Cette année, le Roots & Roses fête son dixième anniversaire et pour la circonstance il a invité Black Box Revelation qui s’était produit lors de la première édition mais également de grosses pointures comme Wovenhand, Jon Spencer ainsi que Kitty, Daisy & Lewis, un trio qui va faire l’unanimité au sein de l’auditoire. Bonne nouvelle pour les organisateurs, la toute grosse foule s’est déplacée pour l’événement. Il doit y avoir plus de 4000 âmes sur le site en ce mercredi 1er mai, au beau milieu de l’après-midi. Faut dire aussi que le soleil est au rendez-vous. Compte-rendu.
Le Roots & Roses commence par The Courettes, pour Musiczine, un duo qui réunit le Danois Martin Wild, et la Brésilienne Flavia Couri, un couple qui marie donc le froid et le chaud. Pourtant, leur garage/rock revivaliste remplit tout l’espace sonore. La puissance de frappe de Martin sur ses fûts est impressionnante et épaule parfaitement la très jolie guitariste Flavia, dont la voix me fait parfois penser à celle de Poly Styrène (X-Ray Spex), alors que ses interventions à la gratte sont singulièrement efficaces. Le tandem n’est pas venu pour enfiler des perles, mais libérer une énergie rock’n’roll redoutable. Enfin, dans les lyrics, on retrouve certains thèmes développés par les Cramps, et notamment ceux relatifs aux films d’horreur de série B…
Place ensuite à The Sadies, un quatuor torontois impliquant deux frères, Dallas et Travis Good, qui se partagent le chant et les guitares, et une section rythmique batterie/contrebasse ; un band dont l’alt country bien électrifiée est contaminée par le punk et le garage, mais aussi le psychédélisme West Coast et le bluegrass. Tout un programme ! La formation compte plus de 20 ans d’existence, et apparemment ce soir, les frangins n’étaient pas de bonne humeur, mais très pro, le combo a fait le job et puis a tiré sa révérence…
Calibro 35 est un gang italien responsable d’une musique instrumentale qui mêle funk, jazz fusion et prog. Après une intro atmosphérique, il va nous proposer un répertoire partagé entre répertoire personnel et thèmes classiques de bandes originales de films issus des seventies. Massimo alterne guitare et claviers, pour donner de la profondeur au son alors qu’Enrico joue du saxophone (NDR : un virtuose !) et du clavier en même temps. Tous les musiciens sont doués, mais ce sont ces duos entre Massimo et Enrico qui font la différence….
The Devil Makes Three est un trio californien, issu de Santa Cruz très exactement, dont la musique oscille entre bluegrass, country, folk, blues, jazz et ragtime. Pete Bernhard, le guitariste, en est le leader et le principal compositeur, Cooper McBean, casquette vissée sur le crâne et couettes tressées, se consacre soit à la gratte, au dobro ou au banjo et Lucia Tunimo, à la contrebasse. En live, ils sont soutenus par un drummer.
Le dernier elpee du band, « Chains are broken » est paru l’an dernier, un disque dont les lyrics relatent l’histoire d’un groupe dont les musicos ont acquis une certaine maturité en se débarrassant de leurs problèmes liés à l’alcool. Boire pour oublier les tracas de la vie quotidienne et en découdre avec son prochain devait sans doute constituer leur mode de vie, auparavant. Ces chansons bibitives incitent cependant aussi à danser, frapper des mains et lâcher prise et mettent en exergue d’excellents instrumentistes qui prennent un soin particulier pour soigner leurs harmonies vocales. McBean est un virtuose du picking, notamment sur son banjo tenor. Lucia se réserve le chant sur la cover de Peggy Lee, « I’m a woman », et des chansons comme « Gracefull facedown » et surtout « Chains are broken », le titre maître du dernier opus, sont particulièrement contagieuses. Un groupe vraiment taillé pour la scène. Il le reconnaît d’ailleurs publiquement, estimant que c’est là qu’il parvient à allier esprit et passion. Il va d’ailleurs recueillir de chaleureux applaudissements, à l’issue de sa prestation.
Place ensuite à Endless Boogie, un quatuor établi à New-York, de Brooklyn très exactement, qui aurait pu vivre fin des sixties, début des seventies, tant sa musique est revivaliste. Même le look du chanteur/guitariste, Paul ‘Top Dollar’ Major –il est né à Louisville, dans le Kentucky, en 1954– colle parfaitement à cette époque. Au fil du set, on pense à Neu, pour le krautrock et à Grateful Dead pour le psychédélisme West Coast, même si l’expression sonore recèle des traces de hard rock, de stoner et de blues. Les morceaux sont interminables et parfois s’étendent au-delà du quart d’heure. Les solos de guitare sont légion chez Paul, alors que son complice, Jesper ‘The governor’ Eklow, balise parfaitement l’ensemble de sa gratte rythmique. Motorpsycho explore parfaitement ce style, bénéficiant de la présence de deux excellents vocalistes. Endless Boogie souffre malheureusement de cette carence vocale. Pourtant, déclamatoire, la voix de Major peut rappeler Captain Beefheart, mais elle râcle carrément les portugaises, lorsqu’il essaie de chanter. Le son est naturellement crade, un choix qui ne soulève aucune objection. Par contre, le volume sonore est excessif. Pas vraiment une bonne idée, car en se protégeant à l’aide de bouchons dans les oreilles, on perd alors toutes les subtilités des tonalités aigues…
Faut croire que Endless Boogie et Wovenhand s’étaient passés le mot, car le set de la bande à David Eugène Edwards va souffrir du même syndrome. En outre, on ne sait pas quelle mouche l’a piqué, mais refuser la présence de tous les photographes dans le frontstage est un caprice souvent rencontré par les artistes qui ont pris le melon. Ou le stetson, qu’il a enfoncé sur le crâne quand il grimpe sur l’estrade. Non seulement le son est assourdissant, mais il est surtout brouillon. Il faudra attendre une bonne vingtaine de minutes avant qu’on ne commence à percevoir les nuances des morceaux. C’est-à-dire lorsque David troque sa gratte pour un banjo électrique. Le climat du set a beau être ténébreux, il fait encore jour, et le light show, censé accentuer cette impression, ne sert quasiment à rien. En 2015, au même endroit, Wovenhand nous avait réservé un show empreint de mysticisme. Mais 4 ans plus tard, resservir les mêmes litanies amérindiennes ou incantatoires finit par lasser. Son dark folk commence à prendre la poussière (NDR : qui a dit à sentir le sapin ?). Pourtant, son backing group tient parfaitement la route, que ces soit le bassiste, le batteur, qui impressionne par son drumming ample ou le gratteur qui assure parfaitement les backing vocaux (NDR : amusant les deux micros destinés aux vocalistes ressemblent à des tambours de râpe-gruyère). Une grosse déception, même si en fin de parcours, Wovenhand commençait enfin à reprendre du poil de la bête…
Ce n’est pas la première fois que Jon Spencer se produit dans le cadre du Roots & Roses. En 2012, il était flanqué de son Blues Explosion, en 2016, il avait opté pour son Heavy Trash et cette année, il a entraîné dans l’aventure, son nouveau groupe, The Hitmakers dont le line up réunit M. Sord la batterie, Sam Coomes (Quasi, Headmister), aux claviers et le drummer originel de Sonic Youth, Bob Bert (NDR : il ressemble à Ozzy Osbourne !) aux percus. Ses percussions ? Un bric-à-brac constitué de pièces métalliques, parmi lesquels on remarque la présence d’une poubelle et des pièces d’automobile, dont des amortisseurs, un rotor de freins, et on en passe ; et sur lequel il frappe régulièrement avec des marteaux. L’aspect percussif des compos est ainsi particulièrement marqué tout au long du show. Bien qu’âgé de 53 balais, Jon est toujours aussi fringuant. Habillé de noir, comme ses musicos, il déclame, hurle des slogans ou chante des textes souvent amusants, parfois en empruntant le timbre d’Elvis Presley, mais d’une voix sous reverb. S’il puise essentiellement son répertoire au sein de son dernier elpee, « Jon Spencer sings the hits », il nous réserve quand même l’une ou l’autre compo de ses autres projets (Pussy Galore, Blues Explosion, etc.) Entre blues, rock’n’roll, psychobilly, punk et rockabilly, les compos sont truffées de breaks. Le claviériste se réserve le lead vocal sur l’une ou l’autre compo, et triture ses ivoires, à l’aide de ses doigts, bien sûr, mais également des paumes de ses mains ainsi que de ses genoux. Ses claviers –aux sonorités circonstaciellement vintage ou rognées si vous préférez– tracent également les lignes de basse, un peu comme Ray Manzarek, chez les Doors. Issu du dernier opus, « Do the trash can » est manifestement hanté par les Cramps. Les titres sont courts. La setlist va d’ailleurs receler plus de 20 morceaux. En milieu de parcours, Jon balance ironiquement, un ‘Ready for more hits ?’, sachant que sa musique s’adresse quand même à un public averti. Pas la moindre faiblesse au cours de ce concert qui a démontré que Spencer était toujours un excellent showman… Un dernier slogan ? ‘Jon Spencer & The Hitmakers, The Hitmakers !’…
Mais le meilleur reste à venir ; et pour cause, la prestation de Kitty, Daisy & Lewis va mettre tout le monde d’accord. Fondée en 2000, cette formation londonienne réunit deux sœurs et un frère. Elle pratique un mélange de blues, r&b, soul, punk, rock’n’roll, pop et glam. Et sur les planches, c’est un vrai régal. Le son est nickel, démontrant qu’il n’est pas nécessaire de booster les décibels pour accorder un set qui tienne la route. Première constatation, la fratrie change constamment d’instruments. Un véritable carrousel ! Les trois musicos se partagent alternativement et indifféremment la batterie, la guitare ou les claviers (joués assis, à gauche du podium), ainsi que le lead vocal. Seule Kitty se réserve l’harmonica. Sur le podium, le band est soutenu par un bassiste (NDR : pas de trace de la maman, contrebassiste) et assis en arrière-plan, discrètement, probablement le paternel Durham, à la sèche. Très jolie et sexy dans a robe à rayures horizontales, Daisy doit faire fondre les cœurs masculins. Sa voix évoque parfois celle de Nancy Sinatra. Et élégant dans sa chemise blanche rétro, Lewis, les cœurs féminins, même quand il chante le cynique « Baby, bye bye ». C’est devenu un rituel, le vétéran Eddie Thorntorn (NDR : âge de 86 balais, il a notamment participé aux sessions d’enregistrement des Beatles et de Boney M), aka Tan Tan, vient donner un coup de trompette. Et ses interventions sont épatantes, virant même parfois au free jazz. Il rejoindra la troupe à deux reprises, remerciant l’auditoire, la bénissant même, et traînant quelque peu les pieds afin de savourer les applaudissements, avant de se retirer. Jamaïcain, il excelle sur les morceaux reggae voire ska, mais apporte également sa coloration cuivrée à d’autres titres plus pop. Kitty est manifestement la leader du combo. C’est elle qui trace la ligne de conduite. Vêtue d’un sweat de couleur orange, pantalon moulant, elle est tout aussi sexy que sa sœur, jolie également, mais sa haute chevelure en chignon la désavantage. Cependant, c’est une harmoniciste talentueuse. Et elle va le démontrer tout au long de la cover du « Going up the country » de Canned Heat, un titre qui figure dans leur répertoire depuis déjà une dizaine d’années. Daisy a démonté un tom de caisse claire et vient le planter en front de scène. C’est Lewis qui se charge de le scotcher sur les planches. Et puis les deux frangines vont se partager les vocaux sur un seul micro, Kitty soufflant dans son harmo comme si elle avait trois poumons tout en se contorsionnant comme un serpent, alors que Daisy frappe sur ses peaux en cadence et tout en swing. Le meilleur moment du festival pour votre serviteur…
The Black Box Revelation, votre serviteur n’a jamais accroché en ‘live’. Sauf lorsqu’il a bénéficié du concours de la chanteuse soul Chantal Kashala, au Cactus Festival, en 2016. Pourtant la musique du duo est excellente sur disque, à l’instar de son dernier opus, « Tattooed Smiles ». En outre, le tandem de Dilbeek recueille un franc succès au Nord de la Belgique. Le guitariste/chanteur Jan Paternoster et le drummer percussionniste semblent heureux d’être là et la foule est enthousiaste à l’écoute de ce concert. Il fallait aussi trouver un moment pour reposer ses guiboles et son dos…
Agé de 46 ans, C.W. Stoneking est australien, mais ressemble plutôt à un Portoricain. Sur les planches, le look rétro, Christopher William est soutenu par un contrebassiste, également préposé aux backing vocals, et un drummer/percussionniste, coiffé d’un chapeau, dont le kit est minimaliste. Ce chanteur/guitariste possède une voix graveleuse, qui correspond parfaitement à son blues/roots au groove sudiste (NDR : ses parents étaient américains) et aux accents latino qui enflamme instantanément l’auditoire, un auditoire très participatif et donc l’interactivé avec Stoneking ne faiblira à aucun moment du show. Un artisan du blues qui sied bien au Roots & Roses. A l’année prochaine !
(Organisation : Roots & Roses)
The Courettes + The Sadies + Calibro 35 + The Devil Makes Three + Endless Boogie + Wovenhand + Jon Spencer & The Hitmakers + Kitty, Daisy & Lewis + The Black Box Revelation + C.W. Stoneking
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