La soirée, marquée par le retour inattendu du groupe britannique Pulp, présentait certainement l'événement majeur de ce week-end. Un vendredi placé sous le signe d’une concurrence particulièrement rude ; jugez-en plutôt : The National, Belle & Sebastian, Deerhunter, Sufjan Stevens (again !), Explosion In The Sky, Pere Ubu, Low, Battles…
Dix ans après la sortie de « We Love Life » en 2001, les anciens combattants de la pop britannique recouvraient subitement la vie. Plus qu’un simple come-back, Pulp réintègre sa formation originelle. Quinze ans se sont écoulés déjà depuis que Nick Banks, Candida Doyle, Steve MacKey, Russel Senior, Mark Webber et Jarvis Cocker ont cessé de plaquer ensemble leurs accords. Une exclusivité du Primavera Sound. Le communiqué de presse, rendu public par Jarvis Cocker pour annoncer leur retour, était clair : ‘Nous allons jouer tous les morceaux de toutes les époques de notre carrière. Oui, cela signifie que nous allons jouer votre chanson favorite.’
L’esprit britpop 90’s des six de Sheffield et l’enthousiasme démesuré de Jarvis Cocker étaient bel et bien présents sur les planches de la scène San Miguel pour revisiter les tubes issus principalement de trois albums cultes : « Different Class », « Son N Hers » et « This Is Hardcore ». Un concert survolté frappant le public de plein fouet de hits tels que « Babies », « Disco 2000 » et « Common People ». Ce dernier morceau sera tout spécialement dédié aux ‘Indignados’ fraîchement expulsés de la Plaza Catalunya.
Comment rédiger un compte-rendu quand on se trouve relégué à plus de 300 mètres de la scène ?! La masse de spectateurs qui foule quotidiennement l’asphalte du ‘Prima’ rend les conditions parfois insupportables. C’est une musique fast food à consommer sans réfléchir que l’on nous sert ici. Le confort, la qualité du spectacle, lors des représentations des têtes d’affiche pourtant prestigieuses, semblent, en ce lieu, des critères négligeables. Bref, pas la peine de préciser que la plaine du Llevant était archipleine pour accueillir les Étasuniens de The National.
Les sept musiciens de Brooklyn parviennent cependant à tisser d’étranges nébuleuses électriques dans la nuit chaude de Barcelone. Une intensité qui frissonne à fleur de peau et transperce tous les épidermes d’une assistance frontalement agitée aux marges de la scène. Deux grands écrans au visuel sombre et brumeux renforcent l’imagerie mentale du spectateur décidemment imprégné de son et d’alcool. Pourtant, la voix de Matt Berninger le trahit. Cette tessiture grave qui nous séduit tellement en studio dérape sur scène. Une confusion qui ne trouble guère pourtant la haute tension émotionnelle qui règne dans l’arène du Llevant. Une fin de set sur « Anyone’s Ghost » et « Sorrow » où la voix retombe et les mélodies s’accordent. Le meilleur moment du concert où, enfin, Matt Berninger ne gueule plus ! The National, un grand groupe qui ne semble pas taillé pour les grandes scènes.
Ce vendredi, on recensait sur le site un nombre incalculable de spectateurs britanniques, venus manifestement pour faire la fête. Erigé comme une forteresse impénétrable face au podium ‘San Miguel’, ce mur humain faisait bloc devant le groupe culte glaswégien. Impossible de le franchir. Pas le moindre interstice pour se couler vers la lumière. Et un concert de plus à visiter, derrière la scène, sur des écrans géants ! Considéré comme ‘the Smiths for the generation that came after Morrissey and Marr’, Belle & Sebastian on stage continue à véhiculer l’image d’une musique surannée, sensible et tendrement pop. Une image, devenue populaire au fil des albums, qui déplace toujours les fans en masse. Stuart Murdoch ne l’avait-il pas laissé entendre publiquement sur un air détaché : ‘Je me préoccupe exclusivement de composer pour les gens que j’aime, et le reste du monde, il peut m’écouter siffler’ ? Démonstration d’une autosuffisance qui porte ses fruits puisque, ce soir, le groupe écossais et le public font réellement corps. Une philosophie payante grâce à laquelle les éternels étudiants écossais ont su se tailler une place unique au sein du paysage musical indie britannique. Dès lors, sur les planches du Primavera, ils nous exposent les forces vives d’un groupe culte qui brille encore de régularité. Un roc solide qui, inlassablement, résonne de sa pop raffinée et méticuleusement arrangée. Une machine douze pièces bien huilée épaulée d’un quatuor à cordes et de cuivres qui pimentent certains titres.
Alors, vraiment indispensable ce soutien orchestral ? Certes, les cordes et les cuivres renforcent les mélodies pop classiques du combo glaswégien, mais les versions épurées demeurent néanmoins les moments les plus forts, les plus intenses aussi. Car la voix et les lyrics priment sur les mélodies. Comme si Murdoch était la réponse de la pop moderne à Philip Larkin (poète, romancier et critique de jazz considéré comme le poète anglais le plus important de la seconde moitié du XXème siècle). Tour à tour lapidaire et profond, il chante l’absurdité de la vie et de la mort avec une extrême sensibilité. C’est ainsi que « The Fox in the Snow », chanson chargée en émotion, touche la foule de mélopées étranges.
Une prestation, avouons-le, spécialement réservé aux amateurs de la première heure. D’ailleurs, lorsque les anciens morceaux surgissent (compos principalement issues de « The Boy with the Arab Strap »), le public exulte. Un gig indie cool archétypal présentant une pop classique qui tente l’inattendu. Le groupe organise le spectacle d’ingénues mises en scène et parie sur une forte interaction avec le public. Un calcul théâtral qui invite cinq personnes de l’assistance à danser sur scène lors de « The Boy with the Arab Strap ». Une farandole grotesque récompensée d’une généreuse distribution de médailles et d’une volée d’embrassades distribuées par Stuart Murdoch himself. Belle & Sebastian aime chouchouter son public et le démontre. Une intimité qui touche la mémoire affective des fidèles irrémédiablement conquis. Belle & Sebastian, des mélodies familières intemporelles que l’on aime fredonner au fil du temps.
Mais, avant de se précipiter vers le Llevant pour se délecter de l’un des groupes noise rock les plus intéressants de ces dernières années, Deerhunter, trois frustrations artistiques nous laissent un goût de fiel. Ignorer l’indie rock américain de Low, le noise-math-rock de Shellac (projet de Steve Albini) devient pure torture. Pourtant, sur le chemin, comme fascinés par les échos lointains du post-rock majestueux d’Explosions In The Sky qui nous parviennent, impossible de résister, l’espace d’un instant furtif, à l’appel incomparable des sirènes. Face à la mer, sur la scène ‘Ray-Ban’, la formation texane nous offre un spectacle ‘son et lumière’ d’une esthétique sans faille. Haute voltige atmosphérique durant laquelle le corps et l’esprit s’immobilisent et oublient le temps, celui d’aller voir Deerhunter.
Sur les planches, Bradford Cox, personnage fragile, est soutenu par le drummer Moses Archuleta, le bassiste Josh Fauver et le guitariste Locket Pundt. Le set se renouvelle et propose de nouvelles compos comme « 60 Cycle Hum », un morceau qui rassure quant à la valeur du prochain album. Ensuite, le quatuor géorgien enchaîne par l’irrésistible single « Desire Lines », seul titre chanté par Locket Pundt, caractérisé par un long crescendo final. Magique ! Le tracklisting épinglera cependant la plupart des plages du dernier elpee : les superbes « Don’t Cry » et « Sailing », l’onirique « Basement Scene » (en hommage à John Cage), l’efficace « Helycopter » ainsi que « He Would Have Laughed » (dédié à Jay Reatard). Sans négliger pour autant les perles du passé, « Hazel St. » ou encore « Never Stops ». Cox fait preuve d’une grande aisance tant au chant qu’aux six cordes. Son impeccable. Cohésion entre les musiciens irréprochable. Qu’elles soient shoegaze ou lo-fi, les mélodies sont simplement superbes. En outre, lorsque la musique navigue toutes guitares en avant, le groupe devient vraiment impressionnant.
Conquis, le public est alors comblé par le rappel au cours duquel la formation exécute « Nothing Ever Happened », un morceau magistral, tourmenté, intense, de plus de 10 minutes. A cet instant, on frôle le délire. Hallucinant ! Mais, ce qui interpelle, c’est cette absence de contact entre les musicos et le public. En fait, chez Deerhunter, la musique est essence et se suffit à elle-même. Et le reste n’est que littérature…
Mauvaise surprise ! Les talentueux Californiens d’Autolux ne se produiront pas ce soir. Las d’avoir joué pendant trois jours à Barcelone, ils sont malades. On peut donc faire une croix sur l’excellent rock d’avant-garde dispensé sur leur albums « Future Perfect » (2004) et « Transit Transit » (2010). Les organisateurs, coupables de cette gigantesque mécanique parfaitement huilée, sont incapables de nous fournir le moindre indice. L’énigme de cette absence inhabituelle au festival restera sans réponse.
3:45 am, scène Ray Ban ! Lieu où Ian Williams, Dave Konopka, John Stanier nous avaient donné rendez-vous pour nous faire part de leur rock cosmique savant. L’une des plus belles scènes du site, la Ray Ban prend la forme d’un amphithéâtre adossé à la mer. Un cadre idyllique qui n’est guère fait pour desservir les artistes.
Phénomène new-yorkais très à la mode, Battles ne regorge pas moins de talent. En effet, le trio étasunien présente un spectacle conjuguant musique, art-work et nouvelles technologies où le visuel compte autant que l’auditif. La musique, organique et électronique tonitruante, se mêle aux hologrammes futuristes et aux voix préenregistrées. Elle invite le spectateur à franchir les portes de ‘The Twilight Zone’.
En concert, l’atmosphère est captivante. La musique flirte avec un rock cosmique qui interroge le futur. Qu’on apprécie ou non, le style bien particulier du trio le rend unique et surprend l’auditeur. Un groupe qui illustre mieux que quiconque le binôme post-rock-math de sa belle liberté instrumentale. Tirée, à l’origine, d’influences passant de Can à Steve Reich, sa musique atteint désormais le faîte d’une précision métronomique.
Une formule dans laquelle cohabitent les caprices du jazz, le dynamisme de la batterie, le pincement cérébral de la guitare et les coups de griffes de l’électro. Une alchimie qui s’explique sur scène dans des œuvres telles que « Tonto », «EP C / B » et tous les étranges spécimens issus de « Mirrored » et « Gloss Drop ». « Battles », une formation réservée à un public très hermétique.
Dernier groupe programmé : Nuit Blanche à 5 :00 am ! Encore une fois, les nuits catalanes promettent d’être longues, très longues…
Très caricaturalement, si le jeudi a mis surtout l’accent sur l’électronica, le vendredi était plutôt consacré aux guitares (post-rock, math-rock, noise…)