Nul besoin de prodiguer les louanges du festival Esperanzah ! Car rien ne confère si sûrement la réputation que le mérite. Et cette renommée, les organisateurs l’ont habilement acquise lors de ces neuf dernières années.
Planté au cœur de l’Abbaye de Floreffe, le plus grand des petits festivals émerveille sans cesse le visiteur par son organisation irréprochable. Un événement qui enchante tant par sa qualité de programmation que par son site astucieusement pensé : un cadre prestigieux réinventé d’arbres décorés de vieux lampadaires, des façades ornées de tentes de camping qui se métamorphosent, la nuit tombée, en lampions géants, des barrières tapissées de dessins et de peintures, une grange revisitée en espace visuel accueillant des projections de films et des animations pour enfants… Chaque lieu abrite un petit secret, une idée subtile ! Une organisation impeccable manœuvrée par de réels mélomanes passionnés de musique du monde pour un public averti et chaleureux. Sans oublier évidemment le nombre incalculable de produits originaux et de mets exotiques (NDR : n’hésitez pas à goûter, sans états d’âme, au McDo local. Mac Donalgue vous propose, en effet, de malicieuses et délicieuses préparations à base d’algues marines !)
Par ailleurs, le festival parvient parfaitement à préserver son âme et sa philosophie originelle : tolérance, respect, égalité et découverte. Cette ‘volonté de privilégier des partenaires qui respectent des critères éthiques : Silly pour la bière, Oxfam pour les cocktails et le café, Sherpa pour le ticketting, Credal pour la finance…’ et la présence de nombreuses ONG en témoignent d’ailleurs amplement. Bref, Esperanzah! demeure une jolie invitation à la fête, au rêve, au voyage et au rapprochement des peuples dans un esprit d'ouverture et de métissage.
Cependant, ce festival ne se présente certainement pas comme un paradis terrestre réservé exclusivement aux fanatiques de world music et aux esprits militants. Il s’ouvre prioritairement aux amateurs de festival profilé à taille et à visage humain. Un lieu où il fait bon vivre et danser, limité à dix mille visiteurs par jour, privilégiant le confort du festivalier, fût-ce au détriment des enjeux financiers. Dès lors, sur les 28.000 têtes annoncées, on comptera 1.700 enfants de moins de dix ans venus sereinement fouler le pavé de l’abbaye.
Trois jours, trois scènes et vingt-quatre artistes venus colorer une affiche 2010 plus cosmopolite que jamais : Ethiopie/Hollande (Getachew Mekuria), Espagne (Ojos de Brujo), Côte d’Ivoire (Dobet Gnahoré), Colombie (La-33), Serbie (Goran Bregovic), Le Peuple de l’Herbe (France), Russie (OgneOpasnOrkestr), Sénégal (Daara J Family), Chili (Chico Trujillo)… Une édition 2010 qui mue et se colore de sonorités toujours plus insolites. Toute âme gardée, Esperanzah ! fusionne de plus en plus les genres et sa farde étonnement de sons inhabituels. Le rock et l’électro (Ojos de Brujo, Bauchklang, Le Peuple De L’Herbe…) investissent crescendo le line up et semblent toucher un public plus éclectique que par le passé. Epiphénomène positif ou négatif ? Le festival ne déroge pas pour autant à ses principes d’ouverture et de découverte.
Focus sur le 8 août ! Un doux dimanche d’août dont les faibles battements de pluie n’auront que très légèrement ébouriffé les dix mille têtes présentes sur le site pour assister à la l’événement incontournable de la soirée : The Great Goran Bregović.
Pourtant, ‘côté jardin’, les spectateurs se régaleront véritablement d’une double tête d’affiche : l’autoproclamé ‘orchestre de mariage’ serbe de Bregović et los fenómenos colombianos de La-33.
Authentiques phénomènes salsa-jazz dans leur pays, les douze de La-33 useront adroitement de leur expérience acquise lors de nombreuses prestations sur les scènes new-yorkaises et internationales pour faire vibrer l’abbaye d’ondes latines. Rapidement, s’exhale le parfum d’une savante mixture de salsa, de boogaloo et de musique folklorique colombienne. L’air frais et humide s’imprègne alors d’une chaleur tropicale. Le parterre trépide comme le plancher d’un train. Le public s’électrise de vapeurs latinos. Crescendo, voix, cuivres, percussions s’élèvent et lancent d’irrésistibles invitations à la danse. Aucune âme n’est épargnée. Les corps suent et le public exulte irrépressiblement. 1h30’ de fusion latine saupoudrée de jazz, de rock, de reggae, de ska. Un vacarme ingénieusement orchestré qui ébranle l’auditoire et ne laisse aucun cœur indifférent. Un répertoire riche incluant quelques heureuses surprises dont les deux célèbres covers du combo colombien : le thème de « La Panthère Rose » composé par Henry Mancini et « Roxanne » du groupe Police. L’expérience ‘Calle 33’ : un remède absolu au Xanax.
A peine le temps de s’essuyer l’esprit d’une averse colombienne qu’une tempête serbe nous assène une gifle orageuse. Tempête qui se laissera gentiment désirer. Les cris fusent, le sol tremble. Dix interminables minutes de retard se meubleront d’un chahut collectif. Manifestement, le public était venu en masse pour découvrir le plus grand chevalier de la musique balkanique. Brouhaha instantanément interrompu par la présence d’une fanfare sillonnant le parterre et annonçant le début des hostilités. Puis, sereinement, auréolé d’une lumière blanche, The Great Goran Bregović foule les planches seul pour une intro à l’accordéon qui donnera délicatement le ton. Immaculé de blanc, son orchestre des mariages et enterrements le rejoint aussitôt pour déclencher la foudre. Une foudre crépitant d’explosions sonores extrêmement diverses. Un feu d’artifice coloré de musique traditionnelle des Balkans mais aussi de rock, de pop, de flamenco, de tango, de musique classique… Un mega combo composé de voix, de cuivres, de cordes, de percus, de vents qui transcende le spectateur et le plonge dans une expérience quasi chamanique. D’emblée, les corps frissonnent de puissantes mélodies hispano-arabo-tziganes (« Balkaneros vamos ») qui étoilent la nuit et subliment le décor des façades habillées de lampions géants. Une musique tissant un visuel imaginaire stupéfiant qui ranime nos esprits d’images tirées des scènes de mariage d’‘Underground’. L’âme sonore d’Emir Kusturica s’expose et s’impose. Ici s’exprime tout le talent du compositeur de génie. Préambule parfait pour introduire une séquence musiques de films nées de sa longue collaboration avec le cinéaste Emir Kusturica : le mystique « Ederlezi » du Temps des gitans, l’exceptionnel "In the death car" d’Arizona dream… Puis, brusquement, hurlant ‘México!’, le combo serbe nous balance un tube léger qui ferait pâlir de jalousie tous les morceaux kitschy du monde. Instant où le kitsch devient art !
Le temps des rappels s’annonce malheureusement trop tôt. Mais, lorsque Bregović, dans un français parfait, décide de prolonger la fête en compagnie du public et l’invite à participer au débat, celui-ci exulte et s’époumone d’un ‘Chargeeez!’ sur « Kalashnikov ». La générosité de The Great Goran Bregović refuse alors de laisser le spectateur sur sa faim et décide d’affoler tous les sismographes de la région pour lui livrer toute l’essence brute et compulsive du rock balkanique. Les murs de l’abbaye de Floreffe en tremblent encore de bonheur !
Avant de rejoindre nos chaumières, un petit détour ‘côté cour’ s’imposait tout naturellement afin de découvrir le collectif autrichien de Bauchklang (NDR : Bauchklang signifie en allemand ‘son qui vient du ventre’) qui avait la lourde tâche de clôturer cette édition 2010. Quintette atypique dont l’originalité réside principalement dans la structure de la formation où seuls la voix et les micros importent. Nul instrument à l’horizon. Cinq micros crachant un beat box survitaminé construit de voix à vous couper le souffle. Une performance volcanique qui ne calmera pas les ardeurs des festivaliers résolument décidés à prolonger les festivités. Les gradins de la cour vibrent ; le public s’anime violemment et semble conquis par le set surprenant livré par les cinq Alpins.
Bauchklang, une formation qui illustre à nouveau cette volonté d’ouverture affichée par les organisateurs. Une heureuse curiosité qui invite le spectateur à participer à l’édition 2011 d’Esperanzah. Que de découvertes et de voyages musicaux inédits en perspective !