Selon le manuel du parfait petit snobinard en jeans noir et cuir laminé (NDR : autrement dit ma bible), je m’apprête donc à pénétrer en terre exotique, un territoire absolument dénué de toute hostilité, où l’autochtone, paré d’un saroual, chaussé de sandales et riche d’une gourde en peau de chèvre, viendra m’accueillir.
Ensemble, nous irons traire les chèvres, adopter l’un ou l’autre enfant du tiers monde, avant d’aller fumer du chanvre dans les allées d’une abbaye au passé foisonnant.
Au détour, nous discuterons malbouffe, société de consommation, et tenterons de freiner l’élan rotatif du consumérisme à outrance.
En passant, nous nous délecterons de saveurs Bio, boirons de la pisse de houblon et discuterons le coup en contemplant quelques charmantes amazones se déhanchant voluptueusement aux sons de fanfares venues du monde entier.
Imagerie fantasmagorique ?
Pas si sûr, tant l’image baba cool et l’esprit altermondialiste colle à ce sympathique festival depuis ses débuts.
Mais si je n’y ai jamais mis les pieds, c’est simplement parce que la programmation ne m’a jamais vraiment passionnée.
Au diable les considérations de tout ordre si ce ne sont celles musicales, car cette année, l’affiche propose bien plus qu’un condensé (qui a dit dansé ?) de World Music.
En route pour une journée au bout du monde !
Bon ! Le petit manuel n’avait pas tort sur la tenue vestimentaire de rigueur ici. 73 degrés à l’ombre, des senteurs de fennec se propagent et pas un souffle de vent. Aussi, je commence à me demander si Floreffe se situe dans la zone chaude intertropicale, lorsqu’un étrange petit être barbu et surmonté de dreadlocks plus hauts que sa taille me propose de m’abreuver en sa compagnie.
Par politesse, j’accepte et l’eau rafraîchissante me fait gagner cinq points de vie.
Je suis donc au mieux de ma forme pour apprécier le set de seize heures tapantes.
Soit les onze (11, comme une équipe de foot !) membres de The Peas Project.
Beaucoup de positif à retenir de ce moment en compagnie d’une des valeurs sûres du syndicat de la bonne humeur.
D’abord l’enthousiasme est communicatif.
Si je reste impassible sous le soleil de plomb (on ne change pas un rebelle farouche de mon espèce avec de l’eau minérale), tous autour de moi semblent trouver matière à danser et faire la fête.
Et c’est vrai que Marc Zinga et sa chanteuse tirent habilement les ficelles.
Bien sûr, le vieux renard que je suis ne tombe pas si facilement dans le panneau.
La connivence entre les musiciens est évidente et leur jeu de scène parfois stéréotypé. On arrête la musique, on stigmatise le public et on repart de plus belle. Une recette éculée mais certes toujours efficace en pays conquis Néanmoins, le savoir-faire est indéniable et force même mon respect.
Les rythmiques tribales secouant « Question Of Death Or Life » (NDR : en fait, je n’ai pas la moindre idée du titre vu que j’ignore la discographie du groupe et suis trop paresseux et/ou débordé pour me renseigner) mettent une partie de mes neurones en fête tandis que les autres préfèrent opter pour la mode veille (NDR : afin d’éviter toute éventuelle surchauffe du système).
Un rappel (à cette heure ci ?) soulève un sourcil étonné (le droit, car le gauche est noyé depuis longtemps).
Quittant le côté cour, je me lance donc à l’attaque de l’ascension du jour qui doit me mener au sommet des jardins de cet endroit que je me dois de qualifier de superbe écrin.
La particularité de ce festival veut donc qu’en chemin, je croise un coiffeur botaniste exerçant ses ciseaux sur de volontaires cobayes qui ne rechignent pas à ressembler à des pots de fleurs, un cinéma niché dans une alcôve de fraîcheur, et quelques militants pour mille et une causes communes comme des fosses.
Une chorale de Noël chantant des psaumes arabes ou encore une tribu africaine martelant furieusement des troncs de séquoia.
Manifestement, c’est super chouette ces activités prévues pour les bobos.
Mais elles manquent cruellement de mascara et de cheveux crêpés ; car l’étranger, ici, c’est moi.
Donc, placé à côté d’un quidam endimanché comme Jack Sparrow pour le mariage de sa tante, je décide de reluquer The Soul Jazz Orchestra.
Le soleil étincelle et ruisselle sur le cuivre des instruments, et c’est comme si les notes s’y baignaient.
Consonances Afro Jazz Funk qui devraient me saouler mais qui au contraire me Soul.
Clin d’œil appuyé à James Brown par ci, petit air de Reggae par là, tout finit par se ressembler ; mais bon, je ne suis un expert du genre.
Je m’allonge alors et écoute la fin de ce sett qui se termine, ami lecteur, si toi tu es connaisseur, par « Mister President », un titre vachement entraînant.
Redescendant le long des remparts, je m’arrête au coin des saveurs ; en fait, un vrai village.
J’échange mes euros contre quelques jetons de monnaie locale et me décide à aller voir le Teuton Patrice qui, comme son nom ne l’indique pas, n’a rien d’un blanc-bec français.
Ce petit gars qui a travaillé notamment en compagnie de Cameron McVey (Massive Attack) présente donc « The Rising Of The Son », son album pressé dernièrement, un disque dont la sortie est prévue pour la fin du mois ; le septième de sa discographie étalée sur quinze années de carrière, excusez du peu.
Un Vibe très Roots mais mâtiné d’un esprit Punk, c’est ce qui pourrait résumer l’univers de Patrice.
Une casquette orange fluo comme couvre-chef et des jambes élastiques qui le mèneront sur les rebords du mur longeant la scène, emmenant dans son sillage quelques paires de jambes elles, plutôt extatiques. Du punch à revendre et des morceaux au Dub canaille, ces quelques recettes assureront le succès de celui qui s’était illustré par la reprise de Nina Simone, « Ain't Got No (I Got Life) ».
La présence sur les planches d’une miniature à son effigie (peut être son fils ; mais j’étais placé un peu loin pour définitivement statuer sur cette hypothèse aventureuse) et quelques passages mid tempo parfaitement placés finiront de fixer mes attentes (fort peu nourries au demeurant, mais largement comblées).
L’heure de la remontée venue (mais pourquoi n’y a-t-il pas de téléphérique ???) et le moment de grâce arrive enfin.
Les corps déchirent la nuit, triomphalement. Les chérubins se pressent dans les cieux pour contempler le spectacle.
C’est que le projet Woodkid a tout sur disque pour faire craindre sur scène une grandiloquence prétentieuse et pompeuse (voire pompière).
Ramené à une formule simple en festival (il ne reste que tambours et trompettes), l’équipage de Yoann Lemoine garde fière allure mais va d’emblée rassurer sur l’envergure de sa musique sans sombrer dans la gaudriole.
Alors que colonnes et troncs d’arbres se marient dans le fond en images projetées (le visuel a une part prépondérante dans l’univers Woodkid, support évident quand on connaît le talent de vidéaste de sa tête pensante), le vent souffle de plus belle sur la plaine, comme pour insuffler une dimension encore plus tragique à la pièce qui se déroule sous nos yeux.
Le navire fend les océans et trouve son rythme de croisière dès le troisième titre, celui qui donne son nom à l’album.
« The Golden Age ». Comme le vestige d’une époque qui aurait été (vague souvenir mélancolique) mais appelée à ne plus jamais être, se rappelle à notre délicieux souvenir.
Un peu cabotin, Yoann nous réserve une vraie-fausse déclaration ensuite, nous livrant « I Love You » avant de ressortir de ses valises « Brooklyn » et de définitivement larguer les amarres.
Bien sûr, le show est rôdé et laisse peu de places aux éventuelles surprises.
La chorégraphie consacrée à « Iron » est un copier-coller sur chaque date de la tournée et on y voit le génial auteur enfourcher comme monture l’un de ses musiciens (rien de sexuel, néanmoins).
Mais ce serait là faire la fine bouche (et la mienne est enflammée par un met thaï un rien épicé).
Scandant son nom sur un air de foot (tiens, c’est pas conforme aux préceptes du hippie campagnard ça, si ?) la foule gagnera deux rappels, dont un « Run Boy Run » au galop enivrant.
La messe est dite, mais une bien belle messe, célébrée dans un cadre monastique lui allant à ravir.
Enfin, fourbu mais pas repu, je dégringole les allées pavées qui finissent d’abîmer mes pauvres chaussures (où ai-je rangé la paire de tongs que Jack Sparrow m’a offertes ?) et finis les quarante-six tickets boissons qu’il me reste en compagnie d’éleveurs de bétail du Larzac ; et nous nous délectons de jus de prune équitable tout en restant attentif au set des Français de Rocky.
Un retour aux années 80, version back to life, mais pas back to reality puisqu’il m’est encore offert de contempler quelques joyeux aborigènes sapés comme pour la Bar Mitzvah d’un boucher cubain sédentaire.
Des influences certes datées mais savamment égrenées qui confèrent un côté House à des compositions plutôt Pop, dans un mélange bien dosé.
Le son vintage des claviers, le groove des guitares et la voix puissante et autoritaire d’une chanteuse aux allures de pygmée (effet semi-trompeur des autres musiciens, eux, placés sur des estrades) assurent une fin de spectacle et de nuit réussies.
Sans compter sur les drôles de poissons de Goldfish dont le DJ Set achèvera les zozos du coin, alors que votre serviteur quitte ce lieu exotique, un collier de fleurs de jasmins sur la tête et du tabac créole dans la pipe.
Organisation : Esperanzah.
(Voir aussi notre section photos ici)