Lorsque True West s'est séparé, Russ Tolman a décidé d'entreprendre une carrière solo. Une expérience qui aurait pu sombrer dans les profondeurs de l'oubli, si le Californien n'avait eu la chance de rencontrer Patrick Mathé, boss du label parisien New Rose. Depuis, Russ cherche sa voie. Acoustique, elle lui permet de raconter des histoires richement imaginées qui évoquent très souvent le monde du cinéma. Electrique, elle devrait lui permettre d'effectuer une tournée sur le Vieux Continent en compagnie de son groupe. Un périple qui devrait suivre la sortie d'un nouvel album dont la sortie est imminente...
Que symbolise pour toi John Kerouac ?
A l'origine, sa littérature m'a beaucoup passionnée. J'étais alors âgé de 16 ans et il était devenu mon guide spirituel. Aujourd'hui, ma pensée a évolué, même si quelque part elle confesse toujours une certaine influence.
Pourquoi y-a-t-il une telle corrélation entre ton écriture et le cinéma dans tes chansons ? Te considères-tu comme un peintre du rock américain ?
Belle image ! Je n'y avais jamais songé. Peintre du rock américain, c'est vraiment bien tapé (rires). Pas comme Picasso quand même ! Pourquoi existe-t-il une corrélation entre mon écriture et le cinéma dans ma composition ? (...) Difficile à expliquer ! Autrefois, j'allais souvent au cinéma. Mon ex girlfriend adorait le grand écran et m'y entraînait en permanence. Cela pourrait être une explication. Mais aujourd'hui mon emploi du temps ne me permet plus d'assister aussi régulièrement à la projection de films. Je suis trop occupé pour me permettre ce genre de distraction. Bref, lorsque j'écris une chanson, j'imagine un scénario. Et développe des images dans ma tête. C'est sans doute pour cette raison que mes lyrics procurent une certaine sensation panoramique. Tu penses peut-être que cette perspective pourrait m'inciter à écrire des romans. Mais je suis trop paresseux pour me lancer dans une telle aventure. Composer une chanson demande beaucoup moins de temps que rédiger un bouquin. Et puis c'est mon mode d'expression. Je n'ai d'ailleurs jamais eu l'intention de devenir un romancier...
As-tu la nostalgie du Paisley Underground ?
Pas tellement? J'ai joué avec de nombreux musiciens qui ont participé à cette vague neo psychédélique. Mais je n'ai jamais appartenu à ce mouvement.
Est-ce que tu croises encore les autres musiciens du défunt True West ?
Rarement. J'ai encore rencontré le guitariste Richard Mc Grath et le batteur Steve Tackenham, quelque temps après la séparation du groupe. Mais plus Gavin Blair et encore moins le bassiste Kevin Staydohar puisque depuis il est décédé.
Que représentent pour toi des artistes comme Steve Wynn, Chris Cacavas ou John Wesley Harding ?
Ce sont d'excellents amis. J'ai joué avec Steve chez les Suspects il y a une bonne quinzaine d'années. Et depuis nous avons toujours gardé le contact. Nous nous téléphonons régulièrement faute de pouvoir nous rencontrer plus souvent. Il a participé à l'enregistrement de mon nouvel album. A ce sujet, j'ai une anecdote à te raconter. J'avais également invité son ex girlfriend Johnnette Napolitano pour assurer les backing vocaux et je m'étais débrouillé pour qu'ils ne se trouvent pas nez à nez. Evidemment, l'imprévisible s'est produit. Le gag ! Heureusement, ça ne s'est pas trop mal passé. Et finalement je crois qu'ils sont restés en bon termes. John m'a invité à coopérer à la réalisation de "Why We Fight". Et figure toi que je n'ai jamais eu l'occasion d'écouter l'album. Il m'a pourtant envoyé le CD, mais ma girlfriend me l'a confisqué dès que je l'ai reçu (rires). Heureusement comme j'ai participé à toutes les séances d'enregistrements, je me souviens encore de son contenu. Chris, c'est aussi un pote. Avec Steve nous avons aussi participé à une tournée en Espagne, voici un peu plus d'un an. Nous n'y avons accordé que des sets acoustiques. En solitaire, en duo ou tous ensemble, suivant l'inspiration. Une chouette expérience.
Chris n'a pas participé à l'enregistrement de ton nouvel album ?
Non. Il était alors à l'étranger. Robert Lloyd assure les claviers. C'était déjà lui qui s'était acquitté de la plupart des parties instrumentales sur "Road Movie". Et il joue également dans le groupe de Steve. Nous sommes un peu une grande famille...
Cet opus devrait bientôt sortir quand même ! Quel sera son titre ? As-tu invité, hormis Steve et Johnnette de grosses pointures ?
Il s'intitule "Sweet Spot". Il devrait sortir incessamment. Il n'y révèlera pas de grosses pointures. Simplement des musiciens talentueux. Comme ceux qui composent mon groupe régulier, des gars qui m'accompagnent depuis plusieurs années...
Le style de cette œuvre diffèrera-t-il du précédent ?
Oui. Absolument ! Plus rock, plus électrique. Sur "Road Movie", mon inspiration était essentiellement orientée vers la country. D'ailleurs, j'envisage d'entreprendre une tournée qui passera par l'Europe pour le promotionner. Nous avons beaucoup répété et travaillé les arrangements. Et nous allons tenter de restituer ce climat ‘live’ avec un maximum d'intensité et d'énergie...
Même si ton futur semble embrasser des horizons plus électriques, tes racines me semblent plutôt plongées dans la country et le blues. Partages-tu ce point de vue ?
Teenager, j'ai vécu dans un climat spécifiquement country. Ce qui ne m'empêchait pas d'écouter les titres qui remplissaient les juke-boxes. Et puis, j'ai été progressivement converti au blues. Mais, finalement, je pense que j'étais surtout fasciné par la qualité des compositeurs et de leurs compositions. Des chansons qui viennent du cœur, comme celles écrites par Van Morrison. Cet artiste m'a toujours impressionné. Mais ce qui m'a le plus captivé au cours de ma jeunesse, c'est l'œuvre de Hank Williams. Etre capable d'écrire une chanson aussi intelligente, simple et directe que lui, correspond à un idéal. Si j'y parvenais, ce serait une consécration.
Sincèrement je pensais que tu allais me parler de Johnny Cash !
Je respecte beaucoup cet artiste. Il a écrit des chansons fabuleuses empreintes d'une grande honnêteté. Mais je pense que la première phase de sa carrière est la plus intéressante et aussi la plus inspirée. Je le vois encore affichant un regard terrible, s’accompagnant à la guitare sèche tout en chantant d'une voix désespérée et douloureuse "Ring Of Fire"… Mais aujourd'hui, il semble avoir perdu le feu sacré. Ou alors, il l'a légué à sa fille... De très étranges compositeurs de toute façon!
Pourquoi tant d'artistes américains signent sur le label français New Rose?
Je pense que l'explication repose sur la personnalité de Patrick Mathé. Grand fan de musique américaine, il est sans cesse à la recherche de nouveaux talents aux States. Il est réconfortant de rencontrer ce type d'homme d'affaire enthousiaste, compétent dans un milieu d'arnaqueurs qui se foutent complètement de ton travail et ne pensent qu'au fric. Lorsque Patrick parvient à dénicher un nouveau contrat pour son label, tu devrais voir son visage. Il irradie véritablement de bonheur.
Ca doit changer de la tronche d'enterrement affichée par Dan Stuart et Chuck Prophett !
Je connais Chris depuis l'âge de 17 ans. Il jouait alors chez les Wild Games. Et ce groupe a souvent ouvert les concerts de True West. Un excellent guitariste d'ailleurs. Chris était à cette époque un jeune kid passionné et plutôt ouvert. Mais il envisageait déjà de devenir une rock star. Et son attente s'est modifiée en conséquence au fil du temps. Triste, car dans le fond c'est un chouette gars. Quant à Dan, il est totalement fou.
Howe Gelb (Giant Sand) pense la même chose que toi !
Howe est un peu fêlé également, mais dans le bon sens du terme. J'apprécie beaucoup Howe. Nous avons partagé tout un temps une même passion pour le golf, lorsqu'il vivait à los Angeles. Il est même plutôt doué. Mais il exerçait ce sport dans un accoutrement pas possible. Un bonnet, des tricots, des chapeaux et autres fringues extravagantes. Tout le monde le regardait. Et ça l'amusait. Mais comme il était très fort, il a fini par chercher quelqu'un de plus compétitif pour se mesurer à lui. Nous n'avons plus joué ensemble ensuite. C'est vrai que j'aime le golf, mais je n'ai jamais été tellement doué pour le pratiquer...
Version originale de l'interview parue dans le n° 20 (février 94) du magazine MOFO