La cavalcade de Jéhan…

Poussé par un nouvel élan poétique, Jean Jéhan a sorti son nouvel opus, « On ne sait jamais », le 18 novembre 2023. Pour ce cinquième elpee, Jéhan fait le choix de s'affranchir de ses affinités folk rock, pour aller vers des horizons plus dégagés. On retrouve…

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Shaka Ponk - 14/03/2024
Shaka Ponk - 14/03/2024
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Festival Music In Mind : Mercury Rev - Un monde imaginaire...

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Dans le cadre du "Music In Mind", un festival qui s'inscrit dans la lignée des Nuits du Bota, De Nachten ou accessoirement du Domino, Mercury Rev clôturait l'édition 2004 au Concertgebouw de Bruges. Une salle dans laquelle je n'avais jamais mis les pieds. Mais quelle salle ! Un véritable forum à l'architecture moderne qui en dit long sur la santé financière de la Venise du Nord. Davantage destinée aux concerts de musique symphonique que de spectacles rock, elle a l'avantage (ou le désavantage) de ne disposer que de places assises. Maintenant, il est vrai qu'à l'écoute des derniers albums de la formation américaine, le choix était sans doute plus judicieux qu'on ne pouvait l'imaginer.

Grand Drive en assurait le supporting act. Un trio britannique emmené par les frère Wilson, qui puise essentiellement ses influences de l'autre côté de l'Atlantique. Depuis Simon & Gardfunkel aux Walkabouts en passant par South San Gabriel. Encore que le timbre de la voix du lead singer me rappelle celui de John Power des La's. Les La's, une formation qui a aussi certainement dû influer sur ce band. Tout comme les Turin Brakes. Mais trêve de références, sans quoi, on risque de ne plus s'y retrouver. Semi-acoustiques, leurs compostions sont caractérisées par un soin tout particulier apporté aux harmonies vocales. Paisible mais agréable, leur set manque cependant de relief ; et il faudra attendre leur dernière chanson, une remarquable adaptation du « No One Knows » des Queens of The Stone Age, pour voir enfin l'ambiance monter d'un cran. Avant que le groupe ne se retire sur la pointe des pieds…

Mercury Rev monte sur les planches. Jonathan Donahue s'excuse déjà pour les éventuelles imperfections qui pourraient survenir lors de leur set. Car ils ne sont qu'au début de leur tournée. Il n'y en aura pas. Le sourire malicieux, se frottant régulièrement les mains, il scrute le public de son regard envoûtant. Il empoigne son pied de micro torsadé d'un serpent factice, puis entame « Little rhymes ». Son backing groupe est plus qu'au point. A gauche, la section rythmique impressionne par son efficacité et son inventivité. Le drummer se mue épisodiquement en percussionniste, alors que le préposé aux quatre cordes (NDR : quel look !) se comporte parfois comme s'il était le soliste. A droite, Grasshopper martyrise sa gratte, lorsqu'il ne lui extorque pas des gémissements astraux. Certains diraient psychédéliques. Derrière, Jeff se balance derrière son clavier comme si la fluidité de ses notes le faisait chavirer. Les compositions s'enchaînent naturellement. Pour la plupart issues des albums « Deserter's song » et « All is dream » elles nous entraînent dans un monde imaginaire peuplés d'anges, de démons, de dragons et même d'araignées et de mouches (« Spiders and flies »), un moment au cours duquel, on a presque pensé que Jonathan allait s'envoler… Faut dire que son expression théâtrale a quelque chose de magique, de fascinant, d'extra-terrestre. Tel un chef d'orchestre, il dirige l'ensemble de la voix. Une voix claire, envoûtante, fragile, qu'il est impossible d'effacer de sa mémoire. Parfois, il s'assied derrière un clavier, sur lequel est posé une lampe qui change de luminosité, à une cadence de métronome (NDR : toutes les trente secondes !), pour y jouer de la guitare sèche. Une nouvelle composition a été insérée dans le track list et nous donne un avant-goût de ce que sera le « The secret migration », le prochain opus. Au beau milieu du set, Mercury Rev s'enfonce dans deux longues compos complexes, nous rappelant qu'à l'origine la formation pratiquait une musique très expérimentale. Et paradoxalement, ce seront les rares moments au cours desquels on retombera quelque peu sur terre. Ah oui, et lorsqu'il évoquera les moments difficiles inhérents à la réélection de Bush. Après une longue ovation,  le groupe revient jouer deux derniers titres : « Goddess on a highway » et un magistral « The dark is rising », reflet de la beauté pure du romantisme. Un grand moment ! Le charme de Mercury Rev avait encore opéré ; à un tel point, qu'on avait l'impression que le temps de ce spectacle, la terre s'était arrêtée de tourner…

 

Les Nuits Botanique 2004 : du 7 au 15 mai

Ca y est, c’est fini ! Les Nuits Botanique 2004 auront en tout cas tenu toutes leurs promesses… Et passé avec succès l’examen printanier : ce changement de date qui coïncide avec l’arrivée du beau temps se révéla, en fin de compte, diablement judicieux. Plusieurs sold out (Miossec, Bénabar, Blonde Redhead, les Skatalites, et bien sûr la Sacrée Nuit), une affiche toujours plus éclectique et alléchante, une ambiance conviviale,… Désormais les Nuits Botanique serviront d’excellente mise en jambe pour tous les festivals d’été. Compte-rendu forcément subjectif, forcément personnel, de neuf jours de folie.

Même si Bashung s’est déjà produit au Cirque Royal il y a seulement quelques mois, son retour ne pouvait qu’attiser, une nouvelle fois, les passions. Réduit d’une heure pour des raisons de programmation, le show du poète n’aura laissé personne de marbre. Vêtu de noir et les cheveux grisonnants, Bashung en impose. Le concert débute par " Tel ", premier morceau de " L’Imprudence ". Sur les deux écrans latéraux défilent des paysages arides, ces " grands espaces " qui donnent leur titre à la tournée, et participent à suggérer l’ambiance : sépulcrale, cotonneuse, surréaliste. En plein trip subliminal (ces films, c’est du Wenders, du Tarkovski ?), le public garde son calme, sans doute gagné par l’hypnose de ces textes récités dans un élan fragile, fourbes de sens mais si captivants… Quel est cet homme aux mimiques gainsbourgiennes, qui délie la langue française pour mieux la débaucher ? Que raconte donc ses rimes pleines d’" aqueducs ", de " mercure " et d’" amphores " ? L’a-t-on vraiment vu " dans le Vercors, sauter à l’élastique " ? Mais peu importe qu’on n’y comprenne peau de balle : l’univers de Bashung, heureusement, n’est pas que verbe. C’est aussi l’un des univers sonores les plus atypiques de la chanson française, qui emprunte au rock, mais également à la musique contemporaine, au reggae, au jazz, à la world. Musique d’ambiances lourdes, de gueules d’atmosphère. Autour de lui, en V, sept musiciens s’appliquent à rendre vivante cette palette d’étranges harmonies. Pour l’unité du spectacle, certains titres sont parés d’une électricité nouvelle, d’un manteau de velours aux reflets obscurs (" Fantaisie Militaire ", " Samuel Hall ", " Ma Petite Entreprise "). Le son, moite, parfois sourd, étouffé, donne des sueurs froides. La part sombre est donnée à " L’Imprudence " (" Faites Monter ", " Mes Bras ", " L’Irréel ", " Faisons envie ", duo sensuel avec sa femme Chloé Mons) et à " Fantaisie Militaire " (" Malaxe " en rappel, " La Nuit je mens ", " Aucun Express ", " Sommes-nous ",…). Puis c’est " What’s in a bird ", " Vertige de l’amour ", " Osez Joséphine " : " tel Guillaume Tell ", Bashung décoche ses flèches, remet son chapeau, tourne le dos et disparaît dans l’espace en mouvement. Impressionnant.

En première partie, la cold wave neurasthénique de Piano Magic et le rock âpre et ténébreux de Mud Flow auront eu le mérite de nous mettre dans l’ambiance. Noire, donc. Pesante. Comme un dimanche d’orage ! Glen Johnson de Piano Magic est sans doute un grand fan des Cure période " Faith " et " Seventeen Seconds " : cette batterie tribale, ces synthés frigorifiques, cette voix traînante, en apesanteur au-dessus des menaçants cumulus. Il s’agit bien de cold wave. Mais d’une cold wave sans les tics romantiques, qui a su retenir les leçons du shoegazing (Slowdive) et laisser ses oripeaux gothiques au placard. En à peine une demi-heure, Piano Magic aura su captiver l’attention, grâce à ce savant mélange d’ambiances pesantes et de rythmiques poisseuses (les excellents " Saint Marie ", " I Am The Teacher’s Son ", " The End Of A Dark, Tired Year ", du dernier album, " The Troubled Sleep Of Piano Magic ", paru il y a quelques mois). Quant au concert de Mud Flow, quelle claque ! Constatation : les cinq Bruxellois assurent comme des bêtes. Sans doute un des meilleurs groupes live du moment, toutes catégories confondues. De " Sacrés Belges " ? De sacrés musiciens et ‘mélodistes’, point barre. Qu’ils aient pris la tangente et préféré jouer seuls, sans devoir être associés à une quelconque ‘fraternité’ communautaire et musicale, c’est leur choix… Cela n’enlève rien à l’excellence des chansons jouées ce soir : en ouverture, " The Sense of ‘Me’ "/ " Chemicals ", 10 minutes de rock tendu et aérien, bien loin des déflagrations noisy de leurs premiers faits d’armes. Puis tout le reste (ou presque) de cet " A Life On Standby ", album miraculeux : " Five Against Six ", " Today ", " Tribal Dance ", " Unfinished Relief ", et pour clôturer ce set de toute beauté, hanté par les fantômes d’And Also The Trees et de Sad Lovers & Giants (cfr l’interview), l’hypnotique " New Eve " et ses cinq bonnes minutes de martèlement rythmique. Du grand art !

Samedi, direction les Grandes Serres pour la totale drum’n’bass, avec Roni Size et sa nouvelle muse, Tali. En première partie, le collectif Ninja Tune Pest, dont l’ébouriffant premier album, " Necessary Measures ", est sorti l’année dernière. Un mélange détonnant d’acid jazz, de funk, de trip hop, de reggae et de hip hop. Trompette, basse, batterie, guitare, platines/samplers, rap. Dommage qu’à 20h00 pétantes, la tente soit encore loin d’être remplie… Mais la bonne humeur de ces Anglais contaminera rapidement les quelques dizaines de spectateurs arrivés à l’heure. Un amuse-gueule pétillant et groovy avant la prestation remarquée de Tali, jeune Néo-zélandaise au physique de mannequin, entourée de deux choristes et de trois musiciens. " Lyrics On My Lip ", son album, renouvelle le genre d’n’b en le frottant au r’n’b le plus salace : chaud comme la braise, et diablement efficace. Des titres comme " Blazin’ ", " Gonna Catch You " et " Lyric On My Lip " n’auront aucun mal à déchaîner une foule de plus en plus nombreuse. De la bombe, bébé ! Facile dès lors pour Roni Size de faire péter l’ambiance, à coups de breakbeats ravageurs : sans doute un des concerts les plus festifs de ces Nuits Botanique, avec celui des Skatalites… Des hits (" Brown Paper Bag ", " Who Told You ", " Railing Pt. 2 ",…), des inédits de haut vol (avec MC Dynamite), et le support de Tali, en remplacement d’Onallee. Dommage que l’Anglais et ses potes n’aient pas joué une demi-heure de plus : une fois lancée la machine, difficile et frustrant pour nos guiboles de ralentir la cadence…

Heureusement qu’il y a DJ Mandrak (des soirées Dirty Dancing) au Witloof Bar : de quoi continuer le fête jusqu’à deux heures du mat’, dans une ambiance elektroklash surchauffée. " Hello, is there anybody in there ? " ! ! !

Dimanche, lendemain de la veille, se produisaient le Canadien Rufus Wainwright et les floydiens Archive, dont le succès (consensus ?) en Belgique (surtout en Wallonie) ne fait que grandir (attention, quand même, à l’" effet Placebo "). Seul au piano (ou à la guitare) pour des raisons strictement budgétaires (" Achetez mon disque ! Comme ça la prochaine fois je pourrais venir avec mon groupe "), Rufus Wainwright revisitera son répertoire personnel avec l’emphase et l’humour d’un Oscar Wilde pop. Dommage que notre bonhomme, à chaque respiration, chuinte comme un crooner atteint de rhino-pharyngite : un coup de langue baveuse à la fin de chaque syllabe (" chhhhhchhhswwwlurp ! "), ça vous salope un morceau en moins d’une minute. Le temps qu’il nous aura fallu pour enjamber trois rangées de fauteuils, direction le bar pour commander une bière. Mais que cette anomalie buccale ne décourage personne d’aller jeter une oreille aux albums du bonhomme : " Want One ", le dernier en date, malgré d’évidentes boursouflures à la " Bolero " de Ravel (véridique), vaut mieux que toutes ces histoires de salive. A la vôtre !

Dès l’entrée sur scène d’Archive, c’est déjà la folie. Peu importe si leur prog-rock lorgne méchamment du côté de Pink Floyd et de King Crimson : ces mecs sont au point, et le public l’entend bien. Vêtus de noir parce que leur musique n’est pas des plus rêveuses, les sept membres du groupe s’appliquent à rendre au mieux les atmosphères étouffantes de ce " Noise " atrabilaire. Du bruit, ces types en font. Mais avec suffisamment de talent pour laisser l’auditeur pantelant, comme pris en otage par ces rythmiques assourdissantes et ces nappes de synthé ramassées. Craig Walker n’évite pas toujours les mimiques du rocker habitué aux stades (pourtant, Archive est loin d’être prophète en son pays), mais il chante comme un dieu. Pour autant qu’on aime ce genre de gargarises évangéliques à la U2/Coldplay. Le public, lui, adore. Se lève, enfin, lors d’un " Fuck U " magistral. Suivent d’autres perles, tel ce " Waste " dépressif et teigneux, qu’on écoutera en boucle après chaque déception sentimentale. Archive est un groupe facile à aimer, parce que sans surprises ni prise de risques : derrière ces paysages désolés se cache en fait un rock plutôt lisse, qui ressasse à l’envi les mêmes clichés romantiques, empruntant aux plus grands (Radiohead, My Bloody Valentine, Pink Floyd) leurs recettes miracle, pour mieux les copier sans même les pervertir. " Again ", en final gargantuesque, ne nous convaincra pas du contraire, même si Craig Walker casse (méthodiquement) sa guitare. Méthodiquement : c’est bien là le problème.

Tout le contraire de Matthew Herbert, qui lui ne s’embarrasse d’aucun schéma préfabriqué : sa musique n’a rien de prémâché, puisque à chaque moment elle subit les accidents de l’instant, détourne les clichés du jazz en sa faveur, questionne nos attentes ‘spectatorielles’ en jouant sur la surprise. On connaît Matthew Herbert pour ses exercices post-modernes de manipulations électroniques en temps réel : le cri d’un spectateur ravi peut ainsi servir d’armature rythmique à l’un de ses morceaux – comme ce fut le cas ce soir, parmi bien d’autres divertissements sonores. Entouré de 17 ( !) musiciens (un vrai big band, au sens noble du terme), l’Anglais aura donné ainsi sa propre version du jazz Nouvelle-Orléans : une relecture passionnante à l’heure du tout laptop, qui convoque aussi bien les fantômes de Duke Ellington et d’Ella Fitzgerald (Dani Siciliano en vocal guest, qui assurait déjà la première partie) que l’esprit tutélaire de Noam Chomsky et de Jean Baudrillard. Au-delà de l’esbroufe visuelle et sonore, c’est toute une réflexion sur la mémoire, le recyclage musical et les abus de notre société consumériste qui se profile à l’horizon. La suite logique du fameux " Acid Brass " de Jeremy Deller, qui reprenait 10 standards de l’acid house (KLF, 808 State, Derrick May,…) en version fanfare de luxe. Inventif et malin.

D’autant qu’en " support act ", on retrouvait avec bonheur Die Anarchistische Abendunterhaltung (DAAU), quatuor néoclassique flamand (clarinette, violon, violoncelle, accordéon) dont le nouvel album, " Tub Gunrnard Goodness ", vient de sortir. Accompagné sur quelques titres par le groupe dub français Ez3chiel (notamment lors de l’impeccable " Piano Dub ", avec Angélique Wilkie de Zap Mama au chant), DAAU a prouvé une fois encore que la " musique classique " peut elle aussi s’improviser pop (voir aussi Boenox). Empruntant autant au folk qu’à la world, DAAU est finalement au classique ce que Matthew Herbert est au jazz : un leurre, qui n’offensera que les puristes (en rappel, le fameux " Gin & Tonic "). Ainsi soit-il !

Le concert sold out de Blonde Redhead était l’un des plus attendus du festival, et pour cause : le dernier album des New-Yorkais, " Misery is a Butterfly ", est un chef-d’œuvre éthéré de chansons mélancoliques, qui lorgne davantage du côté de Gainsbourg période " Melody Nelson " que des zébrures noisy de Sonic Youth. Pas étonnant dès lors que les plus acharnés des fidèles aient été déçus par la prestation vaporeuse de Kazu et des jumeaux Pace… Il fallait pourtant s’y attendre : Blonde Redhead n’est plus ce groupe qui martèle ses guitares en gueulant son mal être. La rage, cette fois, se veut davantage insidieuse, à l’image de morceaux comme " Elephant Woman " ou " Messenger ", plus subtils dans leur inquiétude larvaire que n’importe quel refrain juvénile à base de riffs no wave et de batterie qui claque. Blonde Redhead a mûri. Demande qu’on ne fume pas dans la salle. Tourne le dos au public pour mieux se concentrer sur ces nouveaux arpèges délicats, moins accrocheurs mais en fin de compte plus mémorables. Plus d’inimitié : à la place, de la sérénité. Du moins en apparence. C’est sans doute là tout le nœud du problème… Mais les guitares qui crissent sont-elles forcément synonymes de colère ? Blonde Redhead vaut bien plus que cette image de pseudo Sonic Youth dont se contente le fan indie approchant la trentaine… Y a pas de mal, mais affirmer que " c’était mieux avant " relèverait ici de l’aveuglement pur et simple.

Avant cet excellent concert, une découverte : Cocorosie, duo féminin de Brooklyn adepte d’un folk mutant, plein de bruits campagnards (le cocorico, donc) et de voix de souris cachées dans le foin. Etranges ces comptines, récitées sur un ton d’opéra (pour l’une) ou sans les amygdales (pour l’autre). Parfois, un piano, une harpe, venant rehausser ces histoires de " Maison de rêve "… Drôle de baraque, quand même : un troisième pensionnaire y a d’ailleurs élu domicile. C’est un rappeur, qui joue les beatbox en l’absence de toute structure rythmique. Parfois aussi, il rappe, en français, et on dirait MC Solaar (gasp !)… Portrait d’une petite famille déjantée, mais qui porte la culotte ? Mangent-ils des omelettes en écoutant Vashti Bunyan, Björk et Cat Power ? Drôles de coco, c’est peu dire… En vente au rayon bio de votre épicerie communale, entre la Vache qui Rit et le carton d’œufs de poules élevées en plein air.

Autre donzelle, autre genre : Miss Kittin, dont les cheveux repoussent, venait soi-disant présenter aux Nuits son premier album solo (" I Com "), qui sort fin de ce mois. Sauf que la Française déteste le ‘live’ : c’est mixer qu’elle préfère. Pas de stress, on la sait balèze question pitch et poumtchak. Deux heures durant, la Miss nous aura donc délivré un mix incendiaire ; ponctuant en rappel et pour se faire plaisir, le " Question of Time " de Depeche Mode. Très fort, malgré un public plutôt statique.

Et puis vient " la " Nuit. La " Sacrée Nuit ". Sold out depuis des plombes. Rendez-vous incontournable de toute la scène rock wallonne et bruxelloise. Plate-forme musicale éclectique (rock, pop, électro, mais pas de hip hop) dont l’objectif est de mettre en lumière les nombreux talents que compte notre communauté française. Evénement-locomotive dont le principal mérite est de fédérer un public francophone autour d’une multitude de groupes (dix-sept au programme) qui n’ont pas à rougir face à leurs homologues flamands. Preuve que le rock en Wallonie peut lui aussi remplir des salles (amorcé par le sold out de Girls In Hawaii, Sharko et Ghinzu à l’AB en hiver dernier). Sorte de label déposé qui met tout le monde d’accord (maisons de disques, associations professionnelles, musiciens, public, presse, politiques), malgré le danger d’une ‘ghettoïsation’. Car il ne faudrait pas que ce genre de manifestation, aussi essentielle soit-elle, ne rogne les ailes de groupes qui ramènent du peuple lorsqu’ils se mettent ensemble, mais peinent encore à trouver leur public en solitaire… C’est le revers de la médaille, mais loin de nous l’idée de croire qu’ils n’y arriveront pas. Il suffit de voir l’engouement que suscitent des groupes comme Girls In Hawaii, Jeronimo ou Ghinzu, d’abord en Wallonie mais aussi en Flandre et en France… Belle Nuit que celle-ci. Convainquante par son affiche. Moins dans la pratique : des files incessantes à l’entrée et aux bars, des bouchons entre les salles, et puis cet horaire plutôt mal foutu (impossible de tout voir, forcément). D’où une certaine frustration, malgré l’ambiance de " fête nationale ". Premier concert auquel on assiste, après une heure de surplace à la pompe à bière et devant la rotonde : celui d’Austin Lace, de " band van Nijvel ", dont le deuxième album est prévu pour la rentrée. Ambiance sympathique. Aux samplers, Marieke de John Wayne Shot Me, en remplacement d’Enzo Porta, qui s’est pris un ampli sur le doigt (le pauvre). Mais il en faut plus aux Nivellois (émigrés depuis lors à Bruxelles) pour se laisser abattre. Et c’est parti pour une grosse demi-heure de pop survitaminée, entre Pavement, Gorky’s Zygotic Mincy et Tom et Jerry (la voix de puceau de Fabrice Detry). Des tubes comme " Wax ", " Kill the Bee " et " Menagerie " prouvent que le groupe a gagné en vigueur ce qu’il a perdu en nonchalance. Tant mieux ! Même que la section de cuivres d’Hank Harry viendra les rejoindre sur " Accidentally Yours " : une grande famille, qu’on vous dit… Confirmation lors de la reprise de leur " Deserve " quelques dizaine de minutes plus tard par… Hank Harry, accompagné comme toujours de son Lovely Cowboy Orchestra. Sans doute l’un des ‘sacrés’ groupes les plus explosifs sur scène : difficile en effet de résister aux tubesques " Anyway ", " Hot Summer " et " Turnaround ", ici revu à la sauce Pet Shop Boys/Elvis (" Always on My Mind ", avec en guest les membres… d’Austin Lace). Que du bonheur ! A noter également une nouvelle version (‘orchestre’ oblige) de " Scary Movie"  (de l’album " Rodeo "), et la cover du " Drop Out " d’Urge Overkill… Après un tel moment de fête, Ghinzu avait tout intérêt à ne pas nous décevoir. " Blow " met directement les pendules à l’heure : voilà bien l’un des singles les plus épatants de ces derniers mois, plein de tiroirs et de virages en épingle. Dommage que Ghinzu se lance parfois dans d’interminables digressions prog-rock, parce que c’est dans la concision qu’on les préfère (" Jet Sex ", " Do You Read Me " et l’insoutenable " ‘Til You Faint ", en final). Il n’empêche que ces types sont de vrais entertainers, à l’instar d’Hank Harry et de ses cow-boys mais en plus rock’n’roll. Il est presque 1h00, et le Bota commence enfin petit à petit à se désemplir. Mais la fête continue au Witloof Bar avec aux platines DJ de Pierpont, vieux briscard de la cause AC/DC. Y a plus de jeunesse ! Rendez-vous l’année prochaine, en compagnie de nouveaux groupes ? D’ici là, espérons que tous ceux présents ce soir auront connu d’autres succès mérités, en solo et sans ce ‘sacré’ épithète…

Le lendemain, moins de monde, forcément : Minimal Compact aura d’ailleurs eu bien du mal à remplir les Grandes Serres, tout comme Luke, Deportivo et Kaolin au Musée. Mais c’est bien normal, puisqu’il y avait les Liars et McLusky à l’Orangerie (rires). Les trois Gallois de McLusky viennent de sortir un album dantesque (interview dans ses pages), " The Difference Between You and Me Is That I’m Not In Fire ", encore une fois produit par Steve Albini. Leur punk-rock tendu et tranchant comme le fil d’un rasoir aurait certes mérité une demi-heure de plus, mais bon, c’est déjà bien comme ça. D’autant qu’ils débutent par " Lightsabre Cocksucking Blues ", morceau d’une rage absolue. McLusky est sans doute ce qui est arrivé de mieux au punk-rock depuis ces trois dernières années. " Collagen Rock ", " What We’ve Learned " et " To Hell With Good Intentions " sont des tueries (de l’album " McLusky Do Dallas ", 2002). Le reste vaut lui aussi son pesant de larsens (notamment ce " Slay " d’anthologie en final, très Shellac – tu m’étonnes). On adore.

Les Blood Brothers, eux, font encore moins dans la dentelle : voilà du punk-hardcore des plus agaçants. Les deux chanteurs hurlent comme des chats qu’on étrangle. Mais des petits chats, qui miaulent leur maman de façon plutôt crispante. Une claque, et ils la ferment. Traduction : ça gueule dans l’aigu, et c’est assez casse-couilles. D’autant qu’aux instrus (guitares, basse, batterie, synthés), ça tronçonne pas mal entre deux ruptures de rythmes. Traduction : ça se veut très couillu, et c’est assez casse-tête. Mais à force de nous saouler ainsi, les Blood Brothers, bizarrement, nous captivent. Paradoxal ? Certes.

Mais pas davantage que le live de leurs amis les Liars : alors qu’on attendait d’eux un trip punk funk somme toute abordable, voilà qu’on se prend dans la tronche une heure de no wave tribale, dont l’effet sur le cerveau s’apparente à l’ingestion de mescaline. Castaneda, es-tu là ? Mais que se passe-t-il ? Les gens se barrent. Ne restent que les plus défoncés, voire les plus masos, qui se demandent encore si une bière, en fin de compte, ne les sortirait pas de cette torpeur abyssale. On n’est pas loin des prestations d’Oneida, voire de Noxagt (combo scandinave pratiquant un punk-rock instrumental et famélique, totalement hypnotique). On voudrait bien comprendre, mais notre cortex semble anesthésié par une puissance vaudou. " On est entré dans une zone de chocs. Phénomène des foules, mais infimes, infiniment houleuses. Les yeux fermés, on a des visions intérieures. Des milliers et des milliers de points microscopiques fulgurants, d’éblouissants diamants, des éclairs pour microbes. (…) De l’extrémisme dans la lumière qui, éclatante, vous vrille les nerfs, de l’extrémisme dans des couleurs qui vous mordent, vous assaillent, et brutales, blessantes, leurs associations ". L’infini turbulent (Henri Michaux).

Le marathon prend fin. Vendredi 14. Iron and Wine, alias Sam Beam, nous délivre enfin du sortilège de la veille avec ses chansons country-folk d’une apaisante sagesse. Secondé par un guitariste à l’allure taciturne, le barbu enchaîne les perles dans un calme admiratif. Après le superbe " The Creek Drank The Cradle " sorti il y a deux ans, le voilà donc de retour avec un nouveau disque, le tout aussi magique " Our Endless Numbered Days ". On écoute. On savoure ce bref moment de langueur acoustique. Une cover de l’excellent " Such Great Heights " de Postal Service nous ramène à la vie.

On est prêt pour Timesbold. Instants magiques. La voix fragile de Jason Merrit rappelle celle de Will Oldham. A cinq, ces types de Brooklyn parent l’americana de ses plus beaux atouts : banjo, harpe, harmonium,… On reste pantois face à la beauté lumineuse de ses hymnes du bayou (" Bone Song ", " Sometimes The Water, " Wings on a Girl ", " Gini Win ",…), interprétés avec la grâce et la générosité d’un groupe qui vit sa musique à l’abri des modes. Le public ne s’y trompe pas, et lui réserve un accueil chaleureux…

Même si Timesbold n’a rien à voir avec Explosions in the Sky, quatuor texan spécialisé dans le post-rock épique, dont ce concert est le dernier avant le retour au pays. D’où la promesse d’un live furieux, pendant lequel, promettent-ils, " ils donneront toutes leurs tripes ". Et c’est vrai que ces types savent y faire question post-rock cyclothymique : on est proche ici de GY !BE et de Mogwai, sans l’emphase intello des premiers ni la frime des seconds. Explosions in the Sky se veut plus terre à terre, en somme, et ce n’est pas plus mal – en privilégiant l’évidence, les Texans nous évitent d’attendre vingt minutes avant… l’explosion, justement. Pas très original ni très subtil, mais redoutablement mélodieux. Un parfait épilogue à ces Nuits Botanique de haut vol, qui nous aura réservé pas mal de surprises, et surtout très peu de déceptions. Mais qu’allons nous faire, maintenant, durant le mois de septembre ?

G.E.

 

Controverse…

Rien ne traîne chez Blonde Redhead. Aucune nouvelle pendant 4 ans. Puis un album éblouissant débarque. Embrayant dans la foulée par une tournée. La magie n’est pas encore retombée que cette date programmée dans le cadre des Nuits du Botanique de Bruxelles nous est brutalement lâchée en pâture. Concert affichant complet depuis belle lurette, le bouche à oreille a manifestement fait ressortir le groupe des discothèques et tous se sont retrouvés, avides de confronter la ‘simplissime’ beauté du dernier bébé à son homologue scénique. Consentants et conscients d’assister à un moment unique, entassés dans la salle la moins originale du festival. Bande de petits privilégiés, va... Evidemment lors de l’entrée du trio sur scène, le public est acquis à sa cause. Tout le monde les attend. A la limite, le groupe n’aurait pas joué, que l’unique possession du sésame d’entrée suffisait à rendre béat les ¾ du public présent dans la salle. A l’entame, Blonde Redhead pioche 4 titres de "Misery is a butterfly". Et là, stupéfaction : la sauce ne prend pas... Indulgent au départ, j’attends patiemment que le groupe reprenne ses esprits et fasse s’envoler ces merveilleuses chansons. Rien n’y fait ! Après cette parenthèse, qui aurait dû être enchantée ou tout au moins sensée nous redonner espoir dans l’énergie que le groupe peut encore dégager, je suis brutalement plaqué au sol par un titre plus noisy, mal dégrossi et mal joué. S’ensuit une nouvelle fournée, au cours de laquelle la plage titulaire du dernier cd est littéralement sabordée. Ecœuré, je pense vider les lieux après 25 petites minutes... Je vous passe la suite qui ne fait que dupliquer ce schéma jusqu’au rappel. Un mauvais concert ne donnant jamais un bon rappel, je me décide donc à quitter la salle. Que s’est-il donc passé ? Les arrangements brillent par leur absence. Livrées brut de décoffrage, les chansons du dernier album perdent toute leur finesse et leur émotion, même si Kazu insuffle suffisamment de vie dans ses titres chantés. Amédéo, par contre, n’est pas dans le ton, livre une interprétation plate et sans nuances. Il faut dire que les cordes emmenaient très haut les envolées lyriques et musicales, pour ensuite faire flotter dans l’air le bien être jusqu’à la remontée suivante. En clair, vous êtes en apesanteur et à aucun moment vous ne touchez le sol. Une vraie bulle de savon. En ce 13 mai, vous étiez écrasés constamment, les semelles plantées dans la plancher. Et on se met à rêver d’une prestation plus intime, où les cordes auraient leur place sur scène. A la sortie, les avis étaient presque unanimes : une grosse désillusion...

J.B. et Céline.

 

Epilogue…

Les Delays ayant déclaré forfait, c’est la formation belge Atticus qui avait été chargée d’ouvrir le denier volet des Nuits à l’Orangerie ce samedi 15 mai. Vu les énormes problèmes de parking rencontrés à Bruxelles au cours de cette soirée, il ne m’a été possible d’assister qu’aux applaudissements nourris auxquels ils ont eu droit.

Issus du Nord de l’Angleterre, les Cribs viennent de commettre un premier album. Un disque pour lequel ils ont reçu le concours de Bobby Conn aux manettes. Sur plusieurs titres. Ce qui leur a valu une étiquette de garage pop sixties comparable à celle des Strokes. Sur les planches, le moteur du combo ne carbure pas au garage (NDR : déjà qu’il était déjà difficile de trouver un emplacement de parking !), mais à la power pop. Une power pop spontanée, furieuse, frénétique, rafraîchissante, mélodique, contagieuse et naïve qui doit autant aux Buzzcocks qu’à Ash. Et si le set du trio n’est pas toujours léché, il a au moins le mérite de déménager. En outre le guitariste et le bassiste, frères par ailleurs, possèdent des voix très complémentaires. Dommage qu’ils ne chantent pas plus souvent en duo et que leurs compos soient un peu trop linéaires. Accoutré d’une parure glamour, le batteur n’hésite pas à monter sur ses caisses pour marteler ses peaux, sur un tempo tribal. Au fil du set, le groupe semble pris d’une frénésie. On a parfois l’impression que les deux gratteurs sont complètement éclatés. Le soliste joue même du botleneck à l’aide d’une bouteille de bière ou lime sensuellement ses six cordes contre l’ampli. Bref, on s’est bien amusé… à les voir prendre leur pied…

Taxés de formation néo britpop, les Veils viennent également de commettre leur premier opus. Intitulé " Runaway found ", il a reçu des critiques plus que controversées. Certains prétendent que le groupe aurait dû naître voici une bonne dizaine d’années. Et qu’ils auraient alors récolté un franc succès. Dans une division au sein de laquelle militaient Strangelove, Marion et Geneva. D’autres estiment que leur emphase lyrique est laxative. Mais les plus optimistes voient en eux de futures stars. Une chose est sûre, ce quatuor insulaire aime Bowie et les Smiths. Et puis, il est drivé par un chanteur/compositeur/guitariste charismatique : Finn Andrews. Il possède une belle voix. Une très belle voix. Dont le timbre évoque tantôt Morrissey, tantôt Thom Yorke, tantôt Brett Anderson (Suede). Mais surtout affiche une présence incroyable sur scène. Qui me fait penser à celle de Jeff Buckey. Physiquement, on dirait un étudiant longiligne, les cheveux en bataille. Lorsqu’il chante, son âme semble possédée. Il tremble de tout son être. Parfois, il se met à chuchoter, puis soudainement emprunte des inflexions éraillées. Il est dans un autre monde… Une bande sonore diffusant de l’opéra introduit le band sur les planches. Qui entame son set en dispensant des ballades semi-acoustiques, de manière indolente. Puis l’intensité électrique monte d’un cran. Et Olly Drake, le guitariste, commence à lâcher ses impulsions électriques. Dans un style fort proche de l’ex Verve, Nick Mc Cabe. L’énergie devient incendiaire. Elle éclate même en fin de parcours. Sur la composition " More heat than light ". Le fil du micro enroulé autour du cou, Finn ne tient plus en place. La section rythmique fait le ménage et le soliste se lâche dans un trip psyché/torturé totalement dévastateur. En 45 minutes, les Veils ont totalement convaincu. C’était quand même un peu court, même si Finn revient chanter en solitaire, armé d’une guitare électrique, en guise de rappel ; puis prend congé du public en nous donnant rendez-vous au cours de cet été. Probablement au Pukkelpop.

B.D.

 

Pukkelpop 2004 : jeudi 19 août

Pour sa 19ème édition, le Pukkelpop a aisément confirmé son statut de meilleur festival rock de notre plat pays, grâce à son affiche pléthorique (plus de 150 groupes !) combinant valeurs sûres de l'alternatif (The White Stripes, Franz Ferdinand, The Streets, Blonde Redhead,…), stars nationales sur le retour (dEUS, Soulwax) et furieuses machines à danser (Chemical Brothers, Mylo, Scissor Sisters, Miss Kittin, Freestylers,…). 125.000 personnes ne peuvent pas se tromper… Et même si le temps n'était pas spécialement au beau fixe, pendant trois jours ne comptait finalement qu'une seule et même chose : la musique. Revue des meilleurs concerts, en toute partialité.

Jeudi 19 Aout

Il est 15h00, et l'on est bien content d'être enfin sur le site… Il faut souligner en effet les problèmes d'organisation liés à la gratuité du camping (passage obligatoire aux caisses à l'entrée du festival pour se procurer le précieux bracelet qui permettra d'enfin planter sa tente : au total, presque 2h00 à tourner en rond, alors que d'habitude il n'y a aucun souci. Conclusion : système à revoir). Pour vite nous faire oublier ce bordel intégral, rien de tel que le « surfabilly » des furieux Fifty Foot Combo : une demi-heure de déconnade à la « Misirlou », avec en bonus des danseuses topless se versant du lait sur la poitrine. On a vu pire entrée en matière…

Mais déjà sonne l'heure des choix cornéliens : Peaches et son « clit rock » chaud comme la braise, le folk-rock doux amer de Cass McCombs ou le rock électro-new wave de la nouvelle sensation british Grand National ? Va pour la hype : Grand National, au Dance Hall… Qui pour cette édition n'est pas du côté de la Main Stage, mais perdu au fin fond du site, là où d'habitude se trouvait le deuxième camping. Le Dance Hall et la Boiler Room ainsi décentrés par rapport aux cinq autres scènes (exception : la Wablief-stage, chapiteau à la programmation world et sud-africaine, en partenariat avec le festival Oppikoppi du Cap), c'est toute l'électro parquée dans un seul endroit. Certains parleront d'un festival dans le festival… Au pire de la 'ghettoisation' d'un genre, qui pourtant ramène le plus de peuple… et propose des concerts et des DJ-sets en général synonymes d'ambiance survoltée et bon enfant. 'C'est là que ça se passe' donc, avec pour commencer Grand National, combo anglais déjà remarqué sur la compile « Channel 2 » de l'excellent label Output, et dont les références ne manquent pas de titiller nos tympans de fashion victims mélomanes : en vrac les Stone Roses, PIL et… Police. « Cherry Tree » est déjà un tube : on attend d'écouter l'album, pour voir si Grand National n'est pas qu'un groupe baudruche. Bon concert, parfait pour débuter la journée en douceur tout en s'échauffant pour la suite.

La suite était réservée au punk-rock braillard des Distillers, qu'on apprécie surtout parce que Brody Dalle, la chanteuse, nous rappelle Courtney Love (ses frasques, ses cicatrices, cette voix). A part ça, rien de bien ahurissant : c'est vulgaire et grossier, bref c'est comme du Hole en moins pop, shooté aux stéroïdes.

Passons et revenons au Dance Hall, où se produisait le duo teuton Alter Ego, dont le tube « Rocker » enflamme les dance-floors de nos clubs depuis maintenant quelques semaines (cfr review Dour). « Rocker » est sans doute un des tubes de l'été, tout comme « Drop The Pressure » de Mylo et « Push Up » des Freestylers (eux aussi à l'affiche) : une déflagration post-Mr. Oizo d'une efficacité redoutable, à fredonner même sous la douche. Autant dire qu'on attendait Roman Flügel et Jörn Eling Wuttke de pied ferme, et on n'était pas les seuls : sous un Dance Hall bien rempli, les deux Allemands eurent pourtant bien du mal à faire péter l'ambiance. En cause leur science du climax en décalage total avec les attentes du public. On espérait de grosses montées d'adrénaline avant l'explosion salvatrice habituelle : on a juste eu droit à de longues constructions laborieuses, sans gros poumtchaks et bras en l'air… Bref, le moment que tout le monde attendait c'était « Rocker », rallongé d'au moins cinq minutes pour l'occasion : comme prévu grosse ambiance, et puis basta. L'important, surtout en festival, c'est que tout le monde soit content, sans se prendre la tête ni espérer la lune.

En programmant tous ces artistes, le Pukkelpop (comme Dour) permet chaque année de faire des découvertes. Exemple : Amy Winehouse, une nouvelle diva du jazz vocal qui devrait bientôt rencontrer le même succès que Norah Jones (du moins c'est tout ce qu'on lui souhaite). Entourée de musiciens hors pair biberonnés à la note bleue et aux catalogues de Stax et Motown, la jeune Londonienne aura captivé l'audience grâce à son timbre suave et sexy : une grande dame en devenir, dont les inflexions vocales renvoient aussi bien aux roucoulades sensibles de Billie Holiday qu'au flow mutin du hip hop et de la soul. Un mélange des genres plaisant pour les oreilles… et les yeux (aaah, cette minijupe !). 

Tube de l'été, deuxième, en compagnie des Freestylers : « Push Up », c'est de la bombe, un mix incendiaire de feulements à la Prince et de rythmiques funky. Le genre d'hymne sexy parfait pour les boums sur la plage, avec plein de pépettes, des Mojito et le soleil qui à l'horizon plonge ses rayons dans la mer écarlate. Pourtant, les Freestylers n'ont jamais vraiment fait dans la dentelle (traduction : du breakbeat salace et bourin, qu'on croyait mort depuis la fin du big beat, bref la moitié des nineties). N'empêche qu'en festival, ça le fait : on danse, et c'est la seule chose qui compte. Un DJ, un batteur, un guitariste, un MC et une chanteuse : les ingrédients parfaits pour une grosse bamboula, même si ici ça rime avec « ragga ». « Raw as Fuck » est le titre du troisième album des Freestylers : tout un programme, qui aura suffi aux Anglais pour retourner le Dance Hall. « Get A Life », « The Slammer » et bien sûr « Push Up » auront mis tout le monde d'accord : c'était couillon mais pêchu, en rien surprenant mais simplement festif… Ce qui, en y réfléchissant, n'est déjà pas si mal.

Quand il n'y a par contre ni ambiance, ni surprise, ni échange, ni nouveauté, ni originalité : c'est un peu triste. Urge Overkill résume donc bien ce qu'il y a de pire en musique : leur rock rétrograde et poussif, joué en pilotage automatique, n'aura plu qu'aux nostalgiques de la chose grunge (et encore !). Même « Girl, You'll Be A Woman Soon », leur seul tube (merci Pulp Fiction), n'aura pas sauvé ce concert du désastre. Zéro pointé, et vive Canned Heat.

Heureusement, juste après il y avait les Scissor Sisters pour nous remonter le moral. Qu'on aime ou pas leur électro-disco kitsch et gay, leur allure de Village People 'queer as folk', leurs ballades à mi-chemin entre le « Goodbye Yellow Brick Road » d'Elton John et le « Saturday Night ever » des Bee Gees, il faut avouer que ces New-yorkais savent y faire question pétage de plombs. Connus des clubbers depuis que le magasin Colette a compilé leur cover du « Comfortably Numb » de Pink Floyd, les Scissor Sisters sont l'une des sensations de l'année, et de vraies bêtes de scène. Jake Shears et Ana Matronic se partagent le chant tel un couple bi en pleine montée d'ecstasy : ça brame et ça roucoule, dans l'allégresse la plus totale. L'un des meilleurs concerts du festival, et la preuve par cinq (Del Marquis à la guitare, Babyddady à la basse et aux synthés, Paddy Boom aux fûts) qu'en fait il ne s'agit pas forcément d'un truc à la mode, parce que quoi qu'il arrive les Scissor Sisters, une fois sur scène, assurent un maximum. « Take Your Mama » en ouverture, puis « Tits On The Radio », « Laura », Mary »,… Même Peaches (forcément) aura montré le bout de son nez en toute fin de concert, aussi contente que nous d'assister là à l'un des live les plus délirants de la journée.

Les super-groupes, en général, n'ont rien de bien super : il s'agit souvent d'arnaque marketing qui n'ont pour seul but de permettre à certaines vieilles gloires du rock de payer leurs factures. « Contraband », le premier album des Velvet Revolver (alias Matt Sorum, Slash et Duff McKagan, ex-Guns N' Roses, ainsi que Scott Weiland, ex-Stone Temple Pilots), n'est pourtant pas si mal… Et puis voir de vraies rock stars, en chair et en os, c'est toujours excitant. Des types qui auraient déjà dû mourir dix fois, parce qu'ils vivent à fond le rock'n'roll, parce qu'ils l'ont dans les veines, sans aucune tricherie. Scott Weiland, cinquante kilos de nerfs, revenu de tout (on ne compte plus ses cures de désintox), en impose parce qu'on sent chez lui que la vie, depuis longtemps, est carbonisée à ses deux bouts. Quant aux trois autres c'est la même chose, d'autant qu'ils étaient les musiciens d'un certain groupe de heavy metal aujourd'hui légendaire. N'en déplaise à certains, à cinq (il y a l'autre guitariste, pas connu) ils nous auront mis une sacrée claque. Trois reprises des STP, « It's So Easy » des Guns, et l'essentiel de « Contraband » : en clair des soli monstrueux, ce chant caverneux, ces poses, ces regards, ces tatouages, bref du rock'n'roll qui tue, point barre. Et quel plaisir de revoir Slash tricotant sa guitare (la même !) comme à la grande époque, et Duff la cigarette au bec, ressemblant de plus en plus à un Bowie rongé par la coke. « What ever happened to my rock'n'roll ? » : il est ici, et il a encore de beaux restes.

Après tel déluge hormonal, Kelis se devait de calmer nos ardeurs : rétention, évacuation – le geste qui sauve et soulage. Pas gagné d'avance, cela dit : durant la première moitié du concert, l'Américaine, aussi sexy soit-elle, n'aura pas réussi à captiver nos hanches. Son faiblard, rythmiques un peu molles : jusqu'à « Caught Out Here », rien de très emballant. Puis la machine, enfin, prit l'allure d'un bolide, aux courbes généreuses et bien lustrées, ronronnant dans chaque virage telle une jeune chatte en chaleur. Et hop ! C'est la chemise qui vole, dévoilant sous nos yeux ébahis une svelte poitrine à peine dissimulée derrière un soutif macaron (le con). « Trick Me », « Milkshake » : dans l'évacuation soudaine, nos yeux se dilatent, notre bonheur éclate. Ouuuuiii ! C'est le moment d'une clope, et d'aller faire pipi…

Juste avant le concert des Zutons, dont le court répertoire (un album, « Who Killed The Zutons ? ») ressemble tout dit à du Coral en plus joyeux. Tout de blancs vêtus tels des savants fous perdus dans la steppe limbourgeoise, ces natifs de Liverpool mélangent allègrement la northern soul, Dexys Midnight Runners, Devo et James Brown, bref savent de quoi est fait un bon beat, un vrai. « Don't Ever Be », « Long Time Coming », « Pressure Point »,… Sympathique et sautillant, mais pas non plus démentiel. A revoir très bientôt au Botanique, dans de meilleures conditions.

A l'heure d'un premier best of en forme de mise au point, Groove Armada s'impose comme un des groupes les plus mésestimés de la sphère électro-dance anglo-saxonne. Ce soir, Tom Findlay et Andy Cato, secondés par un groupe live et les deux chanteurs Valerie M et MC MAD, auront pourtant livré un concert en tous points réussi. Une ambiance détendue et frivole qui changeait de l'hystérie habituelle du Dance Hall, et puis de bons morceaux, surtout ceux de « Lovebox », leur dernier album en date… Sans oublier les hits (« I See You Baby », « Superstylin' »), bref un concert savoureux, chill out à la bonne heure…

Juste avant la déferlante Faithless, ses hymnes pompiers et ses messages de paix, la preuve qu'avec deux doigts et beaucoup d'humanité, on peut faire sauter en l'air des dizaines de milliers de personnes comme une seule (« We Come 1 »). La musique, une religion (« God is a DJ ») ? Alors amen, et à demain, pour un nouveau jour de grand messe pop-rock-électro-rap.

 

On les a ratés (et c'est bien dommage) : Dead Combo, Peaches, Skinnyman, Cass McCombs, Delays, Kaizers Orchestra, DAAU, The Killers, Phoenix, Ash, Feist, Dandy Warhols, Everlast.

 

 

Pukkelpop 2004 : vendredi 20 août

Elle est belle, Tali, et en plus elle chante bien : cette Néo-zélandaise signée sur le label Full Cycle apporte un peu de glamour à un genre par trop machiste : la jungle/drum'n'bass. Mâtinés de r'n'b doux comme une caresse, les breakbeats pour une fois ne font plus peur à nos béquilles : quand la femme prend le pouvoir, c'est souvent pour la bonne cause (ici : l'enchantement des sens). « Lyrics On My Lips », susurre-t-elle en compagnie de ses deux choristes : on veut bien les lui voler, d'un baiser, tout en dansant le pas de deux.

Suite à la défection de Jet, l'horaire est décalé sur la Main Stage : tant mieux pour nous, c'est l'occasion d'aller voir le techno-ragga-hardcore de The Bug, alias Kevin Martin de Techno Animal. Ambiance pesante dans le petit Château, sans doute la scène à la programmation la plus alternative… Le cas Jet pose en tout cas le problème épineux des annulations, en grand nombre cette année : Electrelane, Liars, Goldfrapp, Tiga, Snow Patrol, The Icarus Line, Ralph Myerz, Soundtrack of Our Lives, TV On The Radio, Automato, The Veils, My Morning Jacket, Boom Bip, Oi Va Voi, Pink Grease,… C'est énorme ! On se rassurera en pensant aux choix cornéliens que nous aura fait éviter leur absence (déjà que sans eux c'est pénible…). En espérant quand même que ce genre de contretemps ne devienne pas une habitude.

Tube de l'été, troisième, pour Mylo : « Destroy Rock'n'Roll », le premier album de cet Anglais déjà béni par la presse d'outre-Manche, rappelle Royksopp et Daft Punk. Autant dire qu'il s'agit d'électro populaire, proche en cela du big beat, parce qu'au croisement du rock, de la pop et de la dance. La chanson-titre énumère ainsi le nom des vieilles gloires de la pop eighties, comme pour se dédouaner de ses propres tics hyper référencés. Mais Mylo, c'est avant tout « Drop The Pressure » : triste comme la tendance est aujourd'hui de résumer un artiste à son seul tube. C'est la dictature du marketing et des charts, la culture du kleenex : qui, dans un an, se souviendra du bonhomme ? Sans doute dansera-t-on sur autre chose ? Mais l'effervescence ponctuelle d'un tube n'est-elle pas au cœur même de sa définition, de son essence ? C'est la cristallisation d'un instant (un été, un festival, un flirt), rien de plus… Mais en un sens c'est essentiel à l'évolution et à la bonne marche de la musique, quelle qu'elle soit. « Drop The Pressure » donc (le délire habituel sous la tente), et qui vivra verra.

On a vu les Bloodhound Gang, et bien sûr musicalement c'est sans intérêt : de la panade hard-rock FM sur fond de hip hop blanc-bec, jouée par cinq crétins coincés au stade anal. Mais on ne regarde pas un concert des Bloodhound Gang pour la musique : juste pour voir ce que Jimmy Pop Ali et ses potes déjantés vont bien pouvoir faire comme conneries. Cette fois, donc : du lancer de T-shirts à la fronde, un cul sec vodka à l'entonnoir, d'autres culs (des vrais) face caméra, une reprise du « Hey Ya » d'Outkast pour la seule moitié droite du public (scène hilarante, enceintes gauches éteintes, et groupe tournant le dos aux spectateurs de ce côté-là). C'est drôle, et ça s'arrête là : voilà le tour de passe-passe des Bloodhound Gang – faire les idiots (« Jackass », un de leurs titres) pour masquer leur incapacité à écrire une bonne chanson. Le pire, c'est qu'à chaque fois on se laisse entuber, pour leur plus grand plaisir. En fin de compte, ces types sont peut-être moins cons qu'ils en ont l'air. Ou peut-être pas.

LA révélation de ce Pukkelpop 2004 s'appelait Devendra Banhart, un jeune songwriter découvert l'année dernière avec « Oh Me Oh My… », mais dont la carrière décolle seulement maintenant grâce à « Rejoicing The Hands », deuxième LP d'une beauté époustouflante, aux chansons hantées et magiques. Doté d'une voix exceptionnelle, Devendra Banhart s'en sert comme d'un instrument à part entière : du murmure à l’ululement de soufi, cet Américain utilise ses cordes vocales de manière à transmettre l'émotion la plus juste. Un excentrique, diront certains… Mais c'est justement parce que Banhart possède un univers personnel si fort qu'il tranche avec la plupart de ses contemporains. Et touche en plein mille. Seul à la guitare, il aura pourtant dû faire face aux bruits des scènes avoisinantes : les hurlements d'Auf Der Maur d'un côté, les beats eighties de Dr. Lektroluv de l'autre. Dans un tel capharnaüm, difficile de se faire entendre, surtout quand on joue du folk intimiste à faible volume… Faudrait-il revoir la disposition des scènes, ou éviter la superposition de concerts qui ne font pas bon ménage question ambiance ? Toujours est-il qu'après 25 minutes, Banhart aura quitté la scène, s'excusant de ne pouvoir se concentrer dans de telles conditions… Pour revenir 10 minutes plus tard, et continuer à jouer tant bien que mal. Cette situation rocambolesque aura quelque part rendu ce concert encore plus émouvant et prenant : au milieu du bordel ambiant un ange sera passé, très vite mais de manière marquante. Un moment hors du temps, comme seul le Pukkelpop peut parfois nous en offrir.

Après cette excellente surprise, redescendre sur terre. Mission impossible pour les Anglais d'Elbow et leur rock ambient-progressif en apesanteur. Après leur magnifique concert à l'AB il y a quelques mois, Guy Garvey et sa bande remettaient les couverts au Marquee, devant un public attentif bien que clairsemé. Derrière eux, une bannière indiquait leur engagement en faveur du déminage : « We still believe in love », comme nous. Et on croit aussi dur comme fer qu'Elbow est l'un des meilleurs groupes anglais de ces dernières années, unique en son genre et d'une intégrité sans failles. Les points forts : « Fallen Angel » (renforcé par des choristes) et « Newborn », classique de leurs concerts, tout en montée psychédélique. Un beau concert, émouvant et puissant…

Tout le contraire de celui de Mike Skinner, alias The Streets, qui décidément n'est pas fait pour la scène. Autant ses deux albums (surtout le premier) sont des réussites totales, à mi-chemin entre rap, électro et ragga, autant notre « lad » préféré d'Angleterre nous ennuie ferme en live. D'une nonchalance rare, Mike Skinner rappe les mains dans les poches comme s'il pensait à autre chose : à sa bière qu'il a oubliée backstage, au score du dernier match de Birmingham, à sa copine restée à la maison ? L'air fatigué et de s'en foutre, Skinner balance mollement ses tubes (« Turn The Page », « Has It Come To This ? », « Let's Push Things Forward », « Geezers Need Excitement », « It's Too Late »), et le public de rester interdit devant lui. Seuls ses deux nouveaux singles, « Fit But You Know It » (très « Parklife ») et « Dry Your Eyes » (le slow de l'été), donneront aux spectateurs un peu de baume au cœur, et à Skinner du cœur à l'ouvrage. Sans doute que l'Anglais n'aime pas trop se produire en concert : il se sent mieux chez lui, dans son home studio, loin de toute cette agitation médiatique. Allez : tant qu'il continuera à sortir de bons disques, on lui pardonnera son je-m'en-foutisme scénique. La prochaine fois, on prendra juste notre oreiller.

Le Pukkelpop, c'est aussi le festival des grands groupes en devenir : on se rappelle notamment d'un concert de Coldplay au club à 14h, il y a quatre ans… Cette année, c'est Bloc Party qui pourrait bien rafler la mise : la classe de Franz Ferdinand, la noirceur de Joy Division, les mélodies des Buzzcocks, la candeur vocale des premiers Cure, l'élasticité de Gang of Four, la nervosité pulsative de Devo,… Responsable d'un premier EP irréprochable et d'un tube en or (« Banquet »), ces quatre Anglais sont la nouvelle coqueluche du post punk revival. En live c'est encore plus rentre dedans que sur disque : une demi-heure de refrains barrés et de rythmes syncopés, qui laissent les nerfs en pelote. Beaucoup de nouveaux titres, certains plus reposés, qui augurent d'un album en tous points excellent (prévu pour début 2005). Face à tant de maîtrise instrumentale, on reste coi. A revoir au festival des Inrockuptibles en novembre prochain.

Choisir entre Mark Lanegan, Blonde Redhead et Dizzee Rascal ne fût pas une mince affaire : en espérant que le premier revienne chez nous bientôt et parce qu'on a vu (et interviewé) Blonde Redhead aux dernières Nuits Botanique, c'est au Dance Hall que nos pieds nous portèrent. Une grossière erreur : après 15 minutes d'un DJ set hip hop qui n'était vraiment pas nécessaire enfin se pointa sur scène le jeune roi de l'eskibeat, Dizzee Rascal… Qui balança 5-6 chansons avant de se barrer, l'air de rien. « I Luv U », « Fix Up, Look Sharp » et « Jus A Rascal » : des tueries, certes, mais ici trop vite emballées par un Rascal qui porte bien son nom. L'anti-show par excellence, alors qu'on espérait être soufflé par le bonhomme. Pour l'instant, le hip hop au Pukkelpop, c'est pas trop notre pote (cfr The Streets).

Le grand retour de dEUS : Tom Barman sans CJ Bolland, c'est mieux. « Theme From Turnpike » en ouverture. Cinq nouveaux morceaux, dont le single « If You Don't Get What You Want » en clôture : du rock conventionnel, racé mais en régression par rapport à « The Ideal Crash ». Puis les tubes. Un nouveau batteur. Une foule en communion. « Het is faan om terug te zaan ». Barman sous cocaïne? Année sabbatique, « Anyway The Wind Blows ». Retour aux affaires. dEUS, bon concert. Comme d'hab'.

A quelques mètres de là, sur l'autre scène en plein air, les malades de Dillinger Escape Plan : « C'est quoi la merde qu'on entend, là ? », s'exclame le chanteur, un type qui comme ça n'en a pas l'air, mais gueule comme un porc qu'on égorge. Idem pour ses potes. Une heure de metal-grind-hardcore sans compromis (ni mélodies), tout en ruptures de rythmes et déflagrations bruitistes. Le public pogote, poings en avant, gueulant les paroles des titres de leur premier album, « Calculating Infinity ». « Miss Machine », son successeur, vient de sortir : nouveau chanteur, mais pas petite bite. Ca tronçonne, ça gicle, ça tabasse : violence salvatrice, décharge haineuse, défouloir sentimental. Merci, ça fait du bien ! « We are the storm, we are the panasonic youth »…

La jeunesse est belle : au concert des Kings of Leon, elle s'envoie aussi en l'air, sans doute échauffée par les concerts qui viennent de se terminer. Caleb Followill, le chanteur, s'est rasé la moustache : ça fait moins cow-boy, moins « Strokes sudiste ». Trois frères, plus le neveu : à quatre, ils font du country-garage, The Band vs. The Stooges. « Happy Alone », « Trani », « Red Morning Light » : la jeunesse (pana)sonique s'en donne à cœur joie. C'est la fête. Pourtant, les Kings of Leon n'ont pas l'air d'avoir la grande pêche : ils jouent mollement du rock plutôt nerveux (et pas le contraire), comme si c'était là leur signature, leur singularité. Sûr que shootés au Red Bull, ces Américains d'à peine vingt ans foutraient un sacré bordel : pour voir du vrai spectacle, rien de tel, finalement, qu'un concert de My Morning Jacket…

Ou des Chemical Brothers. Habitués des festivals, Ed Simons et Tom Rowlands n'ont jamais eu de problèmes pour mettre le public belge à leurs pieds : des tubes à la pelle (« Hey Boy Hey Girl » marqua le début des festivités), une science du mix qui fait qu'un concert live des frères chimiques n'est jamais pareil, un show visuel sophistiqué et classieux,… Encore une fois donc, les Chemical Brothers auront fait mouche, surtout dans la première moitié de leur set. Les nouveaux morceaux joués pour l'occasion augurent en tout cas d'un nouvel album plus électro et binaire (= club), bref moins crossover (= rock). Du bon boulot, même si le public, fatigué par deux jours de bourlingue musicale et le ventre affamé, avait du mal à suivre…

Dans de telles conditions, mieux vaut terminer la journée en douceur, en compagnie de Greg Dulli et ses Twilight Singers. A la rentrée le groupe à l'ex-Afghan Whigs sort un album de reprises (« She Loves You »), d'où ces covers en nombre : « Hyper-Ballad » de Björk, « (Don't Fear) The Reaper » de Blue Oyster Cult, « All You Need Is Love » des Beatles, jouées en intégralité ou par bribes… On retiendra comme point fort ce duo avec Mark Lanegan sur « I Want You (She's So Heavy) » (des Beatles, encore). Greg Dulli, on le sait, a la classe. En jouant « Faded » (de « Black Love ») ou encore « If I Were Going » (de « Gentlemen ») et « Uptown Again » (de « 1965 »), il aura aussi rappelé à notre bon souvenir qu'Afghan Whigs était un grand groupe… De ces volutes électriques on retiendra surtout l'élégance et la force : un parfait mélange pour sauter pieds joints dans les bras de Morphée, jusqu'à demain… Dernière ligne droite.

 

On les a ratés (et c'est bien dommage) : De Portables, Her Space Holiday, Mauro Pawlowski and the Grooms, Joanna Newsom, The Dirtbombs, Christian Kleine, Ricardo Villalobos, Mondo Generator, Stijn, Funkstörung, Mark Lanegan, Blonde Redhead, Kid 606, I Am Kloot, Mono, Roni Size.

Pukkelpop 2004 : samedi 21 août

Grande nouveauté cette année au Pukkelpop, et petite fierté communautaire : non pas un, mais deux groupes wallons à l'affiche ! A commencer par Ghinzu, dont le « twist from Brussels » aura diverti un club bondé, sans doute conquis d'avance (des francophones ?). Trente-cinq minutes, c'est juste assez pour le rock déjanté de ces cinq Bruxellois : au-delà, John Stargasm et ses sbires ont souvent tendance à lorgner dangereusement vers le progressif (riffs interminables et synthés adipeux). Set concis et parfait, plein de tubes (« Do You Read Me », « Blow ») et d'ambiance… Le meilleur de Ghinzu depuis… Depuis ?

Au Château, la nouvelle signature du label électro Warp : Gravenhurst, alias Nick Talbot… un songwriter folk entre Nick Drake, Codeine et Third Eyed Foundation (il vient de Bristol). Warp se diversifie, et c'est tant mieux… Surtout que « Flashlight Seasons », le deuxième album de ce jeune folk-singer, est une splendeur. En live, c'est plus noisy : comme si Nick Talbot voulait prouver qu'il en a aussi dans la culotte… Et parce qu'en festival il sait qu'il vaut mieux brancher les guitares plutôt qu'espérer le calme monacal. Recueillement, concentration, hypnose : même durant ces flashes shoegazing, le public est captivé. Un bon concert, et une découverte de plus !

Girls In Hawaii, par contre, on connaît. Sur le bout des doigts même, pour les avoir vus déjà dix fois en l'espace de quelques mois. Pourquoi dès lors s'obstiner à chaque fois les revoir ? Parce qu'ils s'améliorent de set en set, même si ceux-ci sont espacés de trois semaines. Encore une fois donc, ils nous ont épatés. Qu'il existe des gens qui les snobent parce qu'ils ont trop (?) de succès relève de la pure idiotie. Girls In Hawaii le méritent. Certes, ils n'étaient pas initialement au programme (ils remplacent Oi Va Voi), mais qu'importe : à l'affiche de tous les festivals d'été (de Belgique et d'ailleurs), ils sont occupés de devenir le groupe wallon le plus populaire de ces dix dernières années. Petite fierté (mais de là à huer le journaliste qui les présente en flamand…), grand concert (« The Fog » : déjà un classique). Comme d'hab', mais en mieux. Jusqu'au prochain. Mais où s'arrêteront-ils ?

Déjà présents l'année dernière, The Kills sont de retour pour notre plus grand bonheur. Un couple (VV et Hotel), une guitare (voire deux), une boîte à rythmes, et du rock'n'roll comme on l'aime : crade, puissant, féroce, sans compromis. Ca vous rappelle quelque chose ? Les White Stripes, en tête d'affiche de ce dernier jour de festival. Sauf qu'avec les Kills, c'est encore plus bestial. L'électricité entre VV et Hotel, Bonnie and Clyde du nouveau millénaire, se ressent à chaque riff décoché, et de la tête aux pieds. Pas d'esbroufe à la Jack White, ni de panoplie blanc-rouge comme label déposé : ici c'est noir de chez noir, sans aucunes afféteries. A priori c'était le même concert qu'il y a un an (un ou deux nouveaux titres en bonus), sauf que le couple semblait encore plus fusionnel, et VV moins timide, de plus en plus carnassière. On les adore : ils sont le rock d'aujourd'hui, et meilleurs en live que leurs cousins de Detroit.

Et c'est parti pour presque sept heures de rock non stop : après The Kills, les stars de 2004, Franz Ferdinand. Groupe, disque, single de l'année : quelques mois seulement après la sortie de leur premier disque, les Anglais cartonnent partout dans le monde. A Werchter, ils avaient livré le meilleur concert du festival, dans une ambiance de feu. Autant dire qu'on n'allait pas rater leur retour, ici au Pukkelpop. Las : pendant plus d'un quart d'heure, la sauce ne prend pas. En cause : le son (approximatif) et le public (mou). Il aura fallu patienter jusqu'aux premières notes libératrices de « Take Me Out » pour qu'enfin la plaine de Kiewit s'enflamme et chante à tue-tête. « Matinee », « Michael », « Darts of Pleasure » (et tout le reste, puisque ces jeunes gens ne pondent que des tubes) : grosse fiesta, mais moins qu'à Werchter. Vivement qu'ils passent en salle !

Après l'intermède Graham Coxon (l'ex-Blur chante comme un cave mais trousse de bonnes mélodies), le groupe que tout le monde attendait (au tournant) : Soulwax, dont la dernière prestation scénique sur nos terres remonte à 2000 (Werchter)… Et pour cause : depuis lors, les frères Dewaele, alias les 2 Many DJ's, sont devenus les rois du bootleg, et leurs DJ sets des classiques de festivals (encore ce soir), qui se monnaient très cher. Pas étonnant dès lors que le successeur à « Much Against Everyone's Advice » se soit tellement fait attendre… Et c'est avec un certain stress que les deux frères déboulent sur scène, suivi de leurs musiciens (Soulwax, c'est d'abord les Dewaele). « We will play mostly new songs. I hope you'll like it ». Nous voilà prévenus, d'autant que les premières critiques de leur nouvel album, « Any Minute Now », sont loin d'être dithyrambiques (« Hang the DJ's », peut-on lire dans le dernier Q, 5/10 dans le NME, 1/5 étoiles dans le Mojo,… : c'est pas gagné pour Soulwax à l'étranger, malgré le succès des 2 Many DJ's). Le set débute sur un beat : c'est « E-Talking », un trip sous acide qui prouve bien qu'à force de mixer de tout depuis quatre ans, les frères Dewaele se devaient d'offrir du neuf au sein de leur groupe… Sauf qu'à force de fréquenter James Murphy, Trevor Jackson (la pochette) et tout ce petit monde branché de l'elektroklash mondiale, ils en ont oublié d'écrire de vraies chansons. « YYY/NNN », « Dance 2 Slow », « Miserable Girl », c'est d'abord  du gros son : la forme prend le pas sur le fond. Impression confirmée au moment des vieux tubes (« Much Against… », « Conversation Intercom », « Too Many DJ's »… en final, forcément), à côté desquels ces nouveaux titres manquent cruellement de consistance. Ils avaient de quoi stresser, puisqu'ils viennent de rater leur come-back, devant un public qui tout le long se sera ennuyé, en essayant de faire paraître le contraire.

Un bon McLusky, et heureusement ça repart : « Lightsabre Cocksucking Blues » d'entrée, ça fait d'ailleurs très mal. Une heure de rock noisy explosif, sans cesse sur le fil du rasoir, d'une violence rare : aux premiers rangs c'est la folie, pogos à gogo. McLusky est sans aucun doute l'un des meilleurs groupes rock de ces dernières années. Des Pixies en plus colériques, du Shellac en plus concis et incisif. Une heure leur suffit pour balancer presque la moitié de tout leur répertoire (surtout « Do Dallas » et leur petit dernier, « The Difference Between Me And You Is That I'm Not On Fire »). Andy Falkous, au chant et à la guitare, gueule les dents serrées, tandis que derrière lui Jack Egglestone, l'air mauvais, martèle ses fûts sans ménagement. Jon Chaple, lui, a tout l'air d'un malade mental. C'était le concert le plus défoulant de tout ce festival (avec celui des Dillinger Escape Plan), et le meilleur de McLusky sur nos terres, rien que pour l'ambiance.

Après une telle claque, le gangsta rap de pacotille du copain à Eminem faisait bien pâle figure (sans jeu de mot xénophobe) : 50 Cent, c'est du show à l'américaine, sponsorisé par MTV, en play-back (le rappeur pose son flow paresseux sur la version enregistrée de ses titres !), et dont le seul but est de ramener du blé à la maison. Derrière 50 Cent, une banderole « G Unit », son label : Lloyd Banks, son petit protégé, est même de la fête, pour chanter son single et nous exhorter à l'acheter. Encore une fois le rap amerloque s'est foutu de notre gueule, et par là fait de l'ombre à de vrais artistes pour qui le hip hop n'est pas qu'une affaire de tiroir-caisse. « P.I.M.P. » ? Tu l'as dit, bouffi…

Est-ce que Wayne Kramer, l'une des légendes encore vivantes du garage rock des seventies, se la pète, lui ? Et pourtant son MC5 a changé l'histoire. Comme il y a deux ans en invitant les Stooges (sans Iggy), le Pukkelpop accueillait donc cette année d'autres rockeurs émérites : Kramer (guitare), Dennis « Machine  Gun » Thompson (batterie) et à la basse Michael Davis (Fred « Sonic » Smith et Rob Tyner étant morts). Mark Arm de Mudhoney et Johnny Walker des Soledad Brothers se chargeant de les accompagner au chant. Et à la deuxième guitare, Nick Royale des Hellacopters. Du beau monde, pour célébrer en grandes pompes les beaux restes de ce MC5 (MC3 ?), et balancer des titres comme « Shakin' Street », « Kick Out The Jams » ou « Call Me Animal ». Bien interprété, sans bavures, comme à l'époque : c'est sans doute pour ça qu'on n'osera pas trop dire du mal de ces quinquagénaires. Ils font ce qu'ils peuvent, et ils le font bien. Trop bien sans doute… Comme un juke-box.

Ce que pourrait devenir (à court, moyen, long terme ?) les White Stripes, qui en gros se voient bombardés tête d'affiche sur base d'un riff, un seul, aussi fantastique soit-il, celui de « Seven Nation Army ». Un riff tellement puissant et fédérateur qu'il est devenu l'hymne de toute une génération : le riff qui tue, et qui sans doute tuera le couple de Detroit. Parce que les dizaines de milliers de personnes amassées devant la Main Stage en cette fin de Pukkelpop n'attendaient finalement qu'une seule chose : ce riff. Le reste, elles s'en tapent. « Jolene » (Dolly Parton), « I Just Don't Know What To Do With Myself », « Hotel Yorba », « Dead Leaves and the Dirty Ground » sont en gros les seuls autres tubes que Jack et Meg auront joué pendant plus d'une heure. Une heure de soundcheck, Jack White triturant sa guitare comme un vieux bluesman possédé par le diable… Et Meg tapant nonchalamment sur ses fûts, toujours en retard ou en avance (il paraît que c'est ce qui fait son charme). Constatation : qu'ils jouent devant 300 ou 60.000 personnes, les White Stripes restent intègres. Il n'empêche que le public aura très rarement marqué son enthousiasme… Rappel : « Seven Nation Army ». Le peuple exulte. Quel meilleur tube planétaire pour clôturer un festival ? De là à dire que ça suffit, c'est une autre paire de manches. Rouges ou noires ? Peu importe : la musique, ce n'est pas qu'un riff et des couleurs binaires. Et ça, peu de gens ce soir semblaient l'avoir compris.

G.E.

 

Lors de la sortie d'« Efflorescence », premier album d'Oceansize, nous avions le sentiment profond que Manchester, berceau du baggy (NDR ; n'oublions pas les Happy Mondays !) et de la britpop (NDR : pensez à Oasis !), venait d'enfanter un quintette atypique mais à l'immense potentiel. Leur éblouissante prestation dans un club, malheureusement moins rempli qu'à l'habitude, a conforté cette impression. Exploitant à merveille la brutalité du métal, les vertiges du psychédélisme, l'intelligence de la musique progressive, la complexité du rock baroque et les caresses de la noisypop, le quintette a conquis en moins d'une heure l'esprit des inconditionnels de Muse, My Bloody Valentine et Sigur Ros. Et ceux de Jane's Addiction voire de King Crimson également. Résultat ? Un rappel dûment mérité mais difficilement accordé par les organisateurs du festival. Reste au chanteur androgyne et très charismatique Mark Vennart à convaincre ses compagnons de penser à leur look. A revoir absolument en salle !

J.D.

 

Le club était plein comme un oeuf pour accueillir le set de Blanche, une formation issue de Detroit dont tout le monde parle, mais que personne (ou presque) ne connaît. Et pourquoi faire un tel tabac, alors que leur premier album vient juste de sortir ? Parce que Jack White des White Stripes en dit le plus grand bien. Bien sûr Dan et Tracee Miller ainsi que Jack ont joué dans le même groupe, Goober & The Peas, et sont demeurés très amis. Jack a même participé à l'enregistrement de « If we can't trust the doctors ». En outre ce dernier a repris une de leurs chansons, « Whos's to say », qui figure sur la flip side du single « I don't know what to do with myself ». Enfin, les critiques des concerts accordés par la formation sont tout bonnement dithyrambiques. Bref, on allait voir ce qu'on allait voir ! Première constatation : les musiciens ont un look pas possible. Dans un style rétro qui ne manque pas d'élégance. Un peu comme s'ils étaient sortis d'un film tourné dans les années 30. Et puis Tracee, la chanteuse, est très jolie. Ses longs cheveux roux tombent sur une robe noire, corsetée de blanc, généreusement décolletée. Une taille de guêpe, un visage angélique : un régal pour les yeux ! (NDR : j'ai dit les yeux, hein !). Bon, faudrait quand même penser à parler musique. Et là, surprise ! Alors que l'album est relativement paisible, sur scène le groupe a une pêche d'enfer. Sa country alternative crache les flammes de l'enfer. Costard noir, cheveux noirs, lunettes noires, le regard sombre, le joueur de banjo assume comme un vieux briscard. Episodiquement, il troque son instrument contre une sorte de harpe portable. A la pedal steel, Feeny ne se contente pas d'étaler toute sa virtuosité, il libère un feeling qui sort littéralement de ses tripes. Parfois, il empoigne un mélodica pour donner plus de coloration aux compos. Derrière les fûts : une drummeuse. De très petite taille. Probablement une indienne. Extrêmement timide, elle se révèle d'une redoutable efficacité. Si les yeux sont souvent braqués sur Tracee, qui se charge de la basse et des backing vocals, Dan Miller incarne vraiment le personnage central du combo. Les filles le disent beau gosse. Ce n'est pas le sosie de Hugh Grant (acteur principal du film mythique « 3 mariages et un enterrement), mais presque. Doué d'une superbe voix, nasillarde, dans un registre proche de Stan Ridgway, il affiche des mimiques très théâtrales et manie l'humour corrosif avec un aplomb hors du commun. 'Faut il faire confiance aux docteurs', nous balance-t-il ? Ou invite le public à taper du pied sur la cover du Gun Club, « Jack on fire ». En fin de concert, Feeny empoigne le micro pour échanger un duo avec Dan. Les deux personnages gesticulent, déambulent dans tous les sens, sous les regards hilares des autres membres du groupe. On frise le délire. Et le public se prend au jeu, accordant une ovation phénoménale à la prestation de Blanche. Rarissime à cette heure au club, le groupe accordera un rappel, Dan et Tracee se retrouvant alors, le temps d'une chanson, dans la peau de Lee Hazlewood et de Nancy Sinatra. Epatant ! Et un grand moment du Pukkelpop 2004…

Le dernier album d'Archive ne casse pas des briques. Mais leurs dernières prestations accordées en 'live' avaient reçu d'excellents échos. Notamment, lorsqu'ils se sont produits lors des dernières Nuits du Bota. Il faut croire, qu'à cette époque, ils étaient encore sous le charme de leur presque excellent opus « You all look the same to me », parce que leur set n'a pas vraiment convaincu. Pourtant, les premiers morceaux auguraient les plus belles espérances. Leurs trois premiers titres naviguant au sein d'une trip hop cosmique particulièrement intense. Malheureusement, la suite s'est égarée dans une forme de prog pompant généreusement les clichés les plus éculés du Pink Floyd circa « The final cut », voire du Barclay James Harvest  lorsque Stewart Wolstenholme avait tiré sa révérence. Suffit pas de disposer d'un matos impressionnant pour faire la différence ! Et puis, faudrait peut-être mettre des maracas dans les mains d'un des trois claviéristes. Plutôt que de les agiter (ses mains !) inutilement, il pourrait peut-être apporter une note un peu plus percussive. Une grosse déception !

B.D.

 

On les a ratés (et c'est bien dommage) : Seelenluft, Buck 65, Luciano, Lambchop, LCD Soundsystem, The Bronx, Mike Patton & Rahzel, Felix da Housecat, Miss Kittin, Plaid, Boo !, Arsenal.  (G.E.)

Cactus 2004 : vendredi 9 juillet

Écrit par

Le festival Cactus en est déjà à sa 23ème édition. Et il se déroule dans un cadre de verdure tout à fait remarquable : le Minnewaterpark de Bruges. L'équipe de Musiczine y était présente. Johan les deux premiers jours (voir reviews sur le site ne néerlandais), Bernard le vendredi et Grégory le samedi. Non seulement le cadre est remarquable, mais le personnel qui y travaille est aussi accueillant que sympathique. Une seule ombre au tableau : la pluie ! Surtout le vendredi. Deux averses qui n'ont pourtant pas refroidi un public multi générationnel particulièrement enthousiaste.

Vendredi 9 juillet

Auteur d'un superbe deuxième album (« Det er mig der holder traeerne sammen », chroniqué en ces pages), Under Byen (NDR : voir également interview) était invité à ouvrir la manifestation. Pas une mince affaire, puisque la première drache s'est abattue juste avant que la formation danoise ne monte sur les planches. J'avais eu l'occasion d'assister à une petite demi-heure du set, lors de leur passage au Grand Mix de Tourcoing en mai dernier. Et nonobstant des problèmes de balance liés à un test checking opéré dans la précipitation (!!!!), j'avais ressenti chez eux la flamme d'un futur super groupe. Toutes les conditions étaient donc réunies pour montrer ce qu'ils avaient dans le ventre. Et franchement on n'a pas été déçus. Les musiciens sont bien en place. La section rythmique et le pianiste/claviériste posent la trame. La violoncelliste y brode des accents graves. Le violoniste des accents aigus. Et leur trip hop tour à tour atmosphérique, symphonique ou cinématique peut atteindre une intensité phénoménale. Surtout lorsque ce violoniste joue de la scie. Avec un archet. A cet instant, il flirte avec le psychédélisme 'hendrixien'. Sans la moindre guitare. Une sensation accentuée par la performance du percussionniste. Effacé au début, il devient impressionnant au cours du concert, apportant même une impulsion 'wagnerienne' à l'expression sonore. A charge d'Henriette de canaliser les émotions. De sa voix éthérée, sensuelle, 'bjorkienne', tour à tour intimiste ou impétueuse. La formation en profite pour épingler l'un ou l'autre titre de son nouvel opus (NDR : dont la sortie est prévue pour la fin de l'année), et puis se retire après 50 bonnes minutes, le devoir accompli… alors que les premières gouttes de pluie recommencent à tomber…

Déjà que la musique de Macy Gray ne me botte pas trop, mais comme au cours des vingt premières minutes de son set, il tombait des hallebardes, j'ai préféré rester à l'abri. Mais que d'eau ! Ah oui, le concert ! Macy possède une superbe voix. Un hybride un peu écorché entre Lisa Kekaula (Bellrays) et Tina Turner. Beaucoup de présence sur scène, des musiciens balèzes, quatre filles dont deux claviéristes et deux choristes. Mais le mélange de soul, de pop, de r&b, de hip hop, de funk et de jazz, que la formation pratique, m'est assez insupportable. Désolé, mais j'ai pris davantage de plaisir en avalant un excellent sandwiche et une (NDR : peut-être deux, ou même trois) blanches de Bruges. Après tout ce qui venait de verser, je n'allais quand même pas me mettre à l'eau.

A 57 balais, Patti Smith n'a jamais été aussi en forme. Pour preuve, son dernier album « Trampin' », dont la critique est unanimement élogieuse (NDR : voir également en ces pages). Et puis à cause de la prestation qu'elle a accordée ce vendredi soir. Un set qu'elle entame par le titre maître de son dernier opus. Au piano. Et sa voix est déjà impressionnante de précision et d'émotion. Puis la machine se met en marche. Faut dire que derrière elle, le backing group assume. Un backing group au sein duquel on retrouve les fidèles Jay Dee Daugherty (aux drums) et Lenny Kaye (à la guitare). Un line up complété par un bassiste et un claviériste qui se mue épisodiquement en guitariste. Et lorsque Patti empoigne également une six cordes, on se croirait alors en plein trip crazyhorsien, ryhtme tribal à l'appui. Faut dire que l'essentiel de sa prestation va libérer une intensité électrique phénoménale (NDR : il ne manquait plus que Neil Young pour faire une jam !). Une bonne partie du répertoire de son dernier elpee est interprété, avec pour point d'orgue un « Ghandi » proche de l'envoûtement. C'est d'ailleurs une longue ovation qui va ponctuer l'interprétation époustouflante de ce qui risque de devenir un nouveau classique. Classiques qui n'ont d'ailleurs pas été oubliés. Et notamment « Horses », « Dancing barefoot », « Because the night », sans oublier l'hymnique « People have the power ». Patti en profite alors pour faire passer ses messages de paix et de solidarité dans le monde, en particulier pour les enfants. Elle n'a pas changé ! Sur scène elle se démène, dialogue avec la foule ou la harangue comme une prêtresse. Parfois elle avale une lampée d'eau, qu'elle recrache sur les premiers rangs du public (NDR : je l'avais dit, faut pas boire de l'eau quand il a plu ; elle aurait dû commander une blanche de Bruges…) Et en rappel, nous accorde un « Gloria » dévastateur, avant de se retirer. Une claque !

 

 

 

Cactus 2004 : samedi 10 juillet

C'est familial, le Cactus Festival : on y vient davantage pour l'ambiance et la verdure que pour la musique, tant on se sent bien dans cet havre de paix coupé du reste du monde. Le centre de Bruges n'est pourtant pas loin… Mais une fois passé le joli pont qui sépare le Minnewaterpark de la circulation urbaine, c'est comme un petit paradis qui s'ouvre à nous. Au milieu des arbres qui donnent au lieu cette tranquillité bon enfant, 15.000 personnes se promènent tranquillement. Beaucoup de poussettes, des clowns, un couple d'hommes kangourous, un contorsionniste, des hamacs pour ceux qui aiment se la couler douce,… Y a pas à dire : au Cactus Festival il fait bon vivre, et puis ça nous change de la grosse artillerie werchterienne.

Pas la peine donc de se presser aux premiers rangs dès Monsoon : le public n'est pas venu ici pour se taper des crampes aux jambes et se faire compresser le thorax sur les barrières Nadar. Cool… Comme le folk-rock de ces Bruxellois déjantés : en jarretelles, Delphine Gardin assure au chant, même si l'on zieute avant tout ses jolies cuisses. Elle joue aussi dans la comédie musicale « Jésus Christ Superstar », à Villers-La-Ville… Mais ici, pas de jérémiades à la Michel Berger : c'est du bon rock, qui sent le souffre et le stupre, un set renforcé par la présence de Luc Van Lieshout, le trompettiste de Tuxedomoon.

Le soleil pointe enfin (il a draché la veille) à l'arrivée sur scène des Soledad Brothers, trio garage de Detroit (pléonasme) qui connaît par cœur son petit MC5 illustré : rythmique incendiaire, guitares mal huilées et chant écorché… Il y a du blues dans les riffs de ces jeunes gens, mais rien de bien neuf (forcément), si ce n'est ce saxophone pétaradant sur certains titres (comme… les Stooges). Les Soledad Brothers n'ont donc rien inventé, mais leur blues rock crasseux débouche les oreilles… A défaut d'autre chose. Il n'empêche que c'est le genre de groupe typique du Cactus Festival : roots juste ce qu'il faut, susceptible de plaire autant au jeune fan de garage qu'aux vieux briscards de la cause « Nuggets »… Cela dit, on n'aurait pas craché sur un bon petit My Morning Jacket : dommage qu'ils aient annulé leur tournée cet été.

Le Cactus, c'est aussi une certaine idée de la world : un petit côté Oxfam pour bobos en sandalettes, qui aiment remuer leur bassin sur des beats gentiment chaloupés. Proche en cela du festival Couleur Café, le Cactus accueille ainsi chaque année son lot de rastamen ; et pour la circonstance les Anglais de Steel Pulse. Actifs depuis 1978 et leur fameux « Handsworth Revolution », ces types de Birmingham ont toujours brillé par leur militantisme, en témoigne le titre « Uncle George »… Un hommage au Black Panther George Jackson, emprisonné à vie depuis 1971. Mais force est de constater qu'en live, David Hinds et ses sbires manquent de pêche : la voix du leader est noyée dans les overdubs, et la sauce ne prend pas. Trop de fumette ? Beuh… Steel Pulse manque de swing (zut, plus aucun hamac de libre).

Mieux valait manger une bonne glace en attendant les excellents Pinback, qui sortent à la rentrée leur troisième album. Difficile de décrire la musique de ces Américains : mélange de country-rock sophistiqué à la Wilco et d'indie à tiroirs (à double fond), elle échappe à tout étiquetage, telle une anguille qui nous filerait sans cesse entre les doigts. Mais peu importe : de nombreux fans étaient présents pour saluer leurs idoles, d'autant qu'ils se font rares en nos contrées. Pinback est sans doute un des secrets les mieux gardés de l'alternatif lo-fi : ses deux chanteurs semblent peut-être de drôles de bonhommes, mais ils s'avèrent diablement bons quand il s'agit d'empoigner leurs guitares. Bonne ambiance lors des interprétations de « Tripoli » et « Loro » (du premier album), puis « Offline P.K. », « XIY » et « Penelope » (de « Blue Screen Life ») achèveront de nous convaincre : vivement ce nouvel album, que l'indéniable talent de ces orfèvres pop-rock soit confirmé pour de bon.

'C'était pas Keziah Jones qui devait jouer à cette heure-ci ?', s'interrogeait plus tôt un spectateur voisin pendant le concert foireux de Steel Pulse. Explication : le Nigérien aurait raté son avion… Il arrivera finalement en retard de deux bonnes heures, s'excusant gentiment avant d'empoigner sa guitare et de balancer son fameux 'blufunk', 'un mélange de funk et de blues', selon l'intéressé. A peine cinq ou six chansons, c'est peu (« Kpfuca », « Femiliarise », « Rhythm Is Love », « Emily », « Neptune ») : Keziah Jones se justifiera plusieurs fois, prétextant qu'il 'doit absolument partir'. Sans doute était-il attendu ailleurs, pour un autre concert… L'incroyable, c'est qu'il aura réussi à captiver la foule en moins d'une demie heure, grâce à son ébouriffant jeu de guitare, hérité des bluesmen d'Amérique et d'Afrique (Ali Farka Touré en tête). S'il était arrivé à l'heure, sans doute que son concert aurait marqué davantage notre mémoire. Dommage, cet homme est un sacré musicien, qui dégage une aura stupéfiante à l'aide de trois fois rien (sept cordes = guitare + voix).

Beaucoup moins excitant : la prestation d'Heather Nova. Ses minauderies post-ado sont toujours aussi fadasses : un vrai supplice d'1h30 (!), qui nous aura presque donné envie d'aller dormir dans ces foutus hamacs (toujours pas libres). Il y a dix ans pourtant, Heather Nova incarnait le renouveau d'un songwriting féminin à l'ancienne (Suzanne Vega, Joni Mitchell, Carole King), plein de jolies mélodies et de refrains rêveurs. Mais aujourd'hui, ces tubes qu'étaient « Island », « London Rain » ou encore « Truth And Bone » font juste l'effet d'un puissant somnifère. Triste et plat comme un jour de pluie à la mer, ce concert de la belle était celui de trop. La prochaine fois, on n'oubliera pas notre oreiller.

Heureusement qu'après cette heure et demie de perdue à compter les moutons, il y avait le grand, le seul, l'unique Elvis Costello. Après Patti Smith la veille, le Cactus Festival accueillait donc un des plus grands songwriters de ces trente dernières années. Nonante minutes de grâce ininterrompue, en toute humilité : seulement accompagné de Steve Nieve au piano, Elvis Costello aura interprété 19 chansons de son imposant répertoire, dont la moitié de tubes : « Accidents Will Happen », « Red Shoes », « Veronica », « Every Day I Write The Book », « Shipbuilding », Oliver's Army », et surtout les splendides « I Want You » et « Pump It Up », dans une ambiance de communion survoltée. Costello sort bientôt deux (!) nouveaux albums, « Il Songo » et « The Delivery Man », dont il a joué ici quelques extraits… Qui augurent du meilleur. On dit souvent que l'amour donne des ailes : depuis sa romance avec la chanteuse de jazz Diana Krall, Elvis Costello semble en pleine forme (écoutez son dernier album, « North », il est d'un classicisme apaisant). Le meilleur concert du jour, assurément… Mais de la part d'un si grand musicien, ça n'avait rien d'étonnant : la classe, qu'on vous dit. De retour l'année prochaine flanqué des Attractions ? On peut toujours rêver.

 

Rock Werchter 2004 : jeudi 1er juillet

Si ça continue, dans dix ans il faudra prévoir quinze jours de vacances pour aller à Werchter : depuis quelques années le festival d'Herman Schueremans pratique une surenchère qui coûte non seulement au portefeuille mais aussi à nos pauvres rotules rôties par le soleil. Quatre jours, soixante groupes, 300.000 personnes : des chiffres mirobolants qui confirment en tout cas la bonne santé du festival rock le plus important de notre plat pays. « Donnez-leur du pain et des jeux », disait César. A Werchter c'est pareil, sauf qu'on parle de musique. Qui oserait cracher dans la soupe ? Et pourtant, malgré quelques têtes d'affiche solides (The Cure, Placebo, Air, Pixies), cette nouvelle édition du festival flamand n'aura pas toujours rempli avec honneur son cahier des charges : annulation de Bowie (et, dans une moindre mesure, de Youngblood Brass Band), tarifs exorbitants (3€ pour un cornet de frites pas cuites, 15€ le camping, parfois sans commodités !), programmation parfois suffisante (Moloko, Franti, Metallica, Lamb,… Vus et re(-re)vus sur la plaine de Leuven). Il y a fort à parier qu'à moyen terme ne seront plus invités que d'énormes stars du music business, sponsorisés par ClearChannel, écrasant de leur poids médiatique les groupes indie et les songwriters qui pourtant méritent eux aussi une place sous notre soleil… Heureusement, on n'en est pas encore là, même si l'orage gronde (« Participez à la réélection de Bush : allez à Werchter », pouvait-on lire sur des affiches placardées dans les rues de Bruxelles – une manière de stigmatiser la mainmise de ClearChannel sur le réseau du booking en Belgique… Clearchannel étant la société d'affichage qui, cerise sur le gâteau, finance la campagne électorale de Bush).

Heureusement, il y aura toujours des artistes engagés qui refuseront de jouer le jeu des multinationales, en condamnant ces viles synergies politico-commerciales : ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si Michael Franti eut l'honneur d'ouvrir les festivités, lui qui se bat chaque jour pour transmettre son message de paix, d'amour et de tolérance. Et ça n'a rien d'opportuniste, ni de chiqué : l'Américain n'a jamais cessé de combattre les injustices, à travers ses chansons d'un optimisme joyeux. Cette naïveté pourrait sembler, aux yeux de certains, d'une pitoyable niaiserie : au contraire, c'est chanté avec tellement d'allant qu'on ne peut qu'applaudir en signe d'approbation. Et danser, parce que Franti, en plus d'être un des artistes américains les plus soucieux du monde qui l'entoure, se révèle à chacun de ses concerts un « entertainer » né, qui prend le public à parti sans lui bourrer le crâne. « Rock The Nation » en ouverture, suivi de « What I Be », « Pray For Grace » ou encore « Sometimes » mettent ainsi les pendules de Werchter à l'heure… Autrement dit c'est la fête qui commence, mais ce n'est pas une raison pour oublier qu'autour de nous des cow-boys s'amusent à pourrir notre existence.

Comme le temps, d'ailleurs, en ce début de mois de juillet : pendant tout l'après-midi, de gros nuages auront failli menacer notre bonne humeur, en plus des barbecues saucisses. Chance : la pluie n'aura pas gâché notre week-end, ou presque. De toute façon, sous la pyramide où jouent The Bees, il fait chaud et sec. De quoi se délasser à l'écoute de ces comptines country-psyché-folk d'un autre âge (les sixties), jouées par six Anglais débonnaires qui jonglent avec les références (en vrac : les Beatles, The Byrds et la northern soul). « Free The Bees », leur deuxième album, vient de sortir. On pense à The Coral coincés dans une faille temporelle, qui loucheraient vers l'Amérique d'Easy Rider et de la Beat Generation : dommage que le public, venu par curiosité à défaut de connaître leur répertoire, soit resté de marbre face à ces excentriques de la cause post-hippie. On en reparlera sans doute, mais pour l'instant il est encore trop tôt…

Question timing, The Rapture arrivent par contre à temps, voire un peu tard : leur tube disco-punk « House Of Jealous Lovers » tourne en boucle sur nos platines depuis déjà deux ans. Pour leur quatrième passage sur nos plates bandes (après le Culture Club, le Bota et le Pukkelpop), ces Américains avaient donc intérêt à prouver une fois pour toutes qu'ils sont bien les dignes descendants de Liquid Liquid et A Certain Ratio, bref d'une certaine idée du punk revu à la sauce dance. Las : malgré un début fracassant (« Out Of The Races And Onto The Tracks »), le groupe aura eu bien de la peine à convaincre. A part lors du triptyque « Olio-The Coming of Spring-Echoes », où enfin l'on vit le public se réveiller et danser les bras levés, Luke Jenner et ses potes n'auront pas réussi à retourner la tente à l'aide de leur punk-funk pourtant diablement jouissif. En cause l'insupportable « Open Up Your Heart » en plein milieu du set, un slow visqueux et geignard qui eut pour fâcheuse conséquence d'endormir tous nos nerfs. Même leur tube gigantesque (« House Of… », donc) en final aura laissé un goût de trop peu : noyé dans les reverbs, il perdit toute sa vigueur et sa force de frappe. Résultat : alors qu'on attendait ce moment avec une impatience non feinte, on resta sur notre faim. Ce concert aurait dû être un grand moment. Ce fût juste un bon moment. La nuance fait mal quand on se rend compte combien de délires on s'est pris en dansant sur The Rapture en club et ailleurs…

On en regretterait presque d'avoir raté Sean Paul affichant ses airs de faux Jamaïcain boosté par MTV. Et on aurait peut-être bien ri. On aurait dansé sur « Gimme The Light », « Baby Boy » (sans Beyonce), « Get Busy » et « Like Glue » en remuant du bassin  comme ses danseuses en tenue légère. On aurait peut-être eu une érection en matant leur derrière. On aurait même chanté, voire fumé un gros spliff (quoique, celui-là on le réserve pour le concert de Cypress Hill). On n'aurait pas acheté l'album (faut pas déconner non plus), mais on se serait bien amusé.

Idem pour Pink, sauf que là on l'a vue (de loin quand même). Pour certains, Pink est un peu l'anti-Britney Spears (elle n'est pas mince, pas jolie, pas Lolita, pas si bête, pas si pop bubblegum) : à la limite, dire qu'on aime Pink, ce n'est même pas une honte. Ses tubes faussement rebelles, faussement rock, s'avèrent efficaces en plein zapping : ça ne mange pas de pain, même s'il faut bien admettre que « God Is A DJ » (rien à voir avec Faithless), par exemple, est une chanson très conne. Quoi d'autre à signaler ? Une cover de « What's Up » des Four Non Blondes (Linda Perry a produit le dernier album de Pink), et les tubes, « Trouble », « Just Like A Pill », « Let's Get This Party Started »… Les venues de Sean Paul et de Pink à Werchter annoncent quand même des lendemains festivaliers qui déchantent : certes Werchter se veut de plus en plus le festival de tous les publics, capable de répondre aux desiderata de la masse sans cesse grandissante (record cette année : complet en trois semaines !), mais de là à se fourvoyer dans la programmation de stars FM… Si ça continue, dans deux ans les NKOTB reformés se disputeront la tête d'affiche avec Ricky Martin (vision d'horreur, mais qui sait ? Avril Lavigne est bien persuadée de jouer du rock'n'roll…).

Les choses rentrent dans l'ordre à 22h20 lors de l'entrée sur scène de Robert Smith et de ses sbires vêtus de noir. Tandis que retentissent sur la plaine les notes réfrigérées de « Plainsong », la silhouette pâteuse du leader de The Cure se faufile tel un fantôme sous l'écran qui la domine, son visage strié de fulgurances phosphorescentes à mesure que les fans du premier rang le mitraillent de leur flash. Pas de doute : c'est bel et bien Robert, ses vieilles baskets pourries, ses trois couches de Rimmel, son sourire figé, ses gestes lents, sa voix spectrale. Simon Gallup est couché sur sa basse, lui soutirant de longues plaintes électriques de ses bras ballants. Roger O'Donnell reste statique derrière ses synthés, le sourire en coin, tel une figure de cire de chez Mme Tussaud. Perry Bamonte est en retrait, concentré. Jason Cooper martèle ses fûts avec bonne grâce. A cinq, ils ont plutôt la classe. D'autant qu'aujourd'hui ils sont cités comme influence par The Rapture (la voix), Hot Hot Heat, Interpol, Mogwai,… Alors qu'il y a cinq ans encore on ne donnait pas cher de leur peau (fort abîmée par l'abus de talc et de maquillage gothique). Avec un nouvel album sous les bras (sobrement baptisée « The Cure », comme un nouveau départ), The Cure est de retour. Et sonne plus incisif que jamais. En outre, son nouvel album a été produit par Ross Robinson (Korn, Limp Bizkit, At The Drive-In, Slipknot). Pendant l'heure et demie de concert, cinq nouveaux titres seront interprétés : « Before Three » (sans doute le morceau le plus faible de l'album, et le plus pop), le single « The End Of The World », le furieux « Alt.end », et en toute fin « The Promise » (et sa montée de sève pesante et puissante) ainsi que « Going Nowhere » (calme, donc peu propice comme rappel). Sinon, pas moins de six titres de « Disintegration » (« Plainsong », « Fascination Street », « Pictures of You », « Lullaby », « Lovesong » et « Disintegration »), et ces autres classiques que sont « A Night Like This », « In Between Days » (ici dans une version des plus kitsch, la faute à Roger et à ses synthés Bontempi), « Just Like Heaven », l'énorme « From The Edge Of The Deep Green Sea » ou encore « One Hundred Years » (terrible) et « Strange Day » de « Pornography ». Il semble que depuis la tournée « Trilogy », The Cure privilégie lors de ses concerts les ambiances noirâtres et dépressives, à l'embonpoint mélancolique parfois pelant, mais en fin de compte d'une belle cohérence chromatique. Pour ce concert Robert Smith aura même surpris le blasé par son étonnante rage, et ses quatre compères par leur violence de jeu. Oui, The Cure est de retour, et ça va faire mal.

Assister à un concert de Cypress Hill, ça peut aussi faire mal. Aux sinus et à la gorge, à force d'inhaler de la fumée qui fait rire. D'autant que d'entrée de jeu, les rois de la fumette attaquent par « Insane In The Brain » : « Are you feeling insane over here ? », vilipendent B-Real et Sen Dog sous une pyramide pleine comme un œuf et chaude comme la braise. Le beat est costaud, l'ambiance est survoltée. Déjà l'année passée, Cypress Hill avait mis le feu à Werchter, juste avant les fils à papa de Coldplay. Avec leur mélange de hip hop corsé comme un blunt, de rock primaire et de rythmes mexicanos, Cypress Hill est sans doute le groupe de rap le plus apprécié par les rockeurs (l'énorme « Rock Superstar » en final)… et par les fumeurs de ganja. Parce que Cypress Hill, c'est d'abord ça : un trip de b-boys stoned 24h/24, une ode à « Marie Jeanne », un cours en accéléré du parfait petit planteur d'herbe (« Dr. Greenthumb »). B-Real paradait d'ailleurs avec un fameux joint lors des tubes pro-fumette « I Wanna Get High » et « Hit From The Bong » : 30 cm de long au bas mot, et pas rempli de salsepareille. A chaque tirée, le rappeur en perdait presque sa voix (comme s'il avait sniffé de l'hélium) : mais comment font-ils pour passer les frontières ? « I Like to smoke weed », ironise-t-il en tenant son calumet au-dessus du public : c'est très bien, mais faut-il pour autant en faire son fond de commerce ?

De l'autre côté, Basement Jaxx évite toute prise de tête en balançant hargneusement sa house explosive : en ouverture, Lisa Kekaula des Bellrays déploie ses talents monstrueux de vocaliste sur « Good Luck », puis c'est « Right Here's The Spot », « Red Alert », « Romeo »… Que des tubes festifs à se faire péter les guiboles, ponctués en finale par l'excellent « Jump & Shout » et son refrain ragga bien boombastic : Basement Jaxx, c'est de la bombe, bébé ! (et il était temps qu'on se trémousse un peu – l'électro pourrait d'ailleurs être la grande perdante de l'affiche de cette année : peu de BPMs au programme, et c'est bien dommage).

 

Rock Werchter 2004 : vendredi 2 juillet

C'est de loin qu'on entend les Lostprophets et leur punk-métal d'école gardienne : rien de très excitant, si ce n'est une reprise du « Reptilia » des Strokes, preuve que chez ces jeunes fous, tout n'est pas perdu. De toute façon pendant tout le concert il aura plu des cordes : le genre de météo qui en festival peut s'avérer des plus pénibles.

Heureusement, le temps s'éclaircit à l'arrivée sur scène des Black Rebel Motorcycle Club, sans doute un peu groggy de jouer si tôt et en pleine lumière (et d'avoir appris la mort de Brando). Il est clair que leur rock crépusculaire et dilaté s'écoute mieux dans un petit club enfumé, mais la Mainstage de Werchter ne semble pas les décontenancer outre mesure : en débutant leur set par « Ha Ha High Babe », le trio (lunettes et perfecto noirs) prouve qu'en toutes conditions son répertoire frappe là où ça fait mal. En plein bide, tel un uppercut décoché par Jack LaMotta, qui terrasse l'auditeur de ses reverbs à la Jesus & Mary Chain. Et le set est racé, sans fioritures ni baisse de régime : « Spread Your Love », « Six Barrel Shotgun », « Stop », « Love Burns », « US Government », « Heart And Soul », et bien sûr « What Ever Happened To My Rock'n'Roll », sous une pluie battante dès les premiers accords, comme si le ciel avait attendu leur tube famélique pour nous tomber sur la tête. De fait, il s'agissait d'un grand moment de rock'n'roll, l'eau fouettant les visages des fans transis sous leur capuche : « I gave my heart to a simple cause / I give my soul to a new religion »… Si ça c'est pas rock'n'roll, alors on ne sait pas très bien…

Parce qu'on a beau dire, question rock qui tâche, les Von Bondies n'assurent pas autant que les Rebelles Noirs du Club de Motocyclette (ou les Motocyclettes du Club Noir des Rebelles ?) : à vrai dire on connaît mieux ce quatuor de Detroit parce que son leader, Jason Stollsteiner, s'est fait refaire la façade il y a quelques mois par un certain Jack White… Qui était le producteur de leur premier album, et aussi un ami (plus maintenant). Autant d'ingrédients réunis pour faire des Von Bondies un groupe de fashion victim (ou plutôt de revival victim), mais un groupe de fashion victim qui n'arrive pas à la cheville des White Stripes ou encore des Dirtbombs. A en juger par l'ambiance (triste), on ne devait pas être les seuls à penser la même chose : à part sur « C'mon C'mon », aucun débordement juvénile ne fût à signaler. Peut-être faut-il mettre ce manque d'entrain sur le compte de la fatigue : c'est qu'à les voir, The Von Bondies n'avaient pas l'air d'être en grande forme. Allez, on ose : The Von Bondies, c'est un peu « les voies de garage du garage-punk » (rires).

Pour voir du vrai rock'n'roll, avec tout ce que ça réserve de clichés à la « Spinal Tap », en fin de compte il n'y a pas mieux qu'un bon petit concert de Monster Magnet. C'est bien simple : Dave Wyndorf est le Monsieur Loyal du stoner-rock. Chez lui, pas de pose : ce type est rock'n'roll, « for real ». Exemple : dès le premier titre (« The Right Stuff », une cover d'Hawkwind), Dave Wyndorf fracasse sa guitare. Pas à la fin : au début. Rock'n'roll. Sur « Third Alternative », une ballade porno-rock qui ferait passer Marilyn Manson pour un prude, Dave Wyndorf susurre, grogne, vocifère, suçote, chuinte, claque la langue, s'accroupit devant la foule et la regarde dans les yeux, la main dans le froc. Rock'n'roll. Et puis « Dopes To Infinity », « Space Lord », « Powertrip », c'est du sacré rock'n'roll. D'une puissance inaltérable. D'une ascendance jouissive. Montée, climax, descente. Comme en pleins ébats sexuels. Rock and roll. Dans le jargon américain d'époque, littéralement « baiser ». Monster Magnet baise les guitares, fait jouir le rock, titille les zones érogènes du psychédélisme. Juste avant les Sugababes et Nelly Furtado, rien ne vaut un bon petit coup de « va-et-vient », comme dirait Alex d'Orange Mécanique. « Mecs à nique ». Rock'n'roll.

Et les Belges dans tout ça ? Chaque année, un groupe (flamand) fait la différence, en général sous la Pyramide. L'année dernière, c'était Janez Detd, dont le concert était solide (l'ambiance, fantastique). Cette année, c'était Arsenal. Fort d'un bel album d'électro-world sorti il y a un an (« Oyebo Soul »), Hendrik Willemyns et John Roan ont depuis lors écumé les festivals (même la Boutik Rock) et ainsi eu tout le temps nécessaire pour roder sur scène leurs jolies chansons chaloupées. Dès le début, l'ambiance est décontractée, pour petit à petit s'échauffer jusqu'au titre de clôture, l'éblouissant « How Come ? ». Entre-temps, le public aura dansé sur « Longee » et ses rythmes tropicaux, jumpé sur l'excellent « Mr. Doorman » (le tube de l'été 2003, ici rallongé de cinq bonnes minutes, pour faire durer notre plaisir, et le leur), découvert un nouveau titre (« I'm Cummin », avec en guest Gabriel Rios, dans le style de Bran Van 3000), applaudi à tout rompre avant, pendant et après le concert. Il s'agissait sans aucun doute d'un des live les plus festifs et chaleureux de tout le festival. Et au milieu de tous ces groupes de rock/metal à l'affiche du vendredi, d'un véritable vent de fraîcheur, qui fît du bien aux oreilles et aux zygomatiques.

Les zygomatiques, parlons-en avec The Darkness. Au départ, on croyait à une bonne blague : le retour du heavy-glam eighties, façon Motley Crüe, assaisonné d'une pincée de Queen. Du rock moustache (voir le bassiste, du nom de Frankie Poullain – ça ne s'invente pas), osant l'exubérance poil à gratter, les « air guitar » en collant rose pailleté, tétons à l'air et cheveux long au vent. Sur disque, cela donne des hymnes pompiers parfaits pour les stades, des ballades collantes dignes d'un mauvais trip FM : c'est drôle, mais en live, de visu, ce genre de pantalonnade « rock'n'roll » donne la chair de poule en nous renvoyant à nos propres doutes (lisez : hontes). « Comment ai-je pu acheter ce disque ? », s'inquiète le spectateur devant le collant fuchsia de Justin Hawkins. Devant lui, la matérialisation douteuse de ses péchés pas très mignons : quatre types tricotant leurs guitares en prenant la pose, l'un d'entre eux chantant de sa voix de falsetto des trucs pas net sur les femmes et l'amour de mâle en rut. Rétro à gogo, et pourtant ça fonctionne… L'angoisse, c'est que The Darkness lance un nouveau revival, des plus kitsch : l'année prochaine, on se baladera peut-être en jean serrant, et on aura l'air con. On dansera dans les bals sur « I Believe In A Thing Called Love » et « Growing On Me », on réécoutera nos vieux Slade, on fera l'amour en feulant comme un élan (« Get Your Hand Off My Woman »). Les Darkness révèlent au grand jour nos pires obsessions, et quelque part c'est pour ça qu'on les aime. Tiens, vous saviez que Justin Hawkins s'était fait piercer le pénis ?

Décidément, les fans de gros riffs en auront eu pour leur argent en cette journée maussade : après The Darkness, Korn, les rois du nu-metal, les idoles de toute une génération biberonnée au metal et au rap. Attendus de pied ferme par une horde de fan en culotte courte, Jonathan Davis et ses chevaliers de l'Apocalypse lanceront leur machine de guerre avec « Right Now », et pendant plus d'une heure ne relâcheront jamais la pression, à l'image des énormes « Here To Stay », « Falling Away From Me » et « Freak On A Leash ». Pendant « Blind », les pogos vont bon train, les coudes se perdent : on repère un blessé évacué en vitesse, l'arcade sourcilière ouverte. Plus tard, des milliers de puceaux reprennent en cœur « A.D.I.D.A.S. » (traduction : « All Day I Dream About Sex ») : mieux qu'un court d'éducation sexuelle, Korn sait parler aux garçons et aux filles… Pour une fois, le son est correct, sauf à la fin, lors du dernier titre (« Y'All Want A Single »). Il se pourrait bien que ce concert soit le meilleur de Korn sur nos terres depuis des lustres : ramassé, incisif, varié (un best of). De grands moments : « Shoots And Ladders », au dernier couplet duquel le groupe enchaîne sur le « One » de Metallica, la reprise réussie (et décoiffante) du « Another Brick In The Wall » de Pink Floyd, et un « Faget » survolté. En un peu plus d'une heure, Korn a confirmé à l'aise son statut de groupe metal le plus influent des années 90/00 : balèze, du début à la fin.

On ne peut pas en dire autant de Metallica, dont les trop réguliers passages chez nous commencent sérieusement à lasser. Il y a quinze ans déjà qu'on parle de Metallica comme le « groupe de heavy metal le plus important de ces 25 dernières années ». Cette réputation de baroudeurs trash n'a jamais été remise en cause, et ça commence à bien faire : depuis quinze ans, pas mal d'eau a coulé sous les ponts, et Metallica a sorti pas mal de daubes. Son dernier album en date, « St Anger », annonçait en grandes pompes le retour du groupe au trash des origines, celui de « Master of Puppets » : à le réécouter, on entend surtout le son de casserole de la batterie de Lars Ulrich, et surtout on s'ennuie pendant ces titres à rallonge, qui auraient gagné à être réduits de moitié. Metallica se repose sur ses lauriers, pensant qu'il n'a plus rien à prouver à personne, sauf que depuis le « Black Album » sont apparues des choses bien plus excitantes au rayon metal de nos disquaires préférés. La preuve, c'est que Metallica recentre maintenant les sets de ses concerts sur la période pré-Black Album, occultant par là la moitié de sa carrière (et de « St Anger », seuls « Frantic » et le titre éponyme sont joués). Au menu, donc : « The Four Horsemen », « Sad But True », « Creeping Death », « Battery », « Master… », « One », « Seek and Destroy », etc. De la grosse barbaque de barbare, un vrai supplice. « Gimme a M, Gimme a E, Gimme a R, Gimme a D, Gimme a E ! ! ! »

Après tant de violence et de haine, un peu d'électro (pas trop tôt) ne pouvait que passer comme une lettre à la poste : dommage que ce soit avec T. Raumschmiere, parce qu'il faut bien avouer que l'électropunk pouet pouet de ces quatre Allemands sent plus la bière que la sueur du dance-floor. Sur scène, un guitariste, un bassiste et un batteur, parfois tous ensemble aux machines, parfois au chant, bref un fameux bordel, dans une ambiance crade et glauque comme dans un squat de Berlin. Le problème chez T. Raumschmiere est le manque évident de mélodies qui tabassent : en vérité c'était aussi excitant qu'un plat de choucroute pas cuite un soir d'Oberbayern (blurp). Mais heureusement pour ces bidouilleurs en tablier blanc, il y a LE hit : « Monstertruckdriver », dont le beat festif et couillon sera hurlé en chœur par un public alors en folie (et rejoué en rappel). « Monstertruckdriver », c'est un peu le « Seven Nation Army » de l'electro caca pipi. Efficace et addictif, même si dans un an ce sera autre chose, et ainsi de suite. Allez, les bras en l'aiiiiiiiiiir ! ! ! ! ! !

 

 

 

Rock Werchter 2004 : samedi 3 juillet

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The Rasmus : un ensemble finnois qui est parvenu à faire son trou sur la scène internationale, lors de la sortie de « Dead letters ». En 'live', son pop rock mélodique n'est guère surprenant et souffre de la médiocrité du chant Ylönen. Sans intérêt !

Bart Vincent et Does de Wolf ont donc réalisé leur rêve : jouer à Werchter ! Une récompense que le Thou gantois a bien mérité après avoir consacré plusieurs années à la création musicale. Ils ont interprété une majorité de compos issues de leur dernier album, « I like girls in Russia ». Et en particulier « I won't go to Nashville », « Roam » ainsi que « Breakin' up the heart of a girl », chanson pour laquelle ils ont reçu le concours du violoniste de Das Pop, Reinhard Vanbergen. Entre pop énigmatique et rock puissant, qu'épice agréablement un chant versatile, leur set a été reçu 5 sur 5 ! 

Drivé par Marco Roelofs, De Heideroosjes roulent leur bosse depuis 15 ans. Et on s'en est rendu compte tout de suite. Un set impeccable ! Leur mélange de punk rock mélodieux et de hardcore est secoué par de nombreux changements de tempo. Issus de la plume de Roelofs, les lyrics opèrent une critique de la société contemporaine. Une formation à l'attitude punk, mais douée d'une vision à long terme. Moment d'émotion lorsque leur roadie est monté sur scène. Victime d'un grave accident de voiture, accident qui s'est produit lors d'une tournée, il est à nouveau sur pied. Le public lui a réservé un accueil chaleureux. De Heideroosjes ont puisé dans leur large répertoire. Depuis « Ik wil niks » à « We're all fucked up » en passant par « Iedereen is gek behalve » et « Dick Advocaat », une chanson écrite pour fustiger la folie engendrée par le football chez les Néerlandais, lors de la coupe d'Europe au Portugal, et « Time is ticking away ». De leur dernier opus, « Sinema », on a eu droit à « Spacegoat revolution » et « Damclub hooligan ». Le public des Heideroosjes est très fidèle. Il est sans cesse invité à chanter, faire des rondes, lever le poing, etc. Un des meilleurs moments constitue assurément l'hommage à Urbanus, auquel le groupe doit le patronyme De Heideroosjes. Un terme issu d'une de ses conférences. Urbanus et De Heideroosjes avaient même chanté dans une version fullspeed « (Marie-Louisje aan de) Kodazuur ». Un set sympathique, amusant et qui mérite le respect. Une chose est sûre on venait de vivre un des meilleurs moments de cet après-midi.

Drivé par le duo Canning/Drew, le collectif Broken Social Scene vient de sortir son deuxième elpee en Europe (« You forgot it in people »), un disque commis voici déjà un an et demi. Mais en 'live', le spectacle est impressionnant. Broken Social Scene est un large collectif : une moyenne de quatre guitaristes, une section de souffleurs, un organiste et j'en passe. Toute une armada qui soutient une voix féminine. Les guitares entretiennent un certain climat où se mêlent de rock, psychédélisme et americana, un climat visionnaire, énigmatique, intense, fiévreux, opérant l'un ou l'autre détour vers la dance et le jazz, tout en adressant l'un ou l'autre clin d'œil à Badly Drawn Boy, à Wilco ou encore à Godspeed. Solidement construites, les chansons peuvent également évoluer sur un mode uptempo. De quoi permettre aux guitaristes de se libérer (NDR : les mauvaises langues diront de s'égarer). Impressionnant ! Un ensemble à suivre et surtout à revoir dans les circuits des clubs…

Daan Stuyven est un personnage particulièrement créatif. On a déjà pu le constater au sein de Dead Man Ray, mais en solo, le mélange capricieux de pop et d'électronica est particulièrement brillant. Et ses opus éponymes en sont la plus belle illustration. Tout de blanc vêtu, Daan entame son set par « Housewife », une compo dynamique dont la fusion d'électronique et de percussions, balayée de ses riffs de guitare, entraîne instantanément un mouvement de danse au sein de la foule. Et son timbre vocal rauque accentue le pouvoir d'expression de ses chansons. Notamment sur des compos comme « Victory » ou « Eternity ». Nous aurons encore le loisir de reparler de Daan, au cours des prochaines semaines, puisqu'il participe aux festivals d'été…

Lors du Pinkpop, j'avais eu l'occasion d'assister au set spectaculaire de Black Eyed Peas, un collectif américain responsable d'une musique à la croisée des chemins du hip hop, du r&b et de la pop. L'ombre de Faithless y avait même plané. Paru l'an dernier, leur dernier opus « Elephunk » leur a permis de percer en Europe. La barre était donc placée très haut, avant qu'ils ne montent sur les planches. Après un départ raggamuffin', invitant le public à lever les mains en l'air, le groupe a enchaîné par ses classiques : « Hey mama », « Let's get retarded » et « Shut up ». Sur scène, le groupe bouge beaucoup. Dans la plaine, le public aussi. Les vocaux plein d'âme flattent les tympans. Les danses du ventre de Miss Fergie nous en mettent plein la vue. Mais le collectif ne trouve pas l'équilibre et manque de conviction. En outre la musique est trop brouillonne, et l'étincelle ne jaillira jamais. Le set est d'ailleurs écourté, n'épinglant pour seul rappel que « Where is the love ». On espère mieux pour la prochaine fois !

Responsable d'un excellent premier elpee, Franz Ferdinand est parvenu à conquérir le public de sa musique très électrique. Un pop/rock pétillant, contagieux, dynamique, frais, dansant, bondissant, parfois réminiscent des eighties, aux mélodies simples mais terriblement efficaces et captivantes. La formule guitare/basse/batterie tient bien la route, mais ce sont les riffs de guitare qui se chargent d'entretenir l'adrénaline. Leurs deux singles, « Take me out » et « Matinée » ont chauffé l'ambiance. Et des compos telles que « Jacqueline », « Tell me tonight » et « Michael » ont libéré une intensité phénoménale. Le quartet écossais en a profité pour dispenser quelques nouvelles chansons dont un « Love destroy » vivement acclamé. Le groupe était fort ému par la réaction de la foule. Le guitariste Mc Carthy a hérité quelque chose de son compatriote Burchill, à l'époque où il sévissait chez Simple Minds. Lui et Kapranos, le chanteur, n'hésitent pas à accomplir quelques pas de danse pour dynamiser leur set. Un set court, puissant, tempétueux et surtout étourdissant.

Issue de Devon, en Angleterre, Joss Stone a sorti un premier opus remarquable, au printemps dernier : « The soul sessions ». Une jeune chanteuse de 17 ans, dont le timbre proche d'Aretha Franklin, soutient une soul/pop américaine chargée d'émotion et de vécu. Et elle a de très jolis yeux, ce qui ne gâche rien. Epaulée par deux backing vocalists, elle a touché le public de son set à la fois bouleversant et sensuel. Depuis un « Chokin' kind », à la sensibilité à fleur de peau, au groovy « Super duper love ». Stone a impliqué le public dans ses chansons, en les laissant parfois reprendre les refrains. Si l'ambiance procurée par « Victim of a foolish heart » et « Dirty man » était surchauffée, celle produite lors de la cover du « Fell in love with a boy » a littéralement déclenché un effet de serre. La sortie d'un nouvel elpee est prévu pour septembre. Il devrait ne contenir que des compositions issues de sa plume. En guise de prélude, des titres comme « Jet lag » et « You had me » sont très prometteurs. Une prestation qu'elle a achevée par « Some kind of wonderful ». Impressionnant !

L'an dernier, Moloko avait emballé le public d'une prestation cinq étoiles, sous la tente 'Pyramid'. Ce qui lui a valu, cette année, de se produire sur la scène principale. Mais pour cette édition, la chance leur a tourné le dos. Le matos électronique de Brydon a lâché pendant l'interprétation de « Sing it back » ; ce qui a obligé la chanteuse, Roisin Murphy, de se produire en acoustique. Le set avait bien débuté par « Familiar feeling », une compo joliment tissée dans le funk disco freaky et dansant, et enrichie de petites touches électroniques. Un début encourageant confirmé par « Fun for me » de « Do you like my tight sweeter ? » et « The time is now », deux fragments qui atteignaient la bonne température. Des moments très agréables que Murphy colorait de son timbre. « Where is the what if… » n'avait cependant pas sa place et ne suscita que l'ennui. Heureusement, « Pure pleasure seeker » et « Forever more » remettaient quelque peu les pendules à l'heure, mais sans jamais atteindre le niveau de l'année dernière, lorsque Moloko s'était produit dans le 'Pyramid'. En outre, les problèmes techniques ont entraîné une fin de set en mode mineur. Moloko nous doit une revanche. Peut-être l'année prochaine, si on lui accorde une nouvelle chance. Il le mériterait.

Sophia, c'est avant tout Robin Propper-Sheppard. Une formation très appréciée en Belgique. Sous la tente 'Pyramid', l'ambiance était étrangement austère. Faut dire que la puissance du son émise par Muse, qui se produisait alors sur le podium principal, avait de quoi perturber. Une situation d'autant plus dérangeante que Sophia a entamé son spectacle par deux compos plutôt calmes issues de son remarquable premier opus paru en 1996, « Fixed water » : « So slow » et « Are you hapy now ». Un moment au climat particulièrement captivant. Les accords de guitare pincés ainsi que la voix mélancolique et chaleureuse de Propper-Sheppard ont littéralement transporté les chansons, enrichies d'une instrumentation luxuriante. Et dans le même registre, « Swept back » et « Oh my love » du récent elpee « People are like seasons » ont maintenu cette impression. Joliment construits, « Every day » et le nouveau single « Holidays are nice » m'ont paru plus consistants. Sophia s'y est aventuré dans les beats électroniques. Mais ce sont « The river song » et « If a change is gonna come » qui se sont révélés les plus percutants. A cet instant, Sophia en est revenu à une sonorité plus tendue, plus aventureuse, plus sombre, presque noisy, comme à l'époque de God Machine, le précédent groupe de Robin. Quelle apothéose !

Le Novastar de Joost Zweegers est devenu un véritable groupe. Un quintette. Qui met bien à l'avant plan le piano de Zweegers. Sur disque Novastar se révèle plutôt paisible, humble, ambiant. Live, il devient énergique, musclé, acharné même, laissant une large part à l'intensité des compos. Zweegers se démène souvent tel un possédé. Il dégage un énorme charisme. Il a surtout interprété des compositions issues de son deuxième opus, « Another lonely soul ». Si le set s'est ouvert par « Lend me love », « Never back down » constitue le point d'orgue de sa prestation. Le vocaux sont clairs et convaincants. Le talent de Zweegers au piano soutenu par la puissance de la guitare a enchanté l'assemblée. Le groupe a bien sûr interprété « Rome », mais c'est « Wrong », un extrait de son opus éponyme qui sera le second point culminant. Pour interpréter « When the lights go down on the broken hearted » et « Don't ever let it get you down », Zweggers actionnait régulièrement le couvercle de son clavier pour s'en servir comme percussion. Il aura fallu attendre 4 ans pour voir la sortie d'un nouvel album de Novastar, mais le résultat est probant ; d'autant plus que sur scène sa transposition est impeccable. En guise de rappel, Novastar a accordé « This is the road to nowhere ». A cet instant, l'ambiance était à son paroxysme. Un moment d'émotion intense traversé par les accords du piano de Zweegers. Et puis « The best is yet to come », repris en chœur par le public…

Responsable d'un nouvel opus (« Baptism »), on se demandait bien ce que Lenny Kravitz allait nous réserver. S'il entame les hostilités par le solide titre « Where are we running », son concert sera essentiellement constitué de compositions issues de son ancien répertoire : « Mama said », « Always on the run », « It ain't over till it's over » et « Fields of joy ». Si d'un côté on y retrouve la puissance de son rock conjugué au passé, Lenny a eu la mauvaise idée de s'égarer dans des soli ennuyeux. Même la batterie et le sax sont tombés dans le piège. Sous cette forme, « Fear » en est devenu pénible. La cover d'« American woman » du Guess Who va lui permettre de remonter à la surface. Et « Fly away » ainsi que « Are you gonna go my way » de le remettre à flots. Sans oublier le bis, consacré traditionnellement au contagieux « Let love rule ». Si le show peut être crédité de bonne facture, il faut reconnaître qu'on n'y a rien découvert de bien neuf ; en outre, les soli inutiles ont donné l'impression que l'artiste était en panne d'inspiration. Are you gonna gonna go the way of Lenny ? Jusqu'à un certain point, oui ! Mais il serait temps qu'il prenne une nouvelle direction. C'est un message que la plupart des fans lui adressent. Puisse-t-il l'entendre !

Magnus est le projet musical de CJ Bolland et de Tom Barman. Pour ce DJ set, les deux compères avaient invité sur scène, la chanteuse/danseuse Zohra. Le duo a interprété quelques morceaux issus de leur elpee, « The body gave you everything » ; et en particulier « French movies » et « Summer's here ». L'accent a été mis sur la fête : des technobeats pompant la trance, l'électro et une bonne dose d'expérimentation. Barman dansait, bondissait, assistait régulièrement CJ Bollard et parfois chantait. « Drop the pressure » de Mylo à même mis le souk !

(Traduction Suzanne, adaptation Bernard Dagnies)

 

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