit dans une Ancienne Belgique en configuration 'Box', soit sans gradins ni balcons. Ce soir, par contre, la salle est en configuration maximale et le concert est sold out. On mesure le chemin parcouru par le 'King of Prog' ; et on doit reconnaître qu’il a réussi son pari : faire évoluer sa musique, gagner de nouveaux aficionados, sans perdre trop de fans originels de Porcupine Tree, déçus par le côté nettement moins prog/metal des nouvelles productions.
Avant le début du concert, une playlist très orientée 'dark ambient' installe une atmosphère sombre et recueillie. On reconnaît le célèbre instrumental « Warzawa », de David Bowie, dont la mort a profondément affecté Wilson. Le concert commence par la projection du court-métrage qui met en scène le thème de « Hand. Cannot. Erase. » : la solitude dans les grandes cités. Les artistes prennent place sur le podium et attaquent l'interprétation complète de ce brillant concept album. Wilson est accompagné de son fidèle bassiste, Nicky Beggs (ex-Kajagoogoo, Steve Hackett) et du claviériste Adam Holzman (NDR : il a côtoyé Miles Davis). A leurs côtés, deux nouveaux venus : le guitariste Dave Kiliminster (NDR : il a participé à la tournée 'The Wall' de Roger Waters) et le batteur Craig Blundell (NDR : un musicien de sessions).
« First Regret » ouvre le set tout en douceur. Adam Holzman dessine de savantes arabesques sur ses claviers ; de quoi nous transporter au cœur d’un univers onirique. Le riff de guitare de « 3 Years Older », très inspiré par Rush, tranche dans le vif. S'en suit un tour de force de 10 minutes, où alternent moments doux, jazzy, voire même folk, et envolées endiablées de prog/rock. Un véritable patchwork d'influences évoquant King Crimson, Pink Floyd, Camel, Yes, Rush, Todd Rundgren (Utopia) et autre Van der Graaf Generator. Steven Wilson est pieds nus, suivant son habitude. Il a toujours son éternel look d'étudiant de fac. Planté au centre de l’estrade, il joue au chef d’orchestre au sein de son supergroupe. Il passe de la guitare électrique à la sèche, stimule en permanence ses musiciens ; et parfois, sans instrument, souligne les impulsions majeures de l’expression sonore.
Après « 3 Years Older », Wilson salue la foule et précise qu'il apprécie son enthousiasme. ‘Je ne suis pas fâché d'en avoir fini ma tournée allemande’, confie-t-il. ‘Le public y est, disons, très réservé...’ Poursuivant sur un ton très 'tongue in cheek', il explique que la première partie du concert privilégiera son dernier LP ; et que, dans la seconde partie, il y réservera, ... ‘ces autres choses...’ On devine qu'il se réfère aux titres de Porcupine Tree, que ses plus anciens fans réclament avec insistance, à chacun de ses concerts.
Mais place, d'abord, à la plage titulaire de « Hand. Cannot. Erase », qui évoque à nouveau Rush, période « Hold Your Fire ». Changement de style ensuite : la batterie très ‘trip-hop’ sert de toile de fond à la voix féminine (en play-back), qui cite Dead Can Dance et de This Mortal Coil, avant que Wilson ne prenne le relais en interprétant cette mélodie toute simple et émouvante à souhait : ‘We have got, We have got a Perfect Life’. Et les harmonies vocales tissées par Nicky Beggs sont étonnantes.
‘Etes vous prêts à descendre dans les profondeurs de la misère et du désespoir ?’, demande Wilson, un sourire en coin. Avant d’aborder « Routine », sans doute la chanson la plus noire du musicien. Malheureusement, la vocaliste israélienne Ninet Tayeb est absente (shabbat oblige). C'est donc une bande qui répond à Wilson : dommage, car on se réjouissait de vivre leur duo sur scène. Le superbe clip d'animation réalisé par Jess Cope est diffusé sur l’écran vidéo. Et il est superbe. Un grand moment !
« Home Invasion » marque un retour au rock orienté jazz/prog, pour le plus grand bonheur des inconditionnels de la première heure. « Regret #9 » permet à Adam Holzman d’étaler toute sa virtuosité sur son clavier Moog. Pensez à Happy The Man, ce groupe américain injustement sous-estimé, auquel Holzman voue une grande admiration. Dave Kiliminster prend le relais pour un solo plus orienté rock mais tout aussi impressionnant. C'est enfin Wilson lui-même qui clôture la composition tout en douceur sur les cordes de sa Paul Reed Smith.
Après avoir présenté ses musiciens, en manifestant, à nouveau, un humour très espiègle, Wilson introduit « Transience », un titre qui aurait mérité sa place sur un des premiers elpees de Genesis. Tant les arpèges à la guitare acoustique que les mélodies vocales rappellent clairement « Selling England By The Pound ». Pendant l'excellent « Ancestral », le public scande des ‘hey’, pour répondre aux musicos, un peu à la manière des Espagnols, quand ils crient ‘Olé’, lors des corridas. Funny ! Enfin, « Happy Returns / Ascendant Here On… » reprend le thème musical initial du concept album et referme la première partie du spectacle de façon très solennelle. Et c'est Adam Holzman qui clôture en solo, au piano. Superbe !
Après une courte pause, le band est de retour ; et, très bonne surprise, c'est pour exécuter un titre de Storm Corrosion, « Drag Ropes ». Wilson s'acquitte brillamment des parties vocales dévolues sur disque à Mikael Åkerfeldt (Opeth). Et on n’est pas au bout des bonnes surprises. A l’instar d’« Open Car », un des meilleurs titres de Porcupine Tree. Les réactions démontrent à nouveau l'attachement exceptionnel du plublic à cette formation qui a si profondément marqué. En interview, Steven Wilson a d'ailleurs précisé qu'il est toujours possible que le groupe se reforme le temps d’un album ; mais ce ne sera qu'une parenthèse, car c'est à sa carrière solo qu'il accorde désormais sa priorité.
Place ensuite au premier extrait de « 4 1/2 ». Wilson précise, en le présentant, qu'il a estimé utile de sortir ce mini album pour donner une chance à ces compositions 'orphélines' et, également, afin d'ajouter de nouveaux titres au répertoire de la tournée. Il ajoute : ‘Je fais comme les groupes des années '70-'80, qui publiaient un album par an. Aujourd'hui, certains, comme Tool, n’en sortent qu’un tous les 10 ans’. Rires dans la salle. Et ce « My Book of Regrets » tient parfaitement la route dans la discographie, déjà très riche, du musicien anglais.
Un claquement de doigts, imprimé en cadence, amorce « Index », un des titres de Steven préférés de votre serviteur. Tiré de « Grace For Drowning », il illustre une période plus 'dark', hantée par les serial killers et balayant un spectre musical plus obscur, davantage hypnotique. « Lazarus », une autre reprise de Porcupine Tree, procure une excellente occasion à Wilson de rendre hommage à David Bowie : en effet, une plage s’intitule également « Lazarus » sur « Black Star », l'oeuvre testamentaire de Bowie ; et ce qui est étonnant, remarque Wilson, c'est que le personnage de 'sa' chanson « Lazarus » s'appelle... David ! Il y a de ces (L)hasards... (hum...)
Lorsqu’un voile transparent est tendu entre le podium et l’auditoire, c'est pour mettre en scène « Vermillioncore », un nouvel extrait de « 4 1/2 ». Cet instrumental se distingue surtout par les passages plus 'heavy', qui permettent aux 'metal heads' de pratiquer un peu de 'headbanging'. Le dernier morceau du concert est particulièrement bien choisi : « Sleep Together », un autre chef d'oeuvre de Porcupine Tree, issu de « Fear of a Blank Planet », sans doute le meilleur opus du défunt combo. L'intro, très dark électro, lorgne vers Nine Inch Nails et le refrain provoque une véritable explosion : ‘Let's sleep together... Right now’. Difficile de ne pas faire d’analogie entre ce refrain et celui de « Sweet Harmony » de The Beloved... Sans doute une coïncidence. La progression finale de la compo est irrésistible et mène inexorablement vers un orgasme sonore final aux accents 'kashmiresques', le tout ponctué par l'effondrement, très théâtral, du voile transparent. Un final époustouflant...
En rappel, Steven Wilson ne joue pas la reprise de « Space Oddity », à nouveau en raison de l'absence de Ninet Tayeb. Par contre, on a droit à une tout dernière reprise de Porcupine Tree : « The Sound of Muzak » ; et, en point d'orgue idéal, « The Raven that Refused to Sing », probablement la plus belle composition de Steven Wilson. Assis sur un tabouret, il chante cette mélodie déchirante, rehaussée par la superbe vidéo d'animation de Jess Cope. On n’entend pas une mouche voler tout au long de cette chanson qui vous flanque la chair de poule. Le son quadriphonique renvoie des effets provenant des quatre coins de la salle, pour une expérience musicale totale. ‘I'm afraid to wake... I'm afraid to love...’
En conclusion : un superbe concert, parfait à tous points de vue : son, lumières, vidéos, contact et bien sûr... les chansons. Steven Wilson appartient incontestablement à cette catégorie de génies polyvalents, au même titre que les Bowie, Reznor et autre Yorke, qui ont marqué d'une empreinte indélébile la musique 'indie' contemporaine. On est impatient de découvrir ce que le 'Wilson King' nous réserve dans le futur... En tout cas, ce soir, on a bel et bien assisté à son sacre...
Setlist :
Set 1 : album Hand. Cannot. Erase.
First Regret
3 Years Older
Hand Cannot Erase
Perfect Life
Routine
Home Invasion
Regret #9
Transience
Ancestral
Happy Returns
Ascendant Here On...
Set 2
Drag Ropes (Storm Corrosion cover)
Open car (Porcupine Tree cover)
My Book of Regrets
Index
Lazarus (Porcupine Tree cover) (Dedicated to David Bowie)
Don't Hate Me (Porcupine Tree song)
Vermillioncore
Sleep Together (Porcupine Tree cover)
Encore
The Sound of Muzak (Porcupine Tree cover)
The Raven That refused to sing
(Organisation : AB + Live Nation)