Un peu d'histoire pour commencer, puisqu'il est plutôt rare d’échouer dans ce pavillon érigé en 1958, à l'occasion de l'Expo universelle.
En tout cas, pour ma part, c'était la première fois.
Un endroit insolite et quelque peu oublié, mais qui a vu défiler quelques grands noms du Jazz tels Benny Goodman, Count Basie, Duke Ellington et Sarah Vaughan, entre autres.
Un magnifique bâtiment qui défie le temps et se voit offrir une seconde jeunesse.
Le temps d'un week-end (et en attendant d'autres programmations toutes aussi excitantes et ambitieuses dans le futur), l'Ancienne Belgique se mettait donc à l'heure américaine.
Au lendemain du concert de BRNS, l'affiche du jour proposait donc un voyage sur deux étages au pays de l'expérimentation et de l'audace intemporelle.
Un fil conducteur qui permettait à des artistes très différents de se retrouver dans ce cadre judicieusement choisi à l'acoustique remarquable (surtout dans la grande salle).
On commence dans le bar où à mon arrivée, Anna Van Hauss Wolf en est déjà à la moitié de son set.
Un univers particulier que j'avais découvert à l'écoute de « Ceremony », un album qui m’avait laissé sur une impression mitigée.
Impression somme toute renforcée ce soir après la prestation de la jeune Suédoise.
Anna Michaela Ebba Electra von Hausswolff de son vrai nom n'est pas très grande (à l'inverse de son patronyme), mais son énergie décuple ses forces sur scène, instaurant une dynamique dont le groupe se nourrit pour insuffler une dimension plus noisy à son petit théâtre de poche.
Mais ces incursions soniques mêlées à d'évidentes aptitudes lyriques (la donzelle possède, il est vrai, du coffre dans une si petite cage thoracique) n'arrivent pas à me persuader outre mesure.
Est-ce dû à mon arrivée tardive ou simplement à ma réticence du départ ? Mais quoi qu'il en soit, le set se termine sans retourner le moindre de mes follicules pileux.
Des poils pris à revers, par contre, en pénétrant dans la grande salle.
Alors qu'une douce musique berce mon entrée, je m'étonne du nombre restreint de spectateurs qui ont pris place devant la lourde tenture noire...
Avant de me rendre compte que Múm s'exécute déjà derrière le sombre tissu. C'est donc au-delà des strapontins que se joue la pièce ce soir.
Alors, je pénètre dans la musique, autant que celle-ci me pénètre.
« Sveitin Mila Sanda » est entamé depuis quelques instants, et je me retrouve enchanté par la grâce et la justesse de ce bel ensemble venu du Nord.
Jouant avec la légèreté comme la gravité, les Islandais, tout en contretemps sur ce morceau féerique, distillent magistralement sons analogiques et expérimentations aventureuses en terres électroniques.
Mélodica et chant dansant dans l'air, telle une feuille d'automne, bidouillages enfantins et jeux de clochettes, ukulélé ou cordes pincées, étouffées, grattées apportent certainement une grande richesse aux compositions de ce groupe atypique.
Si la magie de ce premier morceau ne perdure pas sur la longueur du concert, il n'en reste pas moins que cet ensemble hétéroclite d'instruments traditionnels mariés aux sonorités modernes dégage une beauté fragile rehaussée d'audacieuses expérimentations.
Expérimentation. C’est bien le mot clé de ce soir.
Le mot est lâché. La bête aussi.
Wolf Eyes évolue sans doute aux antipodes des aspirations mélodiques de Múm.
Ici, le concept abrupt rejoint plutôt l'enfer que le paradis, et on descend le Styx à la nage, s’autorisant, au passage, un bain de lave corrosive.
Un concept qui manque néanmoins d'aboutissement. Il a beau dépasser certaines limites, il ne va pas assez loin.
En résulte du bruit pour le bruit et des morceaux entre improvisations nihilistes et mantras calés sur bandes mais malheureusement amputés de réelles transgressions hypnotiques.
Malmenant l'auditoire mais ne le molestant pas, le trio d'Ann Arbor fait toutefois bonne figure dans ce contexte aventureux.
Mais il n'est pas étonnant de voir le bar se vider pour s'amasser le plus vite possible devant la grande scène.
C'est donc face à un parterre bien rempli (le concert d'aujourd'hui n’est pas sold out à contrario de celui de la veille) que Wire entame son concert.
Vétérans de la scène Punk puis Post Punk (et d'autres étiquettes au passage), les Anglais prouvent à nouveau que la qualité n'est en rien altérée par le poids des années.
Actifs depuis 77, le groupe emmené par Colin Newman a donc un fameux panel de morceaux à nous offrir et va puiser dans sa large discographie pour nous proposer un concert d'excellente facture, guidé par « From Change Becomes Us », le petit dernier en date, qui loin d'être passéiste, réutilise du matériel abandonné pour différentes raisons, dans les années quatre-vingt pour en faire du neuf. Et ça fonctionne.
Ironiquement, la prestation démarre au passé composé (« 23 Years Too Late ») et va revisiter la grammaire du combo aux trois carrières distinctes.
Ainsi, le plus que parfait (quelques indémodables de leur catalogue, dont « Marooned » en rappel final ») se conjugue au futur simple grâce à des inédits composés récemment (« The Flying Dutchman », « Blogging Like Jesus » et « Swallow Corn »)
Si les outrages du temps se devinent sur leurs visages ridés, le Dieu Chronos ne semble pas avoir d'emprise sur leur sens créatif, et Wire allume une à une les étoiles, qui ce soir, ornent le drapeau du pavillon.
On notera l'apport tout en richesse d'une pléiade d'effets ajustée de main de maître par Matthew Simm, guitariste qui a rejoint le groupe en deux mille onze et dont l'approche musicale, orientée sur le son, ne pouvait que rendre justice à Wire.
La conclusion s'impose donc d'elle même : sur le fil de l'audace, ce sont encore les moins jeunes qui gardent le mieux l'équilibre.
Je quitte donc ce fantastique décor en espérant y revenir bientôt.
Putain, putain, c'était vachement bien.
Ce soir, nous étions tous des Américains.
Anna Van Hauss Wolf + Múm + Wolf Eyes + Wire
(Organisation : AB)
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