Affichant la volonté farouche d'effacer le chagrin sans pour autant oublier, le Pukkelpop mettait cette année encore les bouchées doubles, triples, et plus encore, pour transformer la plaine de Kiewiet en une immense scène de réjouissances musicales.
Si le souvenir de la catastrophe de 2011 flotte toujours comme un drapeau en berne aux vents de la mémoire collective, les moyens mis en œuvre par les organisateurs, ainsi que par une ville entière et sans doute plus encore, font de cet événement un des pions majeurs de l'échiquier festivalier en Europe.
Beaucoup de groupes annulés suite à la tempête funeste éprouvée il y a deux ans avaient donc répondu présents à l'appel.
Place donc à cette édition 2013 qui tendait de plus en plus vers cette mode consistant à mêler goûts populaires et découvertes pointues. Un grand écart qui assure une fréquentation de masse et le mécontentement des plus exigeants.
Mais difficile néanmoins de ne pas trouver son compte parmi la pléthore de groupes ou d’artistes présentés en l'espace de trois jours sur les différentes scènesMême si l'annulation in extremis de Neil Young laissait un vide béant dans la programmation du vendredi, certaines prestations allaient définitivement sceller le sort d'une éventuelle morosité.
Compte rendu jour après jour.
Day 1
L'histoire s'écrit en lettres de sang, avec la sueur et la poussière. Trois ingrédients qui hantent la musique de Savages.
L’arrière-goût ferreux de l’hémoglobine coule dans le grincement blanc métallique qui émane de la guitare de Gemma Thompson. Des interventions qui auréolent l'espace comme une tache sombre de bruit perdu dans l'écho d'une nuit électrique. Un sang incolore, livide, mais qui bouillonne dans des veines tendues comme six cordes prêtes à rompre à tout moment.
La sueur comme un dépôt suave déposé à la lisière des consciences et qui dégouline en perles saccadées, crachée de la bouche de Camille Berthomier, hier moitié de John & Jehn, aujourd'hui totalement habitée par Jehnny Beth, son identité au sein de Savages.
Enfin la poussière, âcre et sulfureuse, soulevée par une rythmique infernale et impeccable, assurée par la section rythmique, soit Ayse Hassan à la basse et Fay Milton derrière les fûts.
Les présentations sont donc faites.
Comme dans leur musique, le noir est la couleur prédominante sur l’estrade.
Seuls les escarpins rouges vermillon de Jehnny tranchent dans l’obscurité tandis que son chemisier d'un blanc immaculé réverbère la lumière autour d'elle.
Le set s'ouvre Par « City's full ». La tension sexuelle est palpable. Les déchirements livides de grattes rappellent Bauhaus voire les échos industriels des premiers Einstürzende Neubauten, tandis que vibrent et résonnent les lignes de basse soutenues aux vents mauvais par une batterie fiévreuse.
Le regard qui perce au travers du visible, la voix qui transpire au delà du tangible, la langue qui claque comme un fouet dans l'air.
Il y a de la Siouxsie dans cette forme qui s'agite spasmodiquement sous le chemisier blanc et entre-ouvert, dans cette poitrine ornée d'un pendentif qui oscille comme un pendule.
Du Ian Curtis dans cette façon d'être imprégnée de toute cette électricité.
Une décharge qui secoue aussi l'assistance, réunie sous le chapiteau du Club.
Les poils se hérissent sous les assauts qui les prennent à revers.
N'attendez pas de Savages de faire dans la dentelle.
À l'instar de leur premier album, « Silence Yourself », les quatre filles désossent tout éventuel confort et aiment secouer les consciences, malmener le mélomane pour mieux fuir la banalité et le conventionnel d'un Rock poseur et insipide.
Forçant le respect du public et imposant sa marque dans le paysage sonore.
'I need something more in my ears', scande Jehnny sur l'un des deux inédits, tandis que les notes s'agitent dans l'air empli d'ions dansants.
« Husbands » clôture ce show haletant dans une atmosphère suffocante ; et tandis que les musicos saluent la foule, Savages imprime son nom dans l'histoire du festival comme l'une de ses prestations majeures.
Point culminant d'une journée placée majoritairement sous le sceau des guitares.
Grattes déployées rageusement et énergiquement par Parquet Courts qui malheureusement se produisait très (trop) tôt dans la journée et mériterait assurément un détour prochain par l'une des salles du royaume pour alors installer confortablement ses larsens et délires dissonants dans nos conduits auditifs saignants.
Accusant des réminiscences empruntées à Sonic Youth mâtinées de Pavement, voire de Silver Jews, le combo de Brooklyn capte mon attention au passage, devant le Marquee, dès mon arrivée.
Captivé tel le papillon par la lumière, je viens coller mes ailes à la paroi opaque d'un mur du son qui hélas, vient clôturer une prestation que les aléas du voyage m'ont fait manquer.
Néanmoins, quelques notes suffisent parfois à instaurer une curiosité avide et restant sur ma faim, je reporte à plus tard mon envie immédiate d'en découvrir davantage à leur sujet et continue mon chemin vers le Club où se produisent les encensés Allah-Las.
Basant leurs compos sur quatre accords, les Californiens atterrissent sur la plage horaire portés par une vague sixties et remontent les aiguilles du temps pour accomplir un voyage un rien trop passéiste.
Certes fort agréable, ce moment vécu en leur compagnie, s'il ne laisse pas de marque indélébile, reste néanmoins fort plaisant en ce début de festivités.
« Tell Me (What'S On Your Mind) », diablement irrésistible, semble porter le set à lui seul, même si la plupart des morceaux du groupe sont d'excellente facture.
Il n'en demeure pas moins que dans le même registre, Miles Kane va tirer autrement son épingle du jeu, quelques heures plus tard, sur le podium du Marquee.
Si lui aussi semble projeté d'une télé en noir et blanc ayant soudain ingurgité un kaléidoscope de couleurs télescopiques, son aura et son talent de showman suffisent à faire la différence.
Sur les pas de ses glorieux aînés que sont les Kinks ou les Who, l'ancien Rascals et Last Shadow Puppets semble définitivement installé dans sa carrière solo et porte fièrement (et de très impressionnante manière) l'étendard d'une certaine Brit Pop abandonnée depuis longtemps dans les boutiques de souvenirs à l'effigie des frères Gallagher.
Si de renouveau il est question, nul doute que Miles Kane apporte suffisamment de Verve et de savoir faire à un genre bien entendu immortel.
Entamant son set par « Taking Over » et le clôturant sur « Come Closer », le British so British a, l'espace de cinquante minutes, instauré sa patte unique et marqué les esprits.
Esprits tournés au même endroit trois quarts d'heure plus tard sur le retour de Johnny Marr.
Rose blanche à la bouche et en travers de sa six cordes, la légende des Smiths n'hésite pas à reprendre quatre compositions du back catalogue de ceux-ci, mais aussi « Getting Away With It », titre rescapé de sa collaboration avec Bernard Sumner au sein d'Electronic, ainsi qu'une reprise des Crickets.
Se pliant volontiers au jeu des poses du manuel du Rockeur tout en optant pour le second degré délicieusement taquin, il délivre quelques unes de ses nouvelles compositions, honnêtes sans pour autant friser le génie. Le Briton assure un set dont les points culminants sont sans contestation possible « Big Mouth Strikes Again » et « There's A Light That Never Goes Out » qui déchaînent l'ivresse du public, ravi de renouer avec la magie de Smiths.
Ainsi, si Morrissey s'est essoufflé au cours de ces dernières années et cache de plus en plus mal son détachement face au passé, le plaisir de retrouver le jeu de guitare de Johnny Marr confère à ses chansons incontournables un goût d'excitation juvénile.
Le son est intact, la joie de jouer aussi, et le plaisir est communicatif.
Et comme me le soufflait un ami, si les Smiths sans la voix du Mozz ne peuvent pas être les Smiths, il est quand même préférable d'avoir Johnny Marr aux vocaux plutôt que Big Mouth à la gratte.
Pendant ce temps, sur la Main Stage, le show Nine Inch Nails s'ébroue déjà.
Axé principalement sur un lightshow et un visuel dantesque, il est étonnant que leur set soit programmé alors que les rayons du soleil dardent encore de leurs derniers éclats, le site limbourgeois.
De loin, le spectacle semble intéressant, mais comme cité plus haut, l'événement se déroule ailleurs, et il est hors de question que je m'attarde ici.
Ce qui clôt le chapitre des pointures. Enfin, celles qu'il m'a été donné de voir. Ne pouvant juger de la prestation des Deftones, entraperçus au loin et qui semblaient plutôt patauds.
Parmi ceux qui auraient besoin d'un coup de pied au derrière, penchons nous sur le cas des Canadiens de Godspeed You ! Black Emperor.
D'emblée, l'univers semble hermétique et quelque peu cadenassé autour des membres plongés dans une obscurité qui ne quittera pas la scène.
La longue (trop longue?) intro de « Hope Drone » instaure certes un climat écrasant, mais génère déjà l'ennui.
Élitiste, leur musique l'est sans doute certainement et le groupe ne s'encombre pas de considérations inutiles au moment de perpétuer son monotone chant aux consonances revêches.
Reste qu'en termes de messe noire drapée d'images sépia de propagande contestataire, le band propose une sorte de mantra qui laisse de nombreux spectateurs lambda sur le carreau, mais contente ses fidèles, agrippés comme des mormons au bastingage de l'arche de Noé.
Une expérience ardue mais qui comblera les rescapés entrés par une porte sensorielle dissimulée dans les tréfonds d'un magma sonore en perpétuelle rotation cabalistique.
Épinglons avant de clôturer le résumé de ce premier jour la prestation cinq étoiles de Badbadnotgood, trio mêlant Math Rock et Free Jazz sans tomber à aucun moment dans la prétention. Fusion improbable de Neu ! (dont le claviériste arbore fièrement un T-shirt) Tortoise et Brad Mehldau. Le public est conquis par ce mélange de genres peu évident et étonnamment digeste.
Quand la virtuosité technique se met au service d'excellentes idées, il en résulte de bonnes surprises.
Et enfin, ne nous attardons pas trop sur le pitoyable passage des Suédois de Kate Boy dont l'Electro Pop baveuse semble à peine à la hauteur d'une salle de gymnastique où Zola Jesus sous bad trip se désarticulerait en cadence dans un bain acide.
Quant aux autres, ceux manqués, de Fucked Up et son Punk hargneux à Hurts en passant par Quicksand ou encore Eminem (en playback selon la rumeur persistante), il ne reste plus qu'un souvenir évaporé dans les cendres du temps écoulé.
Organisation : Pukkelpop