Le départ de Pascal (guitariste) et son remplacement par Watch (multi-instrumentiste) ont poussé Yel à évoluer vers de nouveaux horizons sonores. Le nouvel opus, « Electrophone », conserve l'univers rock des albums précédents mais s'en voit agrémenté de quelques touches électro efficaces et de claviers émouvants. Les mélodies, toujours empreintes d'influences anglo-saxonnes (Muse, Placebo), viennent servir les textes d'un Jean-X qui prône avant tout l'émotion.
Jean-X : Il faut être sincère. Je pense que c'est la seule chose qui peut payer sur le long terme. Etre vrai dans ce qu'on propose comme musique et dans ce qu'on propose comme textes. Sinon, on se perd dans des chemins obscurs. Et le fait d'être sincère et d'être touché par ce que le public peut apporter, ça se voit. C'est cet échange entre le public et le groupe qui peut faire que le groupe marche ou pas.
Vous sortez aujourd'hui votre troisième disque. En édition limitée, il est accompagné d'un cd bonus. Pourquoi ne pas avoir réuni tous les morceaux sur un seul disque ?
Jean-X : Initialement, on voulait faire un album qui soit plus vintage, dans le sens de l'écoute. Un peu le style qu'on pouvait avoir dans les années septante. Il n'y avait que ça d'ailleurs : des vinyles avec trente minutes de musique d'un côté, trente minutes de l'autre (NDLR : c'était pas deux fois vingt minutes ?) On voulait revenir à ce format-là. C'est un format sympa d'écoute : avoir vingt-cinq, trente minutes à écouter et après changer. Puis on est parti sur le concept de réaliser un double album au niveau du packaging, de l'objet. On voulait un bel objet et le projet a évolué : on a gardé le double album, ce côté tactile, mais on a un peu changé le concept dans le sens où on a fait un cd onze titres et un cd bonus. Finalement, on n'est pas si loin du projet initial puisqu'on a d'un côté 40 minutes et de l'autre 20-25 minutes.
Le groupe a changé de composition : Pascal (le deuxième guitariste) est parti et a été remplacé par Watch que l'on retrouve aux claviers, à la basse et aux programmations. Cela témoigne-t-il d'une volonté du groupe d'évoluer vers de nouvelles sonorités ?
Jean-X : Oui. Quand il y a eu un changement de line-up, on cherchait une personne avec qui le courant passait et qui pourrait faire évoluer le son. On avait déjà fait un concert avec Watch et le courant passait très bien humainement et musicalement. On s'est dit qu'on allait essayer et ça a bien marché dès le début. On a vu que le son évoluait naturellement. Il n'y avait pas vraiment une prise de position par rapport à ça. Le fait que Watch arrive, le son a évolué. C'est très positif. C'est un peu les circonstances de la vie qui ont fait que le son a évolué.
Sur cet album, on retrouve l'influence de Noir Désir, mais également de Muse ou Placebo. Toutefois, on retrouve aussi quelques touches électro. Qu'écoutiez-vous durant l'enregistrement de ce disque ?
Watch : C'est assez étonnant parce que, de mon côté, j'écoute vraiment peu d'électro. Par contre, j'écoute pas mal de groupes rock qui ont une touche électro, style Placebo. Mais au niveau électro pure, peu. Au niveau des influences, j'écoute beaucoup plus de rock qu'autre chose. Ca reste classique, pas mal de groupes anglophones : Muse, Placebo, … des choses comme ça.
J-X : Moi je n'écoute absolument rien. Je suis dans le trip studio.
La première chanson du cd, « Est-ce que tu l'entends », donne le ton d'entrée de jeu : Yel est un groupe de rock qui chante en français. Est-ce important, pour vous, de rester fidèle à votre langue ?
Jean-X : Le français reste pour nous une évidence. C'est un challenge aussi de faire du français avec du rock'n'roll. Mais ça marche.
Le texte compte autant que la mélodie?
Jean-X : C'est complémentaire. Il y a une émotion qui est dégagée par la musique et le texte prend le relais pour poursuivre l'émotion. Ca va de pair. On pourrait mettre un texte en anglais dessus, ça pourrait fonctionner.
Vous n'avez jamais souhaité sortir un disque en anglais ?
Jean-X : On ne dit jamais ‘jamais’. Mais pour l'instant non. Les textes qu'on propose ne sont pas des prétextes. Je me rappelle d'un chanteur qui disait : 'ben voilà, moi je m'amuse à recopier les sous-titres de certains films pour les mettre dans mes chansons'. Je trouve ce choix pauvre d'un point de vue artistique. Il existe des lyricistes en Belgique qui manient la langue de Shakespeare, bien mieux que moi et qui ont des choses à exprimer. Je parle l'anglais, mais je suis incapable d'écrire de la poésie ou d'exprimer clairement une idée dans cette langue.
Dans « La nuit, le jour », vous parlez de dépendance. Est-ce de la cigarette dont vous parlez ?
Jean-X : Tout à fait ! Comment tu as trouvé ?
Londrès, Manille, Danita… Mais à première vue on pourrait croire à une dépendance amoureuse…
Jean-X : Une dépendance, c'est une dépendance. Ce qui est intéressant, c'est de voir qu'en disposant d'une trame assez large, au niveau du thème, au niveau des mots, on arrive avec son vécu à pouvoir penser et à pouvoir voir des choses que d'autres verraient différemment. Mais effectivement, le morceau a été écrit par rapport à une dépendance à la cigarette.
« Nos raisons de passages » est le morceau le plus agressif de l'album. C'est également le seul texte qui raconte une histoire qui ne semble pas personnelle…
Jean-X : C'est le seul morceau qui est au premier degré. C'est plus facile parce qu'on prend un endroit et on le décrit. J'ai l'impression que c'est plus facile mais c'était un peu un exercice de style. C'était s'essayer à autre chose et comme le morceau était très carré, je voulais un texte très brut. Quand je parle de mes billes et mon chien, c'est très brut aussi, c'est terre-à-terre et ça colle bien à la musique.
Sur ce disque, vous posez beaucoup de questions (« Faut-il », « Pour le meilleur »). Vous vous interrogez sur la vie, la mort, les relations humaines, la société… Quelle est la question que vous vous posez le plus souvent ?
Watch : Quand est-ce que je bois une bière ? (rires)
Jean-X : Personnellement, je me pose plein de questions sur la vie, la mort. Où sera-t-on dans vingt ans au rythme où on vit maintenant ? Il n'y a pas une question en particulier mais des questions qu'on se pose tous à mon avis. J'ai la chance de pouvoir les mettre en chanson.
Vous écrivez la plupart des textes. Le reste du groupe les accepte toujours ?
Watch : Il est très rare qu'un texte ne soit pas accepté, car on est toujours en admiration devant ses textes. Une seule fois, un texte a été remis en question ; et encore pas par tout le monde. Personnellement, j'ai toujours été en admiration devant cette faculté d'écriture et je n'ai jamais ni pensé ni osé émettre la moindre critique.
« Rien d'autre que toi » parle de la recherche d'identité et de bonheur et « J'oublie » décrit un monde dominé par l'argent, où l'on se pervertit pour pas grand chose. Vous pensez que le bonheur ne peut être qu'individuel ?
Jean-X : On se retrouve aujourd'hui à vivre des bonheurs individuels. Pour l'instant, notre société vit une crise d'adolescence. On veut de la liberté mais en même temps on a besoin de sécurité. On ne sait pas trop comment se positionner. Je pense qu'il va y avoir un retour aux valeurs, où le bonheur ne sera plus individuel comme ce qu'on peut vivre maintenant parce qu'on est occupé à se chercher. Je pense qu'on va revenir à des choses beaucoup moins futiles que celles vécues aujourd'hui, beaucoup moins matérielles aussi. Demain, l'environnement ne va pas aller mieux mais je pense que les relations vont s'améliorer.
Pourtant vos textes sont en général pessimistes…
Jean-X : Oui, mais c'est aussi pour ouvrir les yeux du public et faire ressentir certaines choses aux gens en disant : 'regardez, n'y a-t-il pas moyen de faire quelque chose ?'
Certains vous comparent à Kyo. Et en particulier sur des morceaux tels que « Mon âme » ou « Rien d'autre que toi ». Qu'en pensez-vous ?
Jean-X : On nous compare à Kyo, à Pleymo et à Noir Désir. Les deux précédents albums c'était Noir Désir parce qu'ils commençaient à récolter du succès et on les entendait partout. Ici, Kyo a percé depuis 2-3 ans. Or, notre album était déjà sorti ; donc on ne pouvait pas nous le faire. Kyo c'est un groupe français qui fait du rock, comme Pleymo. On apprécie d'être comparé à des groupes de cette trempe. Ce sont quand même des groupes de grande envergure ; ce qui veut dire que la qualité musicale existe aussi. Je pense qu'on a tous en commun, eux comme nous, les mêmes influences anglaises. On les a digérées chacun de son côté et, aujourd'hui, on restitue ce qu'on a entendu, ce qu'on a vécu, ce qu'on a ressenti. A part ça, je pense que si à l'époque, on était un ersatz de Noir Désir, on n'existerait plus. Le public a vu qu'il y avait autre chose. Le troisième album va encore montrer que Yel, c'est Yel.
Dans « Pour le meilleur », vous dites : 'pour le meilleur, je ferai le pire, pour notre meilleur avenir'. Quel serait votre meilleur avenir ? Quel serait le pire que vous puissiez faire pour y parvenir ?
Jean-X : Le meilleur avenir ? Pour l'instant c'est que l'album fonctionne en Belgique au moins aussi bien que les deux premiers voire mieux et puis d'avoir une diffusion plus internationale dans les pays francophones : en France, en Suisse, au Québec… On sera distribué en France et en Suisse. Maintenant faut voir à quelle échelle. Et puis nous espérons accomplir une tournée. Mais une vraie tournée, digne de ce nom. Le pire qu'on pourrait faire pour y arriver ? Je pense que, dans ce métier, il n'y a pas de trucs pires à faire…
Mais il y a des sacrifices…
Jean-X : Oui, en même temps les sacrifices sont le passage obligé pour exercer ce métier qu'on veut faire. Ici, les sacrifices sont difficiles à vivre parce que ce sont surtout des sacrifices familiaux, d'argent, etc.… mais ça vaut toujours la peine d'aller rencontrer le public ailleurs. Il y a toujours un retour équivalent aux sacrifices consentis.
Dans « Se manquer », vous chantez : 'Juste se manquer sans se perdre, je nous défends de nous défaire'. Ce titre n'aurait-il pas pu s'appeler aussi « Intimes illusions » ?
Jean-X : En fait, ce morceau a été écrit en pensant au public, car il y avait très longtemps qu'on n'avait plus tourné en Belgique (un an et demi). C'est un morceau pour dire qu'on est là et qu'on voit que vous êtes toujours là. On peut se manquer mais pas se perdre. Parfois, c'est bien parce que les retrouvailles sont d'autant plus intéressantes. Ce n'est pas grave de quitter quelqu'un, de dire au revoir quand on sait qu'il y aura un retour. Pendant toute la période d'absence, on nourrit quelque chose et quand on se retrouve, c'est d'autant plus fort. C'est un peu le message qu'on voulait faire passer : le public est toujours là et ça nous fait chaud au cœur.