Annoncé depuis quelques années déjà, le déménagement du festival liégeois vers un autre emplacement semble inéluctable.
Dixième et donc dernière mouture sur les bords de Meuse, ici, à l’extrémité Nord de la cité Ardente.
Un Parc Astrid qui aura vu du beau monde. Imaginez !
Siouxie, PIL, Iggy Pop, Pavement, Bashung, Massive Attack du côté des légendes, Pharrel Williams (avec NERD), 50 cent ou encore Indochine pour les grosses pointures, sans compter les génies oubliés, les surprises de taille, les cocasses, les ridicules (et ici je vous laisse le soin d’établir votre propre liste qui risque de ne pas être exhaustive)…
Bref, en dix ans, les Ardentes ont grandi ; et si leur politique d’ouverture (quitte à faire le grand écart, tout de même) ne leur a pas valu que des louanges, le constat est flagrant : ce festival s’impose aujourd’hui dans le paysage belge comme l’une des valeurs sûres.
C’est pourquoi, dès l’an prochain, les festivités se dérouleront dans un tout nouveau cadre, certainement sur des hauteurs plus propices au bon sommeil des riverains nichés au cœur de la ville.
En attendant, cap sur la deuxième journée, qui comme lors des précédentes éditions, marque le début d’un rythme de croisière.
Comme chaque année, une troisième scène s’ouvre dès le vendredi.
Les organismes sont donc mis un peu plus à l’épreuve, tandis que les temps morts se languissent dans les coins, à l’ombre.
Point d’ombre cependant pour Hanni El Khatib, en ce début d’après midi, programmé sur la Main Stage.
Chemise à pois, Telecaster en bandoulière, lunettes vissées sur sa paroi nasale, il attaque le soleil de face par « Moonlight », fantastique morceau de son dernier LP.
Sortir de leur torpeur les quelques centaines de curieux venus cuire sous l’astre de feu ne semble pas effrayer notre homme, qui peut, du reste, compter sur quelques fans lui apportant leur soutien.
Énergique en diable et admirablement épaulé par ses comparses scéniques, Hanni assure un set plein de vigueur, similaire à celui accordé au Botanique quelques semaines auparavant.
De quoi l’auréoler dans mon chef des lauriers du premier bon concert de cette dixième édition (NDR : il est vrai que je suis arrivé trop tard pour Paon et Fugu Mango dont le potentiel était très susceptible d’arracher ce titre à quelques minutes d’intervalle).
Ma monture lancée à bride abattue, je fonce dès la dernière note vers le HF6 et son toit de taule, miroitant au soleil comme un lointain mirage.
Dans ses volutes fantomatiques, j’aperçois l’ombre désincarnée de feu Bashung, dont un pan d’âme est resté accroché ici même, une nuit de deux mille huit.
Une présence planant tout au long du concert de Feu ! Chaterton, puisqu’il existe des similarités, qu’on ne peut nier, entre les deux univers.
La prose élégante et le verbe gracile mêlés à la fougue des guitares.
Les envolées poétiques en contrepoint d’un ravageur tempo ou sourdent les échos de lointains naufrages.
La tête de proue, c’est Arthur, chétif petit homme dont se demande s’il franchira ces tempêtes qu’on devine dès les premiers accords de « Fou à lier » et qu’on pressent néanmoins comme le gouvernail de son band.
Et de fait, alors que le crachin cède le relais à la furie d’éléments ô combien contrôlés, il ne fait plus aucun doute que ce petit bonhomme porte sur ses frêles épaules, la puissance de feu qui nourrit l’électricité ambiante.
Sorte de catalyseur apparemment indifférent aux mouvements opérés autour de lui.
Contraste saisissant entre cette mince silhouette, habitée par mille tourments et ce ballet incessant de musiciens sous haute tension.
Si la fièvre de Feu ! Chaterton couve bien mieux dans des endroits plus appropriés (on rappellera si nécessaire que la qualité du son du HF6 n’offre pas les meilleures conditions en ‘live’), il ne fait aucun doute que son leader a le don de prendre le spectateur par la main, afin de l’emmener au sein de son univers baroque.
Placé sur un autre plan astral, cet Aznavour de poche, à la coquette moustache, prend une envergure scénique, qui le transforme en Atlas tout-puissant.
Chaque titre est présenté longuement, avec force détails, expliquant la trame de la chanson, de manière à ce que l’auditoire puisse pénétrer au cœur de celle-ci.
Ici dans la Pinède pour la mort de l’innocence, là sur le Costa Concordia, pour couler dans la détresse.
C’est certes enlevé, un brin théâtral, mais jamais ridicule et toujours imprégné d’une réelle authenticité.
Et donc à revoir dans des conditions optimales.
Reste donc dix petites minutes pour traverser la plaine (heureusement qu’il existe des passages secrets que seuls certains types de bracelets peuvent ouvrir !) et je me retrouve devant Temples qui s’apprête à livrer un set qui au final, restera largement en deçà de que j’attendais. Surtout vu les prestations auxquelles j’avais pu assister précédemment.
La faute à qui ?
À la chaleur ?
Au public assoupi par ces conditions climatiques plus propices à la Bossa Nova ?
Ou à la mollesse du band qui s’exécute sans réel enthousiasme (et peut-être justement à cause de ces deux raisons).
Quoi qu’il en soit, jamais le concert ne décollera et si « Sun Structures » et « Shelter Song » sont indéniablement des morceaux diaboliques, il aurait fallu plus de conviction dans leur interprétation.
Rendez-vous donc devant BRNS, même si je rate l’entame et son pétillant « Mexico ».
Pas grave, me dis-je, peu motivé à l’idée de revoir ce groupe pour la énième fois en quelques années.
Oui, mais voilà.
J’ai bon manquer d’entrain à chaque fois, le constat est manifeste : je suis invariablement estomaqué par le talent de cette formation.
J’ai beau m’attendre à quelque chose de prévisible, BRNS arrive systématiquement à me surprendre.
L’apanage des grands groupes ?
Plus puissant, plus en place que jamais (si c’est un leurre, c’est un magnifique tour de passe-passe), le combo dépasse de loin son envergure actuelle.
Je le quitte donc en me promettant de ne plus faire la même erreur la prochaine fois...
Si les ballades à rallonge de Tom McRae et les saynètes décalées de Baxter Dury ne suscitent pas en mon for intérieur le même enthousiasme, j’apprécie tout de même ces moments de détente en buvant quelques bières et profitant de l’ombre de l’Aquarium, avant de retenter la grande traversée diagonale où m’attendent les vieux brisquards de De La Soul.
Si leur retour au devant de la scène pouvait étonner, voire effrayer, le show de ce soir avait de quoi faire taire les plus sceptiques.
À peine plus ridés que quand je les ai découverts en 89, grâce cette pierre d’achoppement constituée par « 3 feet High And Rising », ces icônes de la Old School démontrent avec vigueur et panache leur rôle prépondérant au sein de la production Hip Hop contemporaine.
Versions revisitées et classiques revêtus de neuf, De La Soul fait encore le poids et remet en place bien des préjugés.
Autour de ses trois membres, toujours aussi verts et dont le plaisir de jouer, semble-t-il, est resté intact, s’articulent un Big Band cinq étoiles.
Un moment particulièrement agréable qui a le bon ton de faire oublier le semblant de fatigue qui semblait me menacer.
Remis d’aplomb et l’alcool dilué dans cette bonne humeur, les conditions optimales sont donc réunies pour retrouver dEUS.
Exit en effet La Roux (la faute à De La Soul !) et place à Tom Barman et ses sbires.
Resté sur une impression assez mitigée l’an dernier sur la grande scène de ces mêmes Ardentes, je vais renouer l’espace d’une heure avec la magie du groupe.
Si je reste persuadé que les plus belles années de dEUS sont derrière lui et l’osmose du band s’est évaporée au fil du temps et de ses nombreux départs (pour rappel, il ne reste plus du line up initial que Klaas Janzoons et Tom Barman), le spectacle de ce soir m’a quand même permis de replonger dans le souvenir…
Nostalgie, certes, mais empreinte d’électricité.
Les éléments qui font cette fois la différence ne m’apparaissent pas clairement.
Car dans le fond, le set proposé en forme de ‘Best Of’ est relativement similaire à celui de la dernière édition.
La bonne volonté du combo n’ayant jamais été remise en question, la distinction se résume sans doute dans certains petits détails.
Qui pour l’heure se refusent à ma mémoire.
Mais l’essentiel est dans le résultat. Soit un concert impeccable qui a ravivé la flamme du fan initial, né un soir, il y a plus de vingt ans déjà, dans un petit café de cette même ville ardente.
Enjoué et galvanisé par cette chaleureuse étreinte, je fais route pour décerner la palme d’or de la déception millésimée Ardentes deux mille quinze ; soit Oscar & The Wolf.
Déjà passablement agacé par la tournure que prennent les événements depuis que Dieu sait qui dans leur entourage s’est mis en tête de saper Max Colombie comme une diva et de saper par la même occasion la magie du groupe, en une heure, je vais me rendre compte de l’étendue des dégâts (déjà largement apparue lors de leur mégalo show du Pukkelpop l’an dernier).
Mettons nous d’accord d’office : j’estime que le potentiel du combo est énorme et la voix de son leader un bijou d’exception à dimension internationale.
Qui plus est, entouré de musiciens hors pair, Max, ainsi grimé en Oscar peut crier au loup tant qu’il lui chante.
Cette seule combinaison de talent devrait amplement suffire à les démarquer dans la masse médiatique, mais aussi le registre de qualité.
Alors, qu’est-il arrivé à Oscar et son loup ?
De qui émane cette idée de surabondance ?
Si l’album « Entity » reste un bon album au demeurant, la fragilité de « Summer Skin » (produit par Robin Propper Sheppard de Sophia pour l’anecdote) semble avoir laissé la place à un glacis qui dessert fortement le propos.
Un constat mis en lumière sur les planches par un show laser inapproprié, un jet de confettis ridicule et un costume de scène trop grand pour Max (au propre comme au figuré).
Si l’incroyable suavité de la voix reste perceptible au travers de ce jeu de grandiloquence qui semble lui avoir été imposée, toute la subtilité a été radicalement effacée pour laisser place à un spectacle disproportionné où la musique ne trouve même plus ses repères.
S’ensuit un concert d’une incroyable fadeur, sans aucun relief, perclus de fautes de goût, même pas imputables au band lui même, qui lui aussi semble perdu dans cette débauche d’effets.
Reste le quidam, à qui toute cette poudre aux yeux laisse miroiter l’effervescence d’un grand show et préfère sans doute ignorer cet incroyable talent qu’on étouffe dans ce jeu de surenchère.
Bon, d’accord, je ne vais pas jeter la pierre à Pierre… Pardon ! Oscar. Mais voir un tel potentiel se cristalliser dans l’insipide a de quoi énerver.
Et en plus, ils étaient en retard !
Du coup, le temps de se farcir le chemin inverse Main Stage vers HF6, The Avener avait fini, bouclé, remballé.
Trop accablé pour refaire marche arrière et peu enclin à enflammer la pelouse du parc de mes superbes déhanchés, je fais donc l’impasse sur Paul Kalkbenner venu spécialement en jet d’Ibiza pour dérouiller mes genoux et m’en vais reposer mes membres en vue d’une nouvelle journée de festivités.
Organisation : Les Ardentes.
(Voir aussi notre section photos ici)