En ce dimanche 10 avril, tout se ligue contre les mélomanes qui ont décidé d’aller applaudir Damien Jurado, au Botanique de Bruxelles. D’abord, à cause de la fatigue du week-end qui s’achève. Un week-end aux fumets de barbecue et aux relents de rosé d’Anjou. Ou alors simplement propice à la farniente voire aux ballades ou encore au chilling. Et puis, se déplacer, à Bruxelles, un dimanche soir, via les transports en commun, s’avère depuis quelques semaines, particulièrement téméraire...
Aussi, imaginer qu’on va s’enfermer dans la boîte de l’Orangerie pour terminer ce week-end magnifique, peut sembler inapproprié. Sauf que… ce dimanche soir, l’extraordinaire Damien vient défendre « Visions of Us On The Land », son dernier opus. Et d’ailleurs, c’est bien là que le véritable but de cette fin de semaine se situe. Une œuvre qui clôt sa trilogie entamée dès 2012 par « Maraqopa » et poursuivie sur « Brothers And Sisters Of The Eternal Son », en 2014. Trois elpees éblouissants qui racontent l’histoire d’un voyageur qui part à la rencontre du bien et du mal, de l’ésotérisme, de la pensée et du rêve, avant d’achever ce périple lorsqu’il est sûr d’avoir acquis la plénitude dans le doute. Une ambiguïté que l’artiste semble d’ailleurs entretenir. On ne le sait pas encore, mais ce spectacle va littéralement nous scotcher et nous dégriser des excès de la veille, telle une partie de jokari.
Tout commence à 20h00…
Avant de pénétrer dans l’Orangerie, on a pris soin d’emporter un gobelet de houblon qu’on tient aux bords des doigts. Il fait soif ! Et quand on a encore la gueule de bois, rien de tel que de soigner le mal par le mal. Passé le cachet imprimé au bord du poignet, on entre paisiblement dans la salle.
Complices, les lumières s’éteignent. Astronaute monte sur l’estrade. En toute modestie. Au beau milieu des rires, des bruits provoqués par les GSM, des conversations… Pas le moindre applaudissement pour saluer son apparition. Au bout de quelques accords, une voix s’extirpe de ce brouhaha. C’est celle de Myrthe Luyten. Androgyne, profonde, sublime, hypnotique. Et il ne faut pas deux phrases avant que l’auditoire ne fasse le plus grand silence. Il semble surpris par tant d’intensité et de tessiture dans le chant. Devenu muet, il pose ses lèvres sur le godet et avale autant les compos que la mousse qui, elle, commence à se faire de plus en plus rare.
En trente minutes, la formation belge va nous réserver six pépites superbes, délicates, sensuelles et mélodieuses. Le public est conquis, persuadé qu’il faudra être attentif à ce band incroyablement authentique. Et ce malgré un déséquilibre dans le mixing, trop favorable aux drums. Qui au lieu de tramer les morceaux, avaient plutôt tendance à les étouffer. (Pour écouter le groupe, c’est ici et pour les photos de ce concert, c’est là)
Les spectateurs refont le plein de kérosène pendant que les roadies s’affairent sur l’estrade. Tiens, même Jurado leur file un coup de main. Sympa le gars !
Il est 21h quand l’Américain grimpe sur le podium. Et il n’est pas prêt de le quitter. On y reviendra plus tard.
Les épaules plus larges que deux armoires normandes, Damien Jurado est bâti comme un bûcheron. Il est tout de jeans vêtu, pantalon et chemise. Il est chaussé de chaussures de couleur brune, on ne peut plus banales. Il s’assied tout simplement sur une chaise en bois. Il est presque en boule, mais pourtant tous les regards sont braqués sur lui.
Tout au long du set, ses attitudes varient. Les yeux clos ou rivés sur le sol, il a le visage fermé, sérieux. Mais quand il le relève, c’est pour sourire. Sincèrement. Comme un homme qui a atteint une plénitude qu’il tente de communiquer à son auditoire. Entre les chansons, il lui arrive de plaisanter en compagnie de ses musicos. L’humour potache d’un adulte voué à grandir physiquement mais qui semble garder une âme d’enfant. On sent une véritable complicité entre les musicos et Damien. Un grand respect aussi. Mais, sur les planches, c’est lui le patron.
Du vent et de l’abîme, il redessine les lieux et semble même avoir une telle facilité pour y parvenir qu’il se surprend lui-même. Et s’émerveille de sa propre créativité.
La main serrée sur le manche, il affiche une technique précise, remarquable. Il enchaîne les morceaux, pour la plupart issus de son dernier LP, brillamment. Ses chansons libèrent une dose incroyable de tendresse et de douceur. Malgré un style pointu, il a une classe folle. On est bluffé. Une telle masse de muscle capable de donner tant d’amour.
22h15 premier rappel.
Damien Jurado revient seul et attaque deux chansons en solo, dont « Prisms ». C’est le point d’orgue du spectacle. Les musiciens reviennent alors sur les planches afin de participer aux deux derniers titres, avant de saluer la foule, comblée…
Sauf que…
Comblée oui, mais gourmande, insatiable et enflammée. Le public en veut encore, crie, siffle, applaudit. Les lumières de la salle se rallument mais rien n’y fait, il reste sur place et n’abandonne pas la partie.
Surpris de cet engouement, l’Américain revient, et sollicite l’auditoire pour choisir les quelques bonus tracks. De véritables cadeaux. Rien que du bonheur.
22h40. Le concert est fini. Les spectateurs sont assoiffés, mais le sourire aux lèvres ils ont fait le plein d’amour dans leurs cœurs… (Pour les photos, c’est encore ici)
Setlist
Magic Number (**)
Exit353 (***)
Lon Bella (***)
Silver Timothy (**)
Am Am (***)
Onalaska (***)
This Time Next Year (*)
Mellow Blue Polka Dot (***)
Jericho Road (**)
Sam and Davy (***)
Walrus (***)
Life Away From The Garden (*)
And Loraine (***)
Qachina (***)
Taqoma (***)
Prisms (***)
Working tittles (*)
Return To Maraqopa (**)
Nothing is the News (*)
+ Various ..
* « Maraqopa » - 2012
** « Brothers And Sisters Of The Eternal Son » - 2014
*** « Visions of Us On The Land » - 2016
(Organisation Botanique)