De Tom McRae, on connaissait la voix, l’écriture intelligente et les mélodies poignantes. Désormais, il faut compter aussi sur ses envies pop, sans toutefois délaisser la mélancolie. ‘King of cards’, quatrième album déjà, prouve que le chanteur poursuit sa route empreinte de doutes, de colère mais également balisées de notes plus optimistes. Si « Tom McRae » (2001) se révélait en noir et blanc et « Just like blood » (2003) sonnait plus rouge, le nouvel opus du songwriter surprend par sa palette de couleurs.
Je pense que « King of cards » est multicolore. Comme un paquet de bonbons, une boîte de chocolats, c’est très éclectique. Je voulais que chaque chanson soit différente, ait une ambiance particulière. Les autres albums s’inscrivaient dans un certain ton, je ne voulais pas faire quelque chose de similaire. Celui-ci est plus lumineux. Autrefois, on n’écoutait pas un disque de Tom McRae avant de sortir le vendredi soir ou quand on se sentait heureux, par exemple. Je voulais le réaliser, parce que je ne l’avais jamais effectué. Mais ça ne veut pas dire que le prochain ne sera pas sombre et déprimant.
Le titre de l’album provient de la chanson « Sound of the city », pourquoi l’avoir choisi?
Le livre que je lisais en écrivant les chansons parlaient d’Houdini, connu aussi pour être le ‘roi des cartes’, car il a commencé sa carrière en accomplissant des tours de cartes. Beaucoup de chansons parlent de magie, qu’elle soit liée à la religion, à la politique, à l’amour… C’est l’idée de l’album. Et puis, « King of cards » est un titre qui sonne bien…
Vous abordez des thèmes tels que la fuite, l’identité, la disparition… Est-ce la trame du disque?
C’est la trame de ma vie ! Je ne sais pas exactement ce que je fais, ni ce que j’essaie d’être ni où je vais. Je ne suis même pas sûr d’opérer les bons choix ; peut-être devrais-je juste disparaître… Ce sont des questions que je continue à me poser tous les jours. Je n’avais pas envisagé de les traduire sur un disque, mais elles transparaissent dans la musique.
Ce disque est plus éclectique, craignez-vous de vous répéter au fil des albums ?
Je n’ai pas peur, je ne le veux pas. Il ne m’intéresse pas de reproduire ce que j’ai déjà accompli auparavant. Le premier disque était sombre. Je voulais, en réaction au précédent, que le deuxième soit différent. Mais je ne crains pas de me répéter.
Le premier opus a été reconnu comme coup de maître, n’est-ce pas la manière la plus difficile de commencer une carrière ?
Je ne sais pas. J’ai toujours envie de me dire que l’album en cours sera le meilleur. Quand je réécoute le premier album, je me dis que telle ou telle partie était bonne, pareil pour le deuxième etc. Mon meilleur album est probablement un peu de tous. Je ne pense pas avoir déjà exécuté un chef d’œuvre. J’espère toujours y parvenir lors du prochain…
Y a-t-il, pour ce disque, une volonté d’être plus accessible ?
Oui.
Cela signifie-t-il qu’il faut renoncer au dépouillement?
(Il rit jaune) J’aime l’idée que la musique pop soit populaire. J’aime les chansons pop: parfois c’est simple et triste, mais ce sont toujours des chansons pop. Il me plait de penser que sur cet album je pourrais toucher des gens qui ne seraient peut-être pas attirés à la base par ma musique. J’essaie de mettre plus de sucre dans les ingrédients pour voir si cette recette attirera d’autres personnes. Je ne l’avais jamais tenté avant. De nouveau, c’est quelque chose de neuf. Je ne renonce à rien, pas au côté obscur, ni à la mélancolie qui est toujours présente. Je travaille déjà pour le prochain album. Il sera encore plus mélancolique que tout ce que j’ai pu réaliser à ce jour.
La chanson "Keep your picture clear" diffère de ce que ce vous composez habituellement. Quelle était l’idée ?
J’aime les surprises, en musique. J’aime réécouter plus tard ce que j’ai concocté et me dire ‘ça ne sonne pas comme moi, c’est brillant !’, parce que j’en ai marre de ma voix, de ma façon de penser. C’est une de mes chansons préférées, elle commence jazzy, pas vraiment comme Tom Waits mais il y a cette sorte d’esthétique, avec ces claquements de doigts. Et s’achève par quelque chose de très fort, de très rock.
J’ai lu que vous aimiez AC/DC ?
(Rires) Quand j’étais enfant, les premiers groupes qui me plaisaient relevaient du heavy metal : AC/DC, Iron Maiden…
C’est très différent de ce que vous pratiquez aujourd’hui…
Je pense que toutes les musiques sont les mêmes. Je ne pense jouer de la musique folk, mais les compos de heavy metal peuvent être interprétées en folk ; tout dépend seulement de la manière de les jouer.
‘Houdini and the girl’ se réfère au fameux magicien. Vous comparez-vous à lui d’une manière ou d’une autre?
Oui. Quand vous regardez un magicien, surtout ses tours de cartes, vous savez ce qu’il fait, vous connaissez le truc, mais vous voulez croire que c’est magique. La musique est ainsi : ce n’est que de la musique, mais elle offre quelque chose de plus fort, de plus grand. Etre un musicien, c’est être un magicien.
Votre chanson « The ballad of Amelia Earhart » parle de cette aviatrice qui eut une vie incroyable et une mort tragique. Est-ce une héroïne pour vous ?
Je ne sais pas si c’est une héroïne mais je suis fasciné par les gens qui sont des pionniers. Ce n’est pas seulement le fait qu’elle était pilote, elle a traversé l’Atlantique et parcouru le monde mais surtout qu’à cette époque cette expérience a dû être très dure pour cette femme. Elle devait être incroyablement courageuse. Houdini fut la première superstar mondiale, connu dans le monde entier par ses tours épatants. Ce n’est pas seulement le mystère ou son art à disparaître qui me passionne ; mais surtout le fait d’avoir été le premier à le réussir. J’aime les pionniers.
Pensez-vous être un pionnier ?
Absolument pas, en aucune façon. Je n’ai rien créé de différent, je pratique de la musique pop.
Dans « Lord How Long », évoquez-vous la guerre en Iraq ou en Afghanistan?
Oui, j’ai toujours écrit au sujet de la politique. Il y a au moins une chanson qui en parle sur chaque album. Je vis dans un monde réel, donc je suis fâché par certains événements alors que d’autres m’attristent. Ces réactions se ressentent dans les chansons. Il est très difficile d’écrire au sujet de la politique car tout le monde s’y est déjà frotté. Bob Dylan en particulier. Mais rien n’a changé. Pareil pour le Live8. Les gens en ont marre de la musique et la politique. Mais je pense qu’il est très important de se mouiller, d’exprimer ses sentiments ; même si ça ne change rien. Je le manifeste d’une façon très personnelle sur « Lord How Long », mais aussi sur « Keep your picture clear ». Il ne s’agit pas de parler de ‘comment sauver le monde, comment le nourrir…’ mais juste de dire comment je me sens.
C’est par la musique que vous affirmez votre position quant aux conflits ?
Pas seulement. J’ai participé à nombreuses manifestations pour émettre des protestations. J’ai écrit des lettres. Je suis honteux et gêné.
« On & on » est une chanson assez forte, vous attaquez Dieu ?
Absolument, très explicitement. Je ne crois pas en Dieu.
Votre père était pasteur…
Oui, il l’était.
Vous éprouvez quand même de la colère face à Dieu ?
On ne peut pas être fâché sur ce qui n’existe pas, donc je ne suis pas fâché sur Dieu. Ce qui m’importe, c’est que les guerres sont menées par des gens clamant leur religion comme une cause. Peu m’importe que l’Eglise catholique veuille interdire l’utilisation du préservatif en Afrique et qu’en conséquent le SIDA se répande. Peu m’importe que les fondamentalistes islamiques causent la perte du destin des musulmans qui sont considérés comme radicaux. Il y a beaucoup de fous dans le christianisme comme dans l’islam. La religion est une arme très dangereuse. Sous toute autre forme, une arme serait interdite. On interdit le revolver, la religion, c’est la même chose.
Peut-on tout dire en musique ?
Je pense que la musique jouit d’une liberté totale. On peut parler de mort, d’amour, de sexe, de religion… Il n’y a pas de règles. Ca ne fait pas de différence, c’est juste de la musique.
Les médias vous décrivent souvent comme un songwriter sombre. Partagez-vous leur point de vue ?
Je pense que c’est vrai, mais j’aime la mélancolie. Mes livres, films et groupes préférés, sont tous mélancoliques. C’est une émotion que j’aime. On n’est pas heureux tous les jours, il y a des hauts et des bas. La mélancolie résume ces états d’âme.
Comment imaginez-vous les auditeurs qui écoutent votre musique?
Je n’y pense pas, d’aucune façon. Cette idée ne me traverse même l’esprit. Je pense que je ne suis pas unique : si j’écris des chansons que j’aime, qui m’émeuvent, je pense que des gens les aimeront aussi.
Que ressentez-vous lorsque vous jouez vos chansons intimes devant un large public ?
Ce n’est pas différent pour moi, ce sont juste des chansons. Je ne monte pas sur scène en cherchant à ressembler à quelqu’un d’autre. J’aime l’idée que sur scène je ne doive pas porter de masque, je peux juste me révéler comme je suis. Ca ne me parait pas bizarre de faire ça, c’est naturel.
Si vous écriviez pour d’autres artistes, lesquels choisiriez-vous?
J’aime vraiment écrire des chansons pour des songwriters country. Surtout les femmes. Patty Griffin… Elle a une voix exceptionnelle et c’est une songwriter de génie. Sinon, Emilie Harris… J’aime les chanteuses country.
Quelle est, selon vous, la meilleure chanson jamais écrite ? Et le disque le plus accompli ?
C’est une question très difficile pour les musiciens parce qu’il y en a tant. Je deviens de plus en plus obsédé par l’écriture des chansons. « Wichita lineman » de Jimmy Webb, interprétée par Glen Campbell, dans les années septante et plus récemment reprise pas Johnny Cash. C’est probablement ma chanson préférée de tous les temps. Meilleur album? « Abbey Road ». Il y a tout sur cet album : des chansons que j’aime, d’autres que je n’aime pas. Un bon album devrait comporter des chansons qu’on n’aime pas. Des paroles brillantes. Les Beatles ont tout fait et sur cet album ils l’ont fait.
Pensez-vous consacrer toute votre vie à la musique ? Dans la négative, que comptez vous entreprendre ?
C’est intéressant… Je ferai de la musique tant que j’aimerai ça. Je ne fais que commencer et je ne veux pas arrêter ici. Si je devais faire autre chose ? Quelque chose de physique, où j’ai les mains sales et je transpire. Abattre des arbres… Non ! Pas abattre! Planter des arbres. Quelque chose comme ça…