Le supporting act est assuré par Just Mustard, un quintet également irlandais, mais dont le lead vocal est assuré par une fille ; en l’occurrence Katie Ball, dont la voix, éthérée, douce et presque murmurée, rappelle le plus souvent Harriett Wheeler des Sundays. A son actif 4 Eps et un album (« Wednesday »), sorti en 2018.
Dès le début du set la batterie cogne sec et percute. Toute la salle vibre sous le martèlement hypnotique, tribal du drummer. Oscillant entre post punk et shoegaze, la musique nous plonge au sein d’un univers tour à tour paisible ou corrosif, sis à la croisée des chemins de Beach House et de My Bloody Valentine. En général, la musique est construite sur une forme de crescendo atmosphérique, tendu et troublant, sur lequel la ligne de basse ondule. Mais lorsque Dave Noona, l’un des deux gratteurs, se fend d’un hurlement féroce, les deux sixcordistes explosent le mur de son. Une puissance viscérale qui contraste avec l’attitude imperturbable, presque glaciale de Katie. Et pas davantage d’interaction entre le public et le combo, qui semble cultiver cette distance. Un concert fort intéressant, rappelant la bande à Kevin Shields et tout particulièrement un concert qu’elle avait accordé dans l’ancien Aéronef, rue Solferino, en 1992. Même que le son de Just Mustard était presque (enfin, pas tout à fait, quand même) aussi puissant… (voir aussi notre section photos là)
Après une intro ‘soul’, les cinq membres de Fontaines D.C. grimpent sur les planches. Grian Chatten, le chanteur, salue la foule, mais on ne peut pas dire que ses fringues rivalisent d’élégance. Il a enfilé un tee-shirt de couleur noire XXL et un pantalon de jogging tout aussi extralarge. A contrario du gratteur Conor Curley, tiré à 4 épingles, et qui ne quittera jamais sa veste de tout le show. Pendant que les musiciens entament le set par « A lucid dream », morceau caractérisé par des sonorités de guitare surf, Grian déambule sur les planches en secouant une de ses mains. De loin on dirait qu’il cherche à se débarrasser d’un adhésif resté obstinément collé sur les doigts ; mais en fait, il s’agit d’une clope électronique qu’il manipule compulsivement (de couleur grise, merci Ludo). Un tic qu’il reproduira régulièrement tout au long de la soirée. Et puis, sa morgue évoque plutôt Liam Gallagher ; d’ailleurs quand il est face au micro, on dirait qu’il toise l’auditoire, une main dans le dos, alors que ses inflexions vocales hésitent entre celles de feu Mark E. Smith et de Damon Albarn. Imprimé sur un rythme modulaire et percutant, « Sha Sha Sha » rappelle curieusement The Clash. Une sèche et une fuzz alimentent « Jackie show the line », moment choisi par le light show, suspendu, au plafond, de reproduire des flammes oranges qui (re)montent et (re)descendent. Le public reprend en chœur les paroles du single « I don’t belong », démarche qu’il va régulièrement entreprendre sur les titres les plus connus. Chatoyantes, brimbalantes, les six cordes chamarrent littéralement « You said ». Une intensité électrique en crescendo digne des premiers albums de Radiohead inonde « Television screens », alors que la basse de Conor Deegan III trace une ligne gothique. Tom Coll (NDR : si Chatten paume sa cigarette électronique, il pourra toujours lui refiler du papier collant) imprime un tempo tribal à « Chequeless Reckless ». Les gobelets de bière voltigent dans les airs (NDR : et pourtant, ce n’est pas la St Patrick ; d’ailleurs, comme les Anglais, les Irlandais ne gaspillent jamais la bière : ils la boivent, même chaude !) L’ambiance monte d’un cran pendant « Television screens », alors que l’un ou l’autre téméraire se lance dans le crowdsurfing et qu’un fan apparemment surexcité, juché sur les épaules d’un comparse, brandit un drapeau irlandais. A mi-parcours de la ballade nostalgique « I love you », Chatten se met à déblatérer à une cadence soutenue, une compo qui, à son issue, déclenche une grosse clameur dans la fosse. Régulièrement, Grian tente d’enfoncer son pied de micro dans le plancher (NDR : aurait-il trouvé du pétrole ?) Et tout particulièrement pendant l’incendiaire « Too real », moment choisi par O’Connell pour faire une incursion rapide au sein des premiers rangs. Ode à la jeunesse, « Roy’s tune » permet au band de souffler quelques minutes. Les grattes alternent moments atmosphériques, réminiscents du Cure, et jaillissements acides, tout au long de « Stinky Fia », le titre maître du nouvel opus, alors que la voix de Chatten est trafiquée par un filtre vocodeur. Bref, mais tribal et fulgurant, « Big » est sculpté dans le punk rock. Et le set de s’achever par « Boys in a better land », un peu comme si Chatten prononçait un sermon face à une congrégation acquise à sa cause mais particulièrement réactive face à face à son discours ; et le tout sur un rythme insidieusement calqué sur le « Gloria » de Them, une formation irlandaise légendaire, mais du Nord, dont le leader, Van Morrison, né en 1945, se produit toujours sur scène, mais sous son propre nom ! (NDR : et pour l’anecdote, sachez que Grian a récupéré le drapeau…)
Fontaines D.C. se fait désirer pendant de nombreuses minutes, et finalement décide de revenir sur l’estrade. Il attaque d’abord le rythmé « Here’s death », embraie par le punk rock tribal et débridé « Hurricane laughter », un titre traversé de larsens, au cours duquel Chatten susurre des ‘ssss’, tel un serpent à sonnettes, puis ose un bref bain de foule, avant que Carlos O’Connell, le guitariste le plus déchaîné, ne se lance dans un crowdsurfing, sur dos, tout en jouant de la gratte. Le concert s’achève par « Nabokov » une nouvelle compo (NDR : elle figurera sur l’album « Stinky Fia ») qui se réfère probablement à Vladimir Nabokov, écrivain russo-américain auteur, notamment, du roman polémique « Lolita ».
Un excellent concert, au cours duquel les musicos ont fait preuve d’une grande maîtrise, même si on a eu l’impression que hormis O’Connell, ils n’ont jamais puisé dans leurs réserves. Début de tournée ? Peut-être ! N’empêche on est probablement occupé d’assister à l’éclosion d’un futur monstre sacré de la rock music (70 ans d’existence, quand même !) Et puis, pourquoi pas, vu le patronyme, il pourrait servir de fontaine(s) de jouvence à cette scène en pleine expansion, mais soigneusement reléguée dans la zone crépusculaire de l’underground. A tel point que sa future tournée pourrait passer par des salles du calibre du Zénith ou de Forest National. Mais seul l’avenir nous l’apprendra…
(Voir notre section photos ici)
(Organisation : l’Aéronef, Lille)
Setlist
A Lucid Dream
Sha Sha Sha
Jackie Down the Line
I Don't Belong
You Said
Television Screens
Chequeless Reckless
Televised Mind
I Love You
Too Real
Roy's Tune
Skinty Fia
Big
Boys in the Better Land
Encore:
Hero's Death
Hurricane Laughter
Nabokov
(Merci à Guy et Ludo)