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Charlotte Plaideau

Charlotte Plaideau

mardi, 04 novembre 2008 02:00

Is it the sea

Ecrire sur Bonnie Prince Billy, c’est plonger à corps perdu dans une œuvre prolixe. C’est tenter de trouver du sens à une personnalité dispersée jamais rassasiée, à une carrière protéiforme et une discographie tentaculaire (30 albums et EPs en 8 ans); c’est se confronter à une inspiration sans fin et des collaborations improbables (Sage Francis, Tortoise, Johnny Cash), à des pseudonymes sans cesse renouvelés (Palace Brothers, Palace Music, Palace, Will Oldham, Bonnie Prince Billy), à des interviews alternant le mutisme total et la provoc ( ‘Se masturber n'était pas vraiment un plaisir, c'était plutôt une pratique, un exercice, exactement comme écrire des chansons’). C’est enfin s’arracher les cheveux pour comprendre comment cette dispersion chronique peut s’évanouir dans un son tellement dépouillé, intimiste, univoque. Comment cette imprévisible figure –pour ne pas dire exécrable– parvient à démêler les écheveaux de sa multiplicité – pour ne pas dire prétention - ? Voici le mystère majeur de cette figure tutélaire du country-folk américain (NDR : même si l’intéressé se cabre instantanément devant une telle catégorisation de sa musique).

« Is it the sea ? » n’échappe pas au paradoxe Will Oldham. Cet enregistrement ‘live’ immortalisé par la BBC recrée admirablement cette émotion tremblante mais indécollable qui nous hante depuis des années. Pour éviter le coup imposteur des reprises du fond du tiroir, les morceaux bénéficient pour l’occasion des cordes et drones de l’Irlandais Harem Scarem ainsi que des percussions en dentelle d’Alex Neilson. Mais en filigrane, le paradoxe est intact. Chaque morceau, aussi transfiguré soit-il, reste frais et suranné, doux et rude, souriant et mélancolique, poli et usé. Et toujours ce timbre irréductible, invariable, indélébile, auquel on n’en finit pas de se raccrocher. Désespérément. Ou plein d’espoir. On ne sait jamais trop quelle émotion l’emporte mais on n’en mène pas large. Difficile dans cette hébétude de savoir si cette énième sortie sonne creuse ou purement commerciale. On laissera au Prince ténébreux le bénéfice du doute pour célébrer encore et encore ses épopées désarmantes.

 

mardi, 29 septembre 2009 21:27

Wooden arms

En quelques secondes le décor est posé. Il doit chanter les yeux fermés, tant ses textes déroulent des rêves à l’infini. Sa voix chuchotée caresse un monde féérique où le vent souffle et les chœurs glissent sur les montagnes. Les paysages s’étirent à perte de vue mais dès lors qu’on apprend sa participation au dernier disque de Cinematic Orchestra (« Ma fleur » paru en 2007), on ne s’étonne plus de ces sons devenus plus imagés que jamais. Assez en tout cas pour tomber sous le charme de Wooden Arms à travers ce dedans profondément incarné et vivant. Car si cet album évolue au-delà de la beauté contrôlée du précédent « Close to paradise », c’est aussi par une effervescence magique, débridée et joliment fourre-tout. A pas de loup, le magicien étire ses rondeurs, tour à tour, sur un piano envoûtant (« Drifters »), un banjo, une harpe lascive et des percussions improvisées. Rien n’est laissé au hasard ; roue de vélo, casserole, branche, ventouse, claquements de tiroirs, du tout et n’importe quoi pourtant tellement bien à sa place. Patrick Watson ou les errances qui toujours aboutissent ; on apprivoisera sans heurts cette boîte de Pandore.

Sensuel, il l’est toujours à souhait, surtout accompagné de la voix de Lhassa, invitée furtive d’un étonnant morceau doux et hivernal à la fois (« Hommage »). On reste un peu plus perplexe devant son décor cabaret et fumée bleutée (« Travelling salesman ») ou son ambiance hantée et saturée (« Down at the beach »). Mais après avoir croulé sous le romantisme assassin du morceau « Wooden arms », on est prêt à subir n’importe quelle expérimentation pourvu que cette voix hypnotique continue de nous souffler doucement dans le cou.

 

mardi, 08 septembre 2009 03:00

Death and Entrances

My Latest Novel avait surpris en 2006, en concoctant un bel album indie, lyrique et déconstruit à souhait, que l’incroyable morceau « When we were wolves » élevait vers les cimes. La suite est moins heureuse pour « Death and Entrances ». Rien ne manque pourtant à l’appel ; le timbre profond qui rappelle Matt Berninger (The National), les nappes embrumées, un violon langoureux et ces chœurs en crescendo qui font les merveilles d’Arcade Fire. Malheureusement, ici la grandiloquence ne prend pas son envol. Beaucoup de bruit pour rien. C’est toujours quelque part trop ou trop peu. La voix trop émo, le son trop saturé, la ballade trop lente, les chœurs trop poussés. Ca sonne faussement romantique. On se délaye dans l’attente de quelque chose qui n’aboutit jamais. L’ennui prend le pas et c’est irrécupérable.

 

mardi, 25 août 2009 23:24

Actor

Eclectique aux yeux vert émeraude, Annie Clark caresse du baroque et séduit en glamour tout en martelant des beats électro pas toujours orthodoxes. La douce voix et la stature fluette ne font pas long feu, car très vite la dentelle est mise en miettes sur le dancefloor. On peut aisément rester pantois devant cet alliage iconoclaste qui sonne parfois comme le sabotage d’une beauté trop pure, à l’image de la paire de ciseaux sur la chevelure de Sinead O’ Connor. On ne sait définitivement pas sur quel pied danser ; mais n’est-ce pas typiquement d’époque ? Les patrons volent en éclats, un peu à la façon Goldfrapp, où la belle est aussi instantanément la bête. Et de cet oxymore frémissant surgit la postmodernité. Ainsi dressé, le décor paraît plus digeste ; on peut alors accepter de se faire bercer par à coups, apprécier le chant de l’oiseau sur fond de synthé, la candeur d’un geste balayée, la douceur redressée, les ritournelles romantiques déconfites devant des sons saturés (« Black rainbow »). On s’accordera toutefois le droit de la préférer sans le masque grimaçant, lorsqu’à partir d’un la, elle glisse doucement sur une seule note, comme sur « The Bed » ou « The party ». Mais si Annie Clark souhaite à tout prix se nourrir du kaléidoscope postmoderne, il n’y a plus qu’à s’accrocher à son visage angélique et attendre la prophétie.

 

mardi, 14 juillet 2009 23:28

Blue Roses

Blue Roses est une petite merveille insoupçonnée, que n’augure ni son nom ni sa pochette dénués de caractère. De l’intérieur, c’est pourtant le repère d’une multi-instrumentiste à la voix de velours. Laura Groves s’enrobe aussi aisément d’un piano enjoué que d’une guitare caressée du bout des doigts. L’album se déroule dans un naturel fascinant ; les vocalises se superposent en vagues soyeuses, se couvrent tantôt de claquements de mains tantôt d’un xylophone éthéré pour tracer tout droit le chemin vers cet univers résolument onirique. Sur ces arrangements impeccables, chaque envolée vocale, chaque note de piano semble délicatement soupesée (à l’exception peut-être du synthé incongru empiétant sur « I’m leaving »). En fait, ce folk féminin ne tombe dans le piège ni de la candeur ni de l’imitation.

On ne dissimulera pas la comparaison avec Laura Veirs, tant elle éclate au grand jour. Mais ce n’est que pour mieux faire l’éloge de la novice, à qui il n’aura pas fallu les cinq albums de la New-yorkaise pour se hisser jusqu’à une telle perfection. Et pour façonner ce plongeon renversant sur « Rebecca », à 2 min 31’, qui transforme instantanément en extase les derniers frissons contenus.

 

mardi, 30 juin 2009 16:42

Piégé par le net

Aucune question, aucune réponse n’épuisera l’univers foisonnant de « Veckatimest ». Aucun mot ne décrira avec justesse ce travail d’orfèvre, si ce n’est : écoutez-le. Dix fois, cent fois, mille fois. Déversez-vous entièrement. Et peut-être lorsque vous en aurez caressé les moindres saillies, ressenti les fiévreux vertiges ; lorsque vous aurez été à l’écoute de cette mise en abîme mystique ; que ces voix entremêlées auront conté leurs histoires épiques, que ces chœurs lancinants auront ensorcelé, que les crescendo auront percé les nuages, que l’autour se sera émietté devant la grandeur du maître. Lorsque la douceur psychédélique aura enveloppé ce qu’il vous restera de lucidité. Que vous aurez frissonné de ces mélodies en écho soufflées par le vent. Que submergés, désintégrés, il n’y aura d’autre choix que de recoudre les lambeaux et reprendre la route. Alors, les mots, le jugement, la description prendra un peu de sens. Quoique ! Réécoutez-le encore une fois. A l’envers. Ailleurs. Autrement. Et peut-être après…

Dans quel état d’âme étiez lors de l’enregistrement ?

Chris Bear (batteur) : On a essayé d’entretenir une ambiance vraiment très relax, la plus spontanée possible. Pour cet album, on a uniquement œuvré, animé par une véritable volonté de s’y mettre et lorsqu’on était vraiment dans l’humeur. Alors que pour « Yellow House », on s’est mis une pression terrible. Je ne comprends pas pourquoi puisqu’il n’y avait pas d’échéance ; mais en tout cas, on s’était imposé une deadline. Maintenant, il est vrai que nous devions partir en tournée ; et on voulait terminer le disque avant cette date. On a donc voulu éviter de travailler dans la précipitation pour ce nouvel album.

Vous avez travaillé par paires, il me semble ?

C.B. : Oui, nous avons essayé toutes sortes de combinaisons. Ed et moi pour « Two Weeks ». Chris Taylor et moi avons jeté les bases de quelques morceaux. Daniel était absorbé par le projet Department of Eagles ; et comme j’avais déjà enregistré les parties de batterie, j’étais plus libre. Au final, dans le travail de création, j’ai pas mal bossé en compagnie d’Ed.

Et vous avez choisi trois endroits différents pour réaliser ces sessions ?

C.B. : La première partie de l’album a été entamée dans une sorte de grand manoir. On était tous très isolés les uns des autres et on pouvait crier bien fort sans s’entendre. C’était un bon début. Mais nous n’y avons réellement rien concrétisé. Puis, quand on est arrivés à Cape Cod, on a commencé à enregistrer les guitares et les parties vocales. C’est un petit cottage qui appartient à la grand-mère d’Ed. Un petit îlot de beauté. Une presqu’île sur la côte Est des Etats-Unis avec des rochers et la mer. Il fait un peu froid le soir ; et si je me souviens-bien, on entend le craquement du bois sur « Dory ». Et de vivre au milieu de cette nature nous a rendu le boulot plus confortable, nous a détendus. Un tel espace influence vraiment la création. Le grand manoir en bois était très différent. D’un point de vue acoustique aussi. Enfin, les deux premiers morceaux, dont le single « Two weeks », ont été entièrement mis en boîte dans une Eglise, en deux semaines. Puis nous sommes partis en tournée avec Radiohead, avant de revenir à Cape Cod. Au fil de la tournée, on a réalisé qu’on maîtrisait de mieux en mieux les morceaux. En rentrant, on a adopté la même approche ; mais le tempo s’était équilibré. En fait, les compos étaient devenues un peu plus rapides. Un changement d’apparence mineur, mais une belle différence quand même.   

Existe-t-il une volonté collective dans l’écriture des lyrics ? Où est-ce à chaque fois une narration purement personnelle ?

C.B. : Nous débattons peu des textes. Par de façon spécifique en tout cas. Je suis incapable de t’expliquer le sens profond de chaque chanson. Le dialogue est ouvert. On n’évite pas le sujet, mais chacun d’entre nous en fait une interprétation personnelle. Et on se laisse cette liberté. En ce qui me concerne, je ne prête pas beaucoup d’attention aux lyrics. Une vraie bonne parole, j’aime bien, mais sinon…

Quoi en particulier ?

C.B. : Par exemple, j’aime beaucoup les textes de Beach House. J’ai vraiment été séduit par leur dernier cd. Leurs nouvelles chansons sont très très passionnantes ; et puis j’aime aussi beaucoup les derniers trucs de Dirty Projectors. Leur lyrics m’ont frappé ; sans doute parce qu’ils me touchaient personnellement. Pour le reste, j’estime que les paroles ne constituent pas la dimension principale de notre musique.

Le nouvel elpee épouse un profil plus psychédélique. Plus proche de Department of Eagles. Surtout « Dory » et « Hold still ». D’accord ?

C.B. : Totalement… Et en particulier « Hold still » et « Dory ». Le toucher de guitare de Daniel est beaucoup plus présent. Mais ce n’est pas un hasard puisque les deux morceaux ont été enregistrés au cours de la même quinzaine. Effectivement, Ed et Daniel partagent le chant sur « Dory ». Daniel au début ; et Ed reprend la section suivante. Pour cette compo, Daniel a d’abord dessiné les lignes de guitare. Ed disposait de ‘chœurs’ qu’il avait préenregistrés. Ils ont apporté leurs contributions. Et c’est de cette concertation mutuelle que le morceau est né. C’est vrai que la tonalité fait très ‘Daniel’...

Mais comment faites-vous pour bien distinguer les projets Grizzly Bear et Department of Eagles ?

C.B. : Grizzly Bear est en évolution constante. Le style a beaucoup changé depuis les débuts. Le groupe offre une dimension plus flexible, alors qu’« In ear Park » réunit au départ des morceaux d’Ed, de Daniel et de Chris. Bon, tout est relié à Grizzly Bear ; mais par exemple, l’ancien répertoire de Department of Eagles est totalement différent ! Les morceaux de Daniel font davantage partie d’un concept ; et il aurait été inopportun de les mélanger avec ceux de Grizzly Bear. Et puis je crois que Grizzly Bear avait aussi envie de prendre une pause ; et même si on a fini par jouer à nouveau beaucoup ensemble pour Department of Eagles, c’était différent. Je ne devais pas être présent tous les jours. Il était possible de prendre du recul, car il y avait une vision très claire de l’objectif à atteindre. En fait, Daniel est arrivé avec déjà presque toutes les chansons ! Alors que le nouveau Grizzly Bear voulait être le fruit d’une collaboration optimale entre tous les musiciens ; au sein d’un univers où on créerait les morceaux petit à petit, dans une évolution qu’on allait tous vivre. Mais il est sûr que je ne pense pas nécessairement d’une façon complètement différente quand je joue pour Department of Eagles ou Grizzly Bear…

Il paraît que votre album a ‘leaké’ très vite ? Connais-tu l’origine de ces ‘fuites’ ?

C.B. : Après avoir terminé les sessions d’enregistrement, on a envoyé les maquettes au mastering. Le produit fini était prêt pour être envoyé et reproduit dans les dix jours ; et c’est à ce moment-là que j’ai reçu un message d’Ed m’informant que notre disque avait ‘leaké’. Je me suis dit que le phénomène avait quand même été rapide. Parce qu’en général quand ça ‘leake’, c’est suite à l’envoi d’un ‘advanced cd’ à un magazine musical. Quelqu’un tombe dessus par hasard et décide de le poster sur internet. Je ne sais pas quel est son but mais bon… Ca arrive. Or, aucune promo n’avait encore été transmise à qui que ce soit. Donc j’ignore d’où vient la fuite…

Du mastering ?

C.B. : Non impossible… j’ai mes suspicions à ce niveau. Mais bon, de toute façon, ça n’a pas d’importance. Il n’y a plus rien à faire. C’est trop tard. N’empêche, on pourrait comparer cette situation au monde du cinéma. Quelqu’un prend un temps fou pour réaliser un film, y consacre des années de tournage, le peaufine pour qu’il soit superbe sur grand écran ; puis, il constate qu’il est posté sur Youtube sur un écran de 10cm x 10cm. Et en ce qui nous concerne, on concentre tous nos efforts pour bien le mixer, le mettre joliment sur des ‘analog tapes’ ; et puis tu découvres qu’il est disponible sur internet via des téléchargements numériques au son pouilleux [crappy download].

Mais franchement, votre public n’est pas vraiment celui qui écoute votre musique par ‘crappy download’ ?

C.B. : C’est aussi ce que je pense donc ; ceux qui veulent l’apprécier à sa juste valeur, l’achèteront ou le téléchargeront sous une forme de bonne qualité. Et ceux qui veulent juste downloader n’importe comment ne changeront pas de méthode. Que ce soit maintenant ou plus tard, c’est la même chose. Maintenant, si certains avaient très envie de l’entendre et ne pouvaient plus attendre, je peux encore le comprendre. M’enfin, on s’est dit c’est arrivé ! Que peux-tu faire ?

Que vous ont apporté les périples accomplis en compagnie de Radiohead, Beach House et Feist ?

C.B. : Se produire en première partie de Radiohead était évidemment impressionnant. Il n’y a pas un jour où on n’a pas regardé leur set! Et ils changeaient le show chaque nuit ! Johnny est vraiment super cool, c’est clairement une idole ! Maintenant, je crois qu’on a appris des deux ; autant d’ouvrir pour des groupes, que de faire la première partie. C’est pas qu’on a changé nos chansons mais je crois qu’on a dû adapter notre répertoire. Par exemple, pour Radiohead on n’aurait clairement pas interprété les morceaux calmes. Genre « Hold still »,  devant 20 000 personnes qui commandent des bières. Je crois que pour un groupe de notre taille, ça aurait été triste. Mais lors des shows de Feist, on a dû privilégier les compos calmes ; car l’ambiance était plus théâtrale, la foule plus paisible. Ce n’était pas un concert de ‘rock’. Le groupe réagit autrement et donc nous sommes amenés à jouer dans un autre registre. Et pour TV & The Radio, forcément on a joué beaucoup plus fort ! On cherche toujours à amener une énergie similaire. Donc ce travail est très intéressant : apprendre à reconnaître celui avec qui tu joues et, en fonction, trouver le registre approprié.

C’est plus gratifiant de jouer en puissance pour un batteur, non ?

C.B. : Plus fatiguant en tout cas ! Franchement, quand j’ai réécouté les enregistrements de ces concerts, je me suis vraiment demandé comment j’avais pu frapper ainsi. Je ne me rappelais pas qu’il était possible de jouer si vite et si fort !

Où allez-vous ensuite ?

C.B. : Demain on retourne à New-York. A la maison… J’espère qu’il fera aussi beau qu’ici !

 

jeudi, 04 juin 2009 03:00

Des Clash aux Cold War Kids

Les questions bouillonnent à l’approche d’une rencontre pour ‘remettre les points sur les i’. On ne peut que vouloir comprendre les critiques assassines, assénées sans répit par Pitchfork, aux quatre Californiens, depuis leurs débuts. A travers leurs langues de vipère, elles résonnent, cinglantes et sans appel. Les Cold War Kids ne feraient donc que du ‘pastiche poli qui insulte l’intelligence des amateurs d’indie-rock’ ? Du son de ‘boy-scout’ ? Du ‘storytelling superficiel’ ? Il y a de quoi s’étonner d’une telle hargne alors que les autres avaient encensé –avec raison– « Robbers and Cowards » (2007) et préludaient un avenir tout aussi radieux à « Loyalty to loyalty » ; surtout que ce nouvel album, derrière des mélodies en apparence moins indélébiles et plus décousues, dévoile en profondeur un ton plus mûr et décomplexé. Certes, il faut aimer encore et toujours cette voix poussée à l’extrême dans les aigus; s’accommoder de cette allure brouillonne et chiffonnée, de ce côté touche-à-tout de l’accent blues du terroir, de ce riff de rock crasseux. Mais quand on dit pleinement ‘oui’, l’énergie devient carrément contagieuse et les refrains se vident de leur contenu pour imposer leurs formes, bousculer les endormis, rappeler à la vie. Impressions recueillies auprès du chanteur/pianiste/guitariste Nathan Whillet et du bassiste Matt Maust.

Le patronyme ‘Cold War Kids’ s’inspire de ton website ?

Nathan Willett : oui, je me suis occupé d’un website pendant quelques années. Il permettait à mes proches d’exprimer toutes les formes de leurs expressions artistiques. Comme le contenu était alimenté par cet éventail aussi large de collaborateurs, tous les membres du groupe s e sont identifiés, comme lieu de création. Une idée traduite en création ‘collective’.

J’ai l’impression que l’atmosphère du premier album était plus uniforme, alors que « Loyalty to loyalty » se révèle plus éclectique ? Intentionnel ?

N. : Ce n’est pas étonnant, car on a enregistré ce deuxième album dans plusieurs pièces. Ce qui explique pourquoi les morceaux sonnent différemment. Après réflexion, ce n’est pas un hasard si on a opté pour cette formule, car c’est vraiment le chemin qu’on voulait emprunter. A l’instar des Clash, dont le répertoire propose des compos très différentes les unes des autres. Et disons que pour notre second cd, nous avons accompli un petit pas dans cette direction.

Cherchez à appliquer d’autres principes à vos compositions ?

N. : oui. On estime qu’il existe une différence fondamentale entre les groupes qui ‘sont’ leur son et ceux qui sont beaucoup plus grands que leur album, pour le meilleur et pour le pire. Pour ces derniers, c’est l’image qu’on leur attribue ou leur manière de la projeter qui détermine si sa musique est consistante et intéressante. Prend par exemple Neil Young et Tom Waits. Ils enregistrent des albums. Mais ils ont une manière très personnelle de jouer. Surtout sur scène où ils sonnent complètement différent. Aucun des morceaux interprétés en ‘live’ ne ressemble à ceux figurant sur leurs disques. Parce que ces compos on grandi, ont été interprétées. Celles de Tom Waits, des dizaines de personnes, au cours des dix dernières années, les ont adaptées. Mais ces versions n’atteignent pas le phénomène Tom Waits, car son personnage est beaucoup plus fort que ses albums. Et nous, on serait plutôt enclin à adopter une philosophie similaire. Une chose est sûre, vu la manière dont le public parle de nous, nous serions davantage un ‘live band’ qu’un groupe de studio. Sur scène, les morceaux interprétés sont parfois totalement différents de ceux proposés en studio. Certains apprécient, d’autres pas du tout. Mais ce n’est guère important pour nous. Notre ‘live show’ tient la route et c’est un atout important si on souhaite que notre musique grandisse et devienne plus ‘mature’.

Qu’avez-vous évité de reproduire sur ce deuxième opus ?

N. : Notre premier était plus serré, plus dense. Il y avait plus de basse et de batterie.

Matt Maust : en fait, pour le second, on a voulu que les compos respirent davantage, que l’ensemble soit plus aéré.

J’étais surprise de lire à la fois de très bonnes critiques, mais aussi, comme celle émise par Pitchfork, d’autres qui vous descendent carrément. Avez-vous une explication ?

N. : il existe différente causes à ce phénomène. Parce que lorsqu’on est ambitieux, et je pense à un groupe comme les Clash ou à des formations qui sont ‘plus grandes que leur nom’, le public a une réaction plus tranchée. On est pour ou contre. Et puis, on a tellement polarisé son attention depuis longtemps que sans s’en rendre compte on a placé la barre rapidement très haute. Tout dépend de la manière dont les individus découvrent un groupe. En ce qui nous concerne, nous avons été essentiellement révélés par nos concerts et internet. Et c’est totalement différent de quelqu’un qui découvre un groupe par lui-même ou par l’intermédiaire d’un ami. Parce que tu as peut-être moins d’attente. C’est une règle pour tous les groupes ; mais en ce qui nous concerne, cette situation a provoqué une bipolarisation entre ‘ceux qui nous aiment’ et ‘ceux qui ne nous aiment pas’. Alors que lorsque tu entames ta carrière –un acteur, un chanteur– tu voudrais que tout le monde t’aime. C’est même un objectif ! Pourtant quand on a réalisé que l’avis du public était si tranché à notre égard, on en a conclu qu’il avait quelque chose de positif ; car il oblige les gens à avoir une position franche par rapport à ta musique.

Mais revenons à Pitchfork. Leur critique est aussi très contradictoire. Elle attaque beaucoup vos références religieuses. On se demande même si ce n’est pas un règlement de compte personnel !

N. : Nos textes se rapportent souvent à de simples références à la musique pop. Des références qu’on adore. De Bob Dylan à Tom Waits en passant par Leonard Cohen. Il y a toujours un sens spirituel chez ces artistes. Leurs morceaux abordent des thèmes sérieux et fondamentaux. Mais enfermer notre musique au sein d’un concept religieux est très réducteur. Cette réaction s’écarte réellement de la véritable nature de notre musique. Car elle n’est pas religieuse. Elle reflète simplement un éventail de styles que nous aimons. Mais franchement, on s’en fout de ces réflexions, non ? Enfin, les médias, tu sais…
M. : On ne voulait pas édicter un quelconque dogme religieux, mais rappeler quelques principes fondamentaux de la morale. Car aujourd’hui, elle est tellement bafouée. Ou même tout simplement oubliée. Quels groupes s’en soucient encore ? On voulait aborder des sujets un peu plus profonds. Le discours de notre deuxième album a été stéréotypé. Un exemple ? Nous avons osé décréter que boire 73 bières en une nuit, n’était pas vraiment une bonne idée… Cependant, il y a un message un peu plus profond là derrière.
N. : Ces médias prennent leurs cibles pour des idiots. Mais ce sont leurs jugements qui sont stupides. Ils ne se rendent pas compte que n’importe quel bon groupe véhicule des idées intelligentes. J’en reviens au Clash. Leurs messages étaient parfaitement négociés. Et c’est ce que les gens attendent ! Sauf peut-être les ados. Mais toutes les autres générations confondues préfèrent écouter des lyrics qui ont du sens. Autre chose que ces textes qui invitent juste à faire la fête, à prendre du bon temps, parlent de ‘fun’ et de sexe. Et il est dommage que lorsque tu essaies de trouver une alternative, les médias ricanent derrière toi…

 

 

mardi, 07 avril 2009 21:54

With Blasphemy So Heartfelt

La prose épurée de Jessica Lea Mayfield naît au creux d’une succession de hasards. Quelques accords de guitare appris en famille, enregistrés sans moyens dans une chambre et l’un des cent exemplaires pressés arrive aux oreilles de Dan Auerbach (The Black Keys). La voie salutaire du MySpace établit le contact et, presqu’aussi instantanément, un premier huit titres voit le jour dans le studio du mécène. « With Blasphemy So Heartfelt » est la consécration de cette suite fortunée, trop bien engrangés que pour s’être nourri exclusivement d’aléas. Il y a, en effet, chez la jeune Américaine ce petit quelque chose d’intimiste qui séduit dans l’ombre. Cette voix délibérément brute et enrobée de simplicité qui rappelle Alela Diane. Ces compositions uniformes et brumeuses qui patinent en douceur les aspérités de nos pensées. Une myriade de sons pour envelopper cet univers onirique : xylophone, orgue, batterie, banjo… Et enfin, des fils soyeux pour tisser finement les éléments entre eux. Mais il faut reconnaître que la lenteur et le stoïcisme peuvent à la longue émietter l’album. Comme de coutume, on peut en blâmer les 19 ans à peine accomplis et espérer que la maturité fera œuvre de volonté et détermination. En attendant, il faudra accepter que le temps glisse sans heurts sur ce disque un peu trop volatile pour s’affirmer ici-bas.

 

mardi, 07 avril 2009 23:04

Rockwell

Ani Rossi n’a peur de rien. Elle plonge dans le vide, accompagnée d’une voix sur le fil du rasoir, de mélodies difformes, d’un violon dépouillé et de quelques percussions. Enregistré en un jour –dans le studio de Steve Albini– l’album ne cache pas son effet lo-fi, volatil et indécis. La tentative zigzague ainsi entre les gammes et les ébauches sans jamais vouloir prendre parti. Sa singularité : de subites montées dans les aigus, assumées certes, mais aussi légèrement grinçantes dans leurs ascensions vertigineuses. On sent de temps à autre les prémisses d’un style bohème et décousu qui rappelle agréablement Ani di Franco ; toutefois, le plus souvent ces moments restent suspendus dans les airs, désincarnés, dans l’attente d’un point final qui n’arrive jamais. On demeure perplexe devant ces portes qui ne mènent nulle part, devant ces mélodies un instant gracieuses qui finissent par tomber dans l’errance, se disperser, s’effilocher ou se perdre. Peut-être cette valeureuse essayiste estimera son implication incomplète. Peut-être valait-il mieux se tourner vers d’autres tentatives sans queue ni tête, mais un peu moins écorchées.

mardi, 03 mars 2009 21:57

L’idéal

L’idéal est un disque séduisant, dans son tempérament comme sa sensualité. Moins inhibée que sur « Les lys brisés » (2006), Barbara Carlotti impose ici son style, à prendre ou à laisser. Et on se laisse prendre aisément. C’est rétro sans l’être trop, nonchalant sans être négligent. Comme si sa voix chaude glissait doucement sur des mélodies voyageuses. Et pour cause, une production discrète mais impeccable sous l’enseigne toujours plus racée de 4AD (Pixies, Dead Can dance, Blonde Redhead, TV on the radio, etc.).

Les teintes sont ensoleillées, surtout lorsqu’il s’agit de refaire le monde idéal dans des lieux sublimes à lire, en sirotant l’alcool, des textes décadents (“L’idéal”). Même lorsque la belle s’épanche sur la morte saison, la ballade se tire du mélodrame par la chaleur de ses cuivres et l’élégance de sa poésie (“Changement de saison”). Son cœur prend des douches froides (“Bête farouche”), elle est lasse, en a marre d’être seule (“Le chant des sirènes”) mais jamais ces tribulations romanesques ne sombrent dans les travers larmoyants de la chanson française. Les amours déchus reprennent de l’assurance dans à travers des rythmes soutenus, des instrumentations variées et une voix soyeuse mais moderne qui rappelle Stereolab. Même susurrer “Kisses” dans un anglais maladroit lui va drôlement bien. Alors, si piano, violons et chœurs se font la réplique sur une superbe balade (“Vous dansiez”), les dernières résistances tombent instantanément.

Toujours délicate, parfois fantasque, Barbara Carlotti vient ici envelopper nos vies aigres-douces d’ironie et de douceur.

 

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