Le public était déjà conquis à l’arrivée des cinq éléments de Moriarty. Chacun pouvait amplement imaginer ce qu’allait offrir cette soirée au Botanique: non pas l’écoulement mécanique des morceaux tirés des trois albums du groupe (fondé en 1995) mais plutôt une célébration lumineuse du folk baroque et ancien qui déborderait des deux guitares, de la contrebasse et de l’harmonica, ponctués toujours par la voix merveilleuse de la diva Charlène Dupuy. Et oui, nous avons tous été ces figurants d’une mise-en-scène cinématographique au cours de laquelle tout semble venir d’une époque lointaine et précaire de l’Amérique profonde où les Beach Boys se nourrissaient de blues et parcouraient la route 66 en cherchant les mêmes histoires que celles de Jack Kerouac, écrites cinquante ans auparavant. Chaque morceau de Moriarty conte ainsi des détails de cet univers poussiéreux situé quelque part entre Paris et le Midwest, peuplé de gens désenchantés, ennuyés, fantasques et aux souvenirs d’enfance tordus.
D’où cette sempiternelle question, jaillissant tout au long du concert : à quel point cet univers est-il authentique ? A quel point cette musique puisant dans des racines profondément traditionnelles résiste à une élucubration gentille et naïve sur l’archétype du voyageur-écrivain, pourvu d’une valise en cuir fatigué, la machine à écrire comme seul compagnon ? Et, enfin, à quel point cette musique, tant inspirée de Joan Baez et Billie Holiday, a-t-elle été vraiment vécue et puisée dans les entrailles de ces cinq musiciens-là ?
Le concert a toujours été suspendu au-dessus de ce paradoxe. D’un coté, la tentation de la blague cocasse ou de l’exhibition de deux animaux empaillés –répondant au nom de Colette et Gilbert– risquaient de transformer tout ce décorum en un ensemble d’éléments creux, sans contenu et définitivement trop ludiques. De l’autre, certains moments –pas toujours– où s’opérait une alchimie parfaite entre les souvenirs nostalgiques d’une époque et sa revisite hic et nunc. Reste que ça et là, Moriarty relève d’un petit miracle : celui d’être une machine, une très belle machine d’ailleurs, à remonter le temps et à prolonger encore un peu plus le voyage.
Organisation Botanique